Le développement durable contre l’emploi ?

Le progrès écologique serait-il l’ennemi de l’emploi ?

[ Mise à jour : 28 mai 2018 ] Un vent mauvais s’est levé sur le développement durable. L’idée s’est installée que le progrès écologique serait l’ennemi de l’emploi et de la croissance. Sans nier les tensions qui s’expriment entre les objectifs  environnementaux, sociaux et économiques, l’évidence s’impose : l’inaction n’est plus une option. Par ailleurs, des solutions existent pour éviter que ne s’installe ce nouvel obscurantisme. Je souligne dans cet article des pistes de progrès dont les gouvernements et les entreprises peuvent se saisir.

Entre bonnets rouges, écotaxe, craintes pour l’emploi dans la filière nucléaire ou dans l’agriculture intensive, questions d’environnement qui « commencent à bien faire » et fiscalité environnementale qualifiée d’« écologie punitive », dénonciation unilatérale par Donald Trump des accords de Paris sur le climat, la nécessité d’accorder un niveau de priorité élevé à la politique environnementale est fréquemment présentée comme antinomique avec l’emploi et la croissance[1].

A/ Pourquoi l’inaction n’est-elle plus une option ?

Cinq raisons majeures obligent à une action déterminée.

A1 – Notre mode de croissance n’est plus soutenable

Notre mode de croissance et l’empreinte écologique qu’elle provoque ne sont plus soutenables. Ils se heurtent à la finitude de notre monde. Le professeur Albert Jacquard (1925 – 2013) aimait rappeler que le premier à comprendre et à exprimer la mutation subie actuellement par l’humanité n’a été ni un responsable politique ni un homme de science, mais un poète : en 1945, dans « Regards sur le monde actuel », Paul Valéry écrivait : « Le temps du monde fini commence ». Le généticien publiait en mai 2004 un article intitulé « Finitude de notre domaine » dans Le Monde Diplomatique : « Jusqu’il y a peu, il était possible de regarder comme pratiquement infini, quasi inépuisable, le domaine qui nous était accessible. Les cartes de la planète comportaient de grandes taches blanches désignées comme Terra incognita ; les biens qu’elle nous donnait étaient sans fin renouvelables ; chassés d’un territoire, il nous était possible d’en trouver un autre ailleurs. Désormais, nous n’avons plus d’ailleurs… La sagesse est d’admettre que nous sommes définitivement assignés à résidence sur la Terre ».

Cette finitude de notre domaine a pourtant échappé à bon nombre d’entreprises: le WRI a compilé 40.000 rapports de développement durable réalisés sur une période de 14 ans (entre 2000 et 2014) pour constater que seules 5% environ des entreprises mentionnent une quelconque sorte de limite écologique (voir Samantha Putt del Pino, Eliot Metzger, Deborah Drew and Kevin Moss, “The Elephant in the Boardroom: Why Unchecked Consumption Is Not an Option in Tomorrow’s Markets”, World Resources Institute report, March 2017).

Nous n’avons pas la sagesse à laquelle nous invitait Albert Jacquard. Aujourd’hui à l’échelle du globe, nous « consommons » chaque année l’équivalent de 1,7 planète en termes de ressources. A lui seul, le monde occidental consomme 5 planètes, … grâce aux habitants des pays les plus défavorisés, qui, eux, font abstinence. Et si les citoyens des pays du Sud consommaient autant que les Français (sans même parler des Américains…), c’est 3 planètes que nous consumerions chaque année (voir : « 2018, première année du reste de notre vie »). Comme le disait Gandhi, « le monde a assez pour les besoins de chacun ; pas pour la cupidité de tous ». Le statu quo n’est plus moralement et humainement possible : en d’autres temps, cette surconsommation des ressources était qualifiée de politique de la terre brûlée.

Comme l’explique avec grande conviction la sociologue Dominique Méda, qui s’intéresse à la fois au développement durable et au travail humain, il faut désormais « se comporter à l’égard de la nature comme des usufruitiers et non des propriétaires. L’objectif ne doit plus être la croissance du PIB mais la satisfaction des besoins humains sous contrainte des réserves naturelles et de la cohésion sociale »[2].

A2 – Notre mode de croissance génère des inégalités insupportables

Dans un rapport intitulé « Pour une politique sociale-écologique : protéger l’environnement et réduire les inégalités », la Fondation Terra Nova souligne que « ce sont les pays les plus pauvres qui subissent les pires conséquences du dérèglement climatique ou de la perte de biodiversité, et ce sont aussi, au sein des pays riches, les populations les plus pauvres qui habitent dans les territoires les plus touchés par la pollution de l’air et le bruit »[3].

Il y a là un profond facteur d’injustice : les nuisances écologiques affectent en priorité les plus fragiles (pays en voie de développement ou personnes les plus défavorisés au sein des pays riches) alors que ce sont les pays riches et les personnes les plus économiquement favorisées qui sont à la source de la plus grande part de ces nuisances. Ce sont pourtant ces derniers qui ont les moyens d’agir pour faire mettre fin ou atténuer ce facteur d’injustice.

En retenant les émissions de gaz à effet de serre (GES) comme indicateur de mesure de l’impact environnemental des ménages, on constate que les 20 % des ménages les plus aisés en France induisent, via leur consommation, 29 % des émissions du pays, alors que les 20% des ménages les plus modestes n’en induisent que 11 %. Le bilan carbone moyen d’un Français du 5ème quintile est ainsi 2,6 fois plus élevé que celui d’un Français du 1er quintile[4].

A3 – Le coût de l’inaction devient insupportable

Dans le troisième et dernier volet de son cinquième rapport, publié en mars 2014, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), qui s’appuie sur le travail d’un millier d’experts, estime que la communauté internationale a les moyens d’assurer le passage de l’énergie fossile aux énergies renouvelables. Cette transition ne retirerait selon le GIEC que 0,06 point de pourcentage par an à la croissance économique mondiale. Alors secrétaire d’État américain, John Kerry alertait les dirigeants du monde en affirmant que chaque année d’inaction augmentait le coût futur de la lutte contre le réchauffement climatique, qui connaît un phénomène d’emballement. Le groupe AXA, numéro 1 mondial de l’assurance, estime que les « évènements naturels majeurs » – les catastrophes dites « naturelles » – ont quintuplé au cours des 50 dernières années et que leur coût pour la société civile a été multiplié par 10.

De fait, le coût majeur est celui de l’inaction. Publié en 2006, le rapport de Nicholas Stern fait toujours référence aujourd’hui. Ancien chef économiste et vice-président de la Banque mondiale, Nicholas Stern était alors directeur du Budget et des Finances publiques du Trésor britannique. Il estimait que ne rien faire face au changement climatique coûterait entre 5 et 20% du PIB mondial. L’immobilisme coûterait donc au monde entre… 3.500 et 15.000 milliards de dollars. On peut comparer ces montants à deux points de référence :

  • La crise des crédits hypothécaires (« subprimes »), née aux États-Unis et qui a déclenché une crise mondiale à partir de fin 2008, a représenté un coût largement inférieur au point bas de l’estimation, environ 2. 800 milliards de dollars.
  • Les 5 à 20% du PIB mondial que représente le coût de l’inaction est incomparablement plus élevé que le coût net de l’action, soit 1 % environ.

En 2012, les chercheurs estimaient que le coût du changement climatique et de la pollution atteindrait l’équivalent de 3,2% du PIB mondial d’ici 2030. Ce coût pèserait d’abord sur les pays les moins développés pour lequel il représenterait 11% de leur PIB. L’impact du changement climatique est déjà sensible : il contribue à 400.000 décès par an et représente un coût annuel de 1.200 milliards de dollars, soit 1,6% du PIB mondial[5].

En juillet 2015, The Economic Intelligence Unit a publié, avec Aviva, géant britannique de l’assurance, une étude coordonnée par Brian Gardner sur le coût de l’inaction pour les investisseurs, selon divers scénarios du réchauffement global. Ces investisseurs sont confrontés à des choix difficiles entre le risque de voir leurs participations dans des entreprises productrices de combustibles fossiles se déprécier à cause de mesures réglementaires plus strictes, et celui de faire face à des pertes substantielles dans leurs portefeuilles dues aux conséquences directes du changement climatique.

  1. Dans le scénario où ce réchauffement est limité à 2 degrés (ce qui est le point visé par la COP21), les investisseurs privés perdraient 4.200 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB du Japon, la troisième économie mondiale.
  2. Dans le scénario d’un réchauffement de 5 degrés, les pertes passent à 7.000 milliards de dollars.
  3. Dans le pire des scénarios évalués, un réchauffement de 6 degrés, les pertes passent à 14.000 milliards de dollars, soit 10 % du stock d’actifs au niveau mondial.

Encore faut-il préciser qu’il s’agit là des pertes potentielles pour les investisseurs privés. De leur côté, les investisseurs publics seraient encore plus touchés, avec 43.000 milliards de dollars de pertes, dans un scénario de réchauffement de 6 degrés.

Plus récemment, l’OCDE a estimé dans son rapport « Investing in Climate, Investing in Growth » publié en mai 2017, que si rien n’est fait d’ici 2025, les actions correctrices qui s’imposeront alors de façon violente induiront une perte de 2% du PNB mondial par rapport au scénario d’une réaction déclenchée aujourd’hui. Un retard plus prononcé de ces actions, par exemple jusque 2100, induirait des surcoûts plus importants encore, de l’ordre de 10 à 12% du PNB.

Selon le rapport de l’OIT qui s’appuie sur des estimations du Bureau international du travail (BIT), si le scénario reste inchangé et si nous continuons de puiser autant dans les ressources, les niveaux de productivité en 2030 seront inférieurs de 2,4 % à ceux d’aujourd’hui et de 7,2 % d’ici 2050. Par ailleurs, d’importants coûts sociaux seraient aussi associés à la dégradation de l’environnement et se traduiraient par une accentuation de la pauvreté, des inégalités, de la malnutrition et de l’insécurité alimentaire (« Travail décent et intégration sociale dans une économie verte », rapport de l’OIT, juin 2015).

Pourtant, même si l’accord de Paris marque une étape, la mobilisation reste insuffisante. Le scientifique Dennis Meadows, professeur émérite de l’Université du New Hampshire et auteur du célèbre Rapport Meadows en 1972, disait que l’homo sapiens est fait pour fuir le danger, pas pour l’affronter ou l’anticiper. Il comparait l’humanité à une voiture tombée dans le vide depuis une falaise : les freins sont inutiles…

A4 – Les tensions de court terme nuisent à l’emploi

En l’absence d’une action volontariste, nous finissons par nous trouver au pied du mur, sans marge de manœuvre, et dans ces conditions, le respect de l’environnement s’oppose effectivement à l’emploi. L’aciérie Ilva à Tarente (Italie) est la plus grande d’Europe et représente 12.000 emplois directs et 20.000 indirects. La justice italienne a ordonné son arrêt en 2012 pour non-respect des normes environnementales (les études sanitaires ont révélé un taux de surmortalité de 15 à 30% de cancers en plus dans sa zone d’implantation par rapport à la moyenne nationale). On estime qu’il faudrait investir 4,2 milliards d’euros sur la période 2013-2020 pour remettre l’usine (en cours de rachat par le groupe Mittal) en état. La justice italienne a ordonné en mai 2013 un gel de 8,1 milliards d’euros d’actif de son propriétaire, le groupe Riva, équivalent théorique des sommes qui auraient dû être investies dans la remise à niveau du site pour respecter les normes environnementales[6]. Des cas similaires se sont déroulés en France et montrent l’importance de l’anticipation[7].

La maîtrise des risques d’approvisionnement (continuité de la supply chain) apparaît aussi comme un objectif clé du développement durable et de la politique d’achats responsables. Un exemple désormais bien connu est celui des très importantes inondations de 2011 en Thaïlande, qui ont lourdement impacté la production de disques durs. En effet, plus du quart de la production mondiale des disques durs est réalisée en Thaïlande. Les effets induits ont été quasi immédiats. Les prix des disques durs ont été multipliés par 2 ou par 3 selon les références et il y a eu des ruptures d’approvisionnement qui ont entraîné l’arrêt de certaines chaînes de fabrication dans l’industrie de l’électronique professionnelle et grand public. Des chercheurs ont montré que le cours des actions d’entreprises affectées par des ruptures d’approvisionnement chutent de 7 à 30% par rapport aux entreprises comparables épargnées (PwC “From vulnerable to valuable: how integrity can transform a supply chain”, 2008).

A5 – Certains pays tirent leur épingle du jeu

Certains pays ont montré que l’excellence en matière de politique environnementale n’est pas l’ennemie de l’emploi. Les universités américaines de Yale et de Columbia publient, tous les deux ans, un rapport permettant de comparer les Indices de Performances Environnementales (IPE) de plus de 132 pays, ce qui permet d’évaluer les différentes politiques environnementales de ces pays. L’IPE est établi sur une base de 100 et calculé sur la base de 16 critères[8]. Le classement des pays considérés comme les plus vertueux en matière de politique environnementale en 2012 distingue la Suisse (77 points), la Lettonie (70 points) et la Norvège (69,9 points), suivis par le Luxembourg, le Costa-Rica et la France. Les meilleures performances s’expliquent par l’excellence de certaines pratiques (par exemple le recyclage pour la Suisse ou la politique en faveur de la biodiversité pour le Costa Rica) ou la forte détermination des politiques environnementales (la Norvège, qui s’est fixé pour objectif le “Zéro émission” d’ici à 2020). Le cas de la Suisse, de la Norvège ou du Luxembourg montrent que l’excellence environnementale et la situation favorable de l’emploi sont parfaitement compatibles[9].

B/ Comment agir : les politiques publiques

En l’absence de politiques publiques volontaristes, le progrès humain risque de s’effectuer à l’encontre des équilibres environnementaux. Ainsi par exemple, Eloi Laurent, économiste à l’OFCE et enseignant à Sciences Po, à la Sorbonne et à Standford University, rappelle que sur la période 1970 à 2010, l’indice de développement humain s’est en moyenne amélioré de 40% (espérance de vie en progrès de 11 ans, revenu moyen doublé, pauvreté extrême réduite de moitié…) tandis que l’indice mondial de biodiversité a reculé de 30%.

Les politiques publiques doivent s’efforcer de viser à la fois l’écologie et l’emploi. En France, la loi de « programmation de la transition énergétique pour la croissance verte » présentée par la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, au conseil des ministres du 30 juillet 2014, a fixé des objectifs ambitieux en termes de baisse de la consommation d’énergie, de réduction des gaz à effet de serre ou de promotion des filières renouvelables. Elle considère que « dans les trois ans qui viennent, la transition énergétique pour la croissance verte peut générer 100 000 emplois nouveaux »[10]. Elle met justement l’accent sur la rénovation thermique, le chantier le plus créateur d’emplois : le secteur du bâtiment représente à lui seul presque la moitié de la consommation d’énergie du pays (44%). Le projet prévoit donc de diminuer de moitié la consommation d’énergie d’ici à 2050 et de rénover 500.000 logements par an – un objectif déjà fixé dès 2012, mais désormais assorti d’un allègement fiscal de 30% du montant des travaux de rénovation.

Le projet de loi met en avant 4 objectifs : combattre le chômage par la croissance verte ; valoriser de nouvelles technologies ; conquérir de nouveaux marchés dans le domaine des énergies renouvelables, du transport propre et de l’efficacité énergétique ; améliorer la compétitivité des entreprises. Il identifie les gisements d’emplois les plus prometteurs : rénovation thermique des bâtiments, énergies renouvelables, recyclage et valorisation des déchets, filière bois.

B1 – Actionner le levier fiscal

Les politiques publiques doivent utiliser le levier fiscal, notamment pour mettre en application le principe pollueur-payeur. Or, la France était en 2010 à l’avant-dernière place des pays de l’Union européenne (26èmesur 27) pour ce qui concerne la part de la fiscalité environnementale dans la richesse nationale. De fait, cette fiscalité se situe à 1,86% du PIB pour une moyenne de l’UE de 2,37%, l’Allemagne se situant à 2,21%. Pire : la fiscalité en France est globalement défavorable à l’environnement. Le rapport Sainteny s’est attaché à passer au crible les exemptions de taxes et les subventions sur les énergies fossiles, les transports ou encore le logement, suivant qu’elles ont un impact négatif, positif ou mixte sur le respect de l’environnement et plus particulièrement la biodiversité[11]. Il a estimé la masse des subventions à impact négatif à plus de 35 milliards d’euros en France, c’est-à-dire trois fois plus que les aides favorables à l’environnement. Par ailleurs, les taxes environnementales ont progressé moins vite (+10% en valeur entre 2000 et 2010) que l’ensemble des impôts (+29% pour les impôts et cotisations sociales) et les prix à la consommation (+18,5%). Le fiasco de l’écotaxe n’est que le dernier épisode d’une fiscalité qui ne parvient pas à remettre les priorités en ordre…

B2 – S’attaquer aux inégalités

Il faut briser le cercle vicieux qui s’est installé entre l’accroissement des inégalités et les dégradations environnementales. L’économiste Eloi Laurent a montré que « les inégalités sociales, notamment au travers de la richesse excessive et de la pauvreté extrême, jouent un rôle déterminant dans les crises écologiques ».[12]Une étude essentielle sur les liens entre l’environnemental et le social, publiée par le CEDD (Conseil économique pour le développement durable) sous la plume de Patricia Crifo (université Paris Ouest et École Polytechnique) et Éloi Laurent, montre que l’absence de politique environnementale volontariste aggrave la situation sociale et enclenche un cercle vicieux[13]. Ainsi, « la préoccupation environnementale est une nouvelle frontière de la question sociale : des politiques publiques visant l’équité ou la réduction des inégalités sociales qui ne prendraient pas en compte la dimension environnementale ignoreraient un aspect essentiel de la question sociale ».

