Return on Management : ce que votre DAF doit savoir sur la performance

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[ Mise à jour : 10 octobre 2020 ]  La qualité du management a un impact déterminant et positif sur la performance financière des entreprises. Cette information devrait être popularisée auprès des directeurs administratifs et financiers (DAF), parfois prompts à « tailler dans le management » pour obtenir une amélioration immédiate de la performance… sans apprécier le mécanisme inverse, par définition moins étayé : le management est un levier de performance.

L’étude menée par la société de Bourse Oddo Securities[1]montre que les entreprises qui se distinguent par la qualité de leur management présentent une performance financière, approchée par l’évolution de leur cours de bourse, très significativement supérieure aux autres. En l’occurrence, elle met en évidence une surperformance des entreprises les mieux notées par rapport à leur indice de référence (Stoxx Europe 600) de 44% sur 5 ans.

Ce résultat me semble intéressant et utile. Intéressant car il est par nature difficile d’apprécier le management sous un angle quantitatif. Cette étude a le mérite, avec certaines limites bien sûr, de s’y essayer. En cela, elle fait preuve d’empathie avec le mode de raisonnement le plus naturel chez bon nombre de décideurs, orienté vers la quantification. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette étude provient, au sein de Oddo Securities, de l’équipe de Jean-Philippe Desmartin, à l’époque responsable des études ESG (Environnement, Social, Gouvernance), l’un des spécialistes de la notation extra-financière.

Cette étude est également utile car le management intermédiaire et les processus RH sont souvent la cible des politiques de réduction de coûts, qui cherchent à rétablir la performance financière dans une approche parfois trop court-termiste et mécaniste. Il n’est pas inutile de montrer que plus nous progressons vers une société de la connaissance et du service client, plus le management et la RH constituent des leviers de compétitivité. Or, la période récente se caractérise par une dégradation du management, perçue par les cadres eux-mêmes. Dans la dernière enquête Viavoice publiée sur cet aspect en mai 2014, les cadres expriment la perception d’une forte détérioration des pratiques managériales : 52 % d’entre eux sont de cet avis contre 41 % deux ans auparavant.[2]

Il n’y a pas que le « reengineering » qui apprécierait un sérieux « downsizing » du management intermédiaire. Les gourous de « l’entreprise libérée » ou de « l’entreprise opale » sont aussi en embuscade. Voici ce que leur a répondu Benoît Meyronin, professeur titulaire de la chaire « Ingénierie & culture de service » à Grenoble École de Management (GEM) : L’ANACT souligne que « contrairement aux présupposés, les grandes enquêtes statistiques européennes montrent que le fait pour une entreprise d’être structurée (c’est-à-dire notamment d’avoir une organisation et des procédures claires) joue comme un facteur favorable pour les conditions de travail et, plus encore, pour l’efficacité. De la même manière, de nombreuses études ont mis en avant le fait que la présence de manager de proximité joue en faveur de l’amélioration des conditions de travail » (« La libération des entreprises en question : quelques réflexions à destination des futurs ‘leadérateurs’ », The Conversation, 30 septembre 2018)

La qualité du management, moteur de la performance durable

Les auteurs de l’étude insistent justement sur l’idée selon laquelle la qualité du management est « l’un des principaux moteurs de la performance durable des entreprises ». Ils présentent d’ailleurs leurs choix de structurer la qualité du management en 4 piliers comme une façon « de donner un gage de bonne capacité d’exécution de la stratégie qui a été annoncée et présentée par l’entreprise ». Effectivement, j’observe que de nombreux dirigeants, qui s’impatientent de la lenteur du changement dans leur entreprise, ont parfois sous-estimé l’importance du management intermédiaire et de la RH en phase de conception du contenu du changement comme en phase de déploiement. Si les dirigeants sont effectivement en première ligne de la construction de la stratégie, le management et la RH sont aux avant-postes du déploiement…

L’étude approche la qualité du management en mesurant 23 critères répartis sur 4 piliers :

  • le dirigeant (qui « compte » pour 30% du scoring global),
  • l’équipe dirigeante (25%),
  • l’organisation et le management intermédiaire (25%),
  • les ressources humaines (20%).

Il s’agit là d’un progrès significatif alors que tant d’analystes financiers persistent dans l’erreur d’apprécier la qualité managériale d’une entreprise uniquement par son dirigeant ou son Comex (les deux premiers critères). La performance ne repose donc pas seulement sur un individu ni même sur une poignée de dirigeants. En particulier, j’observe que le bon fonctionnement des entreprises dépend de plus en plus significativement de leur management intermédiaire (qui « vertèbre » les organisations) et de leurs processus de GRH (qui leur procure l’influx nerveux).

Cette difficulté à « imprimer » le changement est accentuée par la transition managériale à l’œuvre dans les entreprises : cette transition nous fait passer, parfois dans la douleur, d’un mode de management vertical et fondé sur l’autorité et la hiérarchie à un mode de management transversal et fondé sur l’adhésion et la motivation (voir « Transition managériale : heurts et malheurs français »).

Le modèle construit par l’étude d’Oddo Securities tient compte de la capacité de l’organisation à conduire et gérer le changement, qui est de mon point de vue, l’un des points de vulnérabilité des grandes organisations. Ainsi, les deux critères qui pèsent le plus dans le pilier « équipe dirigeante » sont la capacité à gérer les réorganisations et les restructurations (qui représente à elle seule 6% du scoring global) et l’intégration des acquisitions (6% également).

Ces critères rendent compte notamment de la capacité à

  • anticiper et intégrer les impacts humains des transformations mais aussi
  • chercher les alternatives innovantes aux licenciements,
  • agir de façon socialement responsable afin de préserver la motivation des salariés qui restent dans l’entreprise,
  • tenir compte des aspects culturels lors des fusions.

Ces critères sont majeurs puisque j’observe que

  • peu de restructurations sont conduites de manière à éviter la spirale mortelle de l’enchaînement des PSE et des plans de départ et que
  • plus de la moitié des fusions est destructrice de valeur.

Le « modèle » de management et le « modèle » RH

Le « modèle » de management préconisé (troisième pilier) est fortement ancré sur une recherche de simplicité de l’organisation (nombre limité de matrices et de niveaux de management), sur la capacité à dégager de la croissance, à susciter un apprentissage permanent et des innovations (sur la base d’indicateurs tels que l’effort de R&D, le nombre de brevets déposés, la part du CA réalisé avec de nouveaux produits ou services…), à privilégier une culture entrepreneuriale. Ce dernier critère (qui pèse pour 5%) me semble le plus original en comparaison des modèles usuels. Il est d’autant plus pertinent que se multiplient dans les grandes entreprises, des formes d’entrepreneuriat interne, qui s’efforcent de préserver l’esprit d’entreprise (voir : « L’intrapreneuriat: un levier de transformation managériale »). Les indicateurs retenus pour l’estimer sont la flexibilité et la réactivité des équipes, la culture et la proximité client, la satisfaction clients (Net Promoter Score par exemple), la culture de gestion de projet ou encore le track-record en matière d’implémentation de chantiers lourds tels que les projets informatiques.

Sur la complexité organisationnelle, l’étude considère que dans une grande entreprise, le nombre de niveaux de management entre le PDG et la dernière ligne de management ne devrait pas dépasser 7. Cela est conforme aux préconisations concernant l’entreprise agile et compatible avec la nécessité d’éviter des équipes opérationnelles trop nombreuses pour permettre un réel accompagnement de proximité par le manager.

