Management responsable ?

[ Mise à jour : 6 mars 2020 ]  Le management responsable, celui qui vise la performance globale en impliquant ses parties prenantes, a du mal à se développer en France, pays fortement marqué par les pratiques et la culture du taylorisme. Quelles sont les principales manifestations de cette difficile éclosion ? Quels sont les atouts sur lesquels s’appuyer ?

L’alignement des comportements managériaux est défaillant

Le management responsable promeut des bonnes pratiques d’animation et de leadership mises en œuvre dans un contexte d’éthique et de transparence. Ce qui me perturbe le plus dans les derniers résultats de l’Observatoire du Management publiés par Oasys, c’est le fait que les actes managériaux responsables tiennent davantage du discours que de la pratique effective.

Ainsi, 87% des managers déclarent pratiquer le feed-back vis-à-vis de leurs collaborateurs. C’est bien ; c’est même la première chose que l’on attend d’un manager responsable. Mais moins de la moitié (47%) des collaborateurs l’ont observé. Cet écart est abyssal et ne reflète pas une simple différence d’appréciation ou de perception. Rien d’étonnant à ce qu’un autre baromètre, celui de la Cegos, note que pour 70% des managers, l’entretien annuel d’évaluation est jugé efficace alors qu’il n’est perçu comme tel que par 46% des salariés[1].

Continuons avec le thème de la capitalisation, essentiel dans l’économie du savoir : 87% des managers indiquent mener des retours d’expérience collectifs alors que seuls 52% des managés l’ont remarqué.

La déclinaison de la stratégie : 87% des managers disent expliquer à chaque membre de leur équipe leur contribution à la réussite de leur entreprise mais seuls 49% des collaborateurs disent avoir reçu cette explication.

L’innovation : 92% des managers disent encourager leur équipe à innover mais seuls 58% de leurs troupes le confirment.

L’engagement et l’autonomie ? 91% des managers disent responsabiliser leurs collaborateurs, ce qui est la moindre des choses,… mais seuls 71% de ces derniers le confirment.

La qualité de vie au travail (QVT) ? 88% des managers estiment gérer l’équilibre entre la performance et le bien-être de l’équipe, quand seuls 49% des collaborateurs partagent cet avis : il y a donc un risque important de tensions entre objectifs ressenties par les collaborateurs mais non perçues par les managers.

Le passage à l’acte RSE demeure lacunaire

Les principes et approches de la RSE se sont installées dans les esprits mais ont du mal à pénétrer les pratiques de management. Le cabinet Kea & Partners a recueilli l’avis des dirigeants eux-mêmes pour nourrir la réflexion des entretiens de Valpré (Écully, novembre 2019), ce qui permet de dresser un portrait-robot. Le manager responsable doit avant tout œuvrer au bien commun (33 %) : il privilégie les trajectoires communes aux trajectoires individuelles, fait grandir ses salariés, recherche l’harmonie… Il se doit ensuite d’être exemplaire (31 %) : il inspire par ses actes qu’il met en cohérence avec ses valeurs et sait se remettre en question. Enfin, il est à l’écoute et ouvert (18 %) et prend en considération le projet de chacun. Dans le « top 10 » des comportements d’un dirigeant d’entreprise attendus à l’avenir, le fait « d’œuvrer pour le bien commun » prend la tête, devant le fait de « s’engager ».

Loin derrière, les qualités de leader, telles que savoir choisir ou assumer ses actes ne font plus consensus (15 %). Dans l’entreprise responsable, le dirigeant héros ou dirigeant leader, qui donne le cap et rassure, cède la place à un dirigeant rassembleur, qui créé les conditions du développement responsable de l’entreprise et de chacune de ses équipes.

Ces qualités, 6 dirigeants sur 10 estiment travailler à leur mise en pratique régulière, voire systématique, dans le cadre de leurs fonctions, et près de 75 % voient déjà leur rôle évoluer sous l’effet de la montée en puissance des questions de responsabilité au sein de l’entreprise. Même, 73 % – taux de réponse le plus élevé – considèrent qu’ils doivent dorénavant intégrer la dimension de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans leurs décisions et projets.

Mais les bonnes intentions se fracassent sur la réalité des pratiques : seuls 26 % des PDG et 17 % des managers ont des objectifs chiffrés en ce qui concerne les enjeux de responsabilité (voir : Emmanuelle Réju, « Des chefs d’entreprise en recherche du ‘bien commun’ », La Croix, 27 octobre 2019).

