« J’ai été gâteux très jeune, en aimant des choses déjà démodées : cela m’a donné de grandes joies dans la vie ». C’est ce qu’écrivait le regretté dessinateur Jean-Jacques Sempé. Etant moi-même un « boomer » irrémédiablement démodé – pour ne pas dire désespérément amorti – c’est dans cette ligne que je voudrais me livrer à une sauvage déconstruction de la notion de « jeune » et à une pulvérisation de quelques idées reçues sur leur rapport avec le travail, l’emploi et l’entreprise.
Pour se mettre en jambes, commençons par un quiz.
Qui a dit : « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans. » ?
I_I un DRH un peu old school
I_I un directeur de collège
I_I un spécialiste international de la Génération Y
I_I Alain Finkielkraut
Réponse : Aucun des quatre… et ce n’est pas d’hier : Socrate, 470 – 399 av. J.-C.
Qui a dit : « Par amour-propre, ils [les jeunes gens] ne supportent pas qu’on tienne peu de compte de leur personne, et se fâchent quand ils croient qu’on leur fait tort. (…) Ils croient tout savoir et tranchent sur toutes choses. De là vient leur exagération en tout. » ?
I_I un DRH très old school et très blasé
I_I un spécialiste de la reconnaissance au travail
I_I Alain Finkielkraut, encore
Réponse : aucun, encore. Cette fois, c’est Aristote (384-322 av. J.-C.), dans Rhétorique, Livre II, chap. 13
Qui a dit : « Lorsque les pères s’habituent à laisser faire leurs enfants, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus, au-dessus d’eux, l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie. »
Réponse : Platon, en 347 av. J.C.
Qui a dit : « Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain, parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue et simplement terrible… » ?
I_I un DRH aigri et sous barbituriques
I_I François Hollande en 2016
I_I Une réincarnation décliniste d’Alain Finkielkraut
Réponse : on peut remonter encore plus loin : le poète grec Hésiode (fin du VIIIème ou début du VIIème siècle av. J.-C..).
Que nous apprend ce quiz ?
1 – La question des soi-disant « différences » entre générations fait couler de l’encre depuis bien longtemps.
2 – La notion même de génération pose problème : on ne sait pas faire la distinction entre les effets de génération (groupe humain de même tranche d’âge qui a une histoire commune) et les effets d’âge.
3 – Les stéréotypes traversent les âges.
En allant plus loin, on peut constater qu’à travers les âges, les jugements sur les jeunes, notamment vis-à-vis de leur rapport au travail, oscillent entre trois attitudes :
1 – Admiration (parfois béate). Ex : « Je ne suis pas assez jeune pour tout savoir. » – Oscar Wilde
2 – Rejet. C’est l’éternelle tentation du dénigrement de la jeunesse, avec parfois un peu de condescendance. Ex : voir la phrase de Pierre Desproges en conclusion de cet article.
3 – Nostalgie. Ex : « Le culte de la jeunesse est une façon pour les adultes de se donner l’illusion qu’ils n’ont pas vieilli. » – Raymond Aron
Et nous oscillons, nous permutons entre ces trois attitudes, au gré des humeurs et des affects.
D’où une nécessaire remise en cause de quelques idées reçues.
Idée reçue No 1 : on sait dire à quel âge on est jeune
« La jeunesse n’est qu’un mot, » disait Pierre Bourdieu. Mais alors, de quoi est-elle le nom ?
Pas celui de la loi. Les textes légaux et réglementaires ne définissent aucune borne d’âge des jeunes. Les chiffres du chômage publié mensuellement par la DARES (ministère du Travail) et Pôle Emploi (pardon, désormais c’est France Travail) considèrent les jeunes comme les « moins de 25 ans ». Mais la DARES s’intéresse aussi à la tranche d’âge de 12 à 29 ans. On peut d’ailleurs trouver cette phrase délicieuse dans un document officiel (Contrat de génération, recommandations pour les accords d’entreprise) évoquant les tranches d’âge des jeunes et des salariés âgés concernés par les engagements souscrits par l’employeur : « L’Etat ne définit pas a priori ce qu’est un jeune ou un senior ».
On pourrait alors chercher la définition du jeune dans celle de son contraire : l’adulte. Mais là encore, l’insatisfaction domine. Le philosophe Pierre-Henri Tavoillot définit l’adulte comme la combinaison de l’expérience, de la responsabilité et de l’autonomie. A ce compte-là, avec leur expérience du numérique, leur attitude vis-à-vis de la vie étudiante (stages et petits boulots) et la façon avec laquelle ils ont traversé la pandémie, beaucoup de jeunes sont adultes ! (voir : « Coronavirus : triple peine pour la jeunesse et camouflet pour le développement durable »).
Finalement, le jeunesse (ou la non-jeunesse) se définit plutôt par le franchissement (ou non) de jalons dans la vie, contingents à chacun : droit de travailler (16 ans), majorité, fin des études, premier emploi, départ du foyer parental (avec une transition fréquente par la colocation), installation dans la vie en couple, arrivée du premier enfant, accession à la propriété immobilière… Ce sont les franchissements de ces jalons, plus que l’âge lui-même, qui déterminent des évolutions dans l’attitude vis-à-vis du travail et de l’entreprise.
Cette indéfinition du « jeune » nous rappelle un élément essentiel : le « jeune » est d’abord un construit social, qui résulte de nos représentations. Or, nos représentations sont contingentes, soumises à nos biais cognitifs… et reflètent d’abord nos propres préjugés.
Idée reçue No 2 : les jeunes, c’est le goût du risque, l’envie de mobilité
Derrière ce jugement abrupt, il y a la peur du jeune primesautier, infidèle, qui ne fait que passer, incapable de s’accrocher, de se fixer. On remarque que ceux qui font ce reproche aux jeunes sont aussi les entreprises, qui depuis les années 1980, demandent aux jeunes d’être curieux, adaptables, entreprenants et agiles…
Pas si simple ! Je renvoie à l’enquête « Y a-t-il une génération Covid ? », effectuée auprès de 1.300 jeunes en février 2022[1]. Elle montre que parmi les jeunes diplômés, à peine plus d’un sur dix (11 %) déclare souhaiter changer régulièrement d’entreprise. D’après une étude de l’APEC d’octobre 2023, la proportion des étudiants diplômés bac + 5 qui changent radicalement de voie deux ans après leur entrée dans la vie active n’est que de 14 %.
L’enquête « La société idéale de demain aux yeux des Français », réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean Jaurès et la CFDT en avril 2023, permet d’élargir la problématique au-delà des seuls jeunes diplômés[2]. Pour les Français, la stabilité professionnelle est un horizon qui reste nettement plus attractif que le fait de changer fréquemment d’entreprise au long de sa vie professionnelle, même auprès des jeunes générations. Ainsi, 71% des Français préfèrent le fait de travailler dans une ou deux entreprises tout au long de leur vie professionnelle plutôt que le fait de changer fréquemment d’entreprise tout au long de leur vie professionnelle, choix qui n’en convainc que 29%. Les jeunes sont un peu plus enclins à bouger, mais ils sont tout de même très majoritaires à choisir l’option « une ou deux entreprises tout au long de la vie professionnelle » : 61% des moins de 25 ans et 62% des 25-34 ans.
Quant au statut de free-lance, il n’attire guère les jeunes : à peine 9 % des étudiants et 6 % des jeunes diplômés envisagent de l’adopter, d’après l’enquête « génération Covid » citée ci-dessus. On peut aussi mentionner la chute des envies de travailler dans une start-up ou d’en fonder une, depuis le climax de 2017, aux temps rêvés de la « start-up nation ». Interrogés par l’enquête « Société idéale » (avril 2023) sur le type d’employeur pour lequel ils souhaiteraient travailler, les jeunes ne sont que 8% des moins de 25 ans et 5% des 25-34 ans à choisir la start-up, contre 30% qui choisissent la grande entreprise privée.
Les jeunes vont-ils vous quitter rapidement pour voguer vers le large dans une entreprise internationale ou à l’étranger ? D’après le baromètre Macif sur « Les jeunes et l’entreprise » (décembre 2023), 34 % des jeunes de 18 à 24 ans rêveraient de rejoindre une « entreprise française », choix suivi par « une entreprise locale » (28%) ou encore une entreprise de l’économie sociale et solidaire (19%), plutôt qu’une grande entreprise du CAC 40 ou une entreprise étrangère, perçues comme « entreprise idéale » par seulement respectivement 12% et 10 % de ces jeunes[3]. Il est vrai cependant que l’ouverture au monde est un point fort de la jeunesse et rétrécit avec l’âge. Ainsi, 62 % des 18 à 24 ans et 57 % des 25 à 34 ans pensent que la mondialisation exerce un effet globalement positif pour la France, alors que ce pourcentage de soutien est largement inférieur à la moitié et s’amenuise avec l’âge pour toutes les catégories plus âgées.
Les jeunes refuseraient les CDI ? C’est en fait une exception statistique. Selon l’Observatoire des inégalités, 94 % des 25-49 ans en CDD ou en intérim déclarent qu’ils préfèreraient un CDI. Si ce chiffre est inférieur chez les 15-24 ans (82%), qui ont aussi moins de charges et d’obligations familiales, il reste néanmoins très élevé[4]. Selon l’enquête de l’INJEP sur « Le rapport des jeunes au travail » (novembre 2023), 60% des jeunes affirment qu’ils choisiraient un CDI plutôt qu’un CDD, même si le poste en CDI semble un peu moins intéressant[5]. Chez les jeunes occupant un emploi, ce chiffre s’élève à 65 %, chez les jeunes salariés en CDI, il est de 72 %, et chez les jeunes couples avec enfants, il atteint 67 %. Il faut rappeler aussi, comme l’a fait la Dares, que 28 % des jeunes en emploi de 20 à 22 ans et 11 % de ceux de 29-31 ans sont en contrat temporaire sans l’avoir choisi[6].
Autre signe qui ne trompe pas : les enquêtes montrent que l’accès à la propriété immobilière reste un idéal très fortement ancré chez les jeunes en termes de logement, au même titre et dans les mêmes proportions que chez leurs aînés.
L’aventure (l’aventurisme ?) n’est pas pour demain !
Mais à l’inverse, les données de la Dares (enquêtes Conditions de travail) montrent clairement que les jeunes sont ceux qui voient les changements dans l’entreprise d’un œil plus favorable : un vrai atout pour les entreprises confrontées à la fameuse « résistance au changement »…
Idée reçue No 3 : les jeunes, c’est la communication facile, l’interaction, la maîtrise du numérique et des technologies
La maîtrise des outils numériques ne remplace pas l’appétence à la communication. Un adolescent français sur quatre rencontre des difficultés dans la communication avec ses parents. C’est la proportion la plus élevée des pays de l’OCDE[7]. C’est la base d’une vie en société réussie.
Les jeunes sont beaucoup plus séduits et intéressés que leurs aînés par toutes les technologies du futur, qui leurs sont proposées par l’enquête « Société idéale » (avril 2023), comme le développement des voitures autonomes, la colonisation d’autres planètes, la possibilité pour l’homme de vivre jusqu’à 150 ans, la fin du travail, des robots ou l’intelligence artificielle s’occupant de la plupart des tâches, le développement de réalités virtuelles dans lesquelles on pourrait passer beaucoup de temps. Mais attention, ils restent cependant très circonspects puisque comme leurs aînés, ils sont plus effrayés ou inquiets que séduits ou intéressés. Les jeunes conservent un regard critique et souvent inquiet sur les technologies nouvelles et sont soucieux de leur impact économique, social et environnemental.
Enfin, le fait que les jeunes soient à l’aise avec les outils du numérique ne signifie pas qu’ils en maîtrisent les codes professionnels. La dextérité devant les jeux vidéo ou les échanges sur TikToK ne sont pas une garantie de la capacité, par exemple, à construire son réseau sur Linkedin ou à écrire un CV attractif. C’est ce qu’on appelle l’illectronisme, c’est-à-dire l’illettrisme dans le domaine du numérique (voir : « Illectronisme : nouvelle fracture française », Entreprise & Carrières N°1530) Ce n’est pas un « problème de vieux » qui s’éteindra avec eux : fin 2018, un sondage BVA montrait que 12 % des jeunes se disent mal à l’aise avec les outils numériques.