Sur le premier pilier, je note avec plaisir que le portrait-type du dirigeant « idéal » dessiné par les critères retenus, nous éloigne du « management bling-bling », du storytelling et autres excès. Ce dirigeant est discret, peu médiatique, plutôt anti-star, le plus souvent issu de l’interne et intègre. Les auteurs de l’étude rappellent que Warren Buffet, la référence pour les investisseurs, a deux exigences avant d’investir dans une entreprise : l’honnêteté du management et la compréhension du business model. La préférence marquée en faveur d’un PDG issu de l’interne va dans le sens des études qui montrent que la performance financière des grandes entreprises dirigées par un cadre issu de ses rangs est plutôt meilleure que celles dirigées par un cadre venu de l’extérieur (voir par exemple l’étude annuelle « CEO Succession » réalisée par le cabinet Booz & Co[3]). Cependant, cette « règle » est contingente : ainsi on a vu les grands constructeurs automobiles américains en quête d’innovation, choisir des dirigeants externes à leur secteur d’activité pour surmonter la crise de 2008, puis revenir vers des dirigeants issus de leurs rangs une fois la situation rétablie.

Sur le dernier pilier (dimension de gestion des ressources humaines), l’accent est mis notamment sur les dysfonctionnements et risques sociaux (5% du scoring). Ces coûts cachés sont effectivement souvent largement sous-estimés en termes d’impact sur la performance, notamment parce qu’ils sont extrêmement divers dans leurs symptômes :

  • Absentéisme élevé ;
  • Accidents du travail (taux de fréquence, taux de gravité, incident majeur,…) ;
  • Climat social dégradé, grèves à répétition ;
  • Dialogue social géré de façon contractuelle entre les partenaires sociaux (positif) ou bien règlement devant les tribunaux (négatif) ;
  • Passifs sociaux (santé, prévoyance, retraite) élevés, ratios rapportés à la capitalisation boursière de l’entreprise supérieurs à 10% et surtout à 30% ;
  • Pyramide des âges déséquilibrée (âge moyen supérieur à 42, voire 45 ans), gestion du partage des connaissances ;
  • Turnover (rotation du personnel) élevé, en particulier sur des métiers ou profils clés (« hauts potentiels », management intermédiaire), …

Cette importance donnée à ce critère me semble justifiée. D’après les études menées par l’ISEOR[4], fondé par Henri Savall, les coûts cachés sont très significatifs puisqu’ils représentent en général 40 à 50% de la masse salariale et dans certains secteurs, atteignent des records (80% dans la métallurgie). Dans une tribune du Monde (« Il règne en France un “ ras-le-bol managérial” », 21 décembre 2018), trois chercheurs de l’ISEOR, Laurent Cappelletti, Henri Savall et Véronique Zardet, écrivent : Il faut « mesurer les coûts des dysfonctionnements managériaux pour que responsables politiques, actionnaires, dirigeants et citoyens prennent conscience des ravages d’un management toxique. Les recherches de l’Institut de socio-économie des entreprises et des organisations (Iseor) montrent que les coûts « cachés » des dysfonctionnements managériaux – ‘cachés’ parce qu’ils ne sont pas, ou très mal, comptabilisés – représentent une perte de valeur financière gigantesque, de l’ordre de 20.000 à 70.000 euros par personne et par an ».

De son côté, Mozart Consulting a créé en 2010 un indice de mesure du coût du désengagement réciproque et de non-disponibilité des salariés du secteur privé, l’IBET ou Indice de Bien-Être au Travail. Basé sur les statistiques officielles de la DARES et de la CNAMTS (accidents du travail, absentéisme, etc.), ce coût annuel (remis à jour chaque année par Mozart Consulting avec une belle constance) est estimé à environ 14.600 € par an et par salarié.

Dans le cas de l’ISEOR comme dans celui de l’IBET, on comprend bien que le management de proximité a une influence importante sur la maîtrise et la réduction de ces coûts, que je qualifie de « coûts de non-qualité humaine ». On comprend aussi la nécessité croissante d’améliorer la qualité de vie au travail (voir : « Qualité de vie au travail : un levier de transformation sociale »).

L’intégration de la dimension « santé au travail » est également positive, tant le manager de proximité est un maillon essentiel de la chaîne de prévention (voir : « Démarches QVT : la nécessaire refondation du rôle du manager de proximité »). Jeffrey Pfeffer, professeur en comportement organisationnel à l’université de Stanford et auteur du livre « Dying for a Paycheck » (Mourir pour un salaire ; non traduit), a constaté lors de ses recherches qu’un management de mauvaise qualité est à l’origine de 8% des frais de santé annuels aux États-Unis et de 120.000 décès supplémentaires chaque année.

Concernant la formation, l’étude d’Oddo Securities ne se contente pas des ratios habituels d’accès à la formation continue mais attire l’attention sur un aspect souvent négligé : l’évaluation des formations. Elle valorise les entreprises qui effectuent systématiquement une évaluation

  • « à chaud » par le salarié parti en formation, dans les 2 ou 3 jours au maximum qui suivent la fin de son stage ;
  • « à froid » par son manager, quelques semaines ou mois après la fin de la formation du collaborateur envoyé en stage.

Une enquête de la Cegos réalisée en mars 2012 montrait que le suivi post formation est loin d’être systématique: moins d’une entreprise sur trois évalue systématiquement la mise en application de la formation.

L’adjonction de ce pilier RH au pilier management est appropriée à la période que nous vivons, qui se caractérise par une forte « décentralisation » (ou délégation) des responsabilités de GRH des équipes de la part de la Direction des Ressources Humaines vers les managers de proximité. Les autres critères retenus me semblent pertinents et conformes aux approches RH qui permettent de construire des marges de manœuvre stratégiques et une différenciation compétitive solide. Pour un aperçu de ces approches RH, je vous invite à vous reporter à cette synthèse sur ce même blog : « Les organisations du travail participatives : les 5 piliers de la compétitivité ».

Plus globalement, l’approche proposée n’est pas une simple batterie d’indicateurs. Elle plonge ses racines dans les  théories du management et mobilise les apports de la recherche académique, notamment l’école américaine des relations humaines (Mary Parker Follet, Elton Mayo, Abraham Maslow,…) en oubliant toutefois son « chef de file », Douglas McGregor. Elle y associe la vision d’économistes (Joseph Schumpeter), de sociologues (Michel Crozier), de spécialistes du management (Henry Mintzberg) et de consultants (Peter Drucker, Jim Collins) pour dégager une cohérence dans l’importance du management comme levier concurrentiel.

Quelques failles… ou pistes d’amélioration

L’échantillon des entreprises retenues pour la notation et le test statistique (50 grandes entreprises européennes) est encore restreint. Comme toute étude statistique, corrélation n’est pas raison : il est tentant de déduire que les entreprises qui disposent d’un management de qualité sont les plus performantes mais on pourrait dire aussi que les entreprises les plus performantes sont celles qui ont le plus de moyens pour investir dans un management de qualité… L’échantillon n’est pas suffisamment vaste pour permettre une étude longitudinale, qui permettrait de mieux cerner les liens de causalité.

De même, certains des indicateurs de gestion mis en œuvre manquent un peu de pertinence. Ainsi, le critère qui pèse le plus dans la qualité du management intermédiaire est la « croissance organique et la prise de parts de marché » (8% du scoring global). Ceci amène donc à conclure que les entreprises qui croissent le plus (et plus vite que leur secteur) sont les plus performantes, une conclusion quelque peu tautologique…

La complémentarité des 4 piliers retenus par l’étude me semble pertinente. Il n’y manque qu’un cinquième pilier, orienté vers l’extérieur de l’organisation, qui matérialiserait la politique RSE (responsabilité sociale) de l’entreprise. Cette adjonction permettrait une véritable approche holistique de la performance et rendrait compte des liens de l’entreprise avec son écosystème. Même si la politique RSE est en partie reflétée par les deux derniers piliers (management et RH), elle n’apparaît que sous l’angle de son empreinte sociale et il manque un certain nombre de critères dont la recherche académique a montré les liens positifs avec la performance : diversité (origine sociale et ethnique, genre, âge, nationalité, formation) non seulement de l’équipe dirigeante mais plus généralement au sein des effectifs[5], politiques environnementales, valorisation des comportements éthiques, respect des principes de gouvernance, etc.

Le chemin inverse (de la RSE vers le management et la GRH) est très inégalement couvert par les différentes agences de notation. Parmi les initiatives convaincantes, signalons que quatre critères sont analysés et notés par Vigeo, la première agence européenne, dans le domaine des ressources humaines : la promotion du dialogue social, la gestion de carrières et la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de santé et de sécurité et la gestion responsable des restructurations.

Une intégration plus forte de la RSE permettrait aussi de mieux prendre en compte l’un des actifs les plus précieux pour les entreprises aujourd’hui, leur réputation. Certes les impacts de la qualité du management sur la réputation sont pris en compte de façon indirecte (par les process RH notamment) mais ils gagneraient à être mis en valeur en tant que tels. Selon le US Reputation Dividend Report 2018, la qualité du management est le principal facteur qui joue sur la valeur réputationnelle des organisations (pour une part de 15%), devant les actifs de l’entreprise (13%) et la solidité financière (14%).

Au-delà des critères déjà très riches, l’ajout d’un pilier RSE permettrait de mieux cerner le « return on management » dans l’ensemble de ses impacts : financiers, environnementaux, humains, sociétaux.

Qualité du management : comment se situent les entreprises françaises dans la compétition internationale ?

Si on reconnaît que la qualité du management est un facteur de performance, alors il faut s’interroger sur la position de la France sur ce critère et se demander pourquoi ce levier non monétaire de compétitivité est aussi négligé, contrairement à d’autres peut être plus facilement identifiables, comme le coût du travail.

Piloté depuis le Centre for Economic Performance, le projet international de recherche sur les pratiques managériales apporte une réponse. C’est une initiative de recherche internationale de grande ampleur, qui analyse les différentes formes de management au sein de nombreux entreprises et pays. Elle est le fruit d’un travail commun de chercheurs de la London School of Economics, de l’Université de Stanford, d’Harvard Business School, d’Oxford et de Cambridge, avec le soutien de Banques Centrales, de Ministères des Finances et de Fédérations patronales du monde entier. Elle travaille à partir d’enquêtes faites auprès des managers de 20.000 entreprises dans 40 pays. Voir ici le site de cette initiative.

Dans l’un de ses premiers papiers (“Etude sur le management industriel”, Centre for Economic Performance, LSE, 2011), voici comment il synthétise les résultats, qui vont tout à fait dans la même direction que l’étude d’Oddo :

« De très nombreuses études internationales ont attribué les différences de productivité et de profitabilité aux pratiques managériales. Aussi avons-nous rassemblé l’éventail international le plus large de données sur ces pratiques afin de mieux comprendre ce lien de causalité. Pour résumer, nous constatons de très grandes différences dans les pratiques de management parmi les entreprises et parmi les pays. Nous observons également une corrélation directe entre ces styles managériaux et la performance des entreprises et des pays dans le monde, les principaux facteurs étant la compétitivité des marchés, la taille des entreprises, les compétences des employés et la structure actionnariale. (…)

Nos toutes premières études sur l’industrie ont établi un lien direct entre les pratiques managériales et les résultats de l’entreprise, lien constaté au niveau de la productivité, du retour sur investissement, de la progression des ventes, de l’évolution des parts de marché et de leur capitalisation.

Ainsi, par exemple, d’après les données qui se fondent sur plus de 6.000 entreprises de notre échantillon, 1 point d’amélioration des pratiques managériales correspond à

  • 8% d’augmentation du Retour sur les Capitaux Employés (ROCE : passage de 8.7 % à 11.5 %) ;
  • 6% de hausse de la productivité ;
  • 71% d’augmentation des parts de marché ;
  • une hausse de 26% de la valeur de marché (capitalisation) ;
  • une hausse de 2,3 points de la croissance des ventes (passage de 5.6 % à 7.9 %)».

Le Centre a accumulé des données permettant de publier des benchmarks. Les entreprises françaises sont relativement mal classées par rapport à celles des pays les plus avancés. Les entreprises qui ont le plus fortement déployé les bonnes pratiques de management se situent d’abord aux Etats-Unis puis au Japon. Viennent ensuite l’Allemagne, la Suède, le Canada, la Grande-Bretagne et ensuite seulement la France avec l’Italie. Parmi les pays de l’UE, les seuls qui figurent dans l’étude et sont moins bien classés que la France sont (dans l’ordre de classement décroissant) la Pologne, le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et la Grèce.

France Stratégie résume ainsi le positionnement des entreprises françaises (« Productivité et compétitivité : où en est la France dans la zone euro ? Rapport du Conseil national de productivité », France Stratégie, avril 2019) : « L’indicateur synthétique du World Management Survey place la France assez loin des économies anglo-saxonnes, de l’Allemagne ou des économies nordiques.  Si les entreprises françaises obtiennent un score relativement élevé en matière d’amélioration des procédés existants et des techniques de production, elles seraient en revanche relativement moins performantes sur les aspects humains du management. Ainsi, les enquêtes conduites au niveau européen par Eurofund aussi bien auprès du management des entreprises que des salariés révèlent un retard important de la France dans toutes les dimensions identifiées comme influençant positivement la qualité du management : autonomie des salariés, encadrement des managers, organisation du travail. Ces aspects ont un rôle déterminant. Un travail récent de France Stratégie mené sur données françaises dans le secteur marchand hors agricole établit ainsi qu’un fort investissement en matière de ressources humaines (anticipation de la gestion des compétences, utilisation forte en outil numérique, accès important à la formation) et en matière d’organisation du travail (management participatif, feed-back réguliers, travail en équipe, etc.) générait des gains de performance (valeur ajoutée nette et profit net) de 20 % supérieurs par rapport aux entreprises n’ayant pas mis en place ces pratiques organisationnelles et managériales (Benhamou S., Diaye M.-A. et Crifo P., Responsabilité sociale des entreprises et compétitivité, étude, France Stratégie, janvier 2016) ».

De son côté, la Fondation de Dublin (Eurofound) a réalisé une synthèse sur 10 dimensions du management, étayées par les données résultant de ses enquêtes périodiques sur les conditions de travail (EWC), sur les entreprises (ECS) et sur la qualité de vie (EQLS).

Le graphique montre une France (trait bleu) pour l’essentiel à l’intérieur du trait rouge (moyenne de l’UE), ce qui signifie que les entreprises françaises sont en retrait de la moyenne et toujours éloignées des « best practices » (trait vert : pays le plus performant dans chaque dimension). Sur les 10 dimensions, le « management à la française » n’est meilleur que la moyenne européenne que sur une, l’existence d’outils d’identification des bonnes pratiques. Il est en revanche particulièrement « challengé » sur :

  1. Qualité de l’aide et du soutien du manager
  2. Qualité du retour et des commentaires du manager sur le travail du salarié
  3. Consultation des salariés avant changement d’objectif
  4. Réunions de travail régulières pour impliquer les employés dans l’organisation du travail
  5. Tensions perçues entre employés et employeurs

On retrouve ici la base du management de soutien (1 et 2), du management participatif (3 et 4) et de la gestion des conflits (5).

Quelques enseignements concrets

Ce type d’enquête est un bon prétexte pour soulever au sein de l’entreprise, le débat sur l’impact de la qualité du management sur la performance. Pendant quelques années, Thierry Picq, professeur en management et ressources humaines à l’EM Lyon Business School, rendait compte de l’enquête annuelle sur la performance managériale réalisée en collaboration avec l’APEC auprès de quelques centaines de dirigeants et DRH d’entreprises françaises. Voici ce qu’il en disait le 30 juin 2011 : « 80 % des DRH et dirigeants interrogés estiment que la qualité du management est un facteur de performance, un élément clé de la stratégie, mais paradoxalement les systèmes d’évaluation sont insuffisants, de même que les formations au management ». Il y a donc deux conclusions à ce stade :

  1. Oui, la qualité du management est un facteur de performance pour les DRH et les dirigeants – mais mon expérience montre que les financiers restent souvent à convaincre, d’où l’utilité de ce type d’études.
  2. Non, les conclusions concrètes de ce constat ne sont pas toujours tirées : on continue souvent à « manager le management » à la petite semaine. Un exemple : cette même enquête sur la performance managériale relevait que « un tiers des entreprises de plus de 500 salariés ne disposent pas de référentiel de compétences managériales. La proportion monte même à deux tiers pour les entreprises de moins de 500 salariés ».