Les processus de management concerté tardent à prendre corps

Au-delà du « management participatif », qui a fait florès dans les années 1980, le management responsable se caractérise notamment par sa capacité à mobiliser les parties prenantes de l’entreprise – et au premier titre, les salariés qui y travaillent – sur des enjeux clés pour partager les objectifs, parvenir à des coopérations et co-créer des solutions nouvelles. Le baromètre de l’intelligence collective (définie comme la mobilisation des parties prenantes) mené par BVA pour Bluenove et publié en décembre 2018 montre à quel point l’entreprise est perçue comme étant en retard par rapport au reste de la société civile : seuls 21% des Français déclarent que c’est dans les entreprises que l’intelligence collective fonctionne de la manière la plus efficace, contre 45% qui citent le milieu associatif, 39% les communautés d’intérêt (clubs, groupes de passionnés, etc…), 34% le monde de la recherche, 28% les villes et les quartiers et même 23% les écoles et universités.

L’entreprise, qui ferme la marche dans ce classement (avec cependant le monde du sport) aura donc fort à faire pour combler son déficit démocratique. Le manque d’écoute dans l’entreprise (« en comparaison avec ce que les pouvoirs publics permettent aux citoyens, les entreprises sont en retard  dans l’écoute des opinions de leurs salariés ») est identifié par 51% des salariés et même 40% des chefs d’entreprise.

Pourtant, il existe un certain consensus entre chefs d’entreprises et salariés sur l’importance de la consultation : 90% des salariés (et 77% des chefs d’entreprise) estiment même que “les salariés doivent être associés à la construction de la stratégie de l’entreprise”. La sensibilité managériale sur le sujet est forte.

71% des chefs d’entreprise se disent satisfaits de l’attention portée à l’opinion des salariés dans leur entreprise mais seuls 25% des salariés partagent cet avis.

Mais le passage à l’acte est beaucoup plus problématique et se matérialise dans d’importants écarts de perception : si 71% des chefs d’entreprise se disent satisfaits de l’attention portée à l’opinion des salariés dans leur entreprise, seuls 25% des salariés partagent cet avis. De plus cette attention n’est  pas uniformément distribuée : ce dernier pourcentage s’étage de 35% chez les cadres à 19% seulement chez les employés et ouvriers. Les regards divergent aussi sur la mise en place des processus : 62% des dirigeants déclarent qu’ils ont déjà consulté l’ensemble des salariés de leur  entreprise ou un très grand nombre d’entre eux mais seuls 42% des salariés indiquent qu’une telle consultation a effectivement été mise en place dans leur entreprise. Enfin, 76% des chefs d’entreprise contre 39% des salariés pensent que le climat managérial interne de leur entreprise est favorable à la mise en place d’actions d’intelligence collective.

Lorsque ces consultations ont lieu, comment se déroulent-elles ? 70% des chefs d’entreprise ont consulté en présentiel, 50% via des outils digitaux…mais ils sont 94% à avoir utilisé pour ce faire des questionnaires, outils fermés et non-conversationnels. Viennent ensuite les boîtes à idées (55%), les processus de vote sur un sujet d’entreprise (52%), les réseaux sociaux d’entreprise (49%) mais beaucoup plus marginalement des plateformes de co-construction d’idées (24%). La richesse de l’échange n’est donc pas toujours au rendez-vous.

Tout n’est pas noir heureusement et le baromètre montre que le management responsable dispose d’un potentiel considérable. Il existe en effet un consensus à un niveau élevé, chez les dirigeants comme chez les salariés, sur sa pertinence pour traiter des thématiques absolument cruciales pour le bien être des salariés et la compétitivité des entreprises. A la question « sur quels sujets les démarches d’intelligence collective vous semblent-elles pertinentes ?», la culture de l’entreprise arrive en première place (chefs d’entreprise : 80%, salariés : 72%), suivie par l’organisation de l’entreprise (chefs d’entreprise : 72%, salariés : 70%). Bien que complexe, la stratégie de l’entreprise ressort néanmoins comme objet de concertation plébiscité (chefs d’entreprise : 68%, salariés : 63%). La dimension d’innovation n’est pas oubliée puisque l’identification de nouveaux produits ou de nouveaux services est aussi mise en avant (chefs d’entreprise : 69%, salariés : 71%).

Communiquer, engager et susciter la confiance à l’égard de la démarche sont les trois facteurs clés de succès pour les chefs d’entreprise comme pour les salariés.

