« Les nouveaux modes de travail et de management » : c’est le titre de la table ronde organisée par la Délégation aux entreprises du Sénat. Elle a réuni François Dupuy, sociologue, expert en résidence à l’École des hautes études commerciales du Nord (EDHEC) ; Jean-Emmanuel Ray, professeur à l’École de Droit de Paris I – Sorbonne, spécialiste en droit du travail et Martin Richer, fondateur et dirigeant de Management & RSE, membre du Comité de rédaction de Metis.
La crise sanitaire liée à la pandémie de coronavirus a joué un rôle d’accélérateur vis-à-vis des transformations du travail et du management à l’œuvre depuis l’entrée dans l’« économie de la connaissance » :
- les managers de proximité ont démontré leur rôle essentiel pour assurer la continuité de l’activité au fil des confinements et déconfinements mais aussi pour « tenir ensemble » le corps social ;
- le déploiement « à marche forcée » du télétravail remet en cause les modèles taylorien et fordien sur lesquels repose encore pour une large part, l’organisation du travail ;
- le rapport à l’entreprise et au travail est profondément questionné par l’expérience qu’ont connue les salariés durant cette période.
Vous trouverez ci-après :
- La vidéo réalisée par le Sénat, qui retrace les débats.
- Un résumé des interventions des trois experts réalisé par Metis et accompagné d’un repère permettant de retrouver directement les passages en question dans la vidéo.
- Quelques extraits du rapport « Évolution des modes de travail, défis managériaux : comment accompagner entreprises et travailleurs ? » publié par la délégation aux entreprises du Sénat.
1 – La vidéo
Vous pouvez ouvrir la vidéo réalisée par le Sénat, qui retrace les débats, en cliquant ici.
2 – Un résumé du contenu de la table ronde
NOTE : le repère temporel vous permet de retrouver directement les passages qui vous intéressent dans la vidéo
François Dupuy : 9.52 – 10.04 – La période de la fin des années 80 aux années 2020 avant Covid : apogée de la bureaucratie. Les organisations endogènes de l’après-guerre étaient très protectrices pour les salariés. Mais les clients veulent plus pour moins et la variable d’ajustement a été le management et l’organisation du travail ; on a construit des organisations plus confrontationnelles ; on a déprotégé le travail. On a introduit de la coopération qui crée des liens de dépendance, mais ces liens posent problème. D’où le désengagement (émotionnel) des salariés auquel les entreprises ont répondu par la coercition : contrôle de ce que font les gens et de comment ils le font. Il a fallu que les managers choisissent ce qu’ils imposent dans cette multiplication des règles bureaucratiques pour préserver le fonctionnement des équipes.
Qu’est-ce que la crise actuelle a changé ? Nous avons conduit une étude de mars à septembre 2020 auprès de 9 organisations pour le comprendre. Phénomènes qui redistribuent les cartes. Qui a géré la crise ? Principalement deux acteurs, les dirigeants (ils ont eu à appliquer les directives gouvernementales changeantes) et l’encadrement de proximité, les oubliés du management, qui se sont vu confier deux missions : assurer la continuité de l’activité et s’occuper des personnes fragiles. Les organisations syndicales que nous avons interviewées étaient unanimes pour soutenir les décisions des dirigeants.
Cet encadrement de proximité a pratiqué la désobéissance organisationnelle : impossible d’assurer la continuité d’activité en respectant le fatras bureaucratique. L’encadrement intermédiaire, lui, a été relativement absent durant la crise. Les fonctions support des sièges sont fortement remises en cause car les troupes ont constaté que tout fonctionne mieux sans elles.
Jean-Emmanuel Ray : 10. 04 – 10.23 – Bob Dylan en 1966 : « pères et mères, votre autorité, c’est fini ». Ce qui a joué dans cette crise (individualisation, droits de la personne au travail) cela remonte loin, bien avant la crise. Les salariés et les entreprises ont beaucoup changé. En 1920, 2% des jeunes avaient le bac ; aujourd’hui, c’est plus de 70%. Mais le logiciel de nos décideurs n’a pas encore pleinement intégré cette révolution silencieuse.
Encore aujourd’hui, notre code du travail est fondé sur des points qui ne tiennent plus :
- Il est né à l’occasion de la révolution industrielle, la Ford T noire : le mode vertical, la subordination, l’obéissance, l’absence de mise en cause de la parole du supérieur.
- Une organisation prégnante, celle de Boileau (unité de temps, de lieu et d’action).
- La loi de la pesanteur interdisait toute exportation de travail hors de l’usine (même Stakhanov ne pouvait prétendre finir trois tonnes de charbon chez lui).
- Le compromis fordiste (stabilité de l’emploi et salaires contre l’obéissance).
Conclusion issue de ces 4 facteurs : le code du travail n’est pas mort parce que la subordination existe toujours, même avec les nouvelles technologies (voir les centres d’appel, les routiers).
16 mars 2020 : la France passe en télétravail sans grosse anicroche. Qui l’aurait prédit ? Le nouvel environnement de travail se structure par 4 caractéristiques :
- Ubiquité du travail intellectuel : quel est le temps de travail, le lieu de travail ?
- La création exige de l’autonomie donc la subordination est contreproductive avec les travailleurs du savoir.
- La fierté du métallo, c’était le travail bien fait – « c’est nickel chrome, » comme on dit – mais avec la pression de l’urgence, un travail intellectuel n’est jamais terminé. Le droit à la déconnexion a-t-il une réalité ?
- Tout est en verdissement : le 4 août 1982, Jean Auroux a fait voter un article qui a révolutionné le droit du travail, « nul ne peut porter atteinte aux libertés, sauf si c’est justifié ou proportionné » : cela a tout changé ; j’étais membre d’une collectivité de travail, mais maintenant ?
Dans la loi Pacte, on a introduit la nécessité de « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux », cet article a une grande portée. Donc, ces écarts devront être résolus : mon logement, mon « home » ne peut pas devenir le lieu de l’autorité des chefs, de la subordination ! Si le code du travail ne change pas, il est en train de se suicider.
Martin Richer : 10.23 – 10.40 – Le management aujourd’hui est à la croisée des chemins. Les travaux menés ont montré
- le rôle essentiel du management de proximité dans la réalisation d’un environnement de travail sain ;
- le rôle du management intermédiaire pour construire un modèle d’entreprise plus soucieux de ses impacts ;
- le travail confiné (passage brutal en mars-avril 2020 de 3% de télétravailleurs réguliers à 30%) : c’est quand le travail à distance se répand que l’on distingue les managers lorsqu’ils sont incapables d’apporter un soutien professionnel à leurs collaborateurs.
La crise du management est une crise de légitimité et de désirabilité. Aujourd’hui, 62% des non-managers ne veulent pas devenir managers ; ce n’est plus une évolution désirée. Or, un corps social qui n’est plus capable de générer ses élites va à sa perte. Il est donc essentiel de se poser la question du pourquoi de cette crise pour y répondre.
Ce malaise des managers ne date pas d’hier : études de l’Apec, d’Entreprise et Personnel, du CEREQ, Denis Monneuse, etc. Michel Crozier dans les années 1960. La France est en retard dans sa transition managériale. Quelles sont les raisons du désamour vis-à-vis du management ?
- L’intérêt pécuniaire ne fait pas le poids. Le management à la française est encore très taylorien (études sur la distance hiérarchique).
- Le surcroît de pression (le « fil à la patte ») et le poids du reporting et du contrôle. Transition d’un management basé sur l’obéissance et la discipline vers un management basé sur l’adhésion et le soutien.
- Compétences : beaucoup estiment qu’ils n’ont pas les compétences ; problème de la formation au management trop souvent vue comme développement personnel.
- Parité femmes/hommes : le management au féminin est plus en retard en France qu’ailleurs en Europe (étude Eurofound : voir « Management responsable ? »)
- Manque de reconnaissance du management.
Conclusion : ouvrage de Martin Richer avec l’Anact et La Fabrique de l’Industrie sur la qualité de vie au travail dans ses relations avec les organisations du travail : montre que le manager de proximité a un rôle essentiel à jouer (livre en téléchargement libre ici ).
François Dupuy : 10.45 – 10.57 – Je pars d’une définition politiquement incorrecte du management : réussir à obtenir que les gens fassent ce que vous souhaitez qu’ils fassent. Or, l’individualisation des réponses est un obstacle : explosion du coaching, ce qui signifie que l’on renonce à traiter les problèmes sur le plan collectif, pour les déplacer sur le plan individuel avec une culpabilisation. Disparition du thème du leadership. Dans la crise, les sergents-chefs ont trouvé leur bâton de maréchal ! Le passage en télétravail a généré des exclusions, qu’il faudra rattraper : problème des bandes passantes des systèmes informatiques qui a obligé les entreprises à faire des choix d’exclusion, d’où une souffrance liée au sens du travail ; assignation d’une plateforme (ex : Teams) à l’exception des autres (si bien que les salariés ont créé des groupes WhatsApp, mais sur des bases affinitaires, pas professionnelles).
Le premier confinement a rapproché les familles, contrairement à ce qu’a dit la presse. « Management » est un terme très générique, qui recouvre des réalités très différentes. On promeut au rang de manager ceux qui sont les plus performants dans leur activité, pas ceux qui seront les meilleurs managers. Réintroduire de la confiance dans le management : aujourd’hui, c’est un slogan ; il faut le traduire en réalité.
Jean-Emmanuel Ray : 10.57 – 11.08 – Quand on propose à un manager de prendre une responsabilité d’équipe, on le confronte à l’élargissement permanent de la responsabilité pénale, c’est-à-dire personnelle ; c’est la personne du manager qui est susceptible de se trouver au tribunal, pas l’entreprise (cf. la définition du harcèlement managérial, qui « coûte » 3 ans de prison).
On est en train d’entrer dans l’avenir à reculons.
- 1er exemple : le forfait-jour, la loi Aubry qui oblige à calculer le temps de travail, a amené à changer de logique. Il faut faire l’équivalent pour le lieu de travail. La jurisprudence a asphyxié le forfait-jour : elle a obligé les cadres à compter leurs heures, eux qui sont censés être des cadres autonomes.
- 2ème exemple, le télétravail : on ne touche pas au Code du travail par crainte que tout tombe, comme un jeu de dominos. Un cadre qui se met au travail à 21h : travail de nuit non déclaré ! L’ANI sur le télétravail = le travail à domicile est le même qu’au bureau.
- 3ème exemple : Uber ; pourquoi les assigner aux prud’hommes alors que les chauffeurs ne veulent pas un lien de subordination, mais simplement une protection sociale ? La subordination à vie n’est pas un horizon indépassable !
Martin Richer : 11.09 – 11.21 – Les cinq leviers pour améliorer le management, la santé au travail et la qualité du travail.
- Réintégrer le travail dans l’entreprise et son fonctionnement. Exemple 1 : le processus d’évaluation des collaborateurs. Exemple 2 : l’expression des salariés au travail.
- Mandater la fonction Ressources Humaines ; c’est elle qui maîtrise la plupart des leviers.
- Impliquer davantage les dirigeants dans le soutien solidaire de la chaîne managériale.
- Favoriser le soutien professionnel (transition managériale).
- Organiser la montée en compétences des managers.
Ma définition du management, la pire (« un cadre est une structure rigide avec du vide au milieu ») et la meilleure, celle que nous avons créée au sein de la Maison du Management.
François Dupuy : 11.26 – 11.33 – Bien faire la différence entre « cadre » et « manager ». Les leviers à utiliser sont spécifiques à chacune des organisations : « le problème, c’est le problème, » comme disait Michel Crozier. Small n’est pas forcément beautiful : il peut y avoir autant de bureaucratie dans les PME.