Les managers ont eux-mêmes besoin de management et un large panel d’outils peut y répondre, la formation bien sûr mais aussi le coaching, les communautés de pratique, les universités du management, le co-développement, la réalisation collaborative d’une charte managériale, etc. Ces outils doivent notamment être orientés vers le management de proximité et en particulier de première ligne, qui constitue le maillon le plus essentiel mais aussi le plus vulnérable.

La grande enquête « A l’écoute des Français au travail » réalisée par Capgemini Consulting, en partenariat avec TNS Sofres et publiée en 2014 l’a bien montré. « La qualité perçue du management de proximité est corrélée de manière très nette avec les niveaux de satisfaction formulés [par les salariés] pour de nombreuses questions : retour sur investissement [de leurs efforts personnels], confiance dans les orientations stratégiques de la direction, adhésion aux transformations. Ainsi par exemple, 75% des salariés qui estiment avoir un bon manager, ont confiance dans l’équipe dirigeante de leur organisation. Le sentiment d’un retour sur Investissement équilibré (adéquation rétribution / contribution) chez les ouvriers et employés double lorsqu’ils estiment avoir un bon manager de proximité ». Le rééquilibrage des « termes de l’échange », précise l’enquête, est très significatif, même lorsqu’on établit ces mesures, par exemple, sur une population d’employés insatisfaits de leur rémunération ou auprès d’ouvriers ayant une représentation du travail vécue comme « obligation/contrainte ». Ceci montre que le management de proximité participe fortement à la satisfaction au travail, au point de compenser des insatisfactions sur des aspects importants.

« Plus la situation est contrainte, plus le travail est vécu péniblement, plus le rôle du management de proximité est décisif, » nous dit l’enquête. Elle insiste sur le fait que c’est au plus près du terrain et dans les rapports quotidiens de travail que se joue la construction des représentations en matière de motivation, retour sur investissement et adhésion au changement (voir également le livre de Patrick Conjard, « Le management du travail : une alternative pour améliorer bien-être et efficacité au travail », Anact, 2014).

Les ouvriers satisfaits sont ceux qui estiment être en mesure de se développer professionnellement et de développer leurs compétences. « Le manager direct occupe un rôle important, il doit d’abord être un appui et un animateur, » affirme l’enquête de Capgemini. Outre le développement des compétences professionnelles, les ouvriers considèrent le travail comme une opportunité de nouer des contacts, le travail restant un lieu important de socialisation avant toute chose. L’équipe demeure également un vecteur important de satisfaction.

Réinvestir le management de proximité est donc essentiel. A défaut, c’est le désengagement qui s’installe. Voici ce qu’en dit l’enquête : « L’ampleur du désengagement qui semble caractériser une part importante des salariés français de notre échantillon montre que nos organisations doivent réinvestir massivement cette capacité managériale de proximité ».

Ce qui vaut pour la satisfaction des collaborateurs vaut aussi pour la satisfaction des managers, très sensible à la qualité de leur propre management. « Les managers satisfaits au travail sont également ceux qui expriment une plus grande confiance vis-à-vis de leur hiérarchie directe et de leur top management. Ils estiment que l’entreprise leur permet de se développer et de progresser. La question de la charge de travail, du niveau de stress et de la possibilité de bien faire son travail sont également des leviers importants de la satisfaction des managers ».

De nombreuses autres enquêtes internationales ont montré que le « management à la française » est plutôt en retard par rapport aux « standards » de nos pays voisins. De fait, interrogés sur la qualité de leur management, les salariés français sont plus critiques que leurs voisins. Certains objectent que cette situation serait due à l’esprit critique particulièrement développé chez les Français, peuple de « Gaulois réfractaires » éternellement insatisfaits et pessimistes. C’est une légende et l’étude de Capgemini permet de la battre en brèche. Les chercheurs ont isolé, au sein des grandes entreprises (plus de 500 salariés) de leur échantillon trois catégories de salariés :

  • ceux dont l’employeur est un groupe étranger,
  • ceux qui sont salariés d’une multinationale d’origine française et
  • ceux dont l’entreprise est uniquement présente en France.

« En comparant ces trois catégories, on constate que les Français qui travaillent dans des entreprises étrangères sont sur plusieurs thèmes nettement plus positifs que ceux travaillant pour les entreprises ‘franco-françaises’. Les cultures managériales différentes des employeurs étrangers (principalement américains et allemands dans notre échantillon) se traduisent aussi par une bien meilleure responsabilisation (« empowerment ») : davantage de liberté dans l’organisation de son travail, de mise en œuvre des idées nouvelles, manager direct délégant davantage et disposant lui-même de davantage d’autonomie ».

L’enquête montre également que ces entreprises étrangères savent mieux communiquer, tant par leur communication interne, jugée plus réactive et plus en phase avec les préoccupations des salariés, que par leur communication managériale, le manager direct étant perçu comme informant mieux. Elles savent en effet mieux convaincre de la pertinence de leur stratégie et leurs salariés ont davantage confiance dans la capacité d’adaptation de leur employeur, jugent les changements mieux gérés et ont davantage confiance dans leur Direction, tous ces éléments rendant les salariés plus optimistes sur l’avenir de leur entreprise. « Ces entreprises étrangères réalisent ainsi même la prouesse de rendre des Français… plus positifs ! »

Dernier enseignement : sur nombre de points, les groupes internationaux français font mieux que les entreprises uniquement françaises. L’exposition internationale des entreprises françaises semble donc influer positivement sur la correction de certaines faiblesses managériales françaises. Ainsi, loin d’être uniquement un biais culturel, les réponses critiques des salariés français sont aussi le produit des faiblesses du modèle managérial français.

Conclusion (provisoire)

Ces différentes études quantitatives que nous avons rassemblées permettent d’étayer une intuition forte, fondée sur mes (trop nombreuses) années d’expérience professionnelle : ce dont les entreprises ont besoin, ce n’est pas, comme beaucoup le prétendent, de moins de management. C’est plutôt d’un management plus équilibré et plus « capacitant »[6]– c’est-à-dire bénéficiant d’un pouvoir d’agir retrouvé.

Des managers plus attentifs au soutien professionnel qu’ils peuvent apporter aux collaborateurs qu’au rôle traditionnel de courroi de transmission. Dit autrement, des managers qui relient et non seulement qui relaient.

En d’autres termes, il s’agit de ce que j’appelle le management responsable : exigeant en termes de résultats, attentif vis-à-vis du travail et bienveillant avec les personnes (voir : « Management responsable ? »).

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,
Management & RSE

Pour aller plus loin :

Lisez la suite de cet article : « La qualité du management, principal levier de compétitivité des entreprises »

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[1] Jean-Philippe Desmartin, Nicolas Jacob, Asma Ben Salah, Asma Ferjani, « La Qualité du Management, gage pour l’investisseur de la bonne exécution de la stratégie annoncée », Rapport Oddo Securities, 27 mars 2014

[2] Baromètre cadre Viavoice pour l’Ugict-Cgt, mai 2014

[3] Ex. Booz-Allen & Hamilton récemment rebaptisé Strategy& (et membre du réseau de PwC)

[4] Laboratoire de recherche de l’Université de Lyon 3, sur les coûts cachés du travail

[5] Voir par exemple : « Diversité du capital humain et performance économique de l’entreprise », réseau IMS-Entreprendre pour la cité, rendue publique le 30 novembre 2011

[6] Un environnement capacitant est un lieu propice au développement du pouvoir d’agir des individus. Voir Martha C. Nussbaum, « Capabilités ; Comment créer les conditions d’un monde plus juste », éditions Climats, Paris, 2012

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