Le retrait (provisoire) des Etats-Unis des Accords de Paris n’a pas marqué le naufrage du développement durable !

Développement durable, croissance et emploi : pourquoi Trump se trompe

[ Mise à jour : 7 décembre 2024Donald Trump réélu président va-t-il rééditer le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, signé en décembre 2015, puis ratifié par 196 Etats (dont les Etats-Unis), comme il l’avait fait le 1er juin 2017, dès le début de son premier mandat ? Va-t-il agir en faveur de réglementations beaucoup plus laxistes vis-à-vis des entreprises ? Il l’a annoncé à plusieurs reprises lors de sa campagne en 2024. Il s’agirait d’un nouveau revirement puisque l’élection de Joe Biden en novembre 2020 avait ramené les États-Unis au sein du concert des Nations unies pour lutter contre le réchauffement climatique.

Non seulement l’administration américaine avait réintégré l’Accord de Paris, mais elle avait placé son pays en position de leadership, avec de fortes ambitions pour les Etats-Unis, second pays pollueur de la planète, mais aussi la volonté d’entraîner le reste du monde dans un mouvement de progrès… Sommes nous à la veille d’un basculement ?

Pour répondre à cette question, il est utile de regarder ce qui s’est passé durant le premier mandat de Donald Trump, qui préfigure peut-être le second : Trump ne se livre pas à des propos d’estrades ; il fait ce qu’il dit. Mais les entreprises américaines, elles, restent imperméables à la politique et continuent à se comporter en fonction de leurs intérêts économiques et financiers. Elles ont compris que ramer contre le courant du développement durable serait un combat d’arrière-garde.

 

Trump, le retour : sale temps pour le climat !

La réélection de Donald Trump va mettre sous tension les objectifs des Etats Unis et du monde entier vis-à-vis du développement durable. Il a plusieurs fois qualifié le réchauffement climatique de « canular coûteux ». Magnat de l’immobilier, il s’est félicité de la montée du niveau de la mer « parce qu’elle place davantage de propriétés en bord de mer ». Le New York Times a décompté qu’au cours de son premier mandat, il a supprimé plus de 100 réglementations environnementales issues de l’ère Obama. Dès le début de son premier mandat, il est sorti de l’Accord de Paris et a annoncé son intention de rééditer cette sortie pour son second mandat, alors que dans l’intervalle les États-Unis ont réintégré l’accord à l’initiative de Joe Biden.

Début 2024, il disait sur Fox News : « Mon plan pour l’emploi, c’est fore, chéri, fore » (« drill, baby, drill »), ce qui témoigne d’une certaine proximité avec les énergies fossiles. Les États-Unis sont déjà le premier pays producteur de pétrole et de gaz du monde, du fait du boom des forages de schiste, particulièrement polluants. Ils le sont devenus en 2018, durant le premier mandat de Donald Trump, qui a lancé « la révolution du schiste ». Dès l’année suivante, ils devenaient exportateurs nets de pétrole. Lors de son discours de victoire, prononcé la nuit de sa réélection en novembre 2024, Donald Trump a déclaré : « Nous avons plus d’or liquide que n’importe quel pays au monde, plus que l’Arabie Saoudite ».

Lors d’un dîner en avril 2024 à son club privé de Mar-a-Lago, Donald Trump, alors candidat a indiqué aux patrons du secteur Oil & Gas qu’ils feraient une bonne affaire en donnant chacun un milliard de dollars pour sa campagne, sachant qu’ils recevraient en retour une fiscalité avantageuse et des réglementations réduites, comme l’a révélé le Washington Post. De fait, sa campagne électorale a été financée pour une part importante par les compagnies pétrolières et il s’est engagé à augmenter fortement la production de pétrole et de gaz, tout en continuant à brûler du charbon. Lors de ce dîner, Donald Trump a déclaré « je déteste le vent », pour bien marquer son hostilité marquée envers l’éolien offshore (Libération, 4 décembre 2024).

Les premières nominations donnent aussi un avant-goût. Le 16 novembre 2024, Donald Trump, fraîchement élu, a choisi Chris Wright comme secrétaire d’État à l’Énergie. Wright dénigre fréquemment la science sur le sujet du réchauffement climatique, notamment sur Fox News, chaîne sur laquelle Trump se vante de l’avoir repéré. Jusque-là, Wright dirigeait Liberty Energy, une entreprise spécialisée dans la fracturation hydraulique, un procédé extrêmement polluant d’extraction d’hydrocarbures. Il est aussi un climatosceptique virulent, pour lequel « il n’y a pas de crise climatique et nous ne sommes pas en pleine transition énergétique, » comme il le clamait dans une vidéo postée sur le réseau social LinkedIn en 2023. Lui aussi était autour de la table dans la réunion de Mar-a-Lago en avril 2024.

Le 22 novembre, la nomination de Russell Vought par le président élu à la tête du bureau de la direction et du budget (OMB), une agence importante qui aide le président à décider des priorités politiques et de leur financement confortait l’influence du controversé « Projet 2025 » au sein de l’administration de Donald Trump pour ses quatre prochaines années de pouvoir. Vought est l’un des principaux rédacteurs de ce programme politique de 900 pages, façonné par le puissant lobby conservateur Heritage Foundation – qui se veut une feuille de route officieuse et radicale pour remodeler le gouvernement fédéral.

Confectionné par des proches des milieux conservateurs, dont plusieurs ont déjà été nommés par Donald Trump, ce texte indique que l’administration « devra éradiquer, absolument partout, les références aux changements climatiques, » ce qui suggère une volonté de censure des faits scientifiques. Dans une vidéo recommandant « l’éradication » de la notion de changements climatiques, on peut entendre la militante républicaine Bethany Kozma, qui a travaillé sous le premier mandat présidentiel de Donald Trump, nier la gravité de la crise climatique, mais surtout réduire le « mouvement » de lutte contre les changements climatiques à une stratégie pour « contrôler la population, » ce qui se réfère aux théories du complot.

Dans le domaine environnemental, les recommandations de « Projet 2025 » incluent le démantèlement partiel de l’Agence de protection de l’environnement, de la plupart des politiques environnementales actuelles, des politiques chapeautant la transition vers les énergies vertes, des mécanismes qui, au sein du ministère de l’Énergie, encadrent la transition vers les énergies renouvelables, des mesures anti-pollution du secteur automobile et du secteur des forages. A l’inverse, elles préconisent une extension des forages dans l’Arctique et la construction d’infrastructures gazières.

Pour diriger l’EPA, l’emblématique agence de protection de l’environnement, dont les missions consistent à élaborer les réglementations environnementales, les faire respecter et financer la recherche, Donald Trump a choisi Lee Zeldin, un ex parlementaire conservateur, qui n’a aucun bagage scientifique mais fait partie de ses fidèles.

Donald Trump a annoncé la nomination de Doug Burgum, actuel gouverneur du Dakota du Nord, devenu le troisième état producteur de pétrole des États-Unis après le Texas et le Nouveau-Mexique, aux postes de président du Conseil national de l’énergie, nouvellement créé, et de secrétaire à l’Intérieur, ce qui lui confère des pouvoirs étendus pour ouvrir de nouvelles terres à l’exploitation pétrolière. Burgum faisait lui aussi partie des convives lors du fameux dîner à Mar-a-Lago évoqué ci-dessus.

Donald Trump pourrait aussi s’attaquer au fameux Inflation Reduction Act (IRA), voté en 2022 et qui a tant occupé l’attention des Européens. Comme le fait remarquer Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008 dans le New York Times, l’IRA « n’a pas grand-chose à voir avec l’inflation ; c’est une loi climatique ». Avec ses 370 milliards de dollars de subventions et d’incitations fiscales pour accélérer à la transition énergétique, c’est en tout cas la plus grosse machine à soutenir financièrement les technologies vertes que le monde ait connu.

Le retour des Etats-Unis dans l’Accord de Paris opéré par l’administration démocrate de Joe Biden concrétisait la nécessité d’une prise en compte des véritables intérêts des entreprises américaines. Car dans le but de « rendre sa grandeur à l’Amérique », Donald Trump avait rejoint vaillamment les deux seuls pays non participants à cet accord… la Syrie et le Nicaragua. « America first, » vraiment ?

En effet, la décision de Donald Trump s’ancrait dans le vieux paradigme qui oppose les enjeux environnementaux aux enjeux économiques et sociaux, alors même que l’approche de développement durable menée par les entreprises (américaines ou non) consiste à rechercher la convergence de ces enjeux. Je propose dans cet article cinq voies de progrès pour celles qui souhaitent s’inscrire dans cette convergence.

Lors du premier mandat de Donald Trump (Trump saison 1 : janvier 2017 à janvier 2021), le coup porté aux efforts conjoints, fruits d’un enchaînement de longues négociations multilatérales était d’autant plus symbolique qu’il intervenait en 2017, alors que nous fêtions les trente ans du développement durable. Certes, le terme de soutenabilité apparaît au 18ème siècle en Prusse dans la gestion forestière, comme le rappelle le chercheur Alexandre Rambaud[1]. Mais le véritable coup d’envoi a eu lieu en 1987, date à laquelle Madame Gro Harlem Brundtland, alors Ministre d’État de Norvège, définit l’expression dans son rapport « Our common future » : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs »[2]. Cette définition en fait, institutionnalise un proverbe amérindien, citation dont beaucoup de politiques aiment endosser la paternité : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous empruntons celle de nos enfants ».

On comprend ainsi que ce qui est rejeté par cette décision de Trump, ce n’est pas seulement « le reste du monde » mais aussi le reste de l’humanité, y compris les enfants, présents et futurs, de ses administrés.

Cette décision a fait l’effet d’un coup de tonnerre mais n’est en rien une surprise. Durant sa campagne électorale de 2016, Trump avait qualifié, déjà, le réchauffement climatique de canular (hoax) et avait émis un tweet pour préciser qu’il était « un concept créé par et pour les Chinois pour rendre l’industrie américaine non compétitive ». Il avait ajouté que « tout le monde se fiche de la montée des océans ». Ce n’étaient là que quelques-unes de ses « fake news » favorites, dont il n’a pas été avare.  Le Washington Post a recensé 30.573 mensonges colportés par Donald Trump pendant les quatre années de son premier mandat (voir : « Le développement durable en pleine infox »).

Il avait pris l’engagement de rompre (« cancel ») l’accord dans les 100 premiers jours de son mandat ainsi que de supprimer les mesures rendant obsolètes les vieilles centrales au charbon et de relancer l’extraction offshore de pétrole et de gaz. Une fois élu, l’un des premiers actes du nouveau Président a été la nomination de Scott Pruitt, un climato-sceptique notoire, à la tête de l’Agence pour l’environnement, puis d’enclencher le détricotage de toutes les mesures de transitions énergétiques décidées par l’administration précédente. Trump saison 2 (janvier 2025 – ?) tel qu’il se dessine ressemble furieusement à la saison 1.

Lors du sommet du G7 fin mai 2017 en Sicile, Donald Trump a refusé de soutenir l’Accord de Paris et clairement laissé entendre qu’il pourrait rompre unilatéralement la participation de son pays à cet accord essentiel pour notre avenir commun. Lors de ce G7, les six autres dirigeants participants, mais aussi le pape François, qui a reçu le président américain au Vatican le 24 mai, ont plaidé pour un maintien de Washington dans l’accord de 2015 scellé lors de la COP21. Ce maintien comptait aussi des partisans dans l’entourage même de Trump, notamment le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, le secrétaire à l’énergie, Rick Perry, le conseiller économique de la Maison Blanche, Gary Cohn,… sans oublier sa fille aînée, Ivanka Trump.

Ce faisant, il a expliqué protéger la croissance et l’emploi, qui seraient handicapés par les mesures prévues dans l’accord. Comme l’indiquait le New York Times, le raisonnement tenu par Trump pour justifier ce choix était effectivement très simple : le soutien des Etats-Unis à l’accord « pénalise la création d’emplois et contredit sa promesse ‘America first’ »[3].

Trump saison 2 va sans doute s’attacher à détruire les avancées environnementales de Biden comme Trump saison 1 l’a fait avec celles d’Obama. Mais ce qui m’interpelle, c’est l’exacte similitude des arguments avancés par Donald Trump pour justifier ce choix entre Trump 1 et Trump 2  : le développement durable pénaliserait la croissance, l’emploi et l’innovation. Comme si l’histoire s’apprêtait à se répéter. Mais comme disait Karl Marx, « L’histoire se répète deux fois, la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce ».

Il me semble que les entreprises qui, à l’inverse de la croyance de Donald Trump, pensent qu’il est possible de trouver des solutions mutuellement gagnantes entre leurs objectifs économiques, sociaux et environnementaux, peuvent tourner cette décision à leur avantage en suivant cinq voies de progrès :

 

1 – Saisir les opportunités de croissance et d’emploi

Alors que Trump saison 1 menaçait clairement de rompre la ratification par son pays de la COP21 en affirmant que le développement durable tue la croissance et les emplois, la Business & Sustainable Development Commission (BSDC ; une ONG internationale centrée sur le développement soutenable) venait de montrer que se conformer aux objectifs du développement durable permet la création de 12.000 milliards de dollars (11.334 milliards d’euros) d’opportunités business à saisir pour les entreprises, mais aussi de 380 millions d’emplois directs, le tout d’ici 2030. Voilà qui mettait déjà à mal la rationalité du slogan « America First »…

L’impact emploi apparaît beaucoup plus élevé que ce qui ressort des estimations de l’OIT[4] si l’on en croit le rapport publié en juin 2015, « Travail décent et intégration sociale dans une économie verte », qui révélait que « l’économie verte peut créer entre 15 et 60 millions d’emplois supplémentaires à l’échelle mondiale en 2030 par rapport au maintien en l’état du modèle actuel ».

Se conformer aux objectifs du développement durable : 12.000 milliards de dollars  d’opportunités business et 380 millions d’emplois directs d’ici 2030.

La BSDC identifie notamment quatre grands secteurs qui vont devoir se réinventer dans les décennies à venir et offrent des perspectives marchés importantes dues à la prise en compte des enjeux du réchauffement :

  • l’alimentation et l’agriculture (2.300 milliards de dollars d’opportunités business d’ici 2030),
  • la construction et l’urbanisme (3.700 milliards de dollars),
  • l’énergie et les matériaux (4.300 milliards de dollars), et
  • la santé et le bien-être (1.800 milliards de dollars).

Elle identifie également 60 tendances à suivre, qui sont autant d’opportunités commerciales et de marchés à conquérir pour les entreprises. Ces tendances représentent des segments de marché en croissance 2 à 3 fois supérieure à la croissance mondiale pour les 15 années à venir.

BSDC – 60 opportunités commerciales en lien avec les ODD

En mai 2017, l’OCDE a publié un rapport important intitulé « Investing in Climate, Investing in Growth », qui montre justement qu’une approche intégrée, visant à la fois une croissance économique inclusive et les investissements permettant la maîtrise du réchauffement climatique , est non seulement possible mais souhaitable, à la fois pour les économies émergentes et pour les pays développés[5]. Il estime qu’une politique respectueuse du développement durable (et incluant les réformes structurelles et les politiques fiscales incitatives) peut davantage que compenser les impacts négatifs en termes de croissance de la lutte contre le réchauffement. Au global, il en résulterait un surcroît de croissance annuelle de 2,5% en moyenne pour les pays du G20 d’ici 2050, par rapport au scénario tendanciel (c’est-à-dire le prolongement des tendances actuelles)[6]. Si l’on ajoute à cela le bénéfice de ne pas subir les ravages dus au réchauffement, l’effet net sur la croissance à 2050 s’élève à 4,6%, ce qui est considérable. De surcroît cette politique serait aussi favorable non seulement à la croissance et l’emploi mais aussi à la compétitivité et au bien-être des populations.

Même en respectant les contraintes d’émissions de carbone prescrites par l’Accord de Paris, la croissance mondiale prévue est significative et surtout – c’est le bon côté de la mondialisation – le développement rapide des pays « émergents » comme la Chine, l’Inde et le Brésil va continuer à faire reculer la pauvreté, si bien que 3 milliards de personnes vont venir grossir les rangs de la classe moyenne mondiale ces 15 prochaines années.

Après la COP21, John Kerry alors Secrétaire d’Etat américain signe officiellement l’Accord de Paris

C’est d’ailleurs sur l’argument de la croissance et de l’emploi que Joe Biden a réintégré l’Accord de Paris. Dès le jour de son investiture, le 20 janvier 2021, il a signé un décret engageant les Etats Unis dans cette voie. Il a ensuite envoyé son représentant spécial pour le climat, John Kerry, ratifier l’accord au siège des Nations Unies à New-York. Quelques années auparavant, en avril 2016, alors Secrétaire d’Etat d’Obama, John Kerry avait soigné le symbole comme le montre la photo ci-contre, signant l’Accord avec sa petite-fille sur les genoux, pour bien montrer la transmission aux générations futures. Les Etats-Unis se sont ensuite fortement engagés en faveur de l’Accord même si, par tradition et conviction, les Américains, républicains comme démocrates, n’aiment pas les résolutions contraignantes – Barack Obama avait par exemple obtenu de l’Accord qu’il ne mentionne pas de réduction chiffrée d’émissions de gaz à effet de serre…

 

2 – S’appuyer sur les engagements des entreprises et des investisseurs

Comme l’a déclaré Lord Mark Malloch-Brown, ancien vice-secrétaire général des Nations unies, « si le président Trump sort de l’accord sur le climat de Paris, je soupçonne qu’il sera surpris par l’impopularité de sa décision auprès des entreprises » (31 mai 2017). Effectivement, cette hypothèse concrétisée quelques jours plus tard, s’est heurtée aux politiques des entreprises, déjà engagées dans la transition vers un monde bas carbone.

A part quelques exceptions, les entreprises américaines n’ont aucun doute sur la nécessité économique de s’engager en faveur de la lutte contre le réchauffement. Avant l’annonce de la décision de Trump saison 1, elles lui demandaient avec insistance de rester dans l’Accord de Paris. Après cette annonce, elles ont refusé l’isolationnisme américain en proclamant « We are still in ». Trump saison 2 provoquera les mêmes réticences de la part des entreprises que lors de la première saison, même si l’état d’esprit vis-à-vis du réchauffement climatique s’est dégradé aux Etats-Unis comme dans de nombreux pays développés.

Malgré cette détérioration, l’attitude de l’opinion publique américaine face aux changements climatiques reste offensive. Selon un sondage CNN publié en décembre 2023, presque les trois quarts (73%) des adultes aux États-Unis veulent que leur gouvernement en fasse plus pour combattre les changements climatiques. Une majorité soutient l’idée de réduire les émissions de gaz à effet de serre de moitié d’ici 2030. Certes, l’appui est de 95% chez les électeurs démocrates, mais il est tout de même de 50% chez les électeurs républicains. Donald Trump est obligé d’en tenir compte : des années de propagande intense contre l’ESG qualifiée « d’idéologie gauchiste » et contre le « wokisme écologique » n’ont pas suffit à dégoûter les citoyens américains de la nécessité de lutter pour le climat.

Durant les négociations de la COP21, j’avais fait part de mon scepticisme quant à la pertinence des modalités d’une négociation trop importante pour être abandonnée aux seuls diplomates, qui laissait le monde des entreprises sur le bas-côté (voir mon édito dans Metis du 14 décembre 2015 : « Le travail contre nature »). Les choses ont bien changé et les entreprises ont pris des engagements qui bien souvent sont concrets, mesurables et même concertés avec des ONG indépendantes. La poursuite de la lutte contre le réchauffement est désormais l’environnement business dans lequel elles se situent pour piloter leurs affaires, avec le niveau de visibilité et la continuité dont elles ont besoin. Les progrès sont trop lents (voir : « Climat : les entreprises au seuil de leur transformation environnementale ») mais rien ne semble pouvoir les stopper.

Comme l’écrivait la vénérable et respectée revue HBR, « les milieux d’affaires ne veulent pas quitter les accords de Paris. Même si Donald Trump et son équipe n’arrêtent pas d’affirmer que l’action contre le réchauffement climatique est défavorable à l’économie, la plupart des entreprises [américaines] sont en désaccord avec cette assertion »[7]. C’était même le cas des pétroliers, comme Chevron, Occidental Petroleum, ConocoPhilips et ExxonMobil, qui produisent du gaz naturel qui pourrait se substituer au charbon, davantage polluant, ainsi que de plusieurs industriels du charbon (comme Cloud Peak ou Peabody) ou encore du gaz (Cheniere Energy). « C’est pathétique de voir la plus grande entreprise pétrolière au monde comprendre mieux le changement climatique que le président, » dira Bernie Sanders, l’ancien candidat à la primaire des démocrates.

La veille de l’annonce de Donald Trump, l’assemblée générale des actionnaires d’ExxonMobil, No 1 mondial du pétrole (dont l’ancien CEO est Rex Tillerson, qui fut ensuite secrétaire d’Etat de Trump), a envoyé un message particulièrement clair aux investisseurs et à l’administration américaine en votant (à une forte majorité de 62% des voix) en faveur d’une résolution qui mettait leur société en demeure de proposer des stratégies compatibles avec le maintien du réchauffement climatique dans la limite de 2 degrés, comme prévu par l’Accord de Paris. Cette résolution était portée par le fonds de retraite de l’État de New York, l’un des principaux fonds de pensions publics américains et soutenue par BlackRock, le fonds d’investissement qui détient 11% du capital et le fonds d’investissement de l’Église d’Angleterre, contre l’avis de la direction de l’entreprise. L’année précédente, une motion identique n’avait recueilli que 38% des suffrages, ce qui marque la progression de la compréhension des enjeux par les actionnaires, de plus en plus sensibles à la maîtrise des risques.

En avril 2017, la coalition We Mean Business, qui fédère 570 entreprises et 183 investisseurs, affirmait que « l’Accord de Paris donne aux entreprises un cap à atteindre et le cadre sûr dont elles ont besoin pour faire des investissements d’avenir en matière d’innovation et d’infrastructure ».

Un groupe important de grandes entreprises a publié une lettre ouverte au Président dans la presse américaine, que vous pouvez découvrir ici. Elles y indiquaient qu’en « stimulant le marché pour les technologies propres et innovantes, l’accord permet la création d’emplois et d’opportunités de croissance. Les entreprises américaines sont favorablement positionnées pour prendre le leadership de ces marchés. Sortir de l’accord limiterait nos possibilités d’accès à ces marchés et pourrait aussi nous exposer à des mesures de rétorsion ». Elles ajoutent que la participation des Etats Unis à l’accord leur permet de renforcer leur compétitivité et de réduire leur exposition aux risques business.

Le 10 mai déjà, 30 PDG avaient réuni leur signature pour demander publiquement la même chose. Parmi eux, ceux de 3M Company, Bank of America Corp., Campbell Soup Company, Cargill Inc., Citigroup Inc., Coca-Cola Company, Corning Incorporated, Dow Chemical Company, DuPont de Nemours, General Electric, Goldman Sachs, Johnson & Johnson, JP Morgan Chase, Morgan Stanley, Procter & Gamble, Tesla Inc., Unilever, Walt Disney Company… Quelques jours plus tôt, le 7 mai, un groupe d’investisseurs de long terme publiait un appel au G7 pour lui demander de maintenir l’accord et de piloter sa mise en œuvre aussi rapidement que possible. D’autres établissements financiers ont rejoint ce texte, qui réunissait le 22 mai plus de 280 institutions pour 17 milliards de dollars d’actifs gérés (voir sur le site de CERES).

En marge du sommet de Marrakech sur le climat, en novembre 2016 (COP22), quelque 360 entreprises basées aux Etats-Unis avaient déjà publié un appel dans le Wall Street Journal demandant à Donald Trump de respecter l’Accord de Paris, affirmant que « la prospérité de l’Amérique sera menacée si nous ne construisons pas une économie économe en hydrocarbures ». Et elles ajoutaient : « Agir maintenant permettra de créer des emplois et de stimuler notre compétitivité ». Un millier d’entreprises et d’investisseurs ont signé cette tribune dénommée « les entreprises soutiennent une économie américaine bas carbone »[8].

A peine quatre jours après l’annonce par Donald Trump du retrait des Etats Unis de l’Accord de Paris ratifié par l’administration Obama, 902 entreprises et investisseurs, 125 villes, 9 États, et 183 universités lançaient l’initiative « We are still In », c’est-à-dire : « Nous sommes toujours dans l’Accord de Paris ». Ensemble, ce groupement représentait 120 millions d’américains et contribuait à hauteur de 6.200 milliards de dollars à l’économie américaine. Dans une lettre commune, ils précisaient le sens de leur démarche : « Les signataires assurent que l’Accord de Paris est favorable à la création d’emplois, à la stabilité et à la prospérité mondiale. L’accélération de la transition énergétique propre des États-Unis est une opportunité – pas une contrainte – pour créer des emplois, stimuler l’innovation, promouvoir le commerce et assurer la compétitivité américaine ». En conséquence, ils s’engageaient à tout faire pour que la réduction des émissions de CO2 (de 26 à 28 % en 2025 par rapport à 2005) promise par les États-Unis lors de la COP21 soit respectée, voire dépassée. Dans cette perspective, ils ont établi des contacts avec l’Organisation des Nations-Unies pour que leurs efforts et ses impacts soient comptabilisés dans l’Accord de Paris, malgré le retrait de l’Etat fédéral.

Enfin, signe qui ne trompe pas, après l’engagement du monde des entreprises, puis des investisseurs, vint celui de la superstructure qui les soutient, c’est-à-dire le monde de la finance, qui commençait à basculer. La Task Force sur le reporting climatique, mise en place par le Conseil de stabilité financière du G20 fin 2015, a présenté son rapport final en amont du G20 des 7 et 8 juillet. Mark Carney, le gouverneur de la Banque Centrale d’Angleterre qui présidait aussi le Fonds de Stabilité Financière, a été saisi en 2015 par les ministres des finances du G20 sur la question du risque systémique que représente le changement climatique. Il a défini ce qu’il a appelé la « tragédie des horizons », et les trois risques à prendre en considération : les risques physiques (conséquences effectives d’événements climatiques et météorologiques sur les passifs d’assurance et sur la valeur des actifs financiers) ; les risques en responsabilité (les potentielles conséquences à venir, si des parties prenantes ayant souffert de pertes ou de dégâts dus aux effets du changement climatique cherchaient une compensation par ceux qu’ils tiendraient pour responsables) ; les risques de transition (risques financiers engendrés par un processus d’ajustement vers une économie moins carbonée)[9].

Le High Level Expert Group (ou HLEG, groupe d’experts européen sur la finance durable), lancé par la Commission européenne en octobre 2016, travaillait activement sur une première série de recommandations sur la finance durable, présentées dans un rapport intermédiaire en juillet. Il faut aussi, bien sûr, mentionner les green bonds (obligations vertes) dont le montant d’émissions en 2016, 81 milliards de dollars, avait presque doublé par rapport à l’année précédente.

Au travers de toutes ces initiatives menées par la « communauté financière », il s’agissait bien de réorienter le fonctionnement des systèmes financiers afin d’atteindre les objectifs environnementaux et sociaux.

De ce point de vue, la saison 2 s’inscrit dans les pas de la saison 1. Ainsi par exemple, Mission 2025, est une nouvelle coalition internationale d’acteurs privés et publics, lancée durant l’été 2024. Elle rassemble des grandes entreprises comme Unilever, Ikea, Iberdrola, des coalitions d’entreprises engagées comme We mean Business, mais aussi des maires, des gouverneurs et des investisseurs, avec l’appui de Christiana Figueres, l’une des architectes de l’Accord de Paris. Son objectif est de pousser les Etats à tenir leur promesse et à présenter des engagements climatiques plus ambitieux et conformes à ce que prévoit l’Accord de Paris.

« Le lancement de la Mission 2025 constitue une réfutation claire de tous ceux qui prétendent qu’il est trop difficile, trop impopulaire ou trop coûteux d’agir plus rapidement pour lutter contre la crise climatique, » a déclaré Christiana Figueres. Mission 2025 met en avant les 55 plus grandes multinationales mondiales, avec un chiffre d’affaires annuel combiné de plus de 4.400 milliards de dollars, qui ont publié des plans de transition alignés sur un scénario 1,5°C. Ou encore les 31.000 milliards de dollars, soit plus des deux tiers des revenus annuels des plus grandes entreprises du monde, qui sont désormais alignés sur l’objectif d’émissions nettes nulles, en hausse de 45% sur deux ans, selon les données de l’Energy & Climate Intelligence Unit, un groupe de réflexion indépendant sur le climat (voir Novethic, 1er juillet 2024).

 

3 – Réaliser le découplage entre croissance économique et consommation de ressources

Lors de Trump saison 2 comme lors de la saison 1, les conseillers économiques du président ont fait part de leur scepticisme quant à la possibilité de concilier (au moins en partie) la préservation du mode de vie de leurs concitoyens avec les objectifs du développement durable. Certes, ce n’est pas entièrement faux : pour réduire de façon drastique les émissions de gaz à effet de serre, il faudra s’attaquer à la surconsommation des ressources. Mais le découplage entre consommation de ressource et croissance est déjà à l’œuvre : il permet une croissance moins intensive en ressources, qui peut se révéler très favorable à l’emploi, comme l’a montré en France, l’exercice de prospective réalisé par France Stratégie[10].

Le rapport publié à cette occasion insiste sur les effets des nouvelles technologies mais aussi sur les changements de comportement, dont on surestime facilement la rigidité. « Jusqu’au début des années 1970, l’augmentation année après année du nombre de morts sur la route faisait figure de contrepartie inévitable du développement de la circulation automobile ; depuis, le nombre de kilomètres parcourus a été multiplié par deux, et le nombre de morts divisé par trois. Ce qui paraissait mécaniquement lié a été découplé ». L’effet sur l’emploi est puissant car découpler croissance et dégradations de l’environnement suppose souvent de tirer le meilleur parti des ressources naturelles, quitte à augmenter les inputs en capital ou en travail (non délocalisable) associés. « En agriculture par exemple, il est possible de découpler la progression des rendements des atteintes aux écosystèmes en mobilisant des techniques fondées sur l’agronomie et l’écologie telles que l’agroécologie ou l’agriculture biologique, mais au prix souvent d’un travail et d’investissements supplémentaires ». Les coûts de certaines technologies essentielles à la transition énergétique sont en forte baisse ce qui joue le rôle d’accélérateur (par exemple, celui des cellules photovoltaïques permettant de produire l’énergie solaire a chuté de 80% de 2010 à 2017).

Comme l’indique Dominique Méda, « Si nous nous engageons dans la reconversion écologique de façon intelligente, nous allons créer des emplois et même peut-être parvenir à “désintensifier” le travail, à condition de rompre avec la recherche obsessionnelle des gains de productivité au profit des gains de qualité et de durabilité »[11].

Dans pratiquement tous les secteurs d’activité, il existe pour les entreprises des opportunités considérables de se réinventer dans l’objectif de devenir plus durables et responsables, mais aussi de conquérir des nouveaux marchés. Il ne s’agit plus de perfectionner, d’optimiser, de rationaliser les business models existants mais au contraire de les transformer en profondeur. L’autopartage et le covoiturage (car-sharing) sont un bon exemple : ils permettent la réduction de la dépendance à la voiture individuelle, des émissions de CO2, des besoins en places de stationnement, des dépenses de carburant mais aussi de recréer du lien social, de changer les rapports à la consommation, de reconfigurer la ville (smart & mobile cities). C’est ainsi que fonctionne l’innovation : c’est la création de la voiture (innovation technique) qui a créé la ville moderne avec ses centres commerciaux en périphérie (innovation sociale)…

Le rapport de la BSDC cité ci-dessus détaille plusieurs approches possibles pour réaliser ce découplage, qui constitue un moteur pour la transition vers une économie soutenable. Il montre que les objectifs environnementaux, sociaux et économiques sont en grande partie convergents. En effet, au fur et à mesure que le système économique se tourne vers ces nouveaux business models, une nouvelle vision de l’économie émerge, qui change les règles sociales, réhabilite le travail et construit un nouveau contrat social, fondé sur l’autonomie et l’équité.

L’éco-conception est une autre approche prometteuse. Elle se fonde sur l’idée selon laquelle la consommation de ressources s’effectue certes au stade de la fabrication mais aussi plus tard dans le cycle de vie du produit, dans son usage. Selon Levi Strauss, 58% de la consommation d’énergie et 45% de la consommation d’eau liées à un jean (durant son cycle de vie) interviennent après sa production, quand le client lave et sèche son pantalon. Selon un chiffre communément cité – mais dont je n’ai pu tracer la source exacte — 70% des impacts sociaux et environnementaux d’un produit sont déterminés en amont, au moment du design et de la R&D.

 Une étude menée par le pôle éco-conception et management du cycle de vie, à Saint-Étienne, et par l’institut de développement de produits à Montréal, avec le soutien de l’Ademe[12], rappelle les résultats d’une analyse de 119 entreprises en France, au Québec et dans l’Union européenne, selon laquelle 45 % des sociétés ont vu leurs profits augmenter (dont 6 % de manière importante) grâce à l’éco-conception. Par ailleurs, la marge bénéficiaire de ces innovations se révèle supérieure de 12 % à celle des produits fabriqués de manière conventionnelle. Et ce, sans compter toutes les autres retombées positives sur l’image de l’entreprise, la motivation et la fierté de ses employés, mais également des relations plus étroites avec ses clients et une plus grande capacité à créer de nouveaux produits.

La conversion vers les énergies renouvelables est aussi un moyen d’assurer le découplage entre croissance et consommation d’énergies fossiles. La décision de Trump saison 1 a conduit à une baisse de régime dans ce secteur, qui employait aux Etats-Unis plus de 777.000 personnes (5 fois plus que les 160.000 travailleurs du secteur du charbon) et dont le taux de croissance était… 17 fois supérieur à celui du reste de l’économie. L’industrie solaire américaine progressait à un rythme annuel de 25%.

La part des énergies renouvelables dans la production électrique américaine a continué à progresser durant Trump saison 1. A l’échelle mondiale, les énergies renouvelables représentaient en 2016 quelque 9,8 millions d’emplois[13]. Malgré les oppositions toujours aussi fortes du président vis-à-vis du renouvelable, le solaire et l’éolien qui représentent plus de 60 % de la capacité de production du réseau électrique américain (46 % pour le solaire et 17 % pour l’éolien) devraient continuer à progresser durant la saison 2. Certains États particulièrement actifs dans le développement des énergies renouvelables, sont d’ailleurs des États pétroliers, comme le Texas et l’Oklahoma.

 

4 – Faire éclore l’ingéniosité collective

Une étude réalisée par Deloitte en 2012 met en évidence une corrélation positive entre la performance des grandes entreprises en matière de développement durable et leur capacité d’innovation.

S’imposer la contrainte de limiter les dégradations que nous faisons subir à l’environnement nous incite à sortir du cadre de notre modèle de croissance à bout de souffle. C’est un vecteur d’innovation puissant. C’est ainsi qu’une étude réalisée par Deloitte en 2012 mettait déjà en évidence une corrélation positive entre la performance des grandes entreprises en matière de développement durable et leur capacité d’innovation : les grandes entreprises les plus performantes en matière de développement durable ont ainsi quatre fois plus de chances que les autres d’apparaître dans les classements des leaders mondiaux de l’innovation[14]. En France, deux économistes et professeurs à l’université de Savoie, Rachel Bocquet et Caroline Mothe, ont étudié le « Profil des entreprises en matière de RSE et innovation technologique » et constatent que « s’engager dans des programmes sociétaux et environnementaux semble pouvoir fournir de précieuses ressources et favoriser l’innovation produit ainsi que l’implication des employés qui accroit l’innovation de procédés »[15] (voir : « 2015, année RSE ? »).

L’exposition itinérante WAVE a contribué à rendre concrète la vague d’ingéniosité collective qui traverse le monde[16]. En s’appuyant sur de nombreux exemples, elle en a exploré les principaux courants, et mis en valeur ses réalisations sur tous les continents. Elle s’intéresse notamment aux cinq courants de l’ingéniosité collective qui structurent ces innovations par la capacité qu’ont les individus de trouver ensemble des solutions simples et efficaces pour faire mieux avec moins :

  1. la co-création : on peut impliquer toute une communauté dans la création d’un objet ou d’un projet innovant.
  2. l’économie du partage : le concept est que chacun possède des choses à partager, de sa voiture à ses talents de menuisier.
  3. le mouvement des makers : tout le monde peut innover et changer le monde en créant ses propres objets.
  4. l’économie inclusive : l’idée est de créer des entreprises ayant une valeur partagée – pour les entrepreneurs comme pour la société.
  5. l’économie circulaire : tout est connecté, interdépendant ; les systèmes de consommation doivent donc être développés dans cette optique.

« Dans un système de plus en plus connecté et interdépendant, intérêts personnels et intérêt collectif convergent : le bien-être de chacun dépend de celui de tous les autres, » nous rappellent les organisateurs. Prenons l’exemple du second point, l’économie du partage. Dans un rapport récent, Sustainable Brands mentionne deux start-up américaines, Gwynnie Bee and Rent the Runway qui permettent à leurs clients de louer leurs vêtements plutôt que de les acheter, ce qui émousse le gâchis lié aux effets de mode. Il rappelle que le textile représentait 8% de tous les déchets solides collectés par les municipalités aux Etats-Unis en 2013 et que l’industrie de l’habillement est responsable de 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et 20% de la pollution industrielle de l’eau[17].

La menace chinoise n’est pas là où Donald Trump voudrait la pointer : début 2017, le gouvernement chinois annonçait son plan d’investissement dans les énergies renouvelables, soutenu par un financement de quelque 360 milliards de dollars d’ici 2020. Signalant ainsi son intention de prendre le leadership mondial dans ce secteur d’avenir, il chiffrait aussi à 13 millions, le nombre d’emplois créés grâce à cette initiative. Dans le domaine énergétique, la Chine se pose ainsi en leader de l’investissement dans les énergies renouvelables mais aussi autours des questions relatives au changement climatique (finance verte notamment). Elle cherche à prendre l’espace laissé vacant par les États-Unis.

Le repli américain est bien résumé par l’apostrophe utilisée par Donald Trump pour justifier le retrait de son pays de la COP21, qui voulait signifier la défense de l’industrie américaine et de ses emplois : « J’ai été élu pour représenter les habitants de Pittsburgh, pas de Paris ». Elle sonne également la fin du leadership des Etats-Unis sur les affaires du monde. Mais Bill Peduto, le maire de cette ancienne ville sidérurgique de Pennsylvanie, qui a majoritairement voté pour la candidate démocrate lors des élections présidentielles de 2016, a immédiatement répliqué. « En tant que maire de Pittsburgh, je peux vous assurer que nous suivrons les directives de l’Accord de Paris pour nos administrés, notre économie et notre avenir »…

Pour comprendre comment réagissent les milieux sensibles à l’innovation, il faut faire un détour par la Silicon Valley. Quelques heures seulement après l’annonce du retrait américain par Donald Trump saison 1, Jerry Brown, gouverneur de Californie, annonçait la création d’une alliance climatique avec ses homologues de New-York et de Washington, « une coalition qui réunit les États américains engagés à respecter l’Accord de Paris et à prendre des mesures énergiques contre le changement climatique ». « Donald Trump a factuellement tort, » ajoutait-il, « l’économie américaine est stimulée par les exigences de l’Accord de Paris ». Simultanément, Elon Musk, l’une des figures de la Silicon Valley, fondateur de Tesla et SpaceX, annonçait sa décision de quitter sa fonction de conseil au Président : « Je quitte les conseils présidentiels. Le changement climatique est réel. Quitter Paris n’est pas bon pour l’Amérique et le monde ». Là, la saison 2 n’adopte pas du tout le même scénario…

 

5 – Jouer la carte européenne

L’annonce par Donald Trump du retrait de l’Accord de Paris lors de la saison 1 a eu au moins un mérite : une accélération de la mobilisation des différents acteurs plus que jamais convaincus par l’urgence de la lutte contre le changement climatique. En France, c’est dans cet esprit qu’Emmanuel Macron a réuni le 6 juin 2017 des organisations non gouvernementales, des entreprises et la communauté scientifique à l’Elysée, en présence des ministres chargés de la transition écologique, de la recherche et des affaires étrangères. « Nous sommes plus déterminés que jamais en Allemagne, en Europe et dans le monde à rassembler toutes nos forces » pour faire face au défi climatique, déclarait la chancelière allemande Angela Merkel. La défection américaine a provoqué un sursaut en Europe, qui allait déboucher sur le Pacte vert (« Green Deal »), initiative très ambitieuse menée par l’UE.

La transition écologique est, par excellence, un sujet sur lequel une politique européenne aurait beaucoup de sens.

La transition écologique est, par excellence, un sujet sur lequel une politique européenne a beaucoup de sens. D’autant qu’elle ne requiert pas seulement des investissements mais aussi une mise en mouvement de tous les acteurs économiques pour accompagner les transitions professionnelles, la formation, mobiliser les partenaires sociaux. Jean-Raymond Masson a examiné les dispositifs mis en œuvre dans les divers pays européens (ainsi qu’en Australie, en Chine, etc.) et montre la richesse – mais aussi la diversité – des initiatives[18].

« Pour nous européens, l’enjeu de la réduction des émissions de CO2 est associé à une formidable opportunité économique : opportunité en termes d’activité et d’emploi dans les secteurs de la transition énergétique, opportunité de rééquilibrage de la balance commerciale de l’Union et d’accroissement de notre sécurité énergétique, et enfin opportunité de régulation de la mondialisation et de lutte contre le dumping environnemental, » écrivaient François Berthélemy et Antoine Guillou dans un rapport de Terra Nova intitulé « Pour une stratégie climatique audacieuse ; des propositions pour agir sans attendre »[19].

C’est ici qu’apparaît une différence essentielle entre les deux saisons Trump : alors que la première a provoqué un sursaut de l’UE, la seconde coïncide au contraire avec un recul prononcé des ambitions européennes en matière de transition écologique (voir : « L’Europe à un tournant : le Pacte vert menacé »).

 

Conclusion

Il arrive, au grand bonheur des directeurs de la RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise), qu’une décision permette de faire converger les intérêts économiques, sociaux et environnementaux. Mais la vie réelle est aussi faîte de ces tensions entre objectifs qu’il faut arbitrer. La décision de Donald Trump propose le cas – assez inédit – inverse : elle va à l’encontre des intérêts économiques, mais aussi sociaux et encore environnementaux de ses concitoyens comme de tous les habitants de la planète, présents et futurs. C’est la raison pour laquelle je crois qu’elle ne tiendra pas sur la durée : la saison 2 connaîtra le même destin que la saison 1, celui de la remise en cause. Une remise en cause discrète, qui ne contestera pas frontalement les convictions de Donald Trump, mais qui amènera celui-ci à s’accommoder du comportement des entreprises américaines, mues avant tout par leur intérêt bien compris. La saison 2 s’alignera de ce point de vue avec la saison 1 car le moteur de l’histoire est davantage propulsé par les intérêts et les calculs économiques que par la morale, la philanthropie ou les incantations politiques d’un populiste assumé…

« La question, désormais, n’est pas de savoir s’il y aura ou non une transition énergétique – elle est inéluctable – mais il s’agit de savoir si on l’anticipe ou si elle s’impose à nous », avertissait justement Marie-Béatrice Levaux, rapporteure avec Bruno Genty d’un avis du CESE sur l’emploi dans la transition écologique[20]. La question de l’emploi est en effet majeure, dans la saison 2 comme dans la précédente. Selon les deux auteurs, elle « n’est pas seulement une conséquence, ou une simple variable d’ajustement, de la transition écologique ; elle conditionne aussi la réussite de cette dernière. En effet, l’enrichissement en compétences et en qualifications, les transitions professionnelles et des créations d’emplois nouveaux doivent être envisagés avec un certain volontarisme comme partie intégrante des stratégies environnementales conduites par les autorités publiques et les acteurs économiques et sociaux ».

Le rapport du BSDC cité ci-dessus affirme que les entreprises qui s’investissent dans ces tendances et alignent leurs objectifs business aux Objectifs de Développement Durable dès aujourd’hui auront de 5 à 15 ans d’avance sur leurs concurrents dans les années à venir. De son côté, le World Resources Institute (WRI) avertit: « La réussite des entreprises exige qu’elles découplent leur croissance de l’augmentation des ressources consommées et de leurs impacts environnementaux. Celles qui s’y astreindront seront là pour longtemps pour servir leurs clients et leurs actionnaires. Celles qui refuseront seront supplantées par leurs concurrents ou de nouveaux entrants plus innovants et enclins à conduire les transformations nécessaires »[21]. De ce point de vue, le développement durable — et la transition énergétique en particulier – participent au mouvement général de turbulence compétitive qui s’est emparé des entreprises.

Lors de son allocution du 1er juin 2017 à la suite du retrait américain de l’accord de Paris, Emmanuel Macron avait détourné le célèbre slogan de campagne de Donald Trump en affirmant que c’est désormais à la planète qu’il faut rendre sa grandeur. Alors oui, le mouvement lancé par les entreprises qui affirment leur volonté de poursuivre les efforts de décarbonation montre que l’Amérique que nous aimons est toujours vivante. Comme dans la fable du colibri, elle prendra sa part du travail : “Make our planet great again » !

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,

Management & RSE

Pour aller plus loin :

A la faveur de la rédaction de cet article, j’ai remis à jour mon argumentaire en faveur d’un développement durable plus volontariste, au travers des bénéfices financiers, économiques, sociaux et environnementaux qu’il procure, en recensant les études, recherches et travaux universitaires sur le sujet. C’est ici : « Le développement durable contre l’emploi ? »

Crédit image : « Le bateau échoué », huile sur toile, par François-Pierre Barry (1813 – 1905) peintre français

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[1] Alexandre Rambaud, enseignant chercheur en sciences de gestion à AgroParistech et chercheur associé à Paris Dauphine, Audition aux Bernardins, 21 avril 2017

[2] « Notre avenir à tous », rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies, 1987

[3] Michael D. Shear and Coral Davenport, “Trump Expected to Pull U.S. From Paris Climate Accord”, New York Times, May 31, 2017

[4] Organisation internationale du travail ; associe les gouvernements, les employeurs et les syndicats de 185 pays.

[5] “Investing in Climate, Investing in Growth”, OECD Report, May 2017 http://oe.cd/g20climate

[6] Les pays du G20 représentent ensemble 85% du PNB mondial et 80% des émissions de CO2.

[7] Andrew Winston, « U.S. Business Leaders Want to Stay in the Paris Climate Accord », Harvard Business Review, May 31, 2017

[8] “Business Backs Low-Carbon USA statement”, texte et liste des signataires disponible: http://lowcarbonusa.org/business

[9] Pour plus de détails, voir Abdeldjellil Bouzidi, Alain Grandjean et Mireille Martini, « Régulation financière et urgence climatique – Pour des normes prudentielles et comptables plus vertes », Rapport Terra Nova, 6 juin 2017 http://tnova.fr/etudes/regulation-financiere-et-urgence-climatique-pour-des-normes-prudentielles-et-comptables-plus-vertes

[10] « Quelle France dans dix ans ? Les Chantiers de la décennie », Rapport de France Stratégie au président de la République, sous la direction de Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, juin 2014

[11] « Quel avenir pour le travail ? Regards de Dominique Méda et Paul Jorion », Kaizen, 23 février 2016

[12] Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ; www.ademe.fr

[13] Rapport de l’IRENA, agence internationale sur les énergies renouvelables, 2017

[14] Deloitte, “The Sustainability-Innovation Connection: Making it work”, 2012

[15] Rachel Bocquet et Caroline Mothe, « Profil des entreprises en matière de RSE et innovation technologique », « Management & Avenir », décembre 2013

[16] Par exemple à Paris La Villette en septembre 2014 mais aussi à Pékin en Chine en 2017 

[17] Eliot Metzger, Lindsey Longendyke et Samantha Putt del Pino, “Unchecked Consumption Is the Elephant in the Boardroom”, Sustainable Brands, March 24, 2017

[18] Jean-Raymond Masson, « Fabrique des compétences ‘vertes’ et innovation pédagogique », Metis, 3 décembre 2015 http://www.metiseurope.eu/fabrique-des-competences-vertes-et-innovation-pedagogique_fr_70_art_30246.html

[19] François Berthélemy et Antoine Guillou, « Pour une stratégie climatique audacieuse ; des propositions pour agir sans attendre », Rapport Terra Nova, novembre 2016 http://tnova.fr/notes/pour-une-strategie-climatique-audacieuse-des-propositions-pour-agir-sans-attendre

[20] Marie-Béatrice Levaux et Bruno Genty, « L’emploi dans la transition écologique », Rapport du CESE, Juin 2015

[21] Samantha Putt del Pino, Eliot Metzger, Deborah Drew and Kevin Moss, “The Elephant in the Boardroom: Why Unchecked Consumption Is Not an Option in Tomorrow’s Markets”, World Resources Institute report, March 2017

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