La santé et la sécurité au travail, levier de compétitivité

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[ Mise à jour : 24 avril 2023 ]  Investir dans la santé et la sécurité au travail est certainement favorable pour respecter vos obligations légales, améliorer votre politique sociale et donner corps à votre RSE (responsabilité sociétale des entreprises)[1]. Mais est-ce positif pour votre compétitivité, pour les performances de votre entreprise ? La réponse à cette question est essentielle car elle détermine si nous nous trouvons dans un paradigme économique antagoniste, dans lequel les intérêts du capital et du travail sont irréconciliables ou au contraire si des solutions mutuellement gagnantes sont possibles.

Fin 2016, j’ai commis aux Presse des Mines un ouvrage intitulé « La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité » avec l’ANACT et la Fabrique de l’Industrie, qui montre qu’investir dans la QVT et la prévention des risques professionnels est de l’intérêt conjoint des entreprises et des salariés (voir : « La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité » ). Sur ce blog, j’ai identifié de nombreuses études françaises mais surtout internationales, qui vont dans le même sens (voir la section « Pour aller plus loin » en bas de cette page).

Sous la plume de Mélina Hillion, la DARES (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), l’organisme d’études économiques du ministère du Travail, a publié une étude intitulée « Conditions de travail, prévention et performance économique et financière des entreprises » (août 2020) qui apporte une pierre à cette problématique. Elle repose sur un important travail statistique permettant de croiser les données comptables de performance issues du fichier FARE (indicateurs de performance économique et financière des entreprises) avec l’enquête ‘Conditions de travail’, qui apporte des informations sur la qualité des conditions de travail dans chaque entreprise (intensité du travail, exigences émotionnelles, autonomie, rapports sociaux, conflits de valeurs, sécurité de la situation de travail, contraintes physiques) et sur les mesures de prévention dans l’entreprise. La notion de performance est appréciée dans toute sa complexité par trois indicateurs de performance économique (productivité, taux de marge et rentabilité d’exploitation) et un indicateur de performance financière (rentabilité des capitaux propres). L’échantillon est composé de 6.886 entreprises.

Les résultats en quelques mots

Voici sans attendre les principales conclusions : « Cette étude met en évidence une corrélation très positive entre la prévention et la performance économique et financière des entreprises en France. (…) Les entreprises qui investissent le plus dans la prévention sont aussi les plus performantes économiquement à caractéristiques observables identiques (notamment secteur d’activité, nombre de salariés, structure socioprofessionnelle, appartenance à un groupe, ancienneté) ». Le fait d’être parmi les entreprises les plus dynamiques en termes de politiques de prévention a un impact majeur et mesurable. Ainsi, « le tiers des entreprises qui investissent le plus dans la prévention sont en moyenne 62 % plus productives que le tiers des entreprises qui investissent le moins. Leur taux de marge, leur rentabilité brute d’exploitation et leur rentabilité financière sont également supérieurs de 0,032, 0,046 et 0,032 points respectivement, ce qui correspond à une augmentation de l’ordre de 21 %, 33 % et 18 % respectivement ».

Bien sûr, corrélation n’est pas raison et l’étude ne se prononce pas sur les liens de causalité. On peut d’ailleurs supposer, comme souvent, que ces derniers s’exercent de façon bidirectionnelle : certes, les entreprises les plus actives pour améliorer leurs conditions de travail en trouvent un retour positif sur leurs performances économiques et financières (grâce à la réduction de leurs cotisations AT/MP, de l’absentéisme et du turnover, à l’amélioration de l’implication des collaborateurs,…) mais aussi, les entreprises les plus compétitives sont celles qui ont le plus de moyens à investir pour améliorer leurs conditions de travail. C’est donc ce cercle vertueux entre performance sociale et performance économique que les entreprises doivent viser, ce qui est la logique même de la RSE.

La confirmation de résultats antérieurs

Dans sa revue de littérature, l’étude de la DARES pointe les difficultés méthodologiques et le caractère lacunaire de bon nombre de travaux académiques sur le sujet. Mais elle rappelle les résultats de plusieurs méta-analyses (Judge et al., 2001 ; Harrison et al., 2006 ; Riketta, 2008), faisant la synthèse des conclusions issues de plusieurs milliers de travaux, qui montrent qu’une amélioration de l’ordre de 10 % de la satisfaction au travail est associée à une augmentation de 3 % de la productivité individuelle. Elle met en avant une étude très complète publiée en 2007 par quatre chercheurs de l’Institute for Work & Health de Toronto (Canada), qui identifient des « travaux rigoureux qui tendent à conclure en faveur de retombées économiques positives pour les entreprises qui investissent dans la santé et la sécurité au travail ».

Pour mettre à jour les liens de causalité (et non une simple corrélation), la méthodologie privilégiée est de traiter des données longitudinales, ce qui permet de discerner l’influence d’une variable au temps t sur une autre variable au temps t+1. Michael Riketta, professeur de psychologie du travail à l’université de Tuebingen, a retenu cette méthode dans son étude de 2008 publiée dans le Journal of Applied Psychology et intitulée « The causal relation between job attitudes and performance : A meta-analysis of panel studies ». Cette étude confirme la relation positive (certes de faible intensité) entre le niveau de satisfaction au travail à un moment donné et la productivité individuelle lors de la période suivante.

Plus récemment, en 2017, trois économistes, Sebastian Buