Le développement durable en pleine infox

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[ Mise à jour : 23 septembre 2019Pas facile le domaine du développement durable : le débat public doit pouvoir s’appuyer sur des informations techniques et économiques solides et partagées. Or, dans le domaine de l’infox, il n’y a pas que Donald Trump, il y a nous ; il y a pire que la manipulation, il y a l’ignorance. Les résultats de l’enquête BVA-Orano (anciennement Aréva) révélés le 26 juin 2019 sur « Les Français et le nucléaire » sont très étonnants (*). Ils montrent qu’en très grande majorité, les Français pensent que le nucléaire (source de 72% de notre électricité) est le principal responsable du réchauffement climatique parmi les sources d’énergie !

Entendons-nous bien : mon intention n’est pas de défendre le nucléaire… mais plutôt la rigueur scientifique ou au moins la prise en compte des faits.

Alors que l’énergie nucléaire est unanimement reconnue comme particulièrement propre en termes d’émissions (12 grammes de CO2 produit par kWh soit à peine plus que l’éolien, qui rejette 11 gr, et 4 fois moins que le solaire avec 45 gr), une très large majorité des Français (69%) pensent qu’elle contribue au dérèglement climatique par sa production de gaz à effet de serre !

Les aberrations ne s’arrêtent pas là : pour 10 % des sondés, le pétrole et le gaz contribuent moins que le nucléaire à l’effet de serre, et pour 11 % d’entre eux le charbon est plus propre que l’atome. Il est bien évident que l’énergie nucléaire pose d’immenses problèmes, mais en contrepartie, son avantage essentiel est justement sa sobriété en termes de rejet de CO2. Ce contre-sens complet semble très fortement ancré et va même se renforcer dans l’opinion car chez les jeunes (18-34 ans) c’est à 86% qu’on est persuadé que le nucléaire contribue au réchauffement !

Cela dit, on peut aussi rappeler que d’après une étude de l’Ademe (« Les représentations sociales du changement climatique », 19ème vague, juillet 2018), seuls 74% des Français croyaient en l’existence d’un réchauffement climatique d’origine anthropique en 2018 !

Les infox et autres « fake news » sur le développement durable prolifèrent notamment grâce au désintérêt d’une vaste partie de la communauté scientifique et notamment de ceux qui sont les plus écoutés dans le monde de l’entreprises à savoir les économistes. Deux économistes, Andrew Oswald (université de Warwick) et Nocholas Stern (London School of Economics) ont publié les résultats d’une recherche visant à déterminer la part des articles portant sur le sujet du changement climatique au sein des publications de recherche économique les plus influentes dans le monde depuis leur création. Ils ont recensé 77.000 articles publiés par ces revues, dont seulement 57 (soit moins de 0,1% !) traitent du sujet. La communauté des économistes ne s’est donc intéressée que très marginalement au problème majeur qui bouscule les équilibres financiers et économiques de la planète. A titre d’exemple, le nombre d’articles consacrés au changement climatique publiés par la revue économique la plus citée au monde (le Quarterly Journal of Economics) est de… zéro!

Dans la même veine, Andrew Oswald et un autre de ses collègues ont remarqué dans une communication publiée par le Financial Times, que depuis l’an 2000, les 50 publications de recherche les plus respectées n’ont publié que 11 articles sur la raréfaction des espèces et la perte de biodiversité sur un total de 47.000 articles, soit une proportion de… 0,02% ! (Goodall, A H and A J Oswald, “Researchers obsessed with FT Journals list are failing to tackle today’s problems”, Financial Times, 8 May 2019).

C’est pour toutes ces raisons qu’il faut inlassablement rassembler les faits, les chiffres, les mettre en perspective, les expliquer. Longue vie aux lumières, à la presse, à la transmission… et aux blogs !

(*) Enquête BVA réalisée du 4 au 27 avril 2019 auprès d’un échantillon de 3.008 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatif de la population française.

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,

Management & RSE

Pour aller plus loin : « Développement durable, croissance et emploi : pourquoi Trump se trompe ? » 

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