La problématique des générations. Apparition des modalités de coopération qui sont en fait des modalités de dépendance. 50% des ménages de cadres dans la région parisienne divorcent. Les jeunes ont une pratique instrumentale du travail : ils ne cherchent pas à « se réaliser » dans le travail mais à trouver les ressources nécessaires pour « vivre la vraie vie ». Les facteurs d’intégration sociale d’antan (parti communiste, églises, grandes entreprises) disparaissent au profit des communautés que chacun se choisit.
Jean-Emmanuel Ray : 11.33 – 11.40 – Pour la génération X, le chômage était impensable alors que les Y, Z et alpha intègrent totalement cette éventualité. Le taux de fainéant chez les jeunes n’a rien de différent des générations précédentes. Les « fainéants » finissent par créer leur entreprise et travailler 60 heures par semaine. Ce que l’on prend pour de la fainéantise est souvent un manque de sens. Les jeunes s’engagent mais ponctuellement. Cette génération dit tout haut ce que la précédente pensait tout bas.
L’IG Metall, le syndicat allemand de la métallurgie (2.300.000 adhérents) a fait une enquête auprès de ses adhérents pour savoir s’ils voulaient accepter la proposition d’augmentation salariale de 3% formulée par le patronat. La réponse de ces métallos (pas des hippies de San Francisco) : moi, ce qui m’intéresse plus, c’est du temps pour moi et ma famille. Recherche d’un nouvel « équilibre de vie », très sensible vers le haut de la pyramide de Maslow.
L’extension du télétravail n’est pas une bonne nouvelle pour les syndicats : électrochoc qui peut ramener le syndicalisme sur le terrain. Quand une génération est diplômée à 70% on ne peut plus lui dire « bosse et tait toi », comme le faisait Taylor. Alfred de Musset en 1840 dans les Confessions d’un enfant du siècle : « Les anciens temps ne sont plus ; le nouveau temps n’est pas advenu ; voilà le secret de nos maux ».
Martin Richer : 11.40 – 11.48 – Les PME sont-elles plus à même de répondre aux évolutions du travail et du management ? Oui mais avec un gros bémol. Y-a-t-il vraiment des différences entre générations dans le rapport au travail ? Spécificités des Y et Z : plus engagés mais aussi plus exigeants ; exigeants vis-à-vis des dirigeants ; de leur entreprise ; de leur manager.
L’expression « donner du sens » est erronée : le sens ne se donne pas ; il se crée au quotidien dans les interactions de travail. Ce qui est nouveau : il y a trois générations simultanément au travail (contre deux auparavant)… et ce n’est pas la plus âgée qui manage l’équipe ! « Management » est un mot français : les deux étymologies possibles illustrent l’ambivalence du management. A nous tous de faire les bons choix au sein de cette ambivalence.
3 – Quelques extraits du rapport sénatorial
Nous reprenons ici quelques extraits du rapport de Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay intitulé « Évolution des modes de travail, défis managériaux : comment accompagner entreprises et travailleurs ? », publié le 8 juillet 2021. Ils illustrent la diversité des thèmes abordés. La table ronde faisait partie des dispositifs d’audition permettant de nourrir la réflexion de ce groupe de travail.
Une explosion des indépendants ?
Alors que la part de l’emploi indépendant hors agriculture a diminué dans plusieurs pays comme en Italie, elle a progressé régulièrement dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la France. Cependant la part des indépendants parmi les personnes en emploi demeure plus faible en France (11,4 %) que la moyenne européenne (14,3 %) ou dans de nombreux pays comme la Grèce (29,8 %), l’Italie (21,7 %) ou le Royaume-Uni (14,8 %). Fin 2017, l’Insee dénombrait 3,5 millions d’indépendants, soit une hausse de 33 % en 10 ans.
La question du sens
D’après une étude de l’Apec de mars 2019, c’est bien l’ensemble des cadres qui accorde de l’attention à la question du sens : 51 % des cadres jugent « très important » d’exercer un métier qui a du sens. Il est également fondamental pour eux de se sentir utiles à l’entreprise (52 %) et continuer à apprendre de nouvelles choses (56 %). La crise sanitaire semble avoir renforcé cette quête de sens au travail pour l’ensemble des travailleurs. Une enquête d’Ipsos France a montré, après les confinements, que 90 % des salariés jugent essentiel (55 %) ou important (35 %) que leur entreprise « donne un sens à leur travail » et 85 % estiment essentiel (38 %) ou important (47 %) qu’elle leur permette « de se sentir utiles aux autres ».
L’accélération des mobilités professionnelles
Une enquête de 2018 menée par l’Observatoire des trajectoires professionnelles montre que 80 % des personnes interrogées pensent que l’évolution des métiers, notamment en raison de l’impact des nouvelles technologies, ne les concernera pas. Seuls 17 % envisagent la formation professionnelle pour se former à un nouveau métier. La deuxième tendance observée est la facilité de changement liée à l’ère du digital et à la fragmentation de l’emploi, qui a été intégrée par les travailleurs, notamment les jeunes générations. En moyenne, une personne change d’emploi entre 5 et 13 fois au cours de sa carrière. La durée moyenne au même poste est d’environ 5 ans. Selon Pôle Emploi, les jeunes actifs d’aujourd’hui changeront en moyenne 13 à 15 fois d’emploi au cours de leur vie. (…) Une enquête de l’Observatoire des trajectoires professionnelles montre qu’en 2018, 1 actif sur 3 a connu une transition professionnelle, contre 1 sur 4 auparavant. Ces transitions concernent 80 % des 18-26 ans contre moins de 50 % précédemment. Une étude de l’Insee montre, en 2017, que dans Les Pays de la Loire, comme en France métropolitaine en général, un salarié sur six change de métier en un an. Les changements sont plus fréquents pour les ouvriers non qualifiés, dont 32 % changent de métier en une année.
Les conditions du télétravail
Le plébiscite des travailleurs en faveur du télétravail doit tenir compte de deux éléments : tout d’abord ce mode de travail implique une formation des managers pour qui les responsabilités d’encadrement à distance ne sont pas innées et entraînent une révolution managériale ; ensuite il faut veiller à la cohésion du monde du travail en tenant compte du fait que tous les emplois ne sont pas « télétravaillables ». Sans la prise en compte de ces deux paramètres, le résultat peut être très négatif tant pour la performance des entreprises que pour le bien-être des travailleurs et la cohésion sociale. (…) La frilosité des entreprises à l’égard du télétravail et la lente évolution du cadre juridique afférent peuvent susciter incompréhension et fortes attentes chez les travailleurs qui constatent par ailleurs l’exceptionnelle vitesse de diffusion de la transformation numérique de la société. (…) Le risque de fragmentation des collectifs de travail est renforcé par l’isolement social et la sédentarité associés au télétravail à domicile (et d’autant plus prononcé depuis le début de la crise sanitaire). Pour Stéphane Pimbert, directeur général de l’INRS, « le maintien du collectif de travail, qui est un rouage essentiel de la santé mentale, est déséquilibré ». (…) Le rôle du manager devient alors essentiel car c’est sur lui que va reposer l’équilibre entre confiance et contrôle, entre épanouissement personnel et envahissement de la sphère professionnelle, etc.
L’organisation du système de santé
La santé au travail n’est traditionnellement pas envisagée comme une composante à part entière de la santé publique en France. (…) Le système de santé au travail reste en effet piloté par le ministère du travail, avec pour principale conséquence un périmètre de la santé au travail historiquement centré sur la lutte contre des risques professionnels traditionnels associés aux secteurs de l’industrie et du bâtiment et des travaux publics, en particulier l’exposition aux substances toxiques, le travail en hauteur et la manutention. Le ministère de la santé n’est aujourd’hui pas en capacité de peser sur les orientations de notre politique de santé au travail et ne constitue donc pas un contrepoids efficace pour rééquilibrer la prévention vis-à-vis de la réparation. Comme cela avait déjà été le cas pour l’amiante, le ministère de la santé ne joue pas son rôle de vigie sanitaire face aux ministères à vocation économique comme le ministère du travail et le ministère de l’agriculture, alors que l’utilisation des produits phytosanitaires, les nuisances sonores ou encore la montée en puissance des risques psychosociaux auront un impact délétère à long terme sur l’état de santé de la population, avec une multiplication des maladies chroniques que l’assurance maladie devra prendre en charge. (…) Le système français de santé au travail est organisé de telle sorte que les mieux servis restent ceux qui disposent des moyens les plus importants, en particulier les grandes entreprises dont les services de santé au travail autonomes (SSTA) captent une grande partie de la ressource médicale au détriment des SSTI.
La perception de la médecine du travail par les dirigeants
Un sondage Opinion Way – CCI France a été organisé en mai 2021 sur le sujet de la médecine du travail. (…) 54 % des dirigeants d’entreprise comptant au moins un salarié trouvent qu’elle complète bien l’action qu’ils mettent en œuvre pour la santé de leurs salariés. Toutefois, 53 % jugent que la médecine du travail est inadaptée à la réalité de la vie de l’entreprise, et 44 % qu’elle n’a pas les moyens suffisants pour assurer la protection de la santé des salariés. Plus largement, la médecine du travail est assez peu sollicitée : seulement 25 % des dirigeants d’entreprise comptant un salarié ou plus la sollicitent régulièrement.
Pour aller plus loin :
La délégation aux entreprises du Sénat est présidée par Serge Babary (Les Républicains – Indre-et-Loire). Martine Berthet (Les Républicains – Savoie), Michel Canévet (Union Centriste – Finistère) et Fabien Gay (communiste républicain citoyen et écologiste – Seine-Saint-Denis) sont les rapporteurs de la mission d’information de la délégation aux entreprises sur « les nouveaux modes de travail et de management ».
François Dupuy est sociologue, expert en résidence à l’École des hautes études commerciales du Nord (EDHEC) et directeur académique du Centre européen d’éducation permanente (Cedep) basé sur le campus de l’Insead. Il est l’auteur de plusieurs livres essentiels sur le management des organisations : « On ne change pas les entreprises par décret », Le Seuil, 2020 ; « La Faillite de la pensée managériale », Le Seuil, 2015 ; « Lost in management », Le Seuil, 2011 ; “La fatigue des élites – Le capitalisme et ses cadres », Le Seuil, 2005 ; « Sociologie du changement », Dunod, 2004 ; « L’Alchimie du changement », Dunod, 2001 ; « Le client et le bureaucrate », Dunod, 1995.
Jean-Emmanuel Ray est professeur de droit du travail à la Sorbone (Paris1), à Sciences Po Paris et à Mines ParisTech et titulaire de la chronique « TIC et droit du travail » de la revue Droit Social. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont le livre de référence, « Droit du travail, droit vivant », Ed. Liaisons, un « best-seller » vendu à 125.000 exemplaires qui en est à sa 24e édition.
Martin Richer est fondateur et dirigeant de Management & RSE ; il est membre du Comité de rédaction de Metis.
Retrouvez la vidéo de cette table ronde qui s’est tenue le 28 janvier 2021 sur le site du Sénat. Cette table ronde a également été diffusée sur la chaîne Public Sénat.
Lisez le communiqué du Sénat résumant la table ronde.
Consultez l’article de son blog dont Martin Richer a tiré la plupart des faits et chiffres sur lesquels il s’est appuyé.
Lisez la synthèse de cette table ronde publiée par l’hebdomadaire économique régional « Les Tablettes Lorraines » : « Le management en mal de managers ».
Lisez l’interview publié par le magazine Préventica à propos de cette table ronde.
Consultez le rapport de Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay, « Évolution des modes de travail, défis managériaux : comment accompagner entreprises et travailleurs ? », Rapport d’information fait au nom de la délégation aux entreprises du Sénat, n° 759 (2020-2021), 8 juillet 2021.
Cet article est une version augmentée d’une publication préliminaire dans le N°1526 d’Entreprise & Carrières : « Les sénateurs au chevet des managers ».
Consultez le site de Entreprise & Carrières
Le résumé des interventions des trois experts a été réalisé par Metis Europe et est disponible également sur son site.
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