L’étude montre que inégalités environnementales et inégalités sociales ne se substituent pas les unes aux autres mais au contraire se cumulent. Ainsi, par exemple, les auteurs rappellent le bilan de la canicule de 2003 en France pour laquelle l’InVS (Institut de veille sanitaire) a montré que la première variable expliquant un décès était la catégorie socioprofessionnelle. Autre exemple : les habitants des ZUS (zones urbaines sensibles dans lesquelles vivaient 7% de la population française, supprimées et remplacées par les quartiers prioritaires de la politique de la ville – ou QPV – en janvier 2015) représentent les deux tiers de la population française totale exposée au risque industriel et « la dégradation de la santé des résidents des ZUS en raison de leur plus grande exposition au risque environnemental aggrave encore la précarité de leur condition sociale ». Les enjeux environnementaux ne sont donc pas une lubie pour les « bobo » insensibles aux politiques sociales : ils exercent un impact sur la qualité de vie des plus démunis, leur cadre de vie, leur santé.

Les inégalités, comme le rappelle l’étude du CEDD, entravent le développement de savoirs et de technologies complémentaires aux comportements de consommation responsable. Car les pratiques des consommateurs pionniers pour les produits verts, riches, ne se diffusent pas assez pour permettre aux consommateurs pauvres d’acheter des produits verts. Une analyse empirique des données de l’OCDE entre 1985 et 2005, montrait ainsi que les pays riches les plus inégalitaires exercent un effet négatif sur le rythme des innovations vertes et la taille des éco-industries alors que dans les pays pauvres, c’est le revenu par tête qui est capital pour l’innovation verte.

La réduction des inégalités est donc une clé de la réduction de l’empreinte environnementale tout en exerçant des impacts sociaux positifs. Le rapport de Terra Nova précédemment cité rappelle les travaux des épidémiologistes Richard Wilkinson et Kate Pickett, qui se sont intéressés aux déterminants de la qualité de la santé publique et de la cohésion sociale, en s’appuyant sur de nombreux indicateurs (maladie mentale, espérance de vie, taux de mortalité infantile, obésité et maternité précoce pour la santé publique ; niveau de confiance, réussite scolaire des enfants, homicides, taux d’incarcération et mobilité sociale pour la cohésion sociale). Le titre de leur ouvrage, « Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous », résume leurs conclusions : l’indice de problèmes sanitaires et sociaux semble faiblement corrélé au niveau de richesse dans les pays développés mais les pays les plus inégalitaires semblent clairement souffrir de problèmes sanitaires et sociaux en moyenne plus importants[14].

La réduction des inégalités va à la fois dans le sens du progrès social et du progrès économique. Les économistes libéraux ont longtemps pensé que la réduction des inégalités et les transferts sociaux étaient défavorables à la croissance et donc à l’emploi. Un récent rapport du FMI a changé les perceptions sur ce point[15]. En compilant les indices de Gini[16]dans 150 pays sur un demi-siècle, les auteurs ont montré qu’une inégalité plus forte est corrélée à une croissance plus faible à moyen terme. En distinguant la répartition des revenus avant et après les taxes et les transferts sociaux, ils ont constaté qu’une moindre inégalité des revenus nets est associée à une croissance plus robuste et plus stable. Enfin, le niveau de redistribution en lui-même n’affecte pas la croissance, sauf dans des cas extrêmes. Au total donc, la redistribution est en moyenne associée positivement à une croissance soutenable.

Il faut également noter que les pays les plus égalitaires sont aussi ceux qui font le plus pour l’environnement : ce sont les pays nordiques, qui présentent également des performances très honorables en termes d’emplois et plus généralement de valorisation du « capital humain ».

Le développement durable: toute la différence…

Pour Terra Nova, la politique environnementale doit être mise en convergence avec les objectifs sociaux et économiques en misant sur la réduction des inégalités (favorable à la croissance) : « Pour atteindre des objectifs environnementaux ambitieux, les pouvoirs publics doivent les associer à des objectifs sociaux volontaristes, et en premier lieu viser une réduction forte des inégalités. (…) Pour que la transition écologique devienne effective, il est nécessaire de l’inscrire comme réponse en même temps aux urgences sociales, écologiques et économiques. Réconcilier ces trois enjeux permettra alors de concevoir des politiques de développement durable qui répondent aux attentes de court terme tout en s’articulant avec les objectifs de long terme de la transition écologique et énergétique »[17].

B3 – Miser sur les emplois verts

Dans son rapport intitulé « Vers une économie verte : pour un développement durable et une éradication de la pauvreté », publié en 2011, le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) préconise une transition vers « l’économie verte » ; celle-ci devant entraîner « une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources ». Le rapport pointe dix secteurs clés : agriculture, logement, énergie, pêche, forêt, industrie, tourisme, transport, ville, déchets et eau. On trouve dans cette liste un grand nombre des forces de l’économie française, ce qui soutient l’idée que la croissance verte est une opportunité pour notre pays.

Peut-on chiffrer l’impact de la transition écologique en termes d’emplois, ce qu’il est convenu de désigner par « emplois verts » ? En juin 2009, un rapport du cabinet BCG prévoyait en résultante des mesures issues du Grenelle de l’Environnement, une activité économique de plus de 450 milliards d’euros et la création (ou la sauvegarde) de 600 000 emplois entre 2009 et 2020[18]. Ce rapport s’est attiré de nombreuses critiques[19]. Les évaluations ultérieures feront preuve de davantage de modération (et surtout de prudence).

Une étude du WWF France publiée fin 2008 soutenait que réduire de 30% les émissions de CO2, par rapport à 1990, induirait la création nette de 684 000 emplois en France, par rapport au scénario « tendanciel ». A la même époque, le Bureau international du travail (BIT) prévoyait un doublement du marché mondial des produits et services écologiques pour atteindre 2.740 milliards de dollars en 2020[20]. Les syndicats s’emparaient de la question et publiaient leurs propres projections et recommandations sur la transition écologique, notamment la Confédération Européenne des Syndicats (CES) et la Confédération syndicale internationale (CSI), qui rassemble 312 organisations nationales de 155 pays et territoires[21].

B4 – Anticiper les effets sociaux de la transition

La transition écologique va effectivement générer des coûts importants mais elle va aussi créer de nouvelles activités et doit être envisagée dans toutes ses incidences technologiques mais aussi sociales. Elle va accélérer la destruction d’emplois mais aussi la création d’activités nouvelles. Elle offre ainsi un terrain de validation des politiques de sécurisation des transitions professionnelles. Comme l’écrivait Terra Nova dans une note sur ce sujet, « la conversion de l’économie traditionnelle vers l’économie verte mobilise des secteurs intensifs en travail, modifie les compétences attendues dans la plupart des secteurs, mais remet aussi en cause la viabilité économique d’un certain nombre d’activités. Un accompagnement massif par des politiques de formation professionnelle et de reconversion est indispensable pour réussir la transition écologique »[22].

De fait, le succès des politiques de croissance verte dépend de manière cruciale des nouveaux besoins en capital humain. Les emplois détruits dans « la vieille économie carbonée » ne proposent pas les mêmes qualifications que celles que réclame « l’économie verte » : il y a donc un effort considérable de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à l’échelle de secteurs entiers de l’économie. Malheureusement, on a du mal à identifier les branches qui se seraient saisies de cet enjeu majeur pour négocier un accord de GPEC avec une vision forte des incidences des mutations en termes d’emplois, de qualification et de formation professionnelle.

C/ Comment agir : les opportunités pour les entreprises

Les entreprises ne sont pas demeurées inactives face aux enjeux environnementaux. Alors que la RSE (Responsabilité sociale des entreprises) et le développement durable restent encore trop souvent l’apanage des grandes entreprises, il est d’autant plus positif de constater qu’en France, plus de la moitié (56 %) des petites sociétés (10 à 49 salariés) s’impliquent dans la gestion économe des ressources et dans le recyclage des déchets… et contribuent donc au découplage entre empreinte écologique et croissance[23].

En France comme à l’international, les entreprises constituent un levier essentiel pour concrétiser la lutte contre le réchauffement. Une étude publiée en juin 2016 par We Mean Business, en partenariat avec le Carbon Disclosure Project et New Climate Institute, intitulée « The business end of climate change », donne quelques indicateurs de mesure : grâce aux engagements déjà pris par les entreprises, qui portent sur les énergies renouvelables, l’intensité énergétique ou la lutte contre la déforestation, ce sont entre 3,2 et 4,2 milliards de tonnes équivalent CO2 par an de réduction qui peuvent être obtenues d’ici 2030. Cela représente près de 60% des réductions d’émissions sur lesquelles les États se sont engagés dans le cadre de l’Accord de Paris conclu six mois auparavant (6 milliards d’ici 2030). Cela représente aussi l’équivalent de la fermeture de 1.000 centrales à charbon fonctionnant de façon continue, soit 75% de la production mondiale.

La responsabilité des entreprises et celle des Etats sont évidemment intimement liées. Le rapport s’aventure à estimer l’effet des politiques publiques favorables à la lutte contre le réchauffement. Si les gouvernements mettaient en place des politiques incitatives pour les accompagner (comme le fait d’aider les entreprises à construire leurs propres installations d’énergies renouvelables, de soutenir la R&D des technologies bas carbone, de créer des incitations pour les producteurs et consommateurs de produits durables, etc.), ce sont près de 10 milliards de tonnes (c’est-à-dire plus de deux fois le résultat du scénario de référence) qui pourraient être évitées d’ici 2030 (voir « Le secteur privé se pose en acteur clé de la lutte contre le changement climatique », Novethic, 29 juin 2016).

Les politiques environnementales sont favorables à la croissance et à la compétitivité, comme l’a rappelé le rapport Attali sur l’économie positive[24]. Il rappelle notamment l’étude « People & Profits » des économistes Joshua Margolis et James Walsh (2011), qui analyse le lien entre les performances environnementales, sociales et financières des entreprises. Elle montre les nombreux bienfaits économiques que tirent les organisations qui préservent l’environnement : réduire la pollution peut diminuer les coûts d’opération ; adhérer à des standards environnementaux favorise l’innovation dans les procédés ; développer des stratégies efficaces de gestion des ressources rares (eau, énergie) rassure les investisseurs (sécurité d’approvisionnement) ; la responsabilité sociale diminue les risques de sanctions coûteuses pour non-respect des règlements et de poursuites tout aussi coûteuses entamées par des clients insatisfaits ou par le gouvernement ; le moral des employés est amélioré, ce qui exerce un impact favorable sur la productivité ; l’entreprise devient attractive pour les jeunes talents et les fidélise ; enfin, l’ensemble des parties prenantes fait davantage confiance à l’entreprise.

Voici les 7 pistes d’action qui me semblent les plus pertinentes pour les entreprises.

C1 – Mettre l’accent sur la politique de développement durable / RSE

Les politiques de développement durable et de RSE s’attachent à desserrer l’étau de la consommation de ressource sur la croissance et l’emploi. Ainsi par exemple, une enquête sur les enjeux 2013 de la RSE et du Développement Durable montrait que dans le domaine environnemental, la réduction et la gestion des déchets était massivement retenue comme la priorité de l’année – par 54% des entreprises[25]. Cela n’empêchait pas des actions plus stratégiques comme l’éco-conception (20%) et l’analyse de cycle de vie des produits ou services (16%) de figurer aussi à l’agenda.

Le seul fait de se donner des objectifs chiffrés dans le cadre de leur politique RSE focalise les entreprises autours d’objectifs d’économie de ressources, de ré-utilisation ou de maîtrise des rejets. Le 5ème Baromètre annuel sur la RSE dans les entreprises du CAC 40 publié par l’agence Capitalcom montrait que leurs démarches sont plus structurées et de plus en plus chiffrées : le nombre moyen d’objectifs chiffrés extra-financiers a augmenté, passant de 9 en 2010 à 10 en 2011 et les objectifs environnementaux arrivent en tête (54%), largement devant le social (27%). Sur un échantillon plus large d’entreprises de toutes tailles le Baromètre des Enjeux RSE 2014 par BDO et Malakoff Médéric montre que 59% des professionnels interrogés (directeurs du développement durable, responsables RSE, responsables de projet RSE) déclarent disposer d’indicateurs sur l’environnement et 51% mesurent l’optimisation de la consommation d’énergie.

Il reste cependant beaucoup d’efforts de conviction à réaliser vis-à-vis des entreprises qui sont demeurées en dehors de l’adoption de la RSE. En France, une étude de l’INSEE a montré que c’est dans le domaine environnemental que les différences entre les sociétés impliquées dans la RSE et les autres sont les plus marquées. Ainsi, en matière de management environnemental et de développement d’écoproduits, l’écart de mise en pratique est du simple au double entre les sociétés impliquées dans la RSE (respectivement 61 % et 43 %) et les autres (30 % et 23 %). Même écart en matière d’amélioration de l’efficacité énergétique ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre (60 % contre 27 %)[26].

L’enjeu est donc de converger vers le ‘modèle’ de l’entreprise contributive, une entreprise qui

  • se montre soucieuse de la préservation et du renouvellement des ressources (humaines, naturelles, matérielles, financières…) ;
  • intègre à ses statuts la contribution qu’elle souhaite apporter aux enjeux économiques, sociaux/sociétaux et environnementaux ;
  • sollicite et encourage la contribution, l’implication, la participation et les initiatives de la part de ses collaborateurs ;
  • mobilise un dialogue social porteur de progrès réels ;
  • adopte des modes partagés et modernes de gouvernance (voir : « L’entreprise contributive, un ‘modèle’ organisationnel pour une RSE incarnée »).

C2 – Réduire les coûts et améliorer la productivité

Les enquêtes sur la mise en œuvre du développement durable par les entreprises montrent que la première modalité est la réduction des coûts par l’économie des ressources : énergie, eau, air, matières premières, composants. Ce faisant, les entreprises s’impliquent dans la réduction de leurs impacts négatifs et contribuent au découplage entre croissance économique et empreinte écologique.

Les impacts peuvent se révéler très significatifs. Dans le domaine de la consommation énergétique par exemple, le Groupe AFNOR a publié en novembre 2014 la première étude sur les entreprises certifiées ISO 50001, trois ans après la publication de la norme qui incite au déploiement d’une démarche de management de l’énergie. Elle relève des économies allant jusqu’à 25 % sur la facture énergétique annuelle.

Un autre aspect positif des politiques de développement durable se concrétise dans les gains de productivité, qui ont pour vocation de favoriser l’emploi par l’amélioration de la compétitivité. Magali Delmas, économiste de l’environnement à l’Institut de l’Environnement de UCLA et Sanja Pekovic, chercheur au sein de l’Université Paris-Dauphine, montrent dans une étude, menée auprès d’un échantillon de 4 929 salariés français, que les entreprises qui adoptent des normes environnementales telles que l’ISO 14001 (maîtrise de l’impact environnemental des activités) ont des employés 16% plus productifs que celles qui s’en affranchissent[27]. Lorsqu’une entreprise fait certifier ses activités selon les exigences de cette norme ISO, ses salariés sont formés sur l’engagement environnemental de l’organisation, ce qui les conduit à travailler ensemble, avec d’autres départements, pour réduire l’impact de l’entreprise sur l’environnement. Cette démarche contribue à développer leur sentiment d’appartenance à l’égard de leur entreprise, la motivation et l’engagement au travail, la qualité des relations entre collègues. Elle constitue une réponse aux attentes, de plus en plus croissantes, des salariés qui veulent avoir, par leur travail, une influence positive sur le monde qui les entoure (voir : « La RSE comme réponse à la crise du sens : 3 chantiers de progrès »).

L’Afnor a publié des chiffres intéressants issus d’une étude menée auprès de ses clients, qui montre que « la certification ISO 14001 permet en moyenne de réduire de près de 25% l’utilisation de matières premières, diminuer d’environ 15% sa consommation d’eau et d’énergie, améliorer de 30% le recyclage ou la valorisation de ses déchets, (…) diminuer le taux d’accidents de travail d’environ 15%, améliorer la productivité d’en moyenne 21% » (« AFAQ ISO 14001 : Réduisez votre impact environnemental et valorisez votre engagement », avril 2018).

C3 – Saisir les opportunités de croissance

Au-delà des seuls « emplois verts », la mise en place de l’économie verte va réclamer des investissements qui constituent autant d’opportunités de croissance. Selon un rapport réalisé par SustainAbility, cabinet de conseil britannique spécialisé dans le développement durable, pour le Pnue (Programme des Nations unies pour l’environnement), « la demande annuelle d’investissement nécessaire à la mise en place de l’économie verte est estimée entre 1.000 et 2.500 milliards de dollars. Ce qui représente une opportunité énorme pour le secteur privé pour fournir les infrastructures, les équipements, les biens et les services qui conduiront cette transition. Par exemple, le chiffre d’affaires des entreprises sur le marché des énergies renouvelables devraient augmenter de plus de 300 milliards de dollars par an d’ici à 2020 »[28]. Plus globalement, l’OCDE a chiffré les investissements annuels dans la prise en compte des impacts environnementaux à 5.700 milliards de dollars[29]. Plus récemment, l’OCDE a réévalué ce chiffre à 6.900 milliards (dans son rapport de mai 2017 mentionné ci-dessus).

Dans un rapport publié en janvier 2017, justement titré « Better Business, Better World: The business case for the Sustainable Development Goals”, la Business & Sustainable Development Commission (BSDC ; une ONG internationale centrée sur le développement soutenable) considère que se conformer aux objectifs du développement durable permettra la création de 12.000 milliards de dollars (11.334 milliards d’euros) d’opportunités business à saisir pour les entreprises, mais aussi de 380 millions d’emplois directs, le tout d’ici 2030.

L’un des acteurs qui jouera le rôle d’arbitre ultime dans les opportunités de croissance est encore discret : il s’agit du consommateur. A peine 8% d’entre eux déclarent que le traitement de l’environnement constitue un critère de choix suffisant pour les décider à changer de marque[30]. Mais cette proportion s’accroît, au rythme des possibilités d’information (étiquetage, labels, etc.) et des efforts de conviction. Les consommateurs sont aussi des citoyens et ceux de l’Hexagone conviennent que les solutions existent et que chacun peut agir à son niveau : « pour 82 % des Français, la possibilité d’agir par sa consommation (choisir des produits écologiques, locaux…) s’est améliorée ces dix dernières années. Et pour 84 %, cela continuera dans les dix prochaines années »[31].

Le découplage entre croissance et empreinte écologique suppose aussi de travailler sur les aspects qualitatifs de la consommation, devenue synonyme de frustration des désirs, d’érosion du lien social, de dangers pour la planète et de contraintes pour les ménages. Un rapport de Terra Nova, « Réinventer l’abondance, pour une politique des consommations », propose de réorganiser nos usages, nos besoins et nos productions pour réinventer une politique sociale et écologique des consommations autour de trois axes : repenser le pouvoir d’achat pour sortir de la seule logique économique et financière ; donner plus de pouvoirs aux consommateurs ; les protéger dans leur quotidien[32].

C4 – Miser sur le développement durable transformatif

L’enjeu majeur pour les entreprises est de ré-inventer leur modèle de croissance afin de transformer la contrainte environnementale en opportunité économique. Accenture a publié un rapport pour montrer que « les entreprises qui gagnent sont celles qui, au lieu de considérer le respect des contraintes environnementales comme un frein à la croissance le conçoivent comme une opportunité pour établir des partenariats qui cassent les frontières entre secteurs et créent de nouvelles sources de croissance »[33]. Les auteurs donnent l’exemple des offres d’économies d’énergie, qui associent les compétences d’industriels de l’énergie, des hautes technologies et de la construction, des villes intelligentes, du véhicule électrique, etc.

Pour faire du développement durable un levier de croissance et d’emplois futurs, il faut que les entreprises non seulement se saisissent de l’enjeu mais aussi réalisent une transition qui n’en n’est qu’à ses balbutiements. Il s’agit de basculer d’un développement durable proclamé (utilisé à des fins de communication et pris en charge par une direction du développement durable qui peine à diffuser en interne) à ce que j’appelle le développement durable transformatif. Ce dernier présente sept caractéristiques (voir « Management & RSE: pourquoi ce blog ? ») :

  1. intégré au modèle d’affaires,
  2. traité comme levier stratégique, source d’innovation et facteur de différenciation compétitive,
  3. vecteur de la conduite du changement,
  4. incarné dans la culture, dans les comportements et replace le travail humain au cœur de l’organisation,
  5. diffusé par l’ensemble des directions fonctionnelles et opérationnelles, qui l’intègrent dans leurs métiers et leurs pratiques,
  6. pris en compte et co-construit par le dialogue social,
  7. porté par la ligne managériale, assimilé et approprié par les salariés.

C’est ce que confirme l’étude d’Accenture et de Global Compact sur le développement durable[34]. Les auteurs ont effectué un zoom sur les réponses des PDG des entreprises qui combinent une maturité reconnue dans la mise en œuvre du développement durable (mesurée par la présence dans les indices de DD) et des performances supérieures à celles de leur secteur (en termes de croissance des ventes, de profitabilité et de création de valeur). Ils ont comparé les réponses de ces PDG à celles des entreprises « ordinaires ». Voici leurs conclusions : « ces entreprises exemplaires ont réussi à sortir d’une approche réactive du développement durable qui n’appelle que des réponses incrémentales pour en faire un levier d’innovation, d’avantage compétitif, de différenciation et de croissance ». Plus loin, les auteurs soulignent que pour ces PDG, « l’objectif est de mesurer et gérer non plus seulement la réduction (des coûts) ou la limitation (des risques) mais aussi la valeur des initiatives de développement durable et leurs impacts sur leurs parties prenantes ».

Une étude menée en 2013 par le cabinet BCG en coopération avec la MIT Sloan Management Review a montré que 37% des 2.600 managers interrogés de par le monde considèrent que les investissements en faveur du développement durable constituent une source de profit (contre 23% l’année précédente)[35]. Presque la moitié d’entre eux (48%) ont été amenés à changer leur modèle d’affaires dans le cadre de ces démarches. Cette étude mettait en évidence une corrélation intéressante : plus le nombre de composantes du modèle d’affaires modifiées était important, plus la proportion de répondants déclarant que ces évolutions constituaient une source de profit était grande. En d’autres termes, l’intensité des changements détermine le retour sur investissements (voir: « Construisez votre politique RSE comme un accélérateur de changement »).

Cela dit, la mise en place de ce développement durable transformatif est loin d’être à maturité. Ainsi par exemple, même parmi les entreprises pionnières, l’intégration du développement durable au sein des directions fonctionnelles n’en est qu’à ses prémices. C’est ce que nous apprend l’enquête de BSR (Business for social responsibility) auprès de 700 cadres et dirigeants travaillant au sein de ses entreprises adhérentes[36]. Un aspect intéressant de cette enquête est qu’elle demande de noter le niveau d’engagement des différentes fonctions de l’entreprise vis-à-vis de la fonction Développement Durable / RSE. Sans surprise, on constate que les fonctions Communication et Affaires publiques sont les plus engagées (75% et 66% d’entre elles respectivement). En position intermédiaire, on trouve la fonction Supply Chain & Achats, Opérations, Juridique et Relations investisseurs (35 à 65% d’engagement). Enfin viennent les maillons faibles, qui posent question : la fonction Ressources Humaines n’est engagée que pour 34% d’entre elles, ce qui signifie que les deux tiers des entreprises (qui, en tant qu’adhérentes de BSR, comptent parmi les plus avancées…) ne se préoccupent guère de diffuser la politique développement durable / RSE au sein de leur collectif humain. Viennent ensuite les quatre fonctions qui façonnent l’avenir de l’entreprise et de ses produits : le Développement produits (33%), la R&D (32%), le Marketing (28%) et la Stratégie (28%). A l’heure de l’éco-conception et de l’économie circulaire, on voit mal comment ces entreprises pourraient se saisir des enjeux sans intégrer le développement durable et la RSE dans leurs process amont… Enfin, et sans surprise, la fonction la moins engagée est la Finance (16%), ce qui suggère que les conceptions de Milton Friedman (qui pensait que toute autre motivation que la recherche du profit pour une entreprise est immorale et antiéconomique[37]) ont encore de belles heures chez les financiers (voir : « RSE et création de valeur : quel rôle pour le dirigeant ? »)…

Qu’est-ce qui empêche les entreprises d’aller plus loin dans l’engagement en faveur du développement durable ? Le plus sûr moyen de trouver une réponse pertinente et de poser la question aux dirigeants. C’est ce qu’on fait Accenture et le Global Compact auprès de 1.000 CEOs (PDG) de 103 pays. Les résultats de leur étude («CEO Study on Sustainability») sont clairs : le frein qui se situe en tête et qui progresse constamment depuis 10 ans est le manque de lien entre développement durable et création de valeur (« business value »)[38]. Ce frein n’était cité que par 18% des PDG en 2007 mais 30% en 2010 et 37% lors de la dernière enquête (2013).

Cet enjeu est essentiel et doit être débattu par les équipes dirigeantes. Parmi les premières questions que je mets en débat au sein du Comex ou du Comité de direction, dans une démarche de cadrage de la politique RSE d’une entreprise ou d’une organisation figurent par exemple :

  • Dans quels domaines les enjeux sociaux et environnementaux sont-ils en tension ou au contraire en appui avec les contraintes économiques et financières ?
  • En quoi ces tensions et ces appuis vont-ils modifier le jeu concurrentiel et les options stratégiques dans nos activités ?
  • Quelles options stratégiques devons-nous développer en réponse ? Comment faire levier sur ces nouveaux enjeux ; comment les transformer en opportunités stratégiques et en facteurs de différenciation compétitive ?

Ces questions (et les suivantes, que vous découvrirez peut-être à l’usage…) fournissent de précieuses indications pour arrimer le développement durable / RSE au moteur stratégique de l’entreprise.

C5 – Favoriser l’innovation

L’innovation joue un rôle majeur dans la capacité à mettre en synergie des résultats environnementaux, sociaux et sociétaux avec les bénéfices économiques. Elle requiert le croisement d’expertise. Selon Gary Hamel, consultant et enseignant à la London Business School, « pour construire le Management 2.0, il faut davantage que des ingénieurs et des financiers. Il faut aller chercher les idées germées dans le cerveau d’artistes, de philosophes, de designers, d’écologistes, d’anthropologues et de théologiens »[39]…

Dans un article publié par les promoteurs de l’approche « Shared Value » définie par le chercheur et consultant Michael Porter, les auteurs documentent les initiatives réussies par plusieurs grandes entreprises internationales, sans pour autant aller jusqu’à une réinvention complète de leur modèle d’affaires : Dow Chemicals, Danone, Novartis, Nestlé, Mars, Intel, HP, Vodafone, Coca-Cola, Verizon, Alcoa, Becton Dickinson, GE, Kemira, Boehringer Ingelheim. Leur analyse montre que parmi les facteurs de succès figurent la capacité à aménager le cadre le plus pertinent pour que s’expriment l’innovation et la co-création avec les parties prenantes externes[40]. Ces facteurs s’ajoutent aux trois moyens de créer de la valeur partagée, identifiés par Porter dans son article initial : reconcevoir les produits et les marchés ; redéfinir la productivité dans la chaîne de valeur ; construire des écosystèmes[41].

En termes de potentialité d’innovation, il me semble que les cinq piliers de l’économie soutenable aujourd’hui sont : la digitalisation, le lean management (bien compris…), l’économie fonctionnelle, l’économie collaborative et l’économie circulaire. Chacun de ces cinq piliers ont le même impact : diminuer l’intensité d’utilisation des ressources pour une production donnée. Chacun apporte aussi des opportunités de redéfinir les équilibres concurrentiels au sein des chaînes de valeur.

Je m’arrête un instant sur l’économie circulaire. « A la différence de l’économie actuelle dite linéaire, l’économie circulaire s’efforce de ne pas épuiser les ressources et permet de contrôler ou réutiliser ses rejets et déchets », selon la définition de l’Institut INSPIRE. Nicolas Hulot, aujourd’hui ministre de la Transition écologique et solidaire, la présente comme un facteur de progrès essentiel car selon lui, dans l’économie linéaire seuls 4% des inputs – matières premières, composants et énergie – sont présents dans le produit final.

La fondation Ellen MacArthur[42]a publié un rapport dédié à l’économie circulaire réalisé en collaboration avec le cabinet de conseil McKinsey. Un premier volet intitulé « Arguments en faveur d’une transition accélérée » a été présenté en janvier 2012 et le second sur « Les opportunités pour le secteur des biens de consommation » un an plus tard. Le premier volet, consacré aux biens durables (voiture, téléphone portable, électroménager…) avait conclu à une économie nette annuelle de 380 milliards de dollars pendant la période transitoire, puis 630 milliards lorsque le modèle serait totalement adopté. Le second volet s’attache aux biens de consommation courante, qui mobilisent 35 % des matières premières consommées, 60 % des dépenses de consommation des ménages et 90 % de la production agricole. Il prévoit une économie qui pourrait atteindre jusqu’à 700 milliards de dollars sur les matériaux, soit quelque 1,1 % du PIB annuel mondial. A cela, il faut ajouter plusieurs bénéfices « secondaires » en termes d’innovation, de préservation des terres agricoles, ou encore de création d’emplois locaux peu ou pas qualifiés[43].

En France, le plan recyclage fédère les acteurs autour de 111 projets de centres de tri ou de valorisation, représentant 785 millions d’euros d’investissements. Là encore, ces projets sont riches en possibilités de création d’emplois non délocalisables.

C6 – Renforcer le rôle du management et du dialogue social

Le management a un rôle essentiel à jouer pour garantir le succès des politiques environnementales des entreprises. Une équipe d’universitaires a montré que les salariés qui consacrent le plus d’attention et d’effort pour atteindre les objectifs en matière d’environnement sont ceux qui sont convaincus que ces questions sont importantes aux yeux de leurs managers et dirigeants[44]. Un portage efficace de la stratégie de développement durable par la ligne managériale est indispensable mais nécessite souvent une réorientation des comportements et de la culture de management (voir : « Les managers et la RSE : 7 leviers pour changer la donne » ).

Pour cela, il est indispensable que les dirigeants s’en emparent. De ce point de vue, on note un progrès significatif dans les dernières années. Dans son rapport « Sustainability’s strategic worth », McKinsey souligne que la proportion de CEOs (PDG) des grandes entreprises mondiales qui font du développement durable leur première priorité est passée de 3% en 2010 à 5% en 2012 puis 13% en 2014. Par ailleurs, les motivations d’adopter le développement durable mises en avant par les dirigeants changent : les principales motivations étaient la maîtrise du risque de réputation et la réduction des coûts. Elles sont maintenant dépassées par la volonté d’aligner le développement durable avec les objectifs stratégiques de l’entreprise (devenue la principale motivation, signalée par 43% des dirigeants en 2014 contre 30% en 2012 et 21% en 2010). Les leviers de développement durable les plus souvent cités par les dirigeants selon cette même enquête sont la réduction des dépenses énergétiques (64%) et des déchets (63%).

Pour intégrer le développement durable au sein du « moteur stratégique » de l’entreprise et le diffuser auprès des salariés, il faut aussi en faire un objet de dialogue social. Or, nous en sommes très loin aujourd’hui. Il est de bon ton de pointer les réticences de certains syndicats vis-à-vis du développement durable et de la RSE. Cela n’est pas faux, même si heureusement, les idées cheminent. Mais il faut aussi considérer la frilosité de bon nombre de dirigeants. Dans l’enquête d’Accenture et du Global Compact, il était demandé aux PDG de citer les trois parties prenantes majeures pour leur politique de développement durable. Les consommateurs ressortent comme la partie prenante la plus considérée (par 64% des PDG), suivie par les salariés, le gouvernement, les collectivités territoriales, les investisseurs, les autorités de régulation, les médias, le conseil d’administration, les fournisseurs, les ONG, etc. Qui ferme la marche ? Les syndicats avec une considération de… 4%. Pour ce qui concerne la France, le deuxième baromètre de la fonction développement durable, menée auprès d’un échantillon de 57 entreprises du SBF 120, soulignait que « les syndicats ne sont cités comme parties prenantes par les entreprises que dans 10 % des cas ». La question n’a apparemment plus été posée dans les éditions ultérieures du baromètre…

Il existe un lieu de dialogue social dans lequel les enjeux de développement durable et de RSE sont traités : une enquête a montré qu’ils sont discutés dans presque deux tiers des Comités d’entreprise européens[45]. Mais ces derniers sont réservés aux entreprises de grande taille (au moins 1.000 salariés au sein de l’UE) installées dans au moins deux pays européens. Il est donc indispensable que les Comités d’entreprise et les Comités de groupe s’en saisissent, par exemple à l’occasion de la publication des rapports sociaux et environnementaux ou lors de l’information – consultation sur la stratégie.

Il existe aussi des façons très concrètes d’impliquer les instances représentatives du personnel dans les problématiques de développement durable : négocier un PDE (plan de déplacement d’entreprise) intégrant par exemple un co-voiturage partagé avec les autres entreprises à proximité ; mobiliser le CHSCT sur les incidences des risques environnementaux sur la santé des salariés, etc. Ces sujets présentent l’avantage considérable de ménager des possibilités de solutions mutuellement gagnantes… qui font beaucoup de bien à la qualité du dialogue social (voir : « Le dialogue social à la française, chef d’œuvre en péril »).

C7 – Mobiliser les instances de gouvernance

Le développement durable et la RSE sont-ils correctement connectés aux instances de gouvernance ? En France, d’après le baromètre de la fonction développement durable, 18% des entreprises ont doté leur Conseil d’Administration (CA) d’un Comité dédié à la RSE[46]. S’agissant de grandes entreprises (les entreprises du SBF 120), c’est peu. La situation est évidemment meilleure au sein du CAC40, les très grandes entreprises : d’après le 8ème baromètre annuel Capitalcom sur la RSE, le nombre de groupes de l’indice qui ont créé un comité RSE /DD au sein de leurs Conseils (d’Administration ou de Surveillance), est passé de 5 en 2006 à 13 en 2010, puis 17 en 2012 et 22 en 2014, dont plusieurs comités jumelant la RSE et la stratégie, ce qui représente plus de la moitié des très grandes entreprises… et un quadruplement par rapport à 2008[47].

La moitié des directeurs en charge du développement durable ou de la RSE ont déclaré intervenir ponctuellement en CA… ce qui laisse supposer que la moitié des CA des grandes entreprises françaises n’entendent pas parler de ces enjeux ! L’Institut Français des Administrateurs (IFA), qui a fait beaucoup pour inciter les CA à s’emparer des enjeux de développement durable et de RSE, a présenté ses premières recommandations concernant le rôle des administrateurs vis-à-vis de ces problématiques[48]. Clairement, les 6 recommandations retenues ne vont pas assez loin. Elles faisaient pourtant suite à une enquête de l’IFA, qui soulignait « la prise de conscience que la démarche RSE est un vrai différenciant stratégique dans les secteurs grand public, fortement concurrentiels, tirés par l’offre, où les business models se transforment »[49]. Fort heureusement, elles ont été complétées par une série de sept axes de bonne gouvernance qui permettent réellement de placer la RSE au cœur des préoccupations des Conseils (« RSE & durabilité du projet d’entreprise, mission stratégique du Conseil », Rapport de l’IFA, janvier 2017).

L’un des faits nouveaux qui fait réagir les Conseils : la capacité à maîtriser ses impacts environnementaux fait désormais partie intégrante de la valorisation d’une entreprise – et par conséquent de ses compétences-clé et de ses perspectives de croissance. Un signe qui ne trompe pas : aujourd’hui, 63 % des entreprises interrogées déclarent prendre en compte systématiquement des critères environnementaux dans les processus de « due diligence » (évaluation pré-transaction dans le cadre de processus de fusions ou acquisitions). C’est davantage que les critères sociaux (44 %) et que les critères de gouvernance (38 %). Et les menaces considérées comme les plus importantes sont de plus en plus « physiques » : sur la question environnementale par exemple, jusqu’à présent les acquéreurs étaient très sensibles aux risques de réputation mais désormais ce sont les risques opérationnels liés aux catastrophes climatiques qui les inquiètent le plus[50].

A l’inverse, la non-maîtrise des risques environnementaux constitue un frein à la croissance de plus en plus puissant. Dans le rituel annuel et immuable du Forum économique mondial de Davos s’est installée la publication du rapport « Global Risks», réalisée depuis 2006, qui étudie 31 risques globaux qui pourraient « avoir d’importantes incidences négatives dans de nombreux pays et dans une multitude de secteurs d’activité s’ils se matérialisent »[51]. Ces risques systémiques sont regroupés en cinq catégories (économiques, environnementales, géopolitiques, sociétales et technologiques) et mesurés en termes de probabilité et d’impact potentiels. La dernière édition du rapport, « Global Risks 2017 », met l’accent sur le creusement des inégalités et des risques environnementaux (changement climatique, crises de l’eau, événements météorologiques extrêmes, etc.): « Le fossé persistant entre les revenus des citoyens les plus riches et ceux des plus pauvres est considéré comme le risque susceptible de provoquer les dégâts les plus graves dans le monde au cours de la prochaine décennie,» affirmait déjà le rapport 2014. Après la disparité des revenus, les experts considèrent que « les événements météorologiques extrêmes sont le risque global le plus susceptible de provoquer un choc systémique à l’échelle mondiale ». Ce risque est suivi par le chômage et le sous-emploi, les changements climatiques et les cyberattaques.

Le risque climatique est de plus en plus palpable pour les entreprises, pas seulement par ses manifestations directes mais aussi par la reconnaissance éventuelle de leurs responsabilité juridique. Depuis l’automne 2015, plusieurs procureurs américains enquêtent pour savoir si Exxon Mobil et d’autres pétroliers auraient sciemment dissimulé leurs connaissances sur le réchauffement. « Les entreprises qui trompent les investisseurs et les consommateurs à propos des dangers du changement climatique doivent rendre des comptes », affirmait Maura Healey, procureur général de l’Etat du Massachusetts en mai 2017. La non-maîtrise des risques climatiques pourrait d’ailleurs faire entrer le monde de l’assurance en zone de turbulences, comme le rappelait Henri de Castries, ancien PDG du numéro 1 mondial de l’assurance, AXA, qui soulignait lors de la COP21 qu’à +4°C, le monde ne sera plus assurable.

On constate ainsi que maîtrise des risques et ambitions en matière de développement durable / RSE représentent des objectifs essentiels mais aussi de plus en plus convergents (voir : « RSE et Risk Management : la grande convergence » ).

Conclusion

Confrontés à la persistance de la crise, les responsables politiques et les experts ont tendance à attendre le salut du seul retour de la croissance : la croissance est notre drogue dure. Mais sans une action déterminée sur la protection environnementale, la menace écologique à laquelle le monde est confronté ne peut que s’aggraver. Comment sortir de cette contradiction ? En construisant la contre-addiction. C’est-à-dire en plaçant le développement durable en tête des priorités, pour changer le contenu de la croissance future.

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,

Management & RSE

Pour aller plus loin :

Lisez la suite de cet article : « Développement durable, croissance et emploi : pourquoi Trump se trompe ? »

Crédits images :

« La moisson », 1882, huile sur toile par Camille Pissarro, innovateur de l’impressionnisme (1830-1903), Bridgestone Museum of Art, Tokyo

Place de l’Indépendance (Maïdan) à Kiev (Ukraine) : avant et après le conflit, photo d’Olga Yakimovich pour Reuters, février 2014

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[1] « Je voudrais dire un mot de toutes ces questions d’environnement, parce que là aussi ça commence à bien faire », avait déclaré Nicolas Sarkozy alors président de la République au Salon de l’Agriculture de Paris, le 6 mars 2010. Interrogée sur le plateau du JT de France 2 en avril 2014 sur l’annonce de la remise à plat de l’écotaxe, la nouvelle ministre de l’Ecologie et de l’Energie, Ségolène Royal avait déclaré qu’elle ne «voulait pas que l’écologie soit punitive».

[2] Dominique Méda, conférence à la Maison des Sciences de l’Homme, Chaire Reconversion écologique, travail, emploi et politiques sociales, 2 octobre 2012

[3] Agnès Michel, Clélia Marty, Esther Finidori, Florian Mayneris, Pierre Musseau, « Pour une politique sociale-écologique : protéger l’environnement et réduire les inégalités », Note Terra Nova 14 avril 2014

[4] Fabrice Lenglart, Christophe Lesieur, Jean-Louis Pasquier, Dossier INSEE, « Les émissions de CO2 du circuit économique en France », L’économie française, édition 2010

[5] DARA Group and Climate Vulnerability Monitor: “A Guide to the Cold Calculus of a Hot Planet”, 2010

[6] D’après « Les Echos », 4 aout 2014

[7] Par exemple la fermeture et délocalisation partielle du site de Sanofi à Vitry en 2008.

[8] Accès à l’eau potable, assainissement, mortalité infantile, pollution intérieure, particules dans l’air urbain, ozone dans l’air, nitrates dans l’eau, consommation d’eau, protection des régions sauvages, protection des écorégions, exploitation forestières, surpêche, subventions agricoles, efficacité énergétique, énergies renouvelables, émissions de CO2.

[9] Même s’il faut remarquer que les dix premiers du classement ne comprennent que peu de pays qui ont su préserver une part importante de l’industrie dans leur PIB (Italie et Suède).

[10]« La transition énergétique pour la croissance verte crée des emplois », document du ministère de l’Ecologie, juillet 2014

[11] Guillaume Sainteny, rapport du Centre d’analyse stratégique sur la fiscalité environnementale et les conséquences des aides publiques sur la biodiversité (octobre 2010), auteur de « Plaidoyer pour l’écofiscalité », éditions Buchet/Chastel, mai 2012

[12] Eloi Laurent, “Social-écologie”, Flammarion, mars 2011

[13] « Enjeux environnementaux et question sociale : pourquoi et comment lier justice sociale et écologie ? », CEDD, 12 mars 2013

[14] Richard Wilkinson et Kate Pickett, « Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous », Editions Les petits matins, 2013

[15] J. Ostry, A. Berg and C. Tsangarides, « Redistribution, Inequality, and Growth », IMF Staff Discussion Note SDN/14/02, 2014

[16] Qui permettent de mesurer l’ampleur des inégalités de revenus ou de patrimoine

[17] « Pour une politique sociale-écologique : protéger l’environnement et réduire les inégalités », note citée ci-dessus

[18] Boston Consulting Group France, « Réflexions sur le portefeuille de mesures Grenelle environnement », juin 2009

[19] « Doutes sur la création des 600 000 ’emplois verts’ », titrait par exemple en « une » « Le Monde » du 30 juillet 2009, citant l’économiste Michel Didier (Rexecode), qui remettait en cause la méthodologie de l’étude du BCG sur les effets à attendre du Grenelle de l’environnement en matière d’emploi. « Il manque cruellement aujourd’hui une étude sérieuse des effets économiques des projets relatifs à l’environnement », estimait-il.

[20] International Labour Organization, “Green jobs : facts and figures”, 2008

[21] « Green Jobs: Towards Decent Work in a Sustainable, Low-Carbon World », CSI report, New York, September 2008

[22] Agnès Michel, Clélia Marty, Esther Finidori, Florian Mayneris, Marine Girardé, Pierre Musseau, « Economie verte : de la théorie économique aux conclusions politiques », note Terra Nova, 14 octobre 2013

[23] Émilie Ernst, « La responsabilité sociétale des entreprises : une démarche déjà répandue », Insee Première, N° 1421, novembre 2012

[24]« Pour une économie positive », rapport du groupe de réflexion présidé par Jacques Attali, Fayard, septembre 2013

[25] Enquête réalisée auprès de plus de 200 professionnels, menée par Produrable, en partenariat avec BDO, Malakoff Médéric, et avec le soutien de l’ORSE (Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises)

[26] Insee Première, N° 1421, citée ci-dessus

[27] Magali A. Delmas, and Sanja Pekovic, “Environmental Standards and Labor Productivity: Understanding the Mechanisms that Sustain Sustainability”, Journal of Organizational Behavior, August 10, 2012 and Forthcoming

[28] « The business case for the green economy », SustainAbility report, June 15, 2012

[29] Accenture & the World Economic Forum, “The Green Investment Report: The ways and means to unlock private sector finance for green growth”, 2013

[30] BBMG, GlobeScan and SustainAbility, “Re:Thinking Consumption”, 2012

[31] Dixième baromètre annuel Ethicity rendu public le 3 avril 2014 ; enquête menée par Kantar Media auprès de 3 700 personnes.

[32] Dalibor Frioux, Guillaume Cantillon, « Réinventer l’abondance, pour une politique des consommations », Terra Nova, septembre 2012

[33] Cedric Vatier, « Cross-industry ecosystems: Growth outside the box”, Accenture report, February 2013. Voir également: “Cross-industry collaboration: Creating the enablers for disruptive models,” Accenture, 2012

[34] « The UN Global Compact-Accenture CEO Study on Sustainability 2013 : Architects of a Better World », September 2013

[35] David Kiron, Nina Kruschwitz, Knut Haanæs, Martin Reeves, and Eugene Goh, “The Innovation Bottom Line”, February 5, 2013

[36] “Fifth State of Sustainable Business Survey 2013”, Business for social responsibility (BSR) Report, October 2013. 55% des répondants étaient basés en Amérique du Nord et 25% en Europe.

[37] Milton Friedman, « The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits », « The New York Times Magazine », September 13, 1970

[38] « The UN Global Compact-Accenture CEO Study on Sustainability 2013 : Architects of a Better World », September 2013. Les participants à cette enquête, membres du Global Compact (Pacte mondial des entreprises), sont plus avancés dans leur engagement vis à vis du développement durable que les “entreprises ordinaires”.

[39] Gary Hamel, « What matters now », février 2012, version française : « Ce qui compte vraiment », Editions Eyrolles, septembre 2012

[40] Marc Pfitzer, Valerie Bockstette, and Mike Stamp, “Innovating for Shared Value”, Harvard Business Review, September 2013

[41] Michael Porter and Mark R. Kramer, “The Big Idea: Creating Shared Value, How to reinvent capitalism – and unleash a wave of innovation and growth », Harvard Business Review, January–February 2011

[42] Fondée par la navigatrice anglaise connue pour ses prises de position en faveur de l’écologie.

[43] Voir : Dominique Pialot, « 700 milliards de dollars économisés grâce à l’économie circulaire », « La Tribune », 29 janvier 2013

[44] David E. Cantor, Paula C. Morrow and Frank Montabon. “Engagement in Environmental Behaviors among Supply Chain Management Employees: An Organizational Support Theoretical Perspective.” Journal of Supply Chain Management 48.3, July 2012, 33–51

[45] R. Jagodzinski, N. Kluge and J. Waddington, Memorandum, “European Works Councils: Recommendations for policy making based on current experiences”, Brussels, ETUI-REHS, 2008

[46] « Troisième baromètre de la fonction développement durable dans les entreprises du SBF 120 », publié par le groupe Adecco et l’IAE Gustave Eiffel (université Paris-Est Créteil), le 4 avril 2013

[47] 6ème baromètre annuel Capitalcom 2013 sur la performance responsable / RSE au sein du CAC 40, 7 octobre 2013 ; « 8ème baromètre annuel Capitalcom 2014 sur la performance responsable : La RSE ouvre les frontières de l’entreprise », octobre 2015

[48] IFA, « La RSE au service de la stratégie de l’entreprise et de la création de valeur : les travaux de l’IFA », 28 mars 2014

[49] Enquête réalisée fin 2013 par Rivoli Consulting et PwC auprès de 30 conseils d’administration d’entreprises de toutes tailles, de tous secteurs, cotées et non cotées. Voir également « Le conseil joue-t-il bien son rôle dans l’orientation et le suivi de la stratégie ? », La lettre de l’IFA No 25, janvier 2013.

[50] « The Integration of Environmental, Social and Governance Issues in Mergers & Acquisitions Transactions – Trade Buyers Survey Results, PriceWaterhouseCoopers, december, 2012. Rapport commandé par l’initiative PRI (Principes pour l’investissement responsable de l’ONU). La majorité (75%) des entreprises interrogées – de juin à octobre 2012 – appartiennent au FTSE 350, ont leur siège en Europe (principalement au Royaume-Uni), Canada ou Etats-Unis et ont développé une stratégie de développement durable.

[51] Le rapport 2014 a été élaboré grâce à la contribution d’experts des sociétés Marsh & Mc Lennan, Swiss Reinsurance, Zurich Insurance Group, de l’Oxford Martin School (université d’Oxford), de l’université nationale de Singapour et du Wharton Center for Risk Management (université de Pennsylvanie).

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