Idée reçue No 4 : les jeunes, c’est la défense de l’environnement
La jeunesse manifeste un rapport particulier avec la cause environnementale. Cette génération, que j’appelle les « sustainable natives » (voir : « Qui a peur des sustainable natives ? »), par analogie avec les « digital natives », est née avec le dépassement des limites planétaires, les rapports successifs du GIEC… et le relatif attentisme de leurs aînés, qui sont aux commandes des Etats et des entreprises mais ne prennent pas les décisions à la mesure de l’enjeu climatique. D’où l’émergence de l’éco-anxiété, un nouveau concept, qui fait couler beaucoup d’encre. A la demande de Sciences Po, j’en ai donné une petite définition (voir ici).
Une enquête de l’Université de Bath, réalisée sur 10.000 jeunes de 16 à 25 ans dans 10 pays en 2021 révèle que la majorité de ces jeunes se sentent tristes, anxieux et impuissants face à l’avenir[8]. Ainsi, 60% des 16-25 ans sont très inquiets voire extrêmement inquiets vis-à-vis du climat. Ils sont également 45% à affirmer que cela affecte de manière négative leur vie quotidienne (dormir, manger, étudier, se divertir, etc.). Cependant, là encore, si les jeunes apparaissent comme les plus touchés par l’éco-anxiété, il faut souligner qu’ils ne sont pas la seule tranche d’âge à s’inquiéter de l’urgence climatique et qu’une attention véritable doit être portée aux effets du changement climatique sur la santé mentale des salariés. Aujourd’hui, les réponses apportées par les Etats et les entreprises à cet enjeu ne sont pas à la hauteur, ce qui nourrit cette anxiété (voir : « Les jeunes portent-ils un idéal de société à construire ? »)
Les enquêtes montrent que les jeunes placent l’enjeu environnemental très haut dans leurs préoccupations… et cela interpelle fortement les entreprises et leurs dirigeants. Mais une équipe de chercheurs a mené des travaux pour l’Ademe, qui révèlent que si les jeunes sont réellement inquiets, leurs comportements au quotidien ne sont pas bien différents de ceux des générations plus âgées[9].
Ainsi, par exemple, les 15-24 ans font moins d’efforts pour trier leurs déchets, réduire leurs emballages, acheter des légumes de saison, éteindre leurs appareils électroniques au lieu de les laisser en veille. En revanche, ils se distinguent favorablement dans le domaine du transport (utilisation de la bicyclette, du covoiturage, des transports en communs…) et dans les alternatives à l’achat neuf (achat d’occasion, emprunt…). Ceci montre aussi que les jeunes ont moins de moyens (finance, pouvoir…) que les plus âgés pour adopter des comportements favorables à l’environnement.
Dans une étude plus récente (2023) réalisée par RTE, les moins de 25 ans interrogés sont plus d’un tiers à avoir déjà réduit leurs déplacements en voiture individuelle et à envisager de les réduire encore davantage (contre ¼ chez les plus âgés) mais ils sont plus enclins que les plus de 50 ans à déclarer qu’un SUV est « désirable » (12 à 15 % contre 6 à 10%)[10]. Selon une étude Ipsos/Vinci Autoroutes de juillet 2023, 27% des Français avouent jeter des déchets (dont des mégots de cigarette) par la fenêtre de leur voiture lorsqu’ils sont sur l’autoroute. Chez les moins de 35 ans, c’est même 42%.
Publiée en 2023, une étude menée par OpinionWay et l’ADEME sur les 15 à 25 ans dans le cadre de l’enquête « Dialogue intergénérationnel sur l’environnement », révèle que ces derniers sont plus sensibles aux sujets environnementaux que leurs aînés, « mais si les trois quart d’entre eux se considèrent plus engagés pour l’écologie que leurs grands-parents et leurs parents, leurs comportements ne sont pas en cohérence avec leur conscience du problème car ils se sentent perdus sur les actions à mener, » résume Florence Clément, responsable du pôle mobilisation grand public et jeune à l’ADEME[11].
D’après l’étude d’OpinionWay pour l’ADEME, publiée par le Journal du Dimanche du 11 juin 2023, et réalisée auprès de 1.001 jeunes de 15 à 25 ans, cette génération est très consciente les enjeux environnementaux mais est beaucoup moins unanime quand il s’agit de passer aux actes. Seuls 9 % se disent prêts à rejoindre une association de défense de l’environnement, 14 % à participer à une manifestation pour le climat et 8 % à une action de désobéissance civile. Mais ils sont 25 % à envisager de boycotter une entreprise ayant des pratiques peu vertueuses d’un point de vue environnemental.
Il faut aussi relativiser les discours très favorables à l’environnement tenus par des jeunes diplômés (lors des cérémonies de remise des diplôme). Pour l’essentiel, les jeunes s’orientent vers les mêmes carrières que leurs aînés, notamment le conseil ou les services financiers, comme le montrent les enquêtes d’insertion de la Conférence des grandes écoles (voir : « Les jeunes diplômés et l’entreprise : lost in transition »).
Cependant, l’enjeu environnemental monte dans les critères de choix de leur emploi comme l’a montré une étude d’Harris Interactive publiée en juillet 2023 réalisée auprès de 2.000 jeunes de 18 à 30 ans [12]. Si, dans leurs critères de recherche d’emploi, celui d’un emploi qui respecte l’environnement n’arrive qu’en 8ème position, derrière les salaires et l’ambiance (92 %) et quelques autres, il est cependant revendiqué par eux à 82 %. Bien plus, 70 % d’entre eux affirment pouvoir renoncer à un recrutement dans une entreprise qui ne prendrait pas en compte les enjeux environnementaux (+5 points par rapport à 2022) ou, pour 57 %, la quitter pour le même motif.
La progression importante prise par les attentes écologiques des jeunes se matérialise : pour eux le sujet est devenu vital, comme en conclut le directeur des études politiques de Harris Interactive, et tourne parfois à l’angoisse climatique. Les attentes de cette génération envers les employeurs et leurs objectifs deviennent extrêmement fortes si bien que, pour leurs recrutements encore souvent tendus, ces derniers ont maintenant la nécessité de démontrer une politique réelle de RSE qui prenne vraiment en charge les aspects sociaux et environnementaux dans leurs pratiques. Les discours ne suffisent plus !
Contrairement à une idée très répandue, les jeunes ne sont pas mieux informés sur les enjeux environnementaux. Une étude d’Ipsos, publiée en novembre 2021, indique que 47 % des jeunes entre 18 et 35 ans pensent que la réalité du réchauffement climatique n’a pas été démontrée scientifiquement ![13].
Idée reçue No 5 : les jeunes, c’est l’individualisme et le refus de l’engagement
Les jeunes seraient apathiques sur le plan civique, matérialistes, individualistes, nombrilistes et repliés sur leur sphère personnelle ? En entreprise, ils se comporteraient comme des mercenaires, uniquement guidés par leurs intérêts matériels de court terme ? Ce jugement est trop abrupt. Relisons ce qu’écrivait Claude-Emmanuel Triomphe dans Metis du 10 décembre 2018 : « Contrairement aux opinions qui ne voient en eux que des individualistes forcenés, les jeunes Français de 18-35 ans voient leur participation active à des activités sociales, sportives ou culturelles croître à raison de 10 % depuis 2010, faisant de cette génération l’une des plus engagées de l’histoire du pays ! Ce phénomène rend paradoxalement l’engagement moins exceptionnel, plus banal : il devient une pièce admise, voire requise d’un parcours de vie contemporain »[14].
Les motifs d’engagement ne sont pas fondamentalement différents d’une génération à l’autre et beaucoup d’entre eux, comme la lutte contre le réchauffement climatique, rassemblent les jeunes et leurs aînés : 87 % des seniors se disent préoccupés et très préoccupés par les problèmes environnementaux et leurs conséquences, comme 82 % des jeunes. « Il y a des concepts comme le travail, la famille, la liberté, l’autonomie, cités aussi bien chez les jeunes que chez les plus âgés comme valeurs préférées, » abonde Frédéric Dabi, qui se dit « frappé » par cette homogénéisation des valeurs entre générations depuis la crise du Covid[15].
En revanche, les jeunes s’intéressent davantage à la RSE (responsabilité sociétale et environnementale) que leurs aînés dans les entreprises – ce qui ne signifie pas qu’ils soient irréprochables dans leurs comportements. D’après l’édition 2022 du « baromètre national de perception de la RSE en entreprise » du Medef, « l’âge est un facteur différenciant dans les résultats [de compréhension de la RSE] puisque la connaissance de la fonction ou du service RSE diminue avec l’âge ». Les 16-24 ans sont aussi ceux qui incluent le plus de thématiques dans leur définition du développement durable et c’est la tranche d’âge la plus à l’aise avec cette notion (3,2 % seulement de « ne sais pas » contre 10 % en moyenne).
Le troisième Baromètre sur la relation des Français à l’entreprise » de l’Institut de l’entreprise (mars 2023) montre que la connaissance de la RSE reste encore globalement très fragile : 20% seulement des Français savent précisément ce dont il s’agit, 41% en ont entendu parler mais ne savent pas précisément ce que c’est, 38% n’en ont jamais entendu parler[16]. Cependant, les 15-24 ans (27%) et les CSP+ (25%) sont ceux qui savent précisément ce dont il s’agit. De même, la notion de Raison d’être n’est pas connue par une majorité de Français : 12% en ont entendu parler et savent précisément ce dont il s’agit, 27% en ont entendu parler mais ne savent pas exactement ce que c’est, 59% n’en ont jamais entendu parler. Les 15-24 ans (18%) et les 25-34 ans (17%) sont sensiblement plus nombreux à savoir ce dont il s’agit (voir « Loi PACTE : le couronnement de la RSE ? »).
Les jeunes sont sensibilisés aux enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux. Ainsi, une étude de Manpower publiée en juin 2017, centrée sur les opinions des 18-30 ans, illustre la consécration de la RSE et du développement durable au sein de cette classe d’âge[17]. Elle pointe « l’irruption d’une génération porteuse de nouvelles attentes au travail, [notamment] la priorité accordée à de nouveaux objectifs stratégiques : RSE et croissance inclusive, parité, diversité, conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, etc. ». Sur un plan qualitatif, l’entreprise idéale, dans laquelle les 18-30 ans aimeraient le plus travailler est fortement teintée de RSE. Elle se définit par les valeurs, la proximité, l’engagement et l’utilité : une entreprise avec des valeurs internes fortes entre salariés et entre la direction et les salariés (49 %), à taille humaine, où chacun se connaît (42 %), engagée pour la société, pour la solidarité, pour l’environnement (33 %) et produisant des biens et services utiles à l’ensemble de la société (33 %). Ces attributs l’emportent nettement sur des aspects plus traditionnels comme « la multinationale, implantée partout dans le monde » (12 %) ou à l’inverse, celle « fonctionnant sur un modèle économique non lucratif comme l’économie sociale ou solidaire » (12 %). Ils l’emportent également sur les effets de mode du moment comme l’entreprise « portée vers les nouvelles technologies, comme une start-up », qui ne réunit que 14 % des suffrages.
Un sondage OpinionWay pour Le Parisien et McDonald’s de juillet 2023, fait le point sur ce qu’attendent les jeunes de 18-30 ans (1.000 jeunes répondants) du marché de l’emploi. Ils attendent des entreprises qu’elles soient impliquées et engagées. La jeune génération se démarque des autres, notamment pour son fort engagement sur les questions sociétales et environnementales. Elle souhaite être alignée avec ses propres valeurs, même au travail. Il est donc naturel qu’elle attende des entreprises plus d’implication concrète. Voici leur Top 10.
Les 18-30 ans sont particulièrement attentifs aux actions mises en place en termes d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes (85 %), d’équilibre vie professionnelle – vie personnelle (85 %), d’inclusion des personnes en situation de handicap (81 %) et de préservation de l’environnement (80 %).
Sur le plan politique en revanche, la désaffection est forte. Elle se reflète dans les chiffres de l’abstention : au premier tour des élections législatives de juin 2022, une élection importante puisqu’elle fixe le poids des partis pour les 5 ans à venir, les jeunes se sont abstenus à 75 % pour les 18 à 24 ans et à 65 % pour les 25 à 34 ans[18]. Selon les résultats d’une enquête Ipsos réalisée après l’élection présidentielle, 41 % des 18-24 ans se sont abstenus de voter en avril 2022, contre 26 % des 50-59 ans, et 20 % des 60-69 ans.
L’engagement syndical est lui aussi à la peine chez les jeunes. Le taux de syndicalisation, qui d’après la DARES (données 2021) est de 10% pour l’ensemble des classes d’âge, diminue avec l’âge : 3% pour les moins de 30 ans, 8% pour les 30-39 ans, 13% pour les 40-49 ans et 15% pour les plus de 50 ans. Pourtant, une enquête réalisée fin 2019 par les étudiants de mastère en alternance de l’IGS-RH trace des perspectives plus positives[19]. Les jeunes, dans leur majorité, estiment légitime que le pouvoir patronal soit équilibré, en faveur du personnel, par une possibilité collective de s’exprimer. La difficulté tient au fait qu’ils sont très mal informés du rôle des représentants du personnel. A leur arrivée dans l’entreprise, seule une minorité d’entre eux a bénéficié d’explications à l’occasion de la procédure d’intégration. Et donc, ils ont, du syndicalisme et de son action, une vision qui ne correspond pas nécessairement à la réalité.
Mais si la jeunesse semble désabusée à l’égard de la politique voire du syndicalisme, elle n’a pas pour autant renoncé à défendre ses idéaux. Selon Frédéric Dabi, directeur général opinion de l’Ifop, les 18-24 ans sont même « personnellement très engagés » sur certains sujets, comme la discrimination, la laïcité ou les inégalités – questions sur lesquelles il existe selon lui de « vrais clivages » entre jeunes et moins jeunes. Le baromètre Macif sur « Les jeunes et l’entreprise » (décembre 2023), perçoit une plus grande volonté d’engagement de la part des jeunes de 18 à 24 ans : ils étaient 45 % l’année précédente à envisager au moins un engagement dans les années à venir (membre ou création d’une association, participation à un mouvement, membre d’un syndicat ou d’un parti politique) contre 56 % fin 2023 (+ 11 points).
Chez les jeunes, l’engagement citoyen change de forme : on soutient des causes plus que des organisations, avec des objectifs précis et liés aux problématiques de sa vie. Le Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) a mené, en 2018, une enquête nationale sur l’école et la citoyenneté. Pour la première fois depuis près de 15 ans, une évaluation de grande ampleur a interrogé les attitudes et croyances civiques des jeunes, leur rapport aux institutions, aux valeurs de la République et à la démocratie. Elle a permis l’analyse des réponses de 6.600 élèves de terminale, et de 16.000 collégiens et lycéens. Quelque 12 % des élèves de dernière année de lycée [terminale] déclarent s’être déjà investis dans la politique. Mais surtout, près de quatre fois plus (44 %) disent s’impliquer dans des organisations humanitaires ou environnementales.
Cette étude montre que le taux d’engagement des jeunes de moins de 35 ans en France dans le bénévolat est parmi les plus élevés en Europe, et qu’il a fortement progressé depuis 2010. Les jeunes « semblent aussi vouloir s’engager sur des actions revendicatives sur des sujets identifiés, » note le Cnesco, qui cite la signature de pétitions, la manifestation ou le boycott de produits. Il serait intéressant de renouveler cette étude pour vérifier les tendances récentes et un éventuel impact de la crise sanitaire.
On reproche aussi aux jeunes d’être matérialistes sous prétexte que le salaire figure en tête de leurs critères de recherche d’emploi. Mais sur ce point comme sur beaucoup d’autres, on ne constate aucune différence notable entre avant et après la crise sanitaire, ni avec les autres classes d’âge[20]. De son côté, Suzy Canivenc remarque que « l’immense majorité des enquêtes de 2020-2021 converge, à l’échelle nationale comme internationale, sur le fait que la rémunération se classe en première ou en deuxième position des critères de choix d’un emploi »[21]. Deux éléments amènent d’ailleurs à relativiser la place du salaire dans les choix d’orientation professionnelle des jeunes :
Premièrement, les enquêtes montrent que l’appétence pour le salaire (par rapport aux autres critères de choix comme l’intérêt du poste, l’ambiance de travail, etc.) est d’autant plus forte que les revenus sont bas. Ainsi, les jeunes ouvriers sont plus nombreux (66%) que les jeunes cadres (53%) à considérer le travail comme un moyen de gagner sa vie[22]. Or les jeunes font partie des plus bas revenus.
Deuxièmement l’importance du salaire pour les jeunes a tendance à s’éroder, notamment dans les périodes économiques favorables à l’emploi mais aussi pour les segments des jeunes qui ont réussi à obtenir un niveau correct de confort matériel.
Le rapport de l’INJEP montre que la hiérarchie des critères de choix d’un emploi varie peu entre les jeunes et les moins jeunes. Les jeunes placent en premier le niveau de rémunération (68%) comme les plus de 30 ans (74%). A nouveau, les jeunes semblent donc moins « matérialistes » que les plus âgés. Derrière la rémunération, on trouve la fameuse conciliation (possibilité de conjuguer sa vie de famille et sa vie professionnelle) à part égale : 52% pour les plus jeunes contre 53% pour les autres. Aujourd’hui hommes et femmes déclarent dans des proportions identiques et très élevées connaître de fortes difficultés de conciliation et la dernière enquête de l’INSEE indique que c’est le cas de 59% des hommes et de 63% des femmes.
Dans une interview à Libération du 12 janvier 2023, la sociologue Dominique Méda explique : « L’aspiration à mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle est une tendance de fond qui progresse depuis trente d’ans. (…) On continue d’entendre des vieux messieurs dire que les jeunes sont devenus paresseux. Ils oublient que l’investissement à corps perdu des hommes dans le travail n’a été historiquement possible que par la présence des femmes au foyer, qui assuraient les tâches domestiques dans une division du travail profondément inégalitaire. (…) Les jeunes ont les mêmes attentes que les générations précédentes, mais elles sont encore plus intenses en matière d’accomplissement de soi. Et c’est tant mieux ! Cela s’explique par la hausse générale du niveau d’éducation ».
Dans les critères de choix, vient ensuite l’intérêt et le contenu du travail. Les plus jeunes sont plus intéressés par les possibilités d’évolution de carrière, ce qui n’a rien de surprenant puisqu’ils se situent au début de leur parcours professionnel. Ils sont deux fois plus que leurs aînés attirés par la possibilité d’agir au travers de leur travail sur des sujets qui leurs tiennent à cœur. En cohérence avec la définition du développement durable, on observe que le fait d’avoir des enfants a un impact positif sur la volonté de pouvoir agir à travers son travail. En effet, ce critère a été choisi par 34 % des 15-30 ans ayant au moins un enfant et par seulement 24 % des jeunes sans enfant (28 % en moyenne). Les plus matérialistes ne sont pas ceux qu’on pense !
Qu’en est-il de l’individualisme au travail ? Interrogés par l’enquête de l’INJEP sur « Le rapport des jeunes au travail » (novembre 2023), les jeunes indiquent majoritairement préférer travailler en équipe plutôt que seuls : c’est le cas de 59 % des 15-30 ans, contre 54% des 31 à 60 ans. Les données de la Dares issues des enquêtes Conditions de travail montrent que l’entraide est une réalité du quotidien et que plus on est jeune, plus on en bénéficie, que ce soit de la part de son supérieur hiérarchique ou – surtout – de ses collègues.
Les jeunes seraient désengagés du travail et de l’entreprise ? Au-delà de quelques cas anecdotiques, ce n’est pas ce que montrent les enquêtes. Une étude OpinionWay publiée à l’occasion des deuxièmes Assises Sens & Travail (octobre 2023) met en œuvre un indice synthétique, le score INGAGE[23]. Cet indice agrège 10 critères en deux dimensions, pour mesurer les ressentis et ressorts émotionnels, l’état d’esprit des salariés et leur traduction dans des comportements actifs quotidiens.
Voici la synthèse des résultats :
- Moyenne Etat d’esprit : 30% pour les 18-29 ans vs 22% pour le benchmark national (représentatif des actifs en France de tous âges) ;
- Moyenne Comportements : 30% pour les 18-29 ans vs 26% pour le benchmark national ;
- Score d’engagement agrégé : 30% pour les 18-29 ans vs 24% pour le benchmark national.
Par les valeurs qui les animent et les engagements qu’ils soutiennent, les jeunes n’ont pas à rougir de leurs aînés (voir : « Ce que veulent nos jeunes », Entreprise & Carrières N°1543).
Idée reçue No 6 : Les jeunes sont des insatisfaits, des enfants gâtés, des privilégiés
Selon une enquête d’avril 2023, les plus de 30 ans considèrent que leurs cadets manquent de respect envers les entreprises (54 %) mais aussi envers leurs collègues (44 %) et sont trop exigeants (67 %)[24]. D’autres prétendent que les jeunes au travail sont obsédés par l’argent facile, avides d’indépendance, et infidèles. Ce regard est bien sévère…
Contrairement à un message souvent entendu, les jeunes ne sont pas d’éternels insatisfaits au travail. Ainsi, 65% des jeunes actifs âgés de 15 à 30 ans déclarent être utilisés dans leur emploi à leur juste niveau de compétence, un taux qui est proche de celui des actifs plus âgés (68 % des 31 ans et plus). À l’inverse, 26 % des jeunes actifs s’estiment sous-employés – c’est-à-dire utilisés en dessous de leur niveau de compétence – et 9 % indiquent accomplir des tâches pour lesquelles ils n’ont pas les compétences ou l’expérience suffisante. Celles et ceux qui travaillent dans le secteur privé déclarent plus souvent être utilisés à leur juste niveau de compétence (69 % contre 60 % des jeunes exerçant dans le secteur public)[25].
De même, les jeunes actifs se montrent plus satisfaits de leur rémunération que leurs aînés. Près de deux tiers (63 %) des actifs âgés de 15 à 30 ans s’estiment « très bien payés » ou « plutôt bien payés » par rapport à leur investissement et à leur niveau de compétence, contre moins de la moitié (47 %) des actifs plus âgés[26].
Considérer les jeunes comme des privilégiés, c’est ignorer les difficultés d’insertion sur le marché du travail.
Être jeune aujourd’hui, c’est être en suspension, une situation caractérisée par son inconfort.
Tout d’abord, les jeunes sont suspendus à l’espoir de trouver leur place, de réussir à s’insérer dans cette période qui s’allonge, entre la fin des études (ou leur prolongement) et l’entrée dans la vie active. Comme l’écrit Bernard Gazier, le grand spécialiste des marchés transitionnels du travail, « l’insertion des jeunes est un processus qui s’étire de plus en plus dans le temps à mesure qu’ils prolongent leurs études et passent par des périodes intermédiaires de stages rémunérés ou non et d’expériences diverses de « petits boulots » entre lesquelles ils peuvent être au chômage ou en inactivité »[27].
Insertion difficile, comme le montre Camille Peugny, sociologue, spécialiste de la mobilité sociale, du déclassement et des inégalités entre générations : la précarisation qui a toujours marqué l’accès des jeunes au marché du travail a tendance à s’accélérer avec la crise sanitaire et économique[28].
Les difficultés d’insertion professionnelle se révèlent notamment par la part des emplois précaires parmi les jeunes actifs, qui a presque triplé entre le début des années 1980 et 2020, passant de moins de 20 % à plus de 50 %[29]. L’âge du premier CDI continue à reculer et se trouve désormais proche de 29 ans, contre 20 ans en 1975. « Ce triplement de la part de l’emploi précaire parmi les jeunes actifs est d’autant plus inquiétant que les autres classes d’âge ont été relativement épargnées par ce mouvement de précarisation. C’est bien au détriment des jeunes que le marché du travail se précarise, » note C Peugny. Rappelons également que le taux de pauvreté des jeunes est plus élevé que celui de toutes les autres classes d’âge. Plus particulièrement, la pauvreté étudiante est un phénomène qui s’accentue, un quart des étudiants se situent sous le seuil de pauvreté et un sur deux déclare ne faire qu’un repas par jour[30].
De fait, les parcours d’insertion professionnelle des jeunes ressemblent souvent, particulièrement en France, à une course chaotique d’obstacles composée de rites initiatiques parfois très rudes. Lors des Assises du Travail, Nicolas Gougain ancien membre du CESE et auteur d’un rapport (avec Dominique Castéra) sur « Les jeunes et l’avenir du travail » (mars 2019) a mis en avant le thème du bizutage social.
« Les entreprises françaises se méfient des jeunes » : c’est le titre d’un excellent article de Caroline Beyer publié dans Le Figaro (20 juillet 2019), s’appuyant sur les travaux de Jean Pralong, Professeur de GRH et titulaire de la chaire Compétences, Employabilté & Décision RH à l’Ecole de Management de Normandie. Ces travaux font le constat d’une jeunesse davantage discriminée en France que dans d’autres pays d’Europe. « Un héritage de Mai 68 », estime Jean Pralong, auteur de l’étude « Le péril jeune », qui a permis de suivre les trajectoires d’insertion de 682 diplômés bac + 5 en gestion, à partir de février 2017, en France, Royaume-Uni, Suisse, Portugal, Pays-Bas et Allemagne. Alors que les compétences acquises avec cette formation (master de gestion) sont comparables en France et dans les cinq autres pays étudiés, la peur de ce « péril jeune « touche de plein fouet les Français, malgré ces profils « hyperemployables ».
Les entreprises françaises, « plus que leurs homologues, rechignent à les recruter et mettent en œuvre toutes les stratégies possibles pour les tester et reculer le moment de l’embauche. Forte attente sur la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, individualistes, moins respectueux de la hiérarchie, plus créatifs, plus multitâches… Si les stéréotypes à l’égard des jeunes sont les mêmes dans tous les pays, c’est en France qu’ils jouent le plus ».
Les recruteurs français seraient-ils tout simplement méfiants vis-à-vis des jeunes ? Dans la majorité des cas, les jeunes Français décrochent un CDI après une période de chômage de sept mois. Deuxième cas de figure le plus fréquent : passer par la case chômage pendant quatre mois, puis enchaîner par un CDD avant de décrocher, enfin, un job fixe. Les employeurs français démontrent ici leur appétence pour les contrats courts. Bernard Gazier montre qu’en 2019, selon les statistiques d’Eurostat, la France est avec la Croatie l’un des deux pays ayant le plus fort taux de contrats courts (de durée inférieure à trois mois) en Europe parmi les emplois salariés[31].
Un long chemin parsemé d’embûches. Ce qui n’est pas le cas dans les cinq autres pays étudiés, où les diplômés accèdent généralement directement à l’emploi après un stage ou une formation en alternance. « On pourrait penser qu’un jeune passé par l’alternance est le candidat parfait. Mais les entreprises françaises utilisent davantage ce système comme une alternative aux CDD et CDI que comme une préembauche, » indique Jean Pralong.
Cette suspension est aussi la conséquence de la crainte de rester durablement exclu du marché de l’emploi. Comme le montre Camille Peugny, le taux de chômage des jeunes est toujours deux à trois fois plus élevé que celui observé parmi le reste de la population active. L’accès des jeunes à l’emploi s’est amélioré ces dernières années mais cette inflexion demande encore à être confirmée (voir : « Formation professionnelle des jeunes : les 7 travaux d’Hercule »).
Cette suspension se concrétise aussi par le plafond de verre, le sentiment d’être « collé », assigné à résidence : il faut en France 6 générations pour qu’un individu de milieu modeste parvienne à une situation à revenu moyen alors que dans les pays scandinaves, 2 ou 3 générations suffisent, la moyenne des pays de l’OCDE étant à 4.
Selon l’Observatoire des inégalités, les inégalités de niveau de vie (revenus après impôts et prestations sociales) se sont creusées depuis 2002 entre les plus jeunes (18-29 ans), dont les revenus stagnent, et les plus âgés (65-74 ans) pour qui ils ont augmenté[32]. Cette situation rend particulièrement délicat pour les jeunes l’accès au logement dont les prix ont explosé depuis la crise sanitaire, et dont l’accès au crédit est aujourd’hui très contraint.
L’état de suspension est aussi spatial, rendant plus difficile l’ancrage dans un « chez-soi ». Dans une interview à La Tribune Dimanche (28 janvier 2024), Véronique Bédague, PDG de Nexity explique : « Le manque de réaction face à cette crise du logement, l’absence de prise en compte par les pouvoirs publics traduisent avant tout un manque d’attention à la place des jeunes dans notre société ». Elle ajoute : « Combien d’étudiants doivent actuellement renoncer à leur cursus, faute de savoir où habiter pendant leurs études ? Combien sont contraints de rester de plus en plus longtemps chez leurs parents ? ».
Malgré cela, les jeunes ne sont pas tétanisés par le pessimisme. Le sentiment de déclassement, souvent invoqué, n’est pas majoritaire. D’après l’enquête de l’INJEP sur « Le rapport des jeunes au travail » (novembre 2023), 14 % des jeunes âgés de 15 à 30 ans pensent qu’ils auront (ou ont) une moins bonne réussite professionnelle que leurs parents, contre 22 % chez les plus âgés. Les jeunes s’estiment donc un peu plus préservés du déclassement que leurs aînés. Il faut cependant être attentif aux écarts : les jeunes chômeurs sont proportionnellement plus nombreux à penser qu’ils subiront un déclassement (31 % contre 11 % des jeunes actifs ayant un emploi et 12 % des élèves, étudiants ou autres inactifs). De même, les ouvriers, les employés et les professions intermédiaires indiquent plus souvent qu’ils réussiront moins bien que leurs parents (respectivement 18 %, 16 % et 13 % pour les 15-30 ans) comparativement aux cadres (8%).
Le légendaire pessimisme des Français a tendance à s’estomper ces dernières années et il est moins prononcé chez les jeunes. Une étude de l’INJEP et du Crédoc publiée en septembre 2023 montre que 67% des 18 à 30 ans sont confiant pour les années à venir, un chiffre en hausse de 7 points par rapport à 2021. « Les stigmates de la pandémie commencent à s’estomper », estiment les auteurs[33]. L’étude « People at Work 2023, Workforce View », de l’ADP Research Institute (août 2023) note : « Un constat tout de même étonnant : 75 % des Français interrogés ont déclaré se sentir optimistes pour l’avenir. C’est un peu inférieur chez les plus de 45 ans (67 %), comme on pouvait s’y attendre, mais supérieur chez les 18-34 ans (80 %), ce qui est franchement encourageant et n’allait pas de soi ! ».
Idée reçue No 7 : les jeunes, c’est la défiance vis-à-vis de l’entreprise
Bien au contraire… D’après l’édition 2022 du « baromètre national de perception de la RSE en entreprise » du Medef, les jeunes ont une vision plus positive de l’impact des entreprises sur la société : 68 % des 16-24 ans et 66 % des 25-34 considèrent que les entreprises ont un impact positif sur la société, contre 59 % seulement pour l’ensemble des salariés[34].
On parvient au même constat si on s’intéresse à l’image des grandes entreprises (très contestée dans notre pays par rapport à la plupart de nos voisins). D’après le troisième Baromètre sur la relation des Français à l’entreprise de l’Institut de l’entreprise (mars 2023), seuls 37% des Français ont une bonne image de la grande entreprise mais cette proportion monte à 46% parmi les 15-24 ans[35].
Les Français comptent sur l’entreprise, et de plus en plus sur les grandes entreprises, pour améliorer les choses dans la société. Aux yeux des Français, l’entreprise est le troisième acteur qui a le plus le pouvoir d’améliorer le monde dans lequel on vit (58%). Les moins de 25 ans (70%), plus encore que les cadres (63%), en sont les plus convaincus.
Les jeunes font aussi plus confiance aux entreprises pour mener des politiques RSE sincères. Parmi les Français qui ont entendu parler de la RSE, 51% estiment que les démarches RSE des entreprises ne sont pas sincères, contre 48% qui pensent qu’elles le sont. Les 15-24 ans (62%) et les 25-34 ans (58%) sont davantage convaincus de la sincérité des démarches RSE des entreprises. Les efforts d’information sont encore plus importants en ce qui concerne la raison d’être : parmi les Français qui en ont entendu parler, 63% estiment que les entreprises qui expriment leur raison d’être le font par opportunisme, et 36% pensent que cette démarche est sincère. Là aussi, les 15-24 ans (42%) et les 25-34 ans (46%) sont davantage convaincus que les entreprises qui se dotent d’une raison d’être le font par sincérité, dans une volonté d’être plus utiles à la société[36].
Quant aux cadres, l’Apec s’intéresse dans l’une de ses récentes études à la nature du lien à son entreprise, en demandant aux cadres de se positionner sur une échelle de 0 (rapport purement contractuel) à 10 (rapport très affectif) : 63% des cadres en poste de moins de 35 ans donnent une note très élevée (entre 7 et 10), ce qui en fait la classe d’âge qui témoigne le plus d’affection (58% pour les 35-44 ans et pour les 55 ans et plus ; 56% pour les 45-54 ans).
Idée reçue No 8 : les jeunes, c’est le manque de rigueur et la vacuité des réseaux sociaux
Pas si vite ! Le « baromètre de l’esprit critique » (mars 2023), montre que les jeunes (soit les 18 – 24 ans) sont plus souvent en contact avec la science que leurs aînés[37]. Ils sont par exemple 74 % à s’informer régulièrement sur des sujets scientifiques, contre 55 %. Pour ce faire, ils privilégient notamment leur entourage et les réseaux sociaux (54 % contre 31 % des Français). De ce fait, leur rapport à la crise climatique traduit une perméabilité au climato-scepticisme. Ainsi 37 % des jeunes doutent de la crise climatique, contre 22 %. On constate ainsi que la proximité avec la science n’exclut pas la vulnérabilité aux « fake news » (voir : « Le développement durable en pleine infox »). Mais à rebours de l’idée d’un conflit entre les générations, les jeunes font davantage confiance que l’ensemble des Français aux acteurs qui s’expriment sur la crise climatique, et en particulier aux spécialistes du sujet (48 % contre 42 %).
L’Ifop a publié en janvier 2023 une étude sur le rapport des jeunes Français et de la science. Seuls 33% des 18 à 24 ans perçoivent positivement la science (elle « apporte plus de bien que de mal »). C’est 22 points de moins qu’il y a 50 ans (55% en 1972). 58% de ces jeunes pensent que la recherche apporte au mieux autant de bien que de mal (contre 41% en 1972) ou plus de mal que de bien (17%, soit un triplement). Ce à quoi ils croient ? 31% de ces jeunes pensent que « le résultat de l’élection américaine de 2020 a été faussé aux dépens de Donald Trump » et un sur cinq croit que « les pyramides égyptiennes ont été bâties par des extraterrestres ».
- La Terre est plate.
- Les Américains ne sont jamais allés sur la Lune.
- Le massacre de Boutcha est une mise en scène ukrainienne.
- Les produits à base de plantes permettent d’avorter sans risque.
Ces quatre affirmations sont fausses. C’est pourtant ce que pense une part non négligeable des jeunes entre 18 et 24 ans, qui ont été interrogés durant l’automne 2022 par l’institut Ifop : 69 % des jeunes sondés adhèrent à au moins une des 12 contre-vérités qui leurs ont été soumises. 64% des 18-24 ans utilisent Internet (et les réseaux sociaux) comme source principale d’information, trois fois plus qu’en 2009 (24%). Plus la fréquence de consultation des réseaux sociaux (Twitter, TikTok…) est grande, plus l’adhésion aux contre-vérités augmente. « Cette enquête confirme la corrélation déjà observée entre l’adhésion conspirationniste et des usages informationnels privilégiant les réseaux sociaux comme mode d’accès à l’information et à la connaissance », déplore dans la note d’analyse Rudy Reichstadt, Fondateur du site ConspiracyWatch.info, observatoire du conspirationnisme et des théories du complot.
Une enquête d’OpinionWay réalisée en janvier 2024 sur la tranche d’âge des 16 à 24 ans met en évidence les profondes lacunes historiques de cette génération[38]. Seul 54 % des répondants sont capables de donner la date de début de la révolution française, à savoir 1789. Pour l’abolition de la peine de mort, la proportion de bonnes réponses, soit 1981, tombe à 23 %. Pour 41 % de ces jeunes la laïcité est surtout un moyen de discriminer les personnes de religion musulmane. Les réseaux sociaux sont la principale source d’information pour 45 % de ces jeunes, largement devant les chaînes de télévision (hors chaînes d’informations continues), qui ne représentent que 22 %. Les journaux papiers ou en ligne ne représentent que 8 % des sources d’information principales.
Cette enquête a aussi le mérite de montrer les apports irremplaçables de la lecture. À la question « avez-vous déjà entendu le terme Shoah », ils ne sont que 63% à répondre par l’affirmative parmi ceux qui ne lisent aucun livre et 69 % parmi ceux qui passent 8h ou plus par jour sur leur téléphone portable. Mais ces chiffres progressent à 86 % pour ceux qui lisent au moins 3 livres par mois et 83 % pour ceux qui passent moins de 3h quotidiennes sur leur téléphone.
S’il est vrai que les écrans prennent de plus en plus de place dans le temps de loisirs des jeunes, cela ne veut pas dire qu’ils sont perdus pour la lecture, une activité qui demande plus de concentration. D’après le baromètre « Les Français et la lecture » (avril 2023) publié par le Centre national du livre, les jeunes passent plus de temps à la lecture que leurs aînés : 41 minutes par jour en moyenne pour les moins de 25 ans, contre 28 minutes pour les 39 à 45 ans[39].
Oui, les jeunes passent beaucoup de temps collés à leur smartphone. Mais il est excessif d’en déduire qu’ils se contentent des selfies, des chatons, de la bonne figure de leur compte Instagram et du visionnage hypnotique de leurs YouTubeurs préférés. Ainsi, sur les 130.000 abonnés à l’édition numérique du quotidien Le Monde, plus de la moitié sont âgés de moins de 24 ans[40]. Alors que les générations précédentes s’informent par la participation à des rituels, comme le journal télévisé de 20h, les jeunes misent sur la diversité des canaux. Les 18 à 34 ans sont 24% à s’informer via des influenceurs contre 6 % des plus de 35 ans. De même, les 18 à 34 ans sont les plus gros consommateurs de podcasts (22 % contre 16 % des plus de 35 ans) et de pure players comme Slate ou Mediapart (23 % contre 18 %).
Dans son livre « Apocalypse cognitive » (PUF, 2021), le sociologue Gérald Bronner explique que les jeunes américains de 18 ans passent en moyenne 6h40 par jour devant leurs écrans. Nous n’en sommes pas là en France.
Malgré leur forte exposition aux réseaux sociaux, les jeunes Français ne se laissent pas emporter par les « passions tristes » comme le racisme ou l’antisémitisme. Au contraire, ils forment la frange la plus tolérante de la population. Le rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur la lutte contre le racisme publié en juillet 2023 montre que « l’indice longitudinal de tolérance » (calculé sur les réponses à 75 questions posées aux Français avec une note allant de 0 pour le degré maximum d’intolérance à 100 pour le degré maximum de tolérance) s’établit à 64 points[41]. Depuis 2013, il s’est élevé de 13 points marquant « une lente progression de la tolérance » en France. Fait notable : chez les 60-80 ans, l’indice atteint 58 points quand il monte à 77 chez les moins de 35 ans.
Les études de l’OCDE (PISA et autres) montrent un effondrement du niveau mathématique et littéraire des jeunes français comparés aux autres pays développés, ce qui ne peut que finir par avoir des conséquences pour les entreprises, une fois ces cohortes insérées sur le marché du travail. Attention, ne nous trompons pas de cible. Selon l’étude de référence de l’OCDE (« The OECD Skills Outlook 2023 »), le niveau mathématique et littéraire des adultes français se situe « parmi les plus bas » des pays occidentaux. La proportion de « non compétents » dans leur propre langue atteint 22% en France contre 15% en moyenne dans l’OCDE et pour les mathématiques, la France se situe à 28% contre 19%, selon cette vaste enquête OCDE portant sur 24 pays. Elle montre par ailleurs qu’en France, les différences de compétences entre les générations (de 16 à 65 ans) sont « assez marquées » par rapport aux autres pays. Mais les mauvaises compétences de la France sont dues en bonne partie aux résultats des 45-65 ans, tandis que les plus jeunes obtiennent des scores plus proches de la moyenne des pays OCDE, bien que toujours inférieurs.
Idée reçue No 9 : les jeunes, c’est le laisser-aller, le refus du risque, de l’effort et de la responsabilité
Cette croyance a été alimenté par plusieurs rapports très médiatisés de la Fondation Jean Jaurès, qui rabâche le thème « Grosse fatigue et épidémie de flemme », pointant notamment un évitement de l’effort de la part des jeunes[42]. Si les faits ont encore de l’importance, je rappelle par exemple qu’en 2022, 78 % des jeunes de 18 à 24 ans pratiquaient une activité sportive régulière, une augmentation de trois points par rapport à 2018, selon l’institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP)[43]. La France n’a jamais été – quoi qu’en dise le grand ordonnateur des Jeux Olympiques à l’Elysée – une Nation sportive. Une étude internationale sur l’activité physique des jeunes menée par l’OMS en 2019 dans 146 pays plaçait la France en 119ème position[44].
Mais ce préjugé est profondément ancré, à tel point que les plus de 30 ans sont majoritaires (à 56%) à considérer que leurs cadets sont paresseux[45] !
A l’opposé de l’image stéréotypée du jeune nonchalant tirant sur son joint après une soirée vaporeuse de « binge drinking », les adolescents français sont moins attirés que leurs aînés par les substances addictives et consomment de moins en moins de tabac, alcool et cannabis. L’ensemble des niveaux d’usages de ces substances chez les adolescents français est en baisse en 2022 par rapport à 2018, selon la deuxième édition de l’enquête nationale EnCLASS, menée par l’OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives) et à laquelle ont participé plus de 9.500 collégiens et lycéens. En 2022, selon les résultats publiés le 25 janvier 2024, 43 % des collégiens déclarent avoir expérimenté l’alcool : ils étaient 60 % quatre ans plus tôt ; 11 % contre 21 % en 2018 disent avoir expérimenté la cigarette ; et 5,3 % contre 6,7 % en 2018 disent avoir testé le cannabis.
Parmi les lycéens, on observe également une diminution sensible des niveaux de consommation d’alcool durant la même période : l’expérimentation et l’usage dans le mois sont passés respectivement de 85,0 % à 68,3 % et de 62,1 % à 49,3 %. La consommation régulière a été divisée par trois, passant de 16,7 % à 5,3 %.
Ces résultats sont jugés « encourageants », voire « spectaculaires », par les spécialistes, même si des progrès restent à faire. « Les résultats sont globalement encourageants », a déclaré Guillaume Airagnes, directeur de l’OFDT. D’autant plus qu’on n’observe pas de phénomènes de substitution comme les jeux de hasard addictifs : « Je ne crois pas qu’on puisse dire que ça cache d’autres addictions, on le verrait », déclare Nicolas Prisse, président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).
Autre croyance infondée : les jeunes ne sont plus du tout attirés par les métiers de fonctionnaire. En 2012, il y a un plus de dix ans, un sondage Ipsos montrait que 73 % des jeunes de 15 à 30 ans souhaitaient devenir fonctionnaires[46]. La garantie de l’emploi apparaissait comme leur première motivation, suivie par l’intérêt des métiers, puis les conditions de travail, le temps de travail et enfin la rémunération. Depuis, le vent a tourné. Interrogés par l’enquête « Société idéale » (avril 2023) sur le type d’employeur pour lequel ils souhaiteraient travailler, les jeunes délaissent les services publics, qui n’attirent que 21% des moins de 25 ans et 22% des 25-34 ans, contre 26% des 35-49 ans. L’idéal du fonctionnaire n’est pas cultivé par les jeunes, mais au contraire par les plus âgés, qui sont 29% à plébisciter l’idée de travailler dans les services publics dans la tranche 60-69 ans. Le « rond de cuir » a les tempes grisonnantes !
Alors que la thématique de « La Grande démission » faisait flores en France et faisait peser sur les jeunes l’éternel soupçon de l’oisiveté, l’économiste Alexandre Milcourtois faisait remarquer que le taux d’activité de la population des 15-64 ans, à près de 73,5%, se situait à un pic historique[47]. Il n’y a donc pas de désertion du marché du travail. « Cette hausse du taux d’activité globale est d’abord portée par les jeunes de 15 à 24 ans, notamment parce que les étudiants sont de plus en plus nombreux à avoir repris un petit boulot en parallèle à leurs études. Cela écorne aussi, au passage, l’image véhiculée d’une jeune génération en rupture totale avec le marché de l’emploi, qui aurait perdu le goût du travail ».
Contrairement à ce que rapportent les discours médiatiques, les jeunes sont plus nombreux que les plus anciens à souhaiter avoir beaucoup de responsabilités dans leur travail (plutôt que ne pas avoir « trop de responsabilités ») : 58% des moins de 30 ans le souhaitent contre seulement 46% des plus de 30 ans, d’après l’enquête de l’INJEP sur « Le rapport des jeunes au travail » (novembre 2023). Non seulement les jeunes ne rechignent pas à l’effort mais – surprise ! – un tiers des jeunes diplômés avoue avoir peur de s’ennuyer au travail[48] !
De même, on ne peut pas dire que les jeunes sont apathiques vis-à-vis de leur parcours professionnel et manquent d’ambition. Comme on le verra plus loin, l’étude « le Cœur des Français » montre justement que l’un des points sur lesquels les jeunes se distinguent massivement des adultes est l’ambition. Et pour y parvenir, ils ne rejettent pas l’économie de marché et ne se détournent pas de l’argent. L’enquête « Société idéale » (avril 2023) montre d’ailleurs que les jeunes sont moins sujets au tabou de l’argent. Ils sont les seules classes d’âge pour qui « le fait de gagner beaucoup d’argent devrait être davantage valorisé » : 54% des moins de 25 ans et 55% des 25-34 ans le pensent, contre 46% des 35-49 ans et moins encore pour les plus âgés.
De façon générale, on observe que ce choix est plus fréquent parmi ceux qui bénéficient du pouvoir d’achat le plus faible (ex : 52% chez les ouvriers), ce qui est le cas des jeunes. Mais derrière cette différence socio-économique, il y a peut-être une vraie différence générationnelle : selon une étude Yomoni de 2023, 66 % des membres de la génération Z, âgés entre 13 et 26 ans, considèrent comme totalement fausse la maxime « l’argent ne fait pas le bonheur », alors que 68 % des Boomers (génération des baby-boomers : nés entre 1946 et 1964) la disent vraie[49].
Les jeunes sont – davantage que leurs aînés – prêts à affronter les obstacles et à prendre leurs responsabilités en créant leur entreprise. En début 2023, une enquête d’OpinionWay pour Go Entrepreneurs mettait ainsi en lumière que la moitié des moins de 30 ans souhaitent créer ou reprendre une entreprise, tandis que seulement 9 % des plus de 50 ans envisagent de se mettre à leur compte[50].
Cette étude pose la question : « Vous personnellement, auriez-vous envie de créer une entreprise, d’en reprendre une ou de vous mettre à votre compte ? ». Cette volonté est exprimée avant tout par les plus jeunes : 52 % des 18-24 ans et 49% des 25-34 ans aspirent à devenir dirigeant d’entreprise (contre 29% des 35-49 ans). Et parmi tous ces prétendants, les femmes sont plus nombreuses que les hommes. Lorsqu’elle les interroge sur les raisons qui leurs donnent envie de créer leur entreprise, l’étude constate que la hiérarchie des jeunes (18 à 30 ans) est presque exactement identique à celle de leurs aînés :
- L’envie d’être votre propre patron, de faire les choses à votre façon (47%) ;
- L’envie de gagner de l’argent (34%) ;
- L’envie de faire un métier-passion (32%) ;
- La volonté de relever un défi (20%) ;
- La fierté d’entreprendre (19%).
Les choix négatifs (comme l’envie de changer de secteur d’activité ou celle de repartir de zéro ou la frustration de ne pas tirer les bénéfices de son travail) pèsent beaucoup moins lourd dans la motivation de ces jeunes.
Jamais autant de jeunes n’ont créé ou repris leur entreprise ou envisagent de le faire. Le mouvement est là, même s’il reste en-decà de ce que l’on peut observer aux Etats-Unis — d’après une étude américaine Global Entrepreneurship Monitor 2021, 20 % des jeunes de 18 à 24 ans « ont de fortes tendances entrepreneuriales », un chiffre « sans précédent dans l’histoire récente ».
La création d’entreprise est donc un choix positif des jeunes, malheureusement peu accompagnés sur cette voie escarpée : seuls 8% de ces jeunes en France sont tout à fait d’accord avec l’idée que le système éducatif prépare bien à se lancer dans la création d’entreprise.
Idée reçue No 10 : les jeunes, c’est le refus de l’autorité et du management
Ce jugement reflète le manque de considération et de reconnaissance dont souffre le management en France (voir : « Jusqu’où ira la diabolisation du management ? »).
Les managers seraient intrusifs et se comporteraient comme des « petits chefs » ? Pas si vite : aux erreurs statistiques près, l’appréciation sur le niveau d’intervention du manager est identique entre l’ensemble des actifs et le sous-ensemble constitué des jeunes actifs (18-24 ans) : 53% des actifs pensent que leur manager intervient de manière adaptée, 23% qu’il n’intervient pas assez et 17% seulement qu’il intervient trop (7% déclarent ne pas avoir de manager)[51]. Il apparaît ainsi que les salariés français, jeunes et moins jeunes réunis, souffrent davantage d’un « sous-management » plutôt que d’un « sur-management », validant ainsi les thèses du sociologue Mathieu Detchessahar[52].
Elargissons le diagnostic à l’évaluation de leur manager par les collaborateurs. D’après le « baromètre national de perception de la RSE en entreprise » du Medef cité ci-dessus, deux-tiers des salariés évaluent positivement leur manager (69% en 2021 contre 66 % en 2020). Cette appréciation positive est particulièrement marquée chez les jeunes de 16 à 24 ans, parmi lesquels 83 % considèrent que leur manager direct est un bon manager. Ce score d’adhésion au management de proximité monte à 77 % dans les entreprises dans lesquelles il existe une fonction ou un service RSE et 78 % dans celles où il y a une mission ou un service diversité.
On peut même craindre, au contraire, que les jeunes soient trop sensibles à la tentation d’une soumission à l’autorité, dans la lignée d’un affaiblissement des valeurs démocratiques. D’après une enquête de Harris Interactive (décembre 2021), 57 % des Français estiment qu’un régime autoritaire est préférable à la démocratie dans certaines situations de crise (guerre, pandémie…)[53]. Cette proportion monte à des taux stratosphériques chez les jeunes : 72 % chez les 18 à 24 ans et à 66 % chez les 25 à 34 ans. Rassurons-nous : cette enquête publiée fin 2021 se situait juste après les trois confinements qui ont émaillé les années 2020 et 2021, au plus fort de la crise sanitaire. Mais cette tendance de soumission à l’autocratie, aiguillonnée par les jeunes, existait déjà, avant la crise sanitaire : dans un sondage de l’Ifop paru le 31 octobre 2018, 41% des Français se déclaraient d’accord pour « confier la direction du pays à un régime politique autoritaire » et chez les étudiants, cette proportion montait à 50%.
Il faut cependant relativiser cette tentation autoritaire.
D’abord, le monde du travail en France est plus que dans d’autres pays, soumis au micro-management, à l’autorité abusive des petits chefs (voir : « Le défi de l’autonomie : ce n’est pas l’entreprise qu’il faut libérer mais le travail »). C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi l’extension du télétravail a été plus difficile en France. Selon un sondage Opinionway sur « L’autorité au travail » (mai 2019), 88% des français estiment que trop de petits chefs abusent de leur autorité en entreprise (dont 42% sont « tout à fait d’accord »)[54]. Cette proportion très élevée est homogène par genre et par classe d’âge, sauf pour les plus de 50 ans pour qui ce jugement passe à 90%.
Les salariés du public (87%) y sont encore plus soumis que ceux du privé (83%). Et les qualifications les plus élevées ou les plus diplômés n’y échappent pas : 83% des CSP+ ressentent cet abus contre 86% des CSP- ; 86% des actifs appartenant à un foyer de revenu supérieur à 2.000 euros par mois le ressentent contre 92% lorsqu’il est inférieur. Cette situation explique en grande partie notre relation ambigüe à l’autorité (voir : « Autonomie et autorité : les enfants terribles du management »).
Par ailleurs, il ne faut pas exagérer la tentation autoritaire de la jeunesse dans le contexte du travail. L’enquête « Société idéale » (avril 2023) a testé les préférences des Français entre « une entreprise dans laquelle un dirigeant ou une équipe dirigeante restreinte prend les décisions importantes et en est pleinement responsable, en cas de réussite comme d’échec » et une entreprise plus axée sur le partage des pouvoirs. Les jeunes sont en effet les classes d’âge les plus séduites par la première option mais elle reste minoritaire (29% des moins de 25 ans et 28% des 25-34 ans) et les jeunes ne se distinguent que très peu de leurs aînés (27% des 35-49 ans). Les jeunes sont donc favorables à une vaste majorité (70% des moins de 25 ans et 72% des 25-34 ans) à « une entreprise dans laquelle le dirigeant ou l’équipe dirigeante doit trouver un accord avec les salariés pour les décisions importantes, et en partage donc les responsabilités en cas de réussite comme d’échec ».
Cette légère différence de point de vue s’explique moins par l’âge que par la position dans le cycle de vie de leur carrière : les jeunes sont au début de leur parcours professionnel, en position de découverte, et donc davantage en recherche d’encadrement, de directives, d’autorité.
En revanche, les jeunes sont de plus en plus éduqués. La proportion de bacheliers dans une génération n’était que de 29 % en 1985 mais atteint 80% en 2019 (Insee). À l’opposé, la part des 18-24 ans sortant du système scolaire sans aucun diplôme ou uniquement le brevet des collèges était de 41 % en 1978 mais s’est réduite à 8,2 % en 2019. On ne peut donc plus manager ces jeunes de la même façon : l’autoritarisme doit laisser place à la recherche de l’adhésion et à la conviction.
Cette nécessaire transformation managériale doit aussi s’adapter à des jeunes en demande d’autonomie. D’après l’enquête de l’INJEP sur « Le rapport des jeunes au travail » (novembre 2023), seuls 40% des 15 à 30 ans souhaitent « que leurs responsables leurs donnent des consignes précises », contre 60% qui préfèrent « que leurs responsables leurs accordent une grande autonomie ». A 60%, cette demande d’autonomie est par définition inférieure à celle que souhaitent les 31 ans et plus (73%), mais elle est largement majoritaire. Elle reflète l’engagement et la volonté d’implication personnelle des jeunes.
De même, Coralie Perez et Thomas Coutrot ont montré l’importance grandissante du sens au travail dans leur livre, « Redonner du sens au travail »[55]. Ils montrent que ce besoin de trouver ou construire du sens à son travail concerne bien-sûr les jeunes mais traverse toutes les générations au travail.
Enfin, Le baromètre Macif sur « Les jeunes et l’entreprise » (décembre 2023), montre que les demandes des jeunes de 18 à 24 ans vis-à-vis de l’entreprise vont mobiliser un management plus transversal : ils considèrent que ce qui manque surtout aujourd’hui à l’entreprise est d’abord « la place accordée à la parole et à la participation des salariés » (32 %), juste devant « un management basé sur la confiance et l’autonomie » (30 %), « l’alignement entre les valeurs prônées par l’entreprise et mon quotidien de travail » (29%) et « la prise en compte des singularités des individus » (29%).
Idée reçue No 11 : Les jeunes sont désinvestis du travail
Jetons un œil à l’enquête Harris Interactive, « Le Cœur des Français », publiée en septembre 2021[56]. Elle montre que :
- Les jeunes font de tous les items consacrés au travail une priorité nettement plus importante que ne le font les plus de 50 ans et l’ensemble des Français ;
- 72% des jeunes déclarent qu’ils continueraient de travailler (42% en conservant le même travail, 30% en en changeant) s’ils n’avaient pas besoin d’argent pour vivre;
- Une des qualités mises en avant par les jeunes et sur laquelle ils se distinguent massivement des adultes est l’ambition!
Autre source très intéressante : l’étude Workforce View » réalisée par ADP, menée auprès de plus de 32.000 salariés dans 17 pays, dont 1 920 en France, avec un focus sur les 18-24 ans :
- Près d’un jeune sur trois (31 % contre 17 % pour l’ensemble des travailleurs) a changé de poste ou a endossé de nouvelles responsabilités entre la pandémie et la réalisation de l’enquête (décembre 2020) ;
- Près d’un jeune salarié sur quatre (23 %) s’efforce activement d’assurer la pérennité de son emploi en effectuant des horaires de travail plus longs pendant la semaine, contre seulement un employé sur six (17 %) chez les plus de 25 ans ;
- Les 18-24 ans vont même jusqu’à accepter des tâches ou une charge de travail supplémentaires (21 %). D’ailleurs, les trois quarts de cette population pratiquent des heures supplémentaires sans aucune contrepartie financière. Ils sont six d’entre eux sur dix (61 %) à indiquer travailler gratuitement plus de 6 heures par semaine. En moyenne, les 18-24 ans accomplissent 8,28 heures supplémentaires hebdomadaires non rémunérées, chiffre le plus élevé parmi les différentes tranches d’âge interrogées dans l’étude ;
- Et c’est près de 2 heures de plus si l’on compare aux résultats de l’année précédente !
- Les jeunes redoublent également d’efforts pour se constituer un réseau et développer leurs contacts au sein de leur entreprise (24 %).
Concernant plus spécifiquement les cadres, une étude de l’Apec montre que la part des cadres travaillant au moins de temps en temps durant leurs congés d’été (envoi/réception de mails/ d’appels, travail sur un dossier) atteint 51%, dont 53% des moins de 35 ans et 46% des 35 à 54 ans[57].
La sociologue Dominique Méda a beaucoup étudié la question du rapport au travail des Français globalement et des jeunes en particulier[58]. Voici son diagnostic posé sur un thread sur X (anciennement Twitter) en novembre 2023 :
« Les critiques envers la jeunesse ne sont pas nouvelles : en 1972, une enquête menée par des chercheurs du Centre d’études de l’emploi et du travail rapportait déjà que les employeurs se plaignaient de ne plus trouver chez cette main-d’œuvre « les qualités d’amour du travail, d’ambition et de sérieux qui, à les en croire, caractérisaient les générations précédentes ». En 2008, une vaste recherche européenne avait permis de constater l’existence de stéréotypes et de préjugés identiques à l’endroit des jeunes de la part des employeurs et des générations plus anciennes. A presque quarante ans d’intervalle, les deux enquêtes avaient pourtant mis en évidence que les jeunes accordaient plus d’importance au travail que les plus âgés, que leurs attentes étaient similaires. Tout comme ces derniers, ils souhaitaient un travail intéressant, une bonne ambiance de travail et bien gagner leur vie –, mais que ces attentes étaient encore plus fortes. C’est toujours le cas aujourd’hui, contrairement à ce qu’affirment les discours soutenant que le Covid-19 aurait provoqué une rupture ».
Les jeunes sont-ils désireux de travailler moins pour profiter davantage des loisirs, de leurs amis ou de leur famille ? Oui s’ils ne trouvent pas de satisfaction dans leur travail. Mais en revanche, d’après une étude de Manpower de 2017, les trois quarts (76 %) des 18-30 ans s’affirment plutôt d’accord avec l’idée que « si vos missions au travail vous plaisent vraiment, vous êtes prêt à travailler plus longtemps » (seuls 20 % ne sont « plutôt pas d’accord »)[59]. De même, l’enquête de l’INJEP sur « Le rapport des jeunes au travail » (novembre 2023), montre que les jeunes expriment davantage la volonté de travailler plus pour améliorer leur niveau de vie : un peu plus de la moitié (54 %) des jeunes actifs préféreraient gagner plus d’argent, mais avoir moins de temps libre, contre 45 % chez les plus de 30 ans.
Selon l’enquête « Le Cœur des Français » (septembre 2021), les Français sont majoritaires à 53% à souhaiter travailler davantage pour gagner plus, proportion qui monte à 61% chez les moins de 35 ans. Si la « valeur travail » a décroché, c’est plutôt au sein des classes aisées et parmi les plus âgés. En revanche dans les milieux populaires et tout particulièrement parmi ceux qui gagnent moins de 2.000 € par mois, ce sont 60 % qui souhaiteraient travailler davantage pour gagner plus.
L’étude Manpower citée ci-dessus montre que les jeunes de 18 à 30 ans ont une vision positive du travail :
- Pour 55 % d’entre eux, le travail représente une source d’épanouissement bien plus qu’une source de contraintes (33 %) ;
- Ils sont 40 % à se montrer optimistes pour leur situation professionnelle pour les années à venir et 32 % « ni optimistes ni pessimistes » contre seulement 25 % de pessimistes ;
- Ils analysent des évolutions disruptives comme la mondialisation, l’ubérisation du travail (mettant en relation des consommateurs et des travailleurs indépendants via des applications), la simplification du droit du travail comme des chances bien plus que comme des menaces.
Je renvoie aussi aux travaux de Julie Bene, chargée d’étude et de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), qui a beaucoup étudié la relation des jeunes au travail et résume ainsi son point de vue : « L’idée de déperdition de la valeur travail chez les jeunes est loin d’être vérifiée c’est même plutôt l’inverse : le travail occupe une place très importante dans leur vie »[60].
Non, décidément, nos jeunes ne sont pas gagnés par la flemme (voir : « Nos jeunes sont-ils gagnés par la flemme ? », Entreprise & Carrières N°1609).
Idée reçue No 12 : Les jeunes entretiennent un rapport au travail différent de celui des générations précédentes
Pour les praticiens des ressources humaines, qu’il s’agisse des DRH ou des managers opérationnels, il n’y a aucun doute : les jeunes d’aujourd’hui ne se comportent pas du tout de la même façon que leurs aînés au même âge il y a quelques années ou décennies.
Pourtant, la recherche académique nous dit exactement l’inverse : fondamentalement, le rapport au travail des jeunes n’a pas changé. L’explication de cet écart béant n’est pas facile à formuler. C’est ce à quoi je me suis essayé lors de mon audition par la chaire FIT2 qui a exploré ce sujet, dont on trouvera un compte-rendu ici : « Le rapport des jeunes au travail ; d’où vient l’écart entre perception sur le terrain et travaux de recherche ? »[61].
Le terme de génération Y, qui désigne les jeunes nés entre 1980 et le milieu ou la fin des années 1990, est apparu dans la littérature marketing dès 1994 et s’appliquait aux habitudes de consommation, avant de s’élargir aux comportements et attitudes vis-à-vis du travail. Pour désigner cette même tranche d’âge, les anglo-saxons utilisent aussi le terme de « Millennials ». La génération Z, autre définition vaporeuse, désigne les jeunes nés juste avant ou peu après 2000 (pour certains : entre 1997 et 2010) et se caractérise par une relation intime avec l’internet des réseaux sociaux, une familiarité avec le smartphone (leur objet transitionnel), une forte attraction pour les jeux en ligne mais aussi une très forte sensibilité aux questions environnementales (climat, biodiversité) et sociétales (exclusion, inégalités).
Ces termes auraient peut-être dû rester ce qu’ils étaient à leur origine : de simples marqueurs marketing, des concept mal étayés, inventés par des cabinets de conseil RH pour vendre des formations et des prestations à des entreprises avides de recruter l’élite d’une génération… Cela fait maintenant plus de 10 ans que je me suis attaqué à cette fable managériale tenace… avec un succès limité (voir par exemple: Martin Richer, « Les X et les Y : générations perdues pour le travail ? », Metis, 11 septembre 2018).
La vision portée sur le travail est très similaire entre les générations. Ainsi, interrogés par l’enquête de l’INJEP sur « Le rapport des jeunes au travail » (novembre 2023) sur ce que représente pour eux le travail, jeunes et plus âgés répondent de façon extrêmement proche : pour 57% des moins de 30 ans et 62% des plus de 30 ans, le travail est « un moyen de gagner sa vie » alors que pour 31% des moins de 30 ans et 29% des plus de trente ans c’est « une source d’épanouissement et de fierté ». Les jeunes sont donc légèrement moins matérialistes que les plus âgés.
En France, Jean Pralong, chercheur en GRH à l’école de management de Normandie, a beaucoup œuvré pour déconstruire la notion de génération. Il conclut qu’en termes de rapports au travail, les Y et les X se comportent de façon similaire. Dans une recherche précédente il montrait que les Y et les X se confrontent aux mêmes interrogations, ont les mêmes réactions et aspirations au regard du travail et de leur carrière, avec l’exception que du fait de leur âge, les X étaient parvenus au rang de managers, ce qui explique des différences d’opinions[62]. Il met en exergue, en revanche, l’importance des déterminants sociaux, des lieux d’habitation et des diplômes, beaucoup plus explicatifs que l’âge[63].
Le sociologue Olivier Galland a écrit un ouvrage avec Bernard Roudet intitulé « Une jeunesse différente ? Les valeurs des jeunes Français depuis trente ans » (La documentation française, 2012) pour déconstruire quelques idées reçues[64]. Non, les jeunes ne sont pas devenus réfractaires au travail puisque 70 % considèrent qu’il s’agit d’un domaine de la vie très important, soit deux points de plus que leurs aînés, et ce taux est en hausse depuis 30 ans.
L’enquête de l’INJEP sur « Le rapport des jeunes au travail » (novembre 2023), qui s’appuie sur un dispositif statistique solide (4.500 jeunes âgés de 15 à 30 ans et 1.000 personnes âgées de 31 ans et plus résidant en France interrogées) conclut ainsi : « les jeunes ont globalement un rapport au travail et à l’emploi qui n’est pas très différent de celui des plus âgés. Les différences entre générations, bien réelles sur certains points, apparaissent cependant relativement peu importantes au regard de celles observées à partir des caractéristiques sociodémographiques des enquêtés (genre, situation d’activité, catégorie socioprofessionnelle…) ». En d’autres termes, ce sont les différences au sein des générations qui priment, et non les différences entre générations.
En conclusion de sa contribution sur les jeunes au travail, Camille Peugny attire l’attention sur un effet loupe vis-à-vis de la petite frange des plus diplômés : « le débat sur la nature du rapport au travail des jeunes [nous rappelle] la nécessité de manier avec prudence la thèse selon laquelle les cohortes récentes seraient animées par des aspirations particulières dans le cadre de leur travail. À minima, la réalité est beaucoup plus complexe. Tout d’abord, il n’y a pas de preuve empirique d’attitudes significativement différentes des autres classes d’âges d’actifs. Ensuite, il est probable que le discours managérial autour de la génération Y ne rende compte que du comportement de la frange la plus qualifiée d’une classe d’âge pouvant se permettre le luxe d’un nomadisme professionnel choisi, assurée qu’elle est de la valeur de ses titres scolaires »[65]. Dans leur ouvrage « Génération surdiplômée », Jean-Laurent Cassely et Monique Dagnaud ont montré que les représentations de la jeunesse étaient monopolisées par les diplômés bac + 5.
Un rapport à paraître début février par Terra Nova va apporter les résultats d’une vaste enquête quantitative sur la question du rapport des jeunes au travail en France.
En Belgique, François Pichaux et Mathieu Pleyers montrent que les fondamentaux RH entre générations sont identiques (« Pour en finir avec la génération Y… Enquête sur une représentation managériale », novembre 2010)[66].
Aux Etats-Unis, un article de Bruce N. Pfau, le Vice Chair of Human Resources and Communications du cabinet d’audit KPMG, au titre explicite : “What Do Millennials Really Want at Work? The Same Things the Rest of Us Do” (Harvard Business Review, April 7, 2016) a marqué les esprits. Sa conclusion : « Les entreprises qui mettent en œuvre des politiques d’engagement spécifiquement destinées à la Gen Y perdent leur temps et leur argent ». IBM n’est pas en reste : son “Institute for Business Value” a publié en 2015 un rapport intitule “Myths, Exaggerations and Uncomfortable Truths: The Real Story Behind Millennials in the Workplace”. Sa conclusion : “Y are the same”.
A l’international, une méta-étude (étude qui recense toutes les études solides sur un thème et en fait la synthèse) menée par David Costanza fait référence[67]. Elle s’appuie sur 265 articles, qui abordent quatre générations (traditionals, Baby Boomers, Generation X, and Millennials). Sa recommandation : « la conclusion la plus importante est que vous ne devriez pas baser votre management sur l’existence de générations qui se référeraient à des valeurs différentes ». Une meilleure approche « consiste à évaluer les besoins liés aux spécificités individuelles et à mettre en place des interventions liées aux caractéristiques ainsi identifiées. Cette stratégie est un moyen plus sûr de gérer les différences individuelles que de s’appuyer sur des généralisations appliquées de façon infondée à des groupes entiers d’employés sur la base de leur appartenance générationnelle ».
Nous voilà prévenus : le management d’aujourd’hui est intergénérationnel ; il ne se tronçonne pas par tranches d’âge.
Les jeunes sont des seniors en devenir.
Les seniors sont des jeunes en évolution !
Conclusions (provisoires…)
J’ai effectué de nombreuses interventions en entreprises sur le thème des jeunes au travail. Lorsque je demande à des dirigeants ou des managers de citer spontanément les adjectifs qui leurs viennent à l’esprit pour qualifier les jeunes, je suis frappé de constater que leurs retours les plus fréquents s’articulent autour de ce que j’appelle « les 3 i » : impatients, impulsifs, inexpérimentés. Bref, ce que l’on reproche aux jeunes, c’est d’être jeunes !
Les jeunes ne sont pas ce que beaucoup de dirigeants et managers pensent. Ils ne sont pas désinvestis du travail mais ils témoignent d’un niveau élevé d’attentes en termes de sens, une demande qui concerne d’autant plus les plus diplômés, à laquelle les entreprises françaises ont du mal à répondre (voir : « Les jeunes diplômés et l’entreprise : lost in transition »).
L’hystérie des différences générationnelles, la sacralisation des thématiques autours des X, Y, Z et autres n’occasionnent pas seulement une distraction managériale, une perte de temps et d’énergie. En détournant les pouvoirs publics, les directions générales et les DRH des vraies problématiques, en les poussant à construire des politiques publiques (de la part de l’Etat) et des politiques RH (de la part des entreprises) spécifiques par classe d’âge, elle exerce un impact négatif et accentue les tentations de division du corps social.
Pour la première fois de l’histoire, cinq générations différentes collaborent au travail. L’enjeu est de les souder. Plutôt que de découper les effectifs en tranches (d’âge ou autre), plutôt que de créer des ghettos, il est temps de reconnaître que ce qui se fait de bien et de grand dans les entreprises est souvent placé sous le signe de la cohésion et cherche à gagner l’implication de tous. Cela n’empêche pas, bien au contraire, de bénéficier de l’énergie et de l’enthousiasme des jeunes, qui poussent les entreprises à évoluer avec leur temps, pour le bénéfice de tous.
L’enjeu d’aujourd’hui est d’aider les jeunes à s’insérer dans le monde professionnel en leur faisant davantage confiance. En France plus qu’ailleurs, c’est un défi. Parmi la quantité d’études que j’ai épluchées pour écrire cet article, celle qui m’a le plus fait chaud au cœur, publiée par le quotidien La Croix en octobre 2022, montre que la confiance que les jeunes mettent dans les entreprises pour leur accorder de la place augmente régulièrement[68]. Ainsi, 47 % des jeunes interrogés pensent que les dirigeants d’entreprise font suffisamment confiance à un jeune de moins de 26 ans « pour lui confier le management d’une équipe de plusieurs personnes », contre seulement 23 % en 2015.
Gardons-nous des idées reçues et laissons les grincheux marmonner avec Pierre Desproges : « je ne supportais déjà pas les jeunes quand j’avais leur âge, ce n’est pas maintenant que je vais commencer » !
Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises, fondateur et président de
Management & RSE
Pour aller plus loin :
Téléchargez l’étude de Suzy Canivenc, « Les jeunes, des travailleurs comme les autres ; Comment les entreprises peuvent-elles mieux répondre aux attentes des salariés ? », La Fabrique de l’industrie, Chaire FIT2, Presses des Mines, Janvier 2024
Cet article cite un ouvrage collectif remarquable coordonné par Bruno Palier : « Que sait-on du travail ? », Presses de Sciences Po, Octobre 2023, 608 p. Consultez ma note de lecture sur cet ouvrage dans Metis : « Une boîte à outil pour agir », 4 novembre 2023
Consultez les autres articles de ce blog traitant des jeunes au travail
Cet article est une version augmentée d’une publication préliminaire dans Metis : « Les jeunes, le travail et l’entreprise : pulvérisons quelques idées reçues »
Crédit image : Out of the Blue. Frédéri Vernier et Sébastien Davis-VanGelder ont créé et interprètent ce moment d’acrobatie immersive dans un aquarium de 8.000 litres d’eau (empreinte écologique ?). A la fois porteurs acrobatiques et nageurs aguerris, ils font de l’apnée une nouvelle discipline de cirque et nous font oublier la pesanteur au plus profond de nous-mêmes et de nos rêves. Pour moi, ils illustrent parfaitement cette suspension, cet état liquide qui caractérise la jeunesse, en transition d’un âge de la vie à l’autre. Festival des nouvelles formes de cirque en Normandie, avril 2022.
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[1] « Y a-t-il une génération Covid ? Troisième édition du baromètre JobTeaser », 15 février 2022
[2] « La société idéale de demain aux yeux des Français ; enquête Fondation Jean Jaurès – CFDT », avril 2023. Sondage IPSOS pour la Fondation Jean Jaurès et la CFDT sur un échantillon de 8.700 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus interrogé en mars 2023 par internet (méthode des quotas).
[3] « 3ème édition du baromètre BVA pour Macif – Fondation Jean-Jaurès – Les jeunes et l’entreprise », décembre 2023 ; enquête menée entre octobre et novembre 2023 auprès de 1.000 Français âgés de 18 à 24 ans, permettant d’observer le rapport au travail de cette génération
[4] Observatoire des inégalités, 2023 (cité par Suzy Canivenc)
[5] « Le rapport des jeunes au travail en 2023 », Rapport d’étude Injep et Credoc, Novembre 2023. Cette enquête portée par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) depuis 2016 et réalisée annuellement par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC), a interrogé, en ligne, environ 4.500 jeunes âgés de 15 à 30 ans et environ 1.000 personnes âgées de 31 ans et plus résidant en France, entre avril et mai 2023
[6] Minni C., « Plus d’une personne sur trois a un motif d’insatisfaction vis-à-vis de son emploi », DARES Focus, no 54, 2023
[7] Source : « Comment va la vie en France ? », OCDE, mai 2016
[8] Marks Elizabeth et al. (2021) “Young People’s Voices on Climate Anxiety, Government Betrayal and Moral Injury: A Global Phenomenon” ; https://ssrn.com/abstract=3918955
[9] Alina Koschmieder, Lucie Brice-Mansencal, Sandra Hoibian, « Environnement : les jeunes ont de fortes inquiétudes mais leurs comportements restent consuméristes », Crédoc, Consommation et mode de vie n° 308, décembre 2019
[10] Source : « Modes de production, sobriété et efficacité énergétique : état des lieux sur les comportements et attitudes des Français », étude Ipsos Public Affairs pour RTE, 2023
[11] « Les jeunes sont-ils plus écolos que les autres ? », Ademe Magazine, numéro 168, septembre 2023
[12] « Les jeunes et la prise en compte des enjeux écologiques dans les études et le monde du travail – Harris interactive pour : Pour un réveil écologique », juillet 2023
[13] L’Express du 25 mai 2022
[14] Claude-Emmanuel Triomphe, ancien inspecteur du travail, a longtemps dirigé l’Université Européenne du Travail, puis l’association ASTREES intervenues sur de nombreux projets en France et en Europe sur les jeunes et le travail.
[15] « Mythes et réalités de la fracture générationnelle », L’Express, 18 mai 2022
[16] « Face aux crises, les Français comptent sur l’entreprise ; Troisième Baromètre sur la relation des Français à l’entreprise », étude de L’Institut de l’entreprise, mars 2023
[17] « Les 18-30 ans face à un travail en mutation », Enquête de ViaVoice pour Manpower, publiée en juin 2017
[18] Le Figaro, 18 juin 2022
[19] « Ce que les jeunes salariés attendent des représentants du personnel – Une enquête réalisée par les étudiants de l’IGS-RH, supervisée par Hubert Landier », “RSE : Réalités Sociales Elargies”, MagRH No 8, novembre 2019. L’enquête a été réalisée sous forme d’un projet collectif de promotion placé sous le tutorat d’Hubert Landier. Un questionnaire a été réalisé par les étudiants puis administré en vis-à-vis auprès de 256 jeunes salariés constituant un échantillon équilibré des moins de trente ans.
[20] Camille Peugny, « Les jeunes sont-ils des travailleuses et travailleurs comme les autres ? », in Bruno Palier (dir.), « Que sait-on du travail ? », Ouvrage collectif, Presses de Sciences Po, Octobre 2023, 608 p.
[21] Suzy Canivenc, « Les jeunes, des travailleurs comme les autres ; Comment les entreprises peuvent-elles mieux répondre aux attentes des salariés ? », La Fabrique de l’industrie, Chaire FIT2, Presses des Mines, Janvier 2024 – Lien de téléchargement ci-dessus dans la section « Pour aller plus loin »
[22] Enquête de l’INJEP sur « Le rapport des jeunes au travail » (novembre 2023), op. cit.
[23] « Le travail en France entre mythes et réalités… », Etude OpinionWay pour les deuxièmes Assises Sens & Travail, 19 octobre 2023 ; Observatoire des Générations Z pour OpCommerce
[24] Enquête OpinionWay/Indeed menée auprès de 1138 salariés en avril 2023, citée in BFM TV (2023). Entre les jeunes et leurs aînés, une certaine incompréhension en entreprise, 30 juin 2023
[25] Les données de ce paragraphe proviennent de l’enquête INJEP sur « Le rapport des jeunes au travail » (novembre 2023), op. cit.
[26] Les données de ce paragraphe proviennent de l’enquête INJEP, op. cit.
[27] Bernard Gazier, « Persistance des NEETS en France », in Bruno Palier (dir.), « Que sait-on du travail ? », Ouvrage collectif, Presses de Sciences Po, Octobre 2023, 608 p.
[28] Camille Peugny est sociologue, professeur à l’UVSQ (Université Paris-Saclay) et dirige la Graduate School Sociologie et Science Politique de l’Université Paris-Saclay. Il est notamment l’auteur en 2022 de « Pour une politique de la jeunesse », publié aux éditions du Seuil
[29] Camille Peugny, « Les jeunes sont-ils des travailleuses et travailleurs comme les autres ? », in Bruno Palier (dir.), « Que sait-on du travail ? », Ouvrage collectif, Presses de Sciences Po, Octobre 2023, 608 p.
[30] Selon Le Journal du Dimanche, 1er octobre 2023
[31] Bernard Gazier, « Persistance des NEETS en France », op. cit.
[32] « Revenus : les jeunes à la traîne », Observatoire des inégalités, 19 août 2021
[33] Cités par Le Figaro du 25 septembre 2023
[34] « Baromètre national de perception de la RSE en entreprise » édition 2022, réalisé pour la quatrième fois, ce baromètre RSE s’appuie sur une enquête menée par Kantar auprès d’un échantillon représentatif de 1.500 salariés du privé en France.
[35] « Face aux crises, les Français comptent sur l’entreprise ; Troisième Baromètre sur la relation des Français à l’entreprise », étude de L’Institut de l’entreprise, mars 2023
[36] Troisième Baromètre sur la relation des Français à l’entreprise », étude de L’Institut de l’entreprise, op. cit.
[37] Baromètre de l’esprit critique de l’établissement public Universscience, publié par l’Express du 23 mars 2023. Enquête terrain réalisée en janvier 2023 auprès d’un échantillon de 2.048 personnes représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus
[38] Publiée par La Tribune Dimanche, 7 janvier 2024. Malheureusement, l’enquête n’a pas posé les mêmes questions à un échantillon d’adultes, ce qui aurait peut-être permis de montrer que les lacunes historiques ne sont pas forcément réservées aux jeunes…
[39] Cinquième édition du baromètre « Les Français et la lecture », publié le 12 avril 2023 par le Centre national du livre, CNL
[40] D’après Challenges, 30 novembre 2023
[41] La CNCDH est une autorité administrative indépendante
[42] Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier, « Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces », Rapport de la Fédération Jean Jaurès, 11 novembre 2022
[43] Le Journal du Dimanche du 26 mars 2023
[44] D’après Libération du 24 novembre 2020, qui précise que ce classement demeure stable malheureusement depuis longtemps.
[45] Enquête OpinionWay/Indeed d’avril 2023, op. cit.
[46] Cité par Le Figaro du 3 mars 2023
[47] Alexandre Milcourtois, « La « grande démission » en France : exagérations et clap de fin », Xerfi, 20 septembre 2022
[48] Baromètre JobTeaser, 15 février 2022
[49] « Jeunes et entrepreneuriat », Elle, 7 décembre 2023
[50] Enquête d’OpinionWay pour le salon Go Entrepreneurs, « La création d’entreprise en 2023 ; Quels regards portent les Français, les jeunes et les dirigeants ? », mars 2023
[51] Source : « Les salariés français et le bien-être au travail », Enquête IFOP pour Monster, juin 2017
[52] Voir mon analyse dans Metis Europe : « Délibérer en entreprise ? »
[53] Enquête de Harris Interactive auprès de 10.000 français sur la démocratie, publiée par l’hebdomadaire Challenges du 9 décembre 2021
[54] Sondage Opinionway pour Dropbox, « L’autorité au travail », Mai 2019. Echantillon de 1.002 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
[55] Coralie Perez et Thomas Coutrot, « Redonner du sens au travail », Le Seuil, septembre 2022
[56] Enquête conduite par l’Institut Harris Interactive, « Le Cœur des Français ; Trajectoires et perspectives partagées par les Français », réalisée sur un échantillon représentatif de 10.000 Français âgés de 18 ans et plus, publiée par l’hebdomadaire Challenges du 9 septembre 2021
[57] Omnibus Apec, juin 2023
[58] Voir notamment : Dominique Méda, « Le travail, une valeur en voie de disparition ? », Aubier, 1995 ; Lucie Davoine et Dominique Méda, « Place et sens du travail en Europe : une singularité française ? », Document de travail numéro 96-1 du CEE (Centre d’Etudes de l’Emploi), février 2008 ; Dominique Méda et Patricia Vendramin, « Réinventer le travail », PUF, 2013
[59] « Les 18-30 ans face à un travail en mutation », Enquête de ViaVoice pour Manpower, publiée en juin 2017
[60] Julie Bene, Entretiens de l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales), consacrés à l’engagement des jeunes au travail, Challenges, 7 octobre 2019
[61] Fondée par Thierry Weil, la Chaire FIT2 (Futurs de l’industrie et du travail ; Formation, innovation, territoires) rattachée à l’école des Mines a été créée en janvier 2018 par le Groupe Mäder, Kea Partners, Theano Advisors, FaberNovel et La Fabrique de l’industrie. Elle étudie comment l’entreprise, l’organisation du travail, la formation et la gestion des talents peuvent s’adapter aux enjeux de la transformation numérique, de la mondialisation des chaînes de valeur, de la préservation de l’environnement et des évolutions sociétales.
[62] Jean Pralong, « L’image du travail selon la Génération Y ; Une étude intergénérationnelle », Revue Internationale de Psychosociologie, 2010
[63] Jean Pralong, « La génération Y au travail : un péril jeune ? », 2015
[64] Olivier Galland et Bernard Roudet, « Une jeunesse différente ? Les valeurs des jeunes Français depuis trente ans », La documentation française, 2012
[65] Camille Peugny, « Les jeunes sont-ils des travailleuses et travailleurs comme les autres ? », op. cit.
[66] François Pichaux et Mathieu Pleyers, « Pour en finir avec la génération Y… Enquête sur une représentation managériale », Nouveaux comportements, nouvelles GRH ? XXI Congrès AGRH, 17-19 novembre 2010. Voir aussi : Annales des Mines. Gérer et comprendre, n°108, p. 39-54
[67] David P. Costanza, Jessica M. Badger, Rebecca L. Fraser, Jamie B. Severt and Paul A. Gade (2012). Generational differences in work-related attitudes: A meta-analysis. Journal of Business and Psychology, vol 27, No 4
[68] Théo Moy, « Sondage : face aux crises, une jeunesse plus fragile mais confiante », La Croix, 26 octobre 2022. Etude sur les moins de 25 ans, 8ème édition du baromètre OpinionWay pour le think tank (« laboratoire d’idées ») Vers le haut
Une réponse
Les notions sur la jeunesse ou la vieillesse ne sont, pour la plupart, que l’expression de nos biais cognitifs, dont le biais de généralisation, ne serait-ce que parce que la jeunesse et la vieillesse ne sont pas des catégories sociales indivisibles, elles sont fragmentées, atomisées, constituées de sous-catégories nombreuses. Réduire un individu à son groupe d’âge, ou son genre, son origine sociale, ethnique, ou culturelle, est une hérésie.
J’aime citer à ce propos cet bel aphorisme de Georges Bernard Shaw, qui refusait obstinément qu’on lui fête son anniversaire: « On ne cesse pas de jouer parce qu’on devient vieux, mais on devient vieux parce qu’on cesse de jouer ».