La culture et les valeurs de la RSE constituent aussi un atout pour la mise en œuvre de ces approches. Quels sont en effet les principaux facteurs de réussite pour mener à bien une démarche d’intelligence collective en entreprise ? Communiquer, engager et susciter la confiance à l’égard de la démarche sont les trois facteurs clés de succès pour les chefs d’entreprise comme pour les salariés. Les salariés sont plus attentifs que leurs dirigeants vis-à-vis de trois facteurs qui nous semblent effectivement déterminants : le suivi de la consultation (cité par 47% des salariés contre 37% des dirigeants) l’établissement d’une charte transparente de fonctionnement de la démarche (42% contre 25%) et la formalisation des enjeux collectifs précis (40% contre 29%). On constate ici l’importance du respect et de l’ ‘empowerment’ des parties prenantes.

En cohérence, les deux tiers des chefs d’entreprise et des salariés sont soucieux du risque déceptif lié à l’émergence d’attentes non satisfaites, identifié comme le risque principal pour une démarche d’intelligence collective. Deux autres facteurs d’échec sont mis en avant par les salariés : ne pas mobiliser suffisamment les salariés (cité par 62% d’entre eux contre 46% des dirigeants) et ne pas réussir à créer suffisamment de confiance (60% contre 35%). D’autres risques souvent envisagés comme la perte de contrôle sur les échanges qui deviendraient imprévisibles ou la construction de conclusions trop consensuelles sont jugés plus minoritaires et ce par les salariés comme par les dirigeants.

Enfin, le management responsable se tourne aussi vers l’environnement de l’entreprise, ses parties prenantes externes. Les démarches de consultations peuvent se prolonger vers des interlocuteurs en dehors de l’entreprise. Les publics les plus intéressants à consulter selon les chefs d’entreprise sont leurs clients (71%), les pouvoirs publics (27%), le grand public (26%), leurs fournisseurs (25%), leurs concurrents (23%) et les investisseurs (17%). Un premier pas vers la construction d’un dialogue structuré avec ses parties prenantes…

La parité managériale apparaît comme un objectif lointain

En matière de management, nous sommes loin de la parité en France… à tel point que l’on pourrait affirmer que le management à la française est misogyne et ne se préoccupe pas suffisamment des enjeux d’égalité professionnelle. Alors qu’elles représentent la moitié des effectifs des entreprises en France (49% très exactement), alors qu’elles sont maintenant majoritaires parmi les diplômés de l’enseignement supérieur, les femmes ne comptent que pour un tiers des managers.

Les autres pays sont-ils aussi désespérants? Pour la première fois, Eurofound publie des données qui permettent de nous « benchmarker » avec nos voisins. Parmi les 27 pays membres de l’Union Européenne, seuls l’Autriche (32%), Malte (31%), et surtout la République tchèque (27%) et la Grèce (26%), font pire que nous !

Parmi les grands pays qui mènent la danse et ont su donner une plus grande place aux femmes au sein de leurs équipes managériales, on trouve la Suède (39%) connue pour son Etat-Providence et au contraire la Grande-Bretagne (39% également) inséparable de son libéralisme. Comme quoi, la loi ne fait pas forcément le bonheur (rappelons que l’égalité professionnelle entre femmes et hommes est inscrite dans la loi française depuis… 1972).

Même les Allemands, que nous adorons reléguer dans le modèle réactionnaire des trois K, « kirche, küche, kinder » (« l’église, la cuisine, les enfants », formule qui assigne les femmes à ces trois instances), font mieux que nous avec 36% de femmes parmi leurs managers.

Plus grave, le rapport d’Eurofound permet de distinguer les éléments plus qualitatifs, qui constituent autant d’alertes (ces commentaires concernent l’ensemble de l’UE) :

« En examinant l’expérience au travail des femmes managers, notre étude montre qu’elles sont plus susceptibles que les hommes d’être dans des rôles sans responsabilité hiérarchique, dans lesquelles elles managent des objectifs mais pas de ressources humaines. Celles qui ont la responsabilité hiérarchique de ressources humaines sont plus susceptibles que leurs collègues masculins de manager d’autres femmes, des salariés plus jeunes, des salariés hors CDI et sont plus souvent dans des rôles managériaux précaires à fort risque d’échec. Notre recherche montre aussi que les femmes managers sont davantage concernées par une forte intensité du travail que leurs alter-ego masculins, que le montant de leur travail non rémunéré est plus important, que leur durée effective de travail est plus longue que celle des hommes de tous niveaux et que celle des femmes non-managers ».

Et enfin, pour ne pas perdre espoir, remarquons que les 5 pays les meilleurs ne revendiquent pas un statut de « pays des droits de l’homme » (ni même de la femme) et ne se caractérisent pas a priori, par un degré d’innovation managériale hors d’atteinte : Lettonie, Chypre, Bulgarie, Hongrie et Lituanie. Cette dernière, par exemple, parvient presque à la parité managériale (45%) et fait 12 points de mieux que la France. Voilà un objectif réaliste pour nous améliorer !

Une chose est sûre : vers le management responsable, la route sera longue et chaotique…

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,

Management & RSE

Pour aller plus loin:

« Le management 2.0 sera-t-il socialement responsable ? »

« Etude 2017 de l’Observatoire du Management de OasYs Mobilisation », janvier 2017. Réalisée tous les 2 ans par OasYs Mobilisation en partenariat avec TNS Sofres, cette étude analyse la perception du rôle de manager auprès de 1 507 salariés d’entreprises et d’organisations publiques en France : 754 managers et 753 collaborateurs interrogés « en miroir » sur toutes les dimensions-clés du management : engagement, plaisir, compétences & comportements, difficultés et évolutions de leur rôle.

« Baromètre de l’intelligence collective : Où en sont les grandes entreprises françaises ? », Bluenove et BVA, 6 décembre 2018. Cette enquête était destinée à déterminer le degré de maturité des grandes entreprises françaises sur les sujets d’intelligence collective. Des échantillons représentatifs des chefs d’entreprises de 500 salariés et plus (401 interviews), des salariés d’entreprises de 500 salariés et plus (1000 interviews) et du grand public (1090 interviews) ont répondu à cette étude, menée par téléphone et par internet en octobre et novembre 2018.

“Women in management: Underrepresented and overstretched?”, Eurofound Report, October 2018 ; chiffres pour l’année 2015

Pour recevoir automatiquement les prochains articles de ce blog « Management & RSE » dès leur publication, inscrivez-vous à la Newsletter. Pour cela, il vous suffit d’indiquer votre adresse email dans le bloc prévu à cet effet sur la droite de cet écran et de valider. Vous recevrez un courriel de confirmation.

[1] Baromètre Cegos « Radioscopie des managers : la fonction managériale est-elle encore attractive ? », Octobre 2018 : 1025 salariés et 578 managers (n’appartenant pas à une instance dirigeante) interrogés en France en juillet 2018

Partager :

Facebook
Twitter
LinkedIn
Email
WhatsApp

2 Responses

  1. Bonjour

    J’ai envie de réagir à votre article. Il pose les vrais soucis de communication entre les managers et leurs collaborateurs. En effet entre l’intention et l’action , il y a un grand pas, l’envie. La plus grande partie des managers considèrent-ils leurs collaborateurs ? Si je dis cela, c’est que la considération n’est pas toujours au rendez-vous et le message est alors tronqué. Ces écarts, que vous nous précisez, montrent bien qu’il faut changer les modes relationnels entre managers et managés. Nous n’avons pas quitté le mode « chef « . Vous trouverez sans doute ceci caricatural, en effet ça l’est. Pour établir ou rétablir le véritable échange, il serait bon de se mettre au bon niveau, celui du collaborateur et cesser ces approches dominantes du « cadre », un peu distant. Il serait bien d’y mettre de la sincérité dans la relation, afin de générer de vrais échanges, de vrais partages, non ! Le ressenti décalé des collaborateurs se comprend quand leurs responsables n’affichent pas plus de bienveillance. Je suis en cours d’écriture d’un ouvrage sur ce sujet. Je souhaite que nous puissions, avec ma co auteure, sensibiliser et porter les managers à plus de bienveillance et s’en servir comme levier de la performance. Quand vous concluez « la route sera longue et chaotique », je serai plus positif, oui elle sera longue, car la métamorphose prendra du temps, toutefois sans chaos si l’on guide l’apprentissage.

  2. Bonjour je suis moi-même manager je peux vous confirmer que les écarts entre ce que l’on pense faire passer a nos collaborateurs mais ce qui l’on perçoit vraiment et souvent très large
    Une raison bien peut-être du fait que l’on ne passe pas assez de temps à rediscuter avec les collaborateurs de bien valider les points ils ont acquis et ce qui reste obscur
    Voilà c’était mon avis je vous remercie

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *