Cher manager, sentez-vous gronder en vous le petit Hitler, le Staline en germe ? En France, on n’aime pas le management. A tel point qu’on se laisse aller à des théories fallacieuses qui voient dans le management une incarnation moderne du totalitarisme, comme en témoignent plusieurs ouvrages publiés ces dernières années, que je mets ici en débat. Pourquoi s’y intéresser ? Parce que ces approximations successives, ces facilités dans la comparaison desservent le combat qui devrait être le nôtre : l’avènement d’un management respectueux des ressources et à l’écoute de ses parties prenantes, c’est-à-dire d’un management responsable.
Le management a trouvé son point Godwin
En France, on n’aime pas le management. Nous avons guillotiné notre roi ! Le célèbre consultant américain Gary Hamel a écrit un ouvrage remarqué en 2007 : “The Future of Management” (Harvard Business School Press). L’année suivante, la traduction française sort sous le titre « La fin du management » ! C’est dire la considération dans laquelle nous tenons le management en France… A Harvard, Hamel voulait ré-inventer le management ; à Paris, les éditions Vuibert le suppriment ! Tout est dit…
On n’aime pas le management, au point de lui trouver son point Godwin. Qu’est-ce que le point Godwin ? Wikipédia en donne une définition claire : la loi de Godwin est une loi empirique énoncée en 1990 par l’avocat Mike Godwin : « Plus une discussion [en ligne] se prolonge, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de un ». Dans un débat ou une discussion, atteindre le point Godwin revient à signifier à son interlocuteur que son crédit est dorénavant compromis par sa vérification de la loi de Godwin, c’est-à-dire son recours (désespéré) à des comparaisons hasardeuses, des analogies et extrapolations extrêmes avec le régime nazi ou le totalitarisme, dans le but de disqualifier toute argumentation contraire.
Brandir le point Godwin revient à couper court à la conversation, lui mettre fin : le point est atteint, donc l’interlocuteur est définitivement disqualifié. C’est le contraire d’une approche RSE qui respecte ses parties prenantes.
Ce pauvre management a depuis longtemps atteint son point Godwin et ne cesse depuis quelques années de lui tourner autour. En voici quelques étapes marquantes (et non exhaustives).
Le psychiatre Christophe Dejours a écrit des livres remarquables sur les risques psychosociaux et les troubles du travail, qui sont aussi, parfois, des troubles du management. Il a joué un rôle important pour installer cette problématique dans le débat national et la faire reconnaître dans les entreprises dont beaucoup préféraient se draper dans le déni.
Mais fallait-il pousser jusqu’à l’outrance ? Dès son livre « Souffrance en France », paru en 1998 et sous-titré « la banalisation de l’injustice sociale », Christophe Dejours reprenait le thème de la banalité du mal de la philosophe Hannah Arendt (1906 – 1975) pour pointer les dégâts psychiques provoqués par les « logiques gestionnaires », un « mode d’organisation du travail déshumanisant » et « le management par la peur »[1]. Il mettait en cause les ressorts subjectifs de la domination, et ceux de la servitude volontaire, notamment dans le cadre des transformations néolibérales du travail et dénonçait la « banalisation de l’injustice sociale » que fabrique le néolibéralisme.
Hannah Arendt, qui suivit le procès du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann pour le « New Yorker » à Jérusalem en 1961 et 1962, a montré dans son ouvrage « Eichmann à Jérusalem ; Rapport sur la banalité du mal », publié en 1963, qu’à la base de tout régime totalitaire, on trouve les acteurs de l’«effroyable banalité du mal », c’est-à-dire les processus d’obéissance qui conduisent des hommes ordinaires, des petits fonctionnaires besogneux, médiocres et insignifiants à commettre l’irréparable. Comme l’écrit Hannah Arendt dans « Eichmann était d’une bêtise révoltante » (Fayard, 2013), « un fonctionnaire, lorsqu’il n’est rien d’autre qu’un fonctionnaire, est quelqu’un de très dangereux ».
Mais peut-on pour autant soutenir comme Christophe Dejours que le « processus de mobilisation de masse dans la collaboration à l’injustice et à la souffrance infligée à autrui, dans notre société, est le même que celui qui a permis la mobilisation du peuple allemand dans le nazisme »[2] ? Peut-on assimiler Eichmann à un psychotique du management ou un « bourreau de bureau » ? Bien sûr que non ! Eichmann sans le système politique du nazisme, sans la conférence de Wannsee en 1942, serait resté un bureaucrate inoffensif. Par ailleurs, Arendt montre bien qu’Adolf Eichmann a abandonné son « pouvoir de penser » pour n’obéir qu’aux ordres. La discipline l’emporte sur toute autre considération et il a renié cette « qualité humaine caractéristique » qui consiste à distinguer le bien du mal, et, en n’ayant « aucun motif, aucune conviction (personnelle) », aucune « intention (morale) » il est, dit Arendt, devenu incapable de former des jugements moraux. Comme le précise Wikipédia, « d’un point de vue philosophique, ce qui est en cause dans les actes affreux qu’il a commis n’est donc pas tant sa méchanceté que sa médiocrité – d’où l’expression ‘banalité du mal’ ».
Fort heureusement, on ne peut pas en dire autant du manager, qui entretient un dialogue permanent avec ses parties prenantes, qui exerce un tri permanent entre les injonctions qu’il reçoit et se livre à une multitude de « micro-négociations » avec sa hiérarchie, ses pairs et les collaborateurs de son équipe. Les managers d’aujourd’hui sont attentifs à la qualité du dialogue et pratiquent au quotidien l’éthique – ou plus précisément le respect des principes établis dans leur domaine professionnel, ce que l’on appelle souvent la déontologie. Cela ne va pas sans tiraillements, parfois sans compromis douloureux, c’est la raison d’être du management que l’on qualifie d’« intermédiaire ». L’un des apports de la psychodynamique du travail, discipline fondée par Christophe Dejours, concerne justement les stratégies de défense individuelles et collectives déployées pour lutter contre la souffrance au travail. Un manager qui abdiquerait son « pouvoir d’agir » ne serait plus un manager.
Loin de l’image glaçante de l’entreprise comme dictature, le sociologue François Dupuy montre comment les managers intermédiaires entrent dans des stratégies de « désobéissance organisationnelle » (voir : « Le Sénat se penche sur les transformations du travail et du management »). Dans son livre « Insoumissions », Thierry Pech montre à quel point le rapport de discipline se distend, dans la société comme dans l’entreprise[3].
Christophe Dejours nous invite à regarder cette banalisation sous l’angle de l’indifférence de plus en plus grande face à la souffrance d’autrui. Pour lui, la « banalité du mal » recouvre « la participation à l’injustice et au mal occasionnés consciemment à autrui. En particulier dans l’exercice ordinaire du travail, selon les principes du management à la menace, en contexte général de précarisation de l’emploi »[4]. Et il est vrai que nous rencontrons ce manque d’empathie en permanence, sur nos lieux de travail, dans la rue, dans les médias et surtout sur les réseaux sociaux. Dans une interview au quotidien « La Croix », il met l’accent sur la souffrance éthique : « Lorsque j’ai écrit Souffrance en France en 1998, la souffrance éthique consistait à voir des collègues se faire maltraiter sans réagir. Puis à devenir maltraitant à son tour. À présent, la réduction généralisée des effectifs a conduit à saper la qualité du travail, à trahir de ce fait les règles du métier, l’héritage du savoir-faire, à trahir les collègues mais aussi les clients. Aujourd’hui, la souffrance éthique réside dans le fait de trahir les autres et finalement soi-même. Et cette trahison de soi est d’autant plus dangereuse qu’elle ne peut plus être partagée au sein d’un collectif de travail »[5].
Il me semble que cette description glacée ne concerne qu’une petite minorité des entreprises que je connais. Et cela ne suffit pas à caractériser le monde du travail comme en proie à une idéologie nazie. Pourtant, Christophe Dejours ira jusqu’à écrire qu’« aucune différence (…) ne peut être mise en évidence entre banalisation du mal dans le système néolibéral (…) et banalisation du mal dans le système nazi »[6]. Je rappelle pour ma part que l’une des étymologies du mot « management » vient du français « ménager » : on manage comme on ménage sa monture ; manager c’est prendre soin.
Nicolas Hatzfeld, historien du travail et des techniques industrielles lui répond : « Comparer l’entreprise au nazisme, comme le fait ici Christophe Dejours, et dresser un parallèle entre les managers zélés et l’acharnement d’Eichmann à faire arriver les trains à l’heure est inacceptable »[7].
Au-delà du seul nazisme, Christophe Dejours compare le fonctionnement de l’entreprise et son cadre économique (qualifié de néolibéralisme) aux systèmes totalitaires, l’un des sujets de réflexion majeurs d’Hannah Arendt. Il faut donc s’interroger sur la définition d’un régime totalitaire, c’est-à-dire un système où l’État
- tend à exercer une mainmise sur la totalité des activités de la société ;
- n’admet aucune opposition organisée, aucun contre-pouvoir, assume l’arbitraire et pratique la censure ;
- exerce un pouvoir absolu et coercitif de façon autoritaire.
Un régime totalitaire n’est donc pas seulement une dictature ou un système coercitif. Pour Hannah Arendt, le totalitarisme exprime l’idée que la dictature ne s’exerce pas seulement dans la sphère politique, mais dans toutes, y compris les sphères privée et intime, quadrillant toute la société et tout le territoire, en imposant à tous les citoyens l’adhésion à une idéologie obligatoire, hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis de la communauté, en exerçant une mainmise sur la totalité des activités, en excluant toute opposition organisée, tout contre-pouvoir[8]. Pour elle, un mouvement totalitaire est « international dans son organisation, universel dans sa visée idéologique, planétaire dans ses aspirations politiques ». Ceci ne ressemble pas au monde de l’entreprise, caractérisé par sa diversité, ses tensions internes et externes, les points de vue variés qui s’y expriment.
Pour les lecteurs qui souhaiteraient aller plus loin dans l’analyse des travaux de Christophe Dejours sur l’entreprise et le totalitarisme, je vous renvoie à l’excellent papier d’Aurore Mréjen (Université Paris Diderot) : voir références et lien ci-dessous dans la section « Pour aller plus loin ».
La barbarie nazie peut-elle ressurgir au sein de notre modernité ? Oui, selon Johann Chapoutot, professeur d’histoire contemporaine à l’université Sorbonne Nouvelle spécialisé en histoire contemporaine, sous la forme amène du management. Le titre de son ouvrage paru en 2020 dit l’essentiel : « Libres d’obéir ; Le management, du Nazisme à aujourd’hui »[9]. Comme l’affirme la quatrième de couverture, « le nazisme aura été un grand moment managérial et une des matrices du management moderne ». Les managers pourraient rêver meilleure filiation…
Le fil de l’argumentation est ténu : Johann Chapoutot s’appuie sur la biographie d’un juriste et théoricien influent du management de l’après-guerre en Allemagne, Reinhard Höhn (1904-2000), qui était avant-guerre un membre influent du parti nazi, fut un technocrate du nazisme et termina la guerre en général de la SS en 1944. La continuité intellectuelle entre le penseur politique nazi d’avant 1945 et le théoricien du management (amnistié par Adenauer) et fondateur de l’Académie des cadres de Bad-Harzburg dans l’Allemagne libérale d’après 1945 (une école de commerce inaugurée en 1956 et construite sur le modèle de Harvard) suffit à la démonstration !
Mais un cas ne fait pas une thèse, surtout aussi globale. Le fait que le management par délégation de responsabilité, grande invention de l’Académie de Bad-Harzburg, existait déjà en germe dans l’économie de l’Allemagne nazie ne suffit pas à construire une équivalence[10]. Dans une note critique, David Chopin écrit (15 juin 2020) : « En prenant le risque de la biographie de l’unique théoricien Reinhard Höhn, le propos de Johann Chapoutot vise en fait à déplacer – sur le plan des idées – notre vision du nazisme de l’exception barbare à une forme possible de la modernité ».
Les analogies vaporeuses comme celle établie entre le mode de management « par la joie » (durch Freude) mis en place par les nazis et certains principes de management contemporains ne parviennent pas à convaincre. « Ce management ‘par la joie’ résonne avec notre époque : les baby-foot sur les lieux de travail ou le métier de Chief Happiness Officer en charge du bien-être des salariés, » écrit Johann Chapoutot dans le quotidien dans lequel il tient chronique[11]. Mais enfin… de quelle joie s’agit-il ? De celle fabriquée par l’organisation Kraft durch Freude (la force par la joie) créée par le parti nazi et liée au syndicat corporatiste unique fondé en mai 1933 sur les décombres des syndicats libres dissous autoritairement. Elle peut bien organiser les loisirs, des concerts en usine et des croisières pour les ouvriers, cela reste de l’embrigadement.
Comme le note Vincent Mariscal dans un article de Slate, « Johann Chapoutot dénonçait pourtant huit ans auparavant l’utilisation inadaptée des références au nazisme pour décrire le monde contemporain, mais se plaît en 2020, dans ‘Libres d’obéir’, à filer les amalgames et les extrapolations pour assimiler le management au nazisme »[12].
Avec Johann Chapoutot, nous arrivons à la période du confinement, qui s’est révélée extrêmement propice au point Goodwin brandi à la face du management. Le 11 novembre 2020, apparaît sur les réseaux sociaux un pseudo-documentaire sur la Covid-19 et la crise sanitaire intitulé « Hold-Up », réalisé par Pierre Barnérias. Il se diffuse de façon virale et fait immédiatement polémique. Ce chef-d’œuvre du complotisme avance beaucoup de faits sans donner de source ni prendre le temps de la démonstration : l’hydroxychloroquine fonctionne, le virus a été fabriqué en laboratoire, l’Institut Pasteur est à l’origine de la fabrication du virus, les autopsies sont interdites pour dissimuler les causes de la pandémie, les masques sont inefficaces… Il dénonce « la politique de la peur instaurée par les dirigeants mondiaux »… tout en jouant lui-même sur les ressorts de la peur.
Dans ce pseudo-documentaire fleuve de près de trois heures, la sociologue Monique Pinçon-Charlot, qui a beaucoup travaillé avec son mari Michel sur la haute-bourgeoisie et les élites, explique : « On est dans la troisième guerre mondiale. (…) Dans cette guerre de classes, comme les nazis l’ont fait pendant la deuxième, il y a un holocauste qui va éliminer, certainement, la partie la plus pauvre de l’humanité ». Elle s’inscrit ainsi dans le droit fil du pseudo-documentaire articulé autour d’une thèse simple : le World Economic Forum (organisateur du Forum annuel de Davos) utilise la pandémie, créée par un virus artificiellement fabriqué par l’homme, dans le cadre d’un « plan global pour soumettre l’humanité », appelé le « Great Reset ».
Sans aucune précaution, Monique Pinçon-Charlot poursuit en comparant les riches aux nazis dont le but serait d’exterminer « la partie la plus pauvre de la population parce que les riches n’en ont plus besoin ». La crise sanitaire serait donc un véritable Holocauste déguisé en pandémie. Les auteurs du documentaire insinuent également que l’on assassinerait à l’aide du Rivotril une partie des personnes âgées dont on ne voudrait plus s’occuper, comme le régime nazi le fit avec les handicapés. Plus tard une sage-femme en pleurs compare aussi le confinement à l’holocauste.
Malheureusement, après le psychiatre (Christophe Dejours), après l’historien (Johann Chapoutot), après la sociologue (Monique Pinçon-Charlot), le niveau ne monte pas : voici la journaliste. En janvier 2023, Violaine des Courières, journaliste à ‘Marianne’, publie « Le Management totalitaire »[13]. Rien que cela !
Je n’ai pas pu dépasser la page 30 (sur un total de 216) mais je me suis infligé la lecture de tous les entretiens qu’elle a donnés à la presse lors de sa tournée promotionnelle. Sa thèse est d’autant plus baroque qu’elle se réfère elle aussi, à la grande spécialiste du totalitarisme, la philosophe Hannah Arendt. Mais enivrée par la thèse lumineuse de « la banalité du mal », selon laquelle le concepteur de la solution finale était un bureaucrate obéissant, elle n’a pas compris la pensée d’Arendt.
Dans ses descriptions de la situation des organisations du travail, qui ressemblent aux antichambres de l’enfer, on a du mal à reconnaître l’entreprise, certes parfois toxique, mais régulée et civilisée par son code du travail, ses principes de gouvernance, ses syndicats et ses IRP, sa RSE, son droit à la déconnexion, la distance critique chère aux salariés.
L’entreprise est-elle vraiment le lieu de la dictature ? Confrontés à une longue liste d’acteurs sociaux et interrogés sur le fait de savoir si chacun d’entre eux représente plutôt une garantie ou plutôt une menace pour la démocratie, les Français placent les organisations syndicales comme celles qui apparaissent comme étant les plus à même de préserver la démocratie, avec 49 %, contre seulement 19 % qui les voient comme une menace. Au contraire, les réseaux sociaux et les organisations religieuses sont les deux acteurs pour lesquels la menace l’emporte sur la garantie. De fait, 61 % des Français jugent le fonctionnement des entreprises plutôt démocratique, une proportion qui monte à 65 % chez les employés et 62 % chez les cadres[14].
Violaine des Courières affirme (page 15) que parmi les membres de Conseils d’administration qu’elle a rencontrés, « la plupart ont acquiescé » à « la question d’un totalitarisme d’entreprise ». Soit nous ne rencontrons par les mêmes, soit les siens se sont offert les délices d’un quart d’heure protestataire.
Oui, bien sûr, il y a des déficiences de management et les lecteurs de ce blog savent que je suis moi-même un critique sans concessions du « management à la française » (voir par exemple : « Management responsable ? »). Je relève d’ailleurs que la fonction managériale est si mal reconnue en France que beaucoup de non-managers refuseraient de le devenir si on leur proposait (voir : « Être manager aujourd’hui : de l’indi-gestion à l’indigence »).
Et les salariés ne sont pas tendres lorsqu’ils parlent de leur manager. Une enquête publiée fin 2020 montrait que si les managers se considèrent eux-mêmes majoritairement bienveillants (74 %), « responsabilisants » (58 %) et transparents (50 %), les cadres « managés » les perçoivent plutôt comme autoritaires (30 %), directifs (27 %) et négatifs (24 %)[15]. Mais la critique (d’ailleurs minoritaire) ne fait pas la dictature… au contraire !
La distance vis-à-vis de la liberté et de la démocratie ne justifie pas tout
Contrairement à une vision angélique, l’entreprise ne prétend pas être un espace de liberté régi par la démocratie (voir : « L’entreprise, espace de démocratie ou de bon gouvernement ? »). Le lien de subordination, qui vertèbre notre code du travail, représente les conditions matérielles (salaire, statut…) reçues en échange de l’abdication d’une partie de notre liberté, soumise aux prescriptions du chef d’entreprise ou à l’autorité qu’il délègue à ses managers. Depuis les arrêts de la Cour de cassation en 1931 et 1996, ce lien est « caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». Cette vision purement juridique du salariat est toujours structurante, mais elle apparait de plus en plus en décalage avec l’économie de la connaissance et les effets de la diffusion des technologies numériques (voir : « Le management 2.0 sera-t-il socialement responsable ? »).
« Des managers tyranniques qui appliquent sans réfléchir des consignes souvent absurdes venant d’en haut » (4ème de couverture du livre de Violaine des Courières). « Comment quelqu’un peut-il ne plus penser par lui-même, et déléguer sa pensée à l’organisation ? C’est cela, la dérive totalitaire, » dit -elle dans son entretien à « Challenges »[16]. Elle ajoute : « En outre, il y a une logique de loyauté absolue : « Je n’ai pas le droit de dire non », m’a-t-on confié. Du coup, vous faites des choses qui vont contre vos valeurs. Et c’est là qu’il y a une notion totalitaire. Vous n’avez plus votre libre arbitre ». Marion Darrieutort (auteure de « Le temps des leaders pop », édition de l’Aube, 2023), lui répond : « Ce qui est décrit ici n’est pas du totalitarisme mais de la lâcheté, de l’impuissance ou plus exactement de l’irresponsabilité. Les mots ont un sens. Si on se rappelle le fameux ‘l’État ne peut pas tout’ de Lionel Jospin, qui illustrait la tendance des politiques à s’abriter derrière la mondialisation ou tout autre système économique qui pousse au renoncement et à l’impuissance, alors tous ces états seraient eux aussi totalitaires ».
Selon Claude Polin, les idéologies totalitaires permettent « de mettre les esprits mêmes en esclavage, et de tarir toute révolte à sa source vive, en ôtant jusqu’à son intention même »[17]. On trouve la même idée chez le réalisateur de « La Question humaine », un film de Nicolas Klotz sorti en 2007, qui relie capitalisme et nazisme. Pour lui, l’entreprise considère ses agents comme des êtres superflus. Dans ce film écrit par Élisabeth Perceval d’après le récit de François Emmanuel, un cadre obéissant est confronté à un inquiétant surgissement de l’histoire nazie dans son quotidien d’entreprise.
Mais qui peut croire que l’entreprise est capable d’étouffer toute volonté d’expression ? L’économiste américain Albert-Otto Hirschmann a d’ailleurs créé son paradigme « Exit, Voice, and Loyalty » pour montrer que la loyauté n’est jamais acquise et qu’un désaccord peut aussi se matérialiser par la protestation, la syndicalisation ou la manifestation (voice) mais aussi par la défection ou le départ (exit)[18].
Christophe Dejours et Violaine des Courières n’ont rien inventé. Il faut rappeler le travail pionnier du psychanalyste d’origine allemande, Erich Fromm, qui publia en 1941, un livre fondamental, « Escape from Freedom ». Dans cet ouvrage, il analyse les origines psychanalytiques du totalitarisme et son recours aux moyens de fuite de la liberté que sont l’autoritarisme, la destructivité et le conformisme. En d’autres termes, les êtres humains peuvent accepter de sacrifier leur liberté pour s’assurer la sécurité physique (et éventuellement émotionnelle) que leur promettent des dictateurs ou des chefs autocratiques. Cette théorie explique non seulement l’arrivée au pouvoir sur fonds de crise économique et sociale de personnages comme Trump, Erdogan, Orban et d’autres dans de nombreux pays. Elle peut expliquer également ce que certains managers disent constater dans leurs équipes : « Certains de mes équipiers, et même bon nombre d’entre eux, ne veulent pas être libres ».
Le livre de Violaine des Courières semble aussi inspiré par les travaux de Elizabeth Anderson, une philosophe de l’Université du Michigan, auteur de « Private Government : How Employers Rule Our Lives », publié en 2017[19]. Dans cet ouvrage, Elizabeth Anderson théorise la dictature en entreprise et explique que le pouvoir des entreprises s’apparente à celui d’un gouvernement privé : sous la façade d’une négociation libre entre individus égaux, les relations entre employeurs et employés seraient marquées par de profondes asymétries de pouvoir, ouvrant la porte à de nombreux abus. Les entreprises s’arrogent le droit d’émettre des ordres et contrôlent plusieurs pans de la vie des employés, au point où, aux Etats-Unis, elles s’immiscent jusque dans les relations amoureuses, la santé ou l’activité en ligne des employés.
Léna Silberzahn critique cette approche et s’étonne que « cet argumentaire cinglant contre le pouvoir ‘dictatorial’ des entreprises se termine par… un éloge du ‘modèle allemand de codétermination’ (p. 70), quand on sait qu’un nombre croissant de chercheurs allemands tire la sonnette d’alarme devant l’augmentation de la précarité des travailleurs dans leur pays et annonce l’émergence d’une conflictualité de nouvel ordre entre partenaires sociaux »[20].
Peut-on essayer de rapprocher ces théories de ce que vivent les collaborateurs en entreprise ?
1) L’enquête de Harris Interactive menée auprès de 10.000 français sur la démocratie, publiée par l’hebdomadaire Challenges du 9 décembre 2021 montre que 61 % des Français jugent le fonctionnement des entreprises plutôt démocratique, une proportion qui monte à 65 % chez les employés et 62 % chez les cadres.
2) Les managers sont-ils vraiment intrusifs et se comportent-ils comme des petits chefs ? Pas si vite : selon l’enquête « Les salariés français et le bien-être au travail », 17% seulement des actifs trouvent que leur manager intervient trop. A l’inverse, 53% pensent que leur manager intervient de manière adaptée et 23% qu’il n’intervient pas assez. Et on en trouve même 7% qui déclarent ne pas avoir de manager, ce qui est très rare dans une (vraie) dictature[21].
3) En France, on sait s’affranchir de la discipline et ruser avec les ordres. Une étude réalisée par le cabinet de conseil en gestion des ressources humaines BPI et l’institut BVA auprès de 5.500 salariés dans dix pays, publiée le 6 décembre 2007 le montrait parfaitement : un Français sur deux reconnaît ne pas suivre les directives de son supérieur hiérarchique. Seuls les Roumains font pire : 60 % sont dans ce cas. Ces salariés peuvent agir ainsi sans grand risque, car les managers français font aussi preuve de peu d’autorité, celle-ci étant reconnue par les salariés comme une qualité et non comme un défaut. Les pays dont les supérieurs hiérarchiques sont jugés les plus autoritaires sont aussi ceux où leurs subordonnés les trouvent les plus sympathiques. Ce qui est le cas aux Etats-Unis et au Maroc. « L’autorité est fortement valorisée aux Etats-Unis, où elle est ressentie comme une affirmation du leadership et une capacité à prendre des décisions. En France, on assimile volontiers autorité et autoritarisme, volonté de sanctionner (négativement) », notent les auteurs.
Manque de transparence, terreur et opacité : le frisson de l’exagération
Quelles sont donc les caractéristiques du management qui permettent à Violaine des Courières de le qualifier de totalitaire ? Les organigrammes flous et mouvants, le changement parfois conduit de façon erratique, des patrons souvent très sensibles aux attentes de leurs actionnaires, le positionnement parfois ambigu des DRH, des managers soumis à des injonctions contradictoires, une quête effrénée de la productivité, des méthodes de management parfois discutables, voire toxiques, la novlangue managériale infantilisante. Mais tout cela ne suffit pas à caractériser un système totalitaire, et c’est heureux ! Parfois, sa description va à l’encontre de sa thèse, par exemple (page 23) : « Certains patrons perdent la vision d’ensemble de leur entreprise. Ils ne savent plus comment leur stratégie est appliquée sur le terrain et quelles sont les conséquences humaines des décisions comptables ». Les dictateurs modernes semblent bien apathiques !
De la même façon, l’auteure utilise des témoignages d’anciens dirigeants d’entreprises comme Henri Proglio (PDG de Veolia puis d’EDF), qui évoque « une dictature de la finance et du court terme » ou Henri Lachmann (PDG de Schneider Electric de 1999 à 2005), qui s’élève contre « la dérive totalitaire » des fonds d’investissement[22]. Confusion savamment entretenue entre la tyrannie des marchés financiers et la dictature au sein de l’entreprise…
La diffusion des technologies numériques apporte une eau bien fraîche aux soutiens du totalitarisme d’entreprise. Le best-seller de Dave Eggers, « The Circle », publié en 2013 et paru en 2018 chez Gallimard sous le titre « Le cercle » est une dystopie dans laquelle une compagnie géante de l’Internet a comme projet secret d’imposer une transparence totale et en direct de la vie privée des internautes. La place des chiffres dans cette structure, qui enregistre tout et conserve toutes les données produites, est immense. Après quelques jours dans la structure, l’héroïne cite tous les indicateurs qu’elle peut consulter en temps réel sur ses 3 écrans et son bracelet connecté. Sur les 41 qu’elle cite, il y a par exemple sa moyenne générale à l’Expérience Client (97), le nombre de demandes traitées dans la journée (221), le nombre de messages auxquels elle a répondu (88), le nombre d’invitations récentes organisées au Cercle (41), le nombre de personnes qui ont consulté son profil (210), son rythme cardiaque, le nombre de pas qu’elle a fait jusqu’à présent (8.200), son apport calorique de la journée. L’auteur a été inspiré par la rapidité de la montée en puissance des GAFA et leur prise de pouvoir sur une partie de notre vie.
Avec son nouvel ouvrage « The Every », paru en 2021, Dave Eggers poursuit l’extrapolation et propose une vision assez radicale de notre futur proche dans lequel cette même entreprise du numérique est devenue encore plus riche et puissante, au point de se rebaptiser Every c’est-à-dire le Tout. Une sorte de Google, Facebook, Amazon totalement intégrée, un totalitarisme corporate bienveillant. La firme a mis en place notamment un système universel de notation sociale et de crédit bien plus avancé que celui de la Chine. L’amateur de récits de prospective sur le futur du travail et du management trouvera d’autres exemples de récits dans une anthologie inégale mais originale, publiée en mai 2023 et intitulée « Travailler encore ? »[23].
Et pourtant, à la question de savoir si Internet est constitutif d’un nouveau totalitarisme, le philosophe Pierre Lévy répond : « non car la transparence généralisée vers laquelle nous nous dirigeons tend à devenir symétrique. La liberté d’expression et l’accès à l’information augmentent pour tout le monde et non seulement pour les Etats et les grandes entreprises. (…) Le pouvoir autoritaire se définit par l’asymétrie de la visibilité : les dominés sont transparents tandis que le centre du pouvoir reste opaque »[24].
Violaine des Courières peut bien reprocher la pratique consistant à classer des salariés d’une même équipe en vue de licencier les moins performants, mise à la mode par General Electric et dénommée « forced ranking ». Justement, en France, ce comportement est illégal depuis une décision de la Cour de cassation en 2013 et est de ce fait proscrit dans toute entreprise normalement constituée… même si l’auteure considère qu’elle perdure « sous le manteau ». Notre dictature, tempérée par l’état de droit et le respect des libertés individuelles est bien douce !
Et pourtant, il y a en France une demande d’autorité dans la société française et il serait surprenant qu’elle n’imprègne pas les cultures d’entreprise.
Dans son « Discours de la servitude volontaire » (1576), Etienne de La Boétie au XVI°siècle s’est particulièrement intéressé à l’énigme de l’obéissance qu’il a comparé à un processus de « servitude volontaire ». Dans cet ouvrage, il décrit la manière dont la tyrannie s’installe dans un groupe humain, par l’acte mimétique des ‘tyranneaux’, qui imitent servilement le pouvoir du tyran. Il s’interroge sur le fait que des hommes et des femmes par centaine de milliers se soumettent au pouvoir et à la tyrannie d’un seul. Il s’étonne aussi de la facilité avec laquelle le peuple renonce à son propre pouvoir alors qu’il ne tient qu’à lui de le récupérer : « Je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes (…) supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire ».
Cette tension entre liberté et servitude s’exprime aussi dans l’entreprise où la demande d’autorité est un frein culturel puissant à la mise en place d’une RSE assumée. Celle-ci passe obligatoirement par une reconnaissance et une valorisation des contre-pouvoirs, par une recherche du partage des décisions et par une pratique de co-évaluation aux antipodes de la verticalité du pouvoir en majesté (voir : « Autonomie et autorité : les enfants terribles du management »).
Cette demande d’autorité est alimentée par un affaiblissement des valeurs démocratiques. Selon une enquête Ispos publiée en septembre 2019, 77% des Français pensent que l’arrivée au pouvoir d’un « leader fort » permettrait « d’améliorer la situation du pays ». C’est bien plus prononcé que les 49% en moyenne obtenus dans les 26 pays où l’enquête a été réalisée. Déjà une étude Ipsos-Mori réalisée en novembre 2015 (plus de 16,000 personnes dans 22 pays) nous apprenait que 49% des citoyens interrogés disent désirer un « leader fort » qui voudrait « casser les règles », sachant que ce résultat monte plus haut dans certains pays, au point d’atteindre même un record de 80%… en France. En Allemagne et en Suède, seulement 20% des citoyens partageaient cette idée.
Selon un sondage Ifop d’octobre 2018, 41% des Français seraient désormais d’accord pour « confier la direction du pays à un régime politique autoritaire » et chez les étudiants, cette proportion monte à 50%. En mars 2019, un sondage Odoxa indiquait qu’en cas de nouveaux attentats terroristes, 50% des Français seraient favorables à la nomination temporaire d’un militaire à la tête du pays. Selon une enquête du Cevipof (CNRS et Sciences-Po) de janvier 2021, seuls 64% des jeunes Français (18-24 ans) considèrent que la démocratie est « quand même mieux que n’importe quelle autre forme de gouvernement ». C’est 15 points de moins que chez l’ensemble des Français et 30 points de moins que chez les plus de 65 ans : le soutien de la démocratie s’érode chez les plus jeunes.
L’enquête de Harris Interactive auprès de 10.000 français sur la démocratie, publiée par l’hebdomadaire Challenges du 9 décembre 2021 montrait que 57 % des Français estiment qu’un régime autoritaire est préférable à la démocratie dans certaines situations de crise (guerre, pandémie…). Cette proportion monte à 72 % chez les 18 à 24 ans et à 66 % chez les 25 à 34 ans. Par ailleurs, 24 % des Français estiment que pour faire face à une crise sanitaire, un régime autoritaire serait plus efficace qu’une démocratie. Cette proportion monte à 33 % chez les moins de 25 ans.
Même si cette demande d’autorité appréciée par plusieurs questions dans le Baromètre de la confiance du Cevipof a tendance à régresser ces dernières années, elle imprègne fortement la société française[25].
En y regardant de plus près, on constate que cette demande d’autorité n’est pas un souhait d’autoritarisme, mais de direction : alors que tout un chacun au sein de la société se retrouve en pleine perte de repères, un sondage sur « les salariés et leur chef », réalisé en mai 2019 par OpinionWay, pour l’assistant en ligne Lumio, auprès de 1.000 salariés, révélait que 67 % des collaborateurs ressentent un besoin de davantage d’autorité et le désir d’avoir un vrai chef dans l’entreprise. « Très exactement, ils sont désireux de se retrouver face à des dirigeants non ambigus, qui ne se contredisent pas, qui disent ce qu’ils font et qui tiennent un cap »[26]. Ce que l’on prend parfois pour une demande d’autorité est plutôt une demande de clarté dans les orientations. Les collaborateurs veulent savoir ce qu’ils ont à faire !
La relation au travail pèse de tout son poids
Dans « Le grand déclassement », l’économiste et sociologue Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS, explique pourquoi les Français éprouvent tant de malaise face au travail. Selon lui, les raisons sont à chercher dans l’Histoire et la culture de notre pays. Le sentiment de dégradation du sens du travail trouve en grande partie sa source dans le fonctionnement des entreprises, l’évolution des modes de délégation et de contrôle ainsi que le poids des procédures et de la bureaucratie[27]. Déjà, dans un entretien publié par « Le Monde » du 17 décembre 2016, il expliquait :
« Dès leur avènement, les sociétés démocratiques se sont demandé comment un homme pouvait rester libre tout en travaillant pour une entreprise. Au XVIIIè, au XIXè mais aussi au XXè siècle, l’Allemagne, le monde anglo-saxon et la France ont donné des réponses différentes à cette question. En Allemagne, un homme reste libre s’il participe à un processus de décision partagée. En Angleterre et aux Etats-Unis, il reste libre si le contrat fixe clairement les limites du pouvoir à qui il rend des comptes. En France, il reste libre si le pouvoir respecte les privilèges et les traditions du corps professionnel auquel il appartient. Pour le modèle d’autorité français, le métier est central : il est censé protéger l’individu de l’arbitraire, de l’arrogance ou du mépris, garantissant ainsi l’honneur du travailleur ».
Cette « société du statut », que nous connaissons en France, se combine à la difficulté à s’extraire de la gangue du taylorisme pour établir une méfiance vis-à-vis de l’autonomie, l’équivalent de la liberté dans le contexte de l’entreprise (voir : « Autonomie au travail : la France a tout faux ! »).
De ce point de vue, le modèle de l’« entreprise libérée » a échoué. A tel point que « pour certains qui le critiquent, l’incarnation des concepts et la rigueur avec laquelle les règles doivent être appliquées créent paradoxalement une forme de totalitarisme au sein des entreprises »[28]. « En gros, c’est marche ou crève. Soit tu appliques ce mode de fonctionnement, soit tu vas voir ailleurs », regrette un ancien salarié d’une entreprise libérée. Il pointe un paradoxe : « On nous parle de bonheur au travail et on nous augmente nos responsabilités…». Ce modèle ne marque pas non plus une avancée vers la RSE (voir : « L’entreprise libérée est-elle socialement responsable ? »).
Quant à la pénibilité, elle joue aussi un rôle. Dans son essai « Histoire de la fatigue des origines à nos jours », publié au Seuil en 2020, l’historien Georges Vigarello montre que les régimes totalitaires promeuvent un homme nouveau prétendument insensible à la fatigue comme Stakhanov, le mineur tant vanté dans la propagande soviétique des années trente. Mais le XXe siècle est avant tout celui de la réduction du temps de travail au nom de principes sociaux, sanitaires et éducatifs et de l’avènement de la société des loisirs, qui légitime le droit à se reposer du labeur. La dictature dans l’entreprise semble bien inaboutie !
Là encore, peut-on essayer de rapprocher ces théories de ce que vivent les collaborateurs en entreprise ?
1) Alors que les Français sont très critiques vis-à-vis de l’entreprise en général, ils sont attachés à la leur : « Je défends mon entreprise becs et ongles lorsqu’on la critique, » affirment 81% des managers en mars 2021 mais aussi (plus remarquable) 64% des collaborateurs (+ 8 points depuis l’avant crise sanitaire en 2019)[29].
2) Loin d’une critique globale du management, 56% des collaborateurs trouvent que le management a progressé dans leur entreprise depuis le confinement[30].
3) En 2022, environ deux tiers des salariés (68 % contre 69% en 2021 et 66 % en 2020) évaluent positivement leur manager. Cette appréciation positive est particulièrement marquée chez les jeunes de 16 à 24 ans, parmi lesquels 83 % (idem à 2021) considèrent que leur manager direct est un bon manager[31].
4) En 2023, 70% des Français se sentent épanouis au travail, contre 70% en 2022 (et cette proportion monte à 78% dans les entreprises qui pratiquent le management collaboratif)[32].
Aux antipodes de l’efficacité, le management court-il sciemment à sa perte ?
Le management s’obstinerait-il à courir après sa propre perte ? Le capitalisme et l’économie de marché ont prouvé leur plasticité en s’adaptant à toutes les crises, y compris celles de l’autorité (celle de mai 1968 ou celle consécutive à la diffusion du numérique dans les entreprises dans années 1980). Or, leur objectif est la performance et toutes les études montrent que l’excès d’autorité (ce que l’on qualifie souvent d’autoritarisme) la dégrade profondément. Selon l’étude « The Negative Impact of Leader Power on Team Performance », publiée par des chercheurs de l’université américaine Duke, les managers qui veulent tout contrôler et monopoliser la parole, détruisent la créativité de leurs équipes. Pire : les auteurs montrent qu’un groupe sans chef est plus performant qu’une équipe menée par un leader autocrate. « Nous avons mis l’accent sur le danger des équipes dirigées par des personnes qui ne voient les situations qu’à travers leur pouvoir », analyse Rick Larrick, professeur à la Fuqua School of Business de l’université Duke[33].
Le manager le plus efficace selon les analyses statistiques réalisées pour cette étude, est un manager qualifié d’« égalitaire », qui veille à ce que chacun participe, qui encourage la diversité d’opinions et ne cherche pas à dominer. On retrouve ici la fameuse « psychological safety » (sécurité relationnelle), qui apparaît comme le principal facteur de performance des équipes, selon les recherches menées par Google et l’université de Harvard (voir : « Managers, construisez votre dream team : l’expérience de Google »). Le secret des équipes performantes se situe donc à l’extrême opposé de l’autoritarisme, du contrôle despotique ou de la dictature du travail !
Gary Hamel estimait dans son ouvrage « La fin du Management » que les formes autoritaires du management devenaient « un véritable problème » face à la nécessité de développer l’innovation dans les organisations. C’est selon lui, au manager d’inventer les conditions qui permettront aux collaborateurs de s’impliquer avec confiance et d’exprimer avec passion leur créativité, qualités qu’il place bien au-dessus de l’expertise et de l’obéissance. C’est la raison pour laquelle les entreprises investissent sur la qualité du management (voir : « Return on Management : ce que votre DAF doit savoir sur la performance »), facteur de performance.
Selon l’historien français François Furet (« Le passé d’une illusion », 1995), ce sont les utopies qui produisent des systèmes totalitaires et l’antidote est le pragmatisme, un point de vue partagé, dans de nombreux débats, par Alain Minc ou Alain Finkielkraut. L’entreprise est le lieu du pragmatisme.
Et si le management était au contraire une alternative à la tyrannie ?
C’est la thèse défendue par le célèbre professeur et consultant en management Peter Drucker. On n’attend pas spontanément Drucker sur ce thème. On le pense américain. Or, il est né à Vienne en novembre 1909 dans une famille juive, et a obtenu son doctorat en droit public et international à l’université de Francfort. Son père était un haut fonctionnaire en poste au ministère de l’Économie austro-hongrois. En 1929, il rencontre Adolf Hitler avant son arrivée au pouvoir et publie plusieurs textes expliquant pourquoi on doit s’opposer au totalitarisme. Il émigre à Londres dès avril 1933, peu après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, et travaille pour une banque d’affaires. Il eut ainsi tout loisir d’observer depuis l’Angleterre l’émergence du IIIème Reich, avant d’émigrer aux Etats-Unis en 1937.
Dès « La Fin de l’homme économique », son premier ouvrage publié en 1939 (35 suivront), il analysait les causes du totalitarisme et la manière dont les « démons » que sont l’insécurité, la peur, la dépression économique et le chômage créent les conditions propices à l’émergence d’un dictateur. Dans la préface à « Management : Tasks, Responsibilities and Pratices » (publié en 1974), il écrit : « Si les institutions de notre société pluraliste ne fonctionnent pas de manière autonome et responsable, nous n’aurons pas d’individualisme ni une société dans laquelle les individus peuvent trouver satisfaction. Nous nous soumettrons au contraire à une enrégimentation totale dans laquelle personne n’aura droit à aucune autonomie. La tyrannie est l’unique alternative à des institutions fortes et autonomes. » Or, « ce sont les managers et le management qui font fonctionner les institutions. Un management responsable et efficace est l’alternative à la tyrannie et notre seule protection contre elle ».
C’est d’ailleurs son refus de la tyrannie qui conduit Drucker à regarder avec circonspection le charisme, souvent associé au leadership par d’autres auteurs. Selon les principes du « manager effectif » qu’il a définis, Drucker considère que le charisme n’a pas droit de cité. Il met en garde contre une caractéristique trop souvent associée au talent de leadership, rappelant que les plus grands leaders charismatiques du XXème siècle furent Hitler, Staline et Mussolini. Par contraste, il souligne que, aussi terne qu’il fût, Harry Truman a été l’un des leaders les plus efficaces du XXème siècle. Johann Chapoutot, qui se réfère plusieurs fois à Peter Drucker dans ses ouvrages, ne semble pas avoir remarqué ces analyses…
Bien entendu, le management n’est pas bon en soi. C’est son contenu, c’est-à-dire ses intentions et son orientation qui déterminent sa valeur. C’est pourquoi il est très important en entreprise d’être attentif à ce que pensent managers et managés. Cela permet de mettre en évidence les angles morts des premiers sur leurs activités et la façon dont ils exercent leur fonction. Une grande enquête sur les rapports managers/managés menée en janvier 2017 par Cadremploi et Michael Page apporte des réponses[34]. Ainsi par exemple, les managers se pensent responsabilisants à 62 % alors que seuls 38 % des managés les perçoivent comme tels ; ils sont 58 % à se penser comme communicatifs alors que seuls 27 % des managés le pensent. Enfin, 29 % des managés considèrent que leurs responsables sont autoritaires alors que cet adjectif ne ressort pas dans la perception que les managers ont d’eux même. 38 % des managés les qualifient de directifs alors que les managers ne le perçoivent pas.
Dans cette enquête, 61 % des managés se déclarent satisfaits de la relation qu’ils entretiennent avec leur N+1. Les managés indiquent que leurs attentes vis-à-vis de leur management de proximité reposent sur deux critères principaux :
- La libre expression : le fait de pouvoir facilement exprimer ses idées à sa hiérarchie est cité par 68 % d’entre eux et parmi ceux qui déclarent avoir de bonnes relations avec leur N+1, cette proportion monte à 88% ;
- Le respect : c’est LA valeur fondatrice pour 58 % et cette seconde valeur a encore plus d’importance pour les femmes, car elle est citée par 66 % d’entre elles.
La réalité du management en France apparaît ainsi fort éloignée du fantasme d’un management totalitaire. Cela ne signifie en rien que tout va pour le mieux. Il faut continuer à œuvrer pour améliorer le management dans le sens d’une démocratisation du travail, en réservant davantage d’espace à la parole et aux initiatives des collaborateurs. Le développement du management collaboratif va dans ce sens.
Les chiffres issus de cette étude menée en septembre 2023 montrent que les salariés évoluant dans leur travail dans le contexte d’un management collaboratif au quotidien appréhendent mieux leur vie professionnelle à de multiples niveaux : ils sont plus épanouis (78% contre 69% pour l’ensemble des salariés). Ils ont un meilleur état d’esprit en débutant leur journée (envie, motivation et bonne humeur) : trois quarts ont un état d’esprit positif (73%), contre 42% pour l’ensemble des salariés. Ils bénéficient d’un environnement de travail moins éprouvant, puisque près d’un tiers d’entre eux ne ressentent aucune fatigue mentale (32% contre 19% pour l’ensemble des salariés). Cette population est également moins suivie par un psy (9% contre 17% pour l’ensemble). Au final, ils ont une meilleure santé mentale que les autres (note globale auto-attribuée de 7,7/10). « Un enseignement intéressant alors même que d’autres études OpinionWay montrent également l’impact positif d’une telle culture managériale sur l’attractivité et la fidélisation des collaborateurs… »[35].
Au-delà du management collaboratif, il faut pouvoir caractériser l’organisation du travail souhaitable. Depuis 2012, j’attire l’attention, en m’appuyant sur les études de la Fondation de Dublin (Eurofound) sur les OTP (organisations du travail participatives), qui visent à remettre de l’intelligence, des capacités d’initiative et du pouvoir d’agir dans les entreprises au plus près du terrain, là où se réalisent le travail et les contacts avec les clients, usagers, partenaires et autres parties prenantes (voir : « Les organisations du travail participatives : les 5 piliers de la compétitivité »). Elles se caractérisent par la capacité donnée aux salariés de s’impliquer concrètement dans le contenu de leur travail et son organisation. Les enquêtes d’Eurofound montrent que ce type d’organisation du travail est favorable à la fois à l’entreprise (plus d’innovations, meilleure productivité et efficacité du travail, moins d’absentéisme) et aux collaborateurs (moins de pénibilité, meilleure prévention des risques, davantage de perspectives professionnelles). C’est ainsi que l’amélioration du management profite à la fois aux salariés et aux actionnaires et fait avancer la démocratisation du travail, à l’encontre de ce que prétendent les tenants de la thèse du management totalitaire.
L’ouvrage collectif « Que sait-on du travail ? », publié en octobre 2023, va dans le même sens et propose plusieurs contributions qui mettent en avant l’intérêt des « organisations du travail apprenantes »[36]. J’en propose une analyse dans Metis (voir : « Que sait-on du travail ? Une boîte à outil pour agir », 4 novembre 2023).
On peut même se hasarder à formuler une hypothèse : face au recul de la démocratie dans les Etats, les entreprises seraient à même d’offrir un abri à une sorte de « démocratie professionnelle ». Le politiste Pascal Perrineau (Cevipof) montre très bien la nécessité de mettre fin à une vision linéaire du progrès continu de la démocratie dans le monde : « l’hiver de la démocratie » (expression de Guy Hermet) se traduit par une montée de la demande d’autorité et l’invention maladroite de réponses plus ou moins judicieuses : démocratie directe, démocratie participative, démocratie interactive, démocratie continue, e-démocratie… Dans les années 2010, le monde a atteint son apogée démocratique, avec 50% de la population mondiale vivant en démocratie (contre 50% en autocratie). Mais aujourd’hui, les autocraties règnent sur 70% de la population mondiale[37].
Chaque année, l’hebdomadaire britannique « The Economist » publie son Democracy Index, sorte de rapport annuel sur l’état de la démocratie dans le monde. D’après l’édition de février 2023, cet indice de démocratie s’est stabilisé en 2022 après des années de baisse, grâce à la « levée des principales mesures anti-Covid ». Pour le reste, on assiste à un vrai durcissement des dictatures partout dans le monde avec la Russie, comme la Chine qui obtiennent leur plus faible score démocratique jamais enregistré (la Russie est désormais 146ème sur 167 pays analysés, la Chine 156ème).
De même, la société se fracture, d’où le succès de la métaphore de l’« archipel français » de Jérôme Fourquet, c’est-à-dire l’idée selon laquelle la société française serait condamnée à voir ses différents ilots s’éloigner inexorablement les uns les autres[38]. La société plus clivée est aussi plus agressive, notamment avec le développement des réseaux sociaux, qui enferment chacun dans une bulle de conviction partagée, chambre d’écho qui ne fait que renvoyer et amplifier les opinions de ceux qui pensent la même chose, contribuant à alimenter un esprit de meute et de confrontation violente. Cette bulle est agréable, car le tribalisme numérique nous protège de la confrontation à l’autre ; il nous évite les désagréments de la dispute, du désaccord ; au contraire il nous conforte dans notre envie de penser le bien, source de plaisir, et nous procure le confort des bulles informationnelles. Mais elle nous enferme dans une cage algorithmique et porte les débats à incandescence.
Face à la détérioration du « vivre ensemble », peut-être l’entreprise restera-t-elle un lieu qui met à l’écart la violence et l’agressivité, qui restaure des espaces de débat, qui respecte et valorise la nuance et la diversité des opinions, bref, un lieu qui sait organiser les controverses de façon civilisée et pacifiée. Cette vision est-elle angélique ?
Conclusion (provisoire…)
Jusqu’où ira la diabolisation du management ? J’ai eu l’occasion de débattre publiquement avec des tenants du management totalitaire et de leur opposer la réalité issue des enquêtes de terrain ou des sondages que j’ai mobilisés dans cet article. Ils les écartent d’un revers de main. Pour eux, les enquêtes sont trompeuses et il ne faut pas se fier aux réponses des salariés. La dictature est si insidieuse que les salariés sont lobotomisés sans même s’en rendre compte, réduits à l’état d’aliénés végétatifs. Elle est si vigoureuse qu’ils n’ont pas d’autres choix que de s’en accommoder et n’osent pas s’y opposer, même par une réponse à un sondage. Le grand confort des adeptes du management totalitaire, c’est qu’ils ont forcément raison, pas définition. Mais où s’arrêtera leur mépris pour les salariés – sans même parler des managers ? C’est difficile à dire car l’outrance semble être désormais sans limite.
Il faut se départir des visions totalisantes qui éradiquent la nuance. Je ne crois pas plus au mythe du management qui serait à la source du bonheur au travail (voir : « Les impostures du bonheur au travail ») qu’à celui de la diabolisation du management.
Mais dans ce dernier mythe, les auteurs cités plus haut se hasardent sur un terrain qui devrait rester celui de la mémoire. Chez Christophe Dejours comme chez Johann Chapoutot et Violaine des Courières, la référence au nazisme est édulcorée ou noyée au milieu de spéculations approximatives où la référence à la Shoah est traitée de manière superficielle. Cette légèreté est si inopportune que cela rend ces références au nazisme encore plus offensantes pour les victimes de l’Holocauste et leur mémoire.
Ces trois auteurs citent Hannah Arendt dans leur livre. Je les renvoie à son œuvre maîtresse : « rien ne peut être comparé à la vie dans les camps de concentration. Son horreur, nous ne pouvons jamais pleinement la saisir par l’imagination, pour la raison même qu’elle se tient hors de la vie et de la mort »[39].
Le management suivra-t-il la pente du despotisme ou celle de la responsabilité : c’est à nous d’écrire les prochaines pages…
Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises, Management & RSE et Directeur de l’Executive Master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po
Pour aller plus loin :
Cet article est une version augmentée d’une chronique de Martin Richer publiée par l’hebdomadaire Entreprise & Carrières dans son n°1617 et intitulée « Management totalitaire ? ». Pour lire cette chronique en format PDF, cliquez ici.
Aurore Mréjen (LCSP/Université Paris Diderot), « Pourquoi les distinctions conceptuelles d’Arendt importent ; la banalisation de l’injustice sociale selon C. Dejours » : sur Internet ou en PDF.
Crédit image : Adenoïd Hynkel est un personnage de fiction créé par Charlie Chaplin pour son film Le Dictateur en 1940. Il s’agit d’une caricature d’Adolf Hitler, alors maître de l’Allemagne depuis sept ans. Hitler lui-même, tout en censurant le film au sein du Reich, l’aurait visionné par deux fois lors de séances privées. La « scène du globe », lors de laquelle Chaplin- Hynkel joue avec un globe planétaire pour exprimer ses rêves de domination avant que celui-ci ne lui explose à la figure, est l’une des scènes les plus emblématiques de l’histoire du cinéma.
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[1] Voir Christophe Dejours, « Souffrance en France ; La banalisation de l’injustice sociale », Paris, Editions du Seuil, 1998
[2] C Dejours, Ibid., p. 154
[3] Thierry Pech, « Insoumissions ; Portrait de la France qui vient », Le Seuil, janvier 2017
[4] C Dejours, Ibid., p. 105
[5] « Christophe Dejours : ‘Le plaisir au travail est de plus en plus compromis’ », La Croix, 13 février 2023
[6] C Dejours, « Souffrance en France, Ibid., p. 199
[7] « Liaisons sociales magazine », décembre 2007, p. 28
[8] Voir Hannah Arendt, « Les origines du totalitarisme », 1951
[9] Johann Chapoutot, « Libres d’obéir ; Le management, du Nazisme à aujourd’hui », NRF Essais Gallimard, janvier 2020, 176 p.
[10] Voir l’interview de J Chapoutot : « La souffrance des gens est ignorée », Le Journal du dimanche, 5 janvier 2020
[11] « Johann Chapoutot : Le nazisme a été une matrice du management moderne », Libération, 6 janvier 2020
[12] Vincent Mariscal, « Arrêtons de nous traiter de nazis », Slate, 22 juin 2021
[13] Violaine des Courières, « Le Management totalitaire », Albin Michel, janvier 2023, 216 pages
[14] Enquête de Harris Interactive auprès de 10.000 français sur la démocratie, publiée par l’hebdomadaire Challenges du 9 décembre 2021
[15] « Regards croisés : comment les managés voient leur manager », Cadremploi, novembre 2020
[16] « Des dirigeants sous haute pression », un dialogue entre Violaine des Courières et Marion Darrieutort, Challenges, 2 mars 2023, page 46
[17] Claude Polin, « Le Totalitarisme », Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1982, p. 17
[18] Albert-Otto Hirschmann, “Exit, Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States”, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1970 ; traductions et adaptations en français : « Face au déclin des entreprises et des institutions », Editions ouvrières, 1972; « Défection et prise de parole ; théorie et applications », Fayard, 1995
[19] Elizabeth Anderson, “Private Government : How Employers Rule Our Lives (and Why We Don’t Talk About It)”, Princeton, Princeton University Press, 2017, 224 p.
[20] Léna Silberzahn , « La dictature en entreprise », La Vie des Idées, 21 mars 2018
[21] Enquête IFOP pour Monster, 2017
[22] D’après « La performance, mais à quel prix ? », L’Express, 23 mars 2023
[23] « Travailler encore ? Sciences et fictions sur le futur de l’emploi », anthologie dirigée par Stéphanie Nicot et Jean-François Stich, éditions ActuSF, mai 2023
[24] Pierre Lévy, « Cyberdémocratie », Odile Jacob, Janvier 2002
[25] « En qu(o)i les Français ont-ils confiance aujourd’hui ? », Résultats de la Vague 14 du Baromètre de la confiance politique, étude Opinionway pour le CEVIPOF, Février 2023
[26] « Des salariés las de leurs chefs, mais en quête d’autorité », Les Echos Executives, 24 juin 2019
[27] Philippe d’Iribarne, « Le grand déclassement ; Pourquoi les Français n’aiment plus leur travail ! », Albin Michel, septembre 2022, 174 pages
[28] Gurvan Kristanadjaja, « Entreprise libérée, les salariés en prennent pour leur grade », Libération, 10 mars 2019
[29] « 8ème édition de l’Observatoire du Management ; livre blanc d’Oasys Mobilisation », Juin 2021
[30] Même enquête d’Oasys, Juin 2021
[31] « Les nouveaux paradoxes du manager », Guide du Medef, janvier 2023
[32] « Le travail en France entre mythes et réalités… », Etude Opinionway pour les 2èmes Assises Sens & Travail, 19 octobre 2023
[33] Bruno Askenazi, « Les managers autoritaires sont les moins performants », Le Figaro, 20 décembre 2013
[34] « La relation managers-managés : enfer ou eldorado ? », janvier 2017, 2.759 cadres répondants
[35] Source : « Les salariés et la santé mentale », Etude OpinionWay pour le Psychodon, Septembre 2023 (réalisée en septembre 2023 auprès d’un échantillon national représentatif de 1002 salariés français ; 78% dans le secteur privé et 22% public)
[36] « Que sait-on du travail ? », Ouvrage collectif, Presses de Sciences Po, Octobre 2023, 608 p.
[37] Chiffres d’après Varieties of Democracy (V-Dem), that “produces the largest global dataset on democracy with over 30 million data points for 202 countries from 1789 to 2022”.
[38] Jérôme Fourquet, « L’Archipel Français – Naissance d’une nation multiple et divisée », Le Seuil, 2019
[39] Hannah Arendt, « Les Origines du Totalitarisme », op. cit., p. 790
Une réponse
Merci Martin RICHER pour cet article vraiment très instructif ! Il est important en effet, alors que se multiplient les tentatives de « diabolisation » du management, de remettre un peu les mots à leur place dans l’histoire terrible qui a été celle de la France. Pour venir à bout de toutes les tentatives de « diabolisation » du management, il faut du temps et de la rigueur et c’est ce que vous proposez dans cet article à lire par tous les managers. Les disqualifications du management opérées ces dernières années, avec la publication d’ouvrages que j’ai lus d’ailleurs, comparant le management « moderne » aux pratiques de commandement gestionnaire du régime nazi sont exagérées et inappropriées. Ces références jettent le trouble il est vrai, quand on sait que l’un des penseurs les plus influents dans les entreprises en matière de management dans l’après-guerre est un ancien général SS !
Pour autant et sans remettre en question les pratiques managériales délétères que l’on retrouve encore dans bon nombre d’organisations, est-il raisonnable de comparer les individus qui ont soutenu ce système politique totalitaire avec les managers d’organisations publiques et privées ? Faire cela c’est dénier tout sens moral aux hommes et aux femmes qui se lèvent chaque matin avec l’envie et la motivation d’œuvrer sincèrement au mieux-être individuel et collectif de leurs équipes.
Bien sûr, tout n’est pas parfait, au contraire, il existe bon nombre de situations qui peuvent conduire les managers, notamment intermédiaires, dépossédés de leur « pouvoir d’agir » à ne plus manager comme il se doit, avec également toutes les situations que nous connaissons bien de souffrance éthique.
La critique de Martin RICHER face à toutes ces tentatives de comparaison entre le management actuel et ses potentielles dérives avec un régime politique totalitaire est directe et argumentée, elle est aussi indispensable à la clarté des débats, au discernement et à la culture de l’esprit critique.
C’est à cela qu’il nous invite à travers cet article, car il pose des questions fondamentales pour l’avenir de nos métiers, mais au-delà il s’agit de questions sociétales et démocratiques qu’il est important d’appréhender dans le contexte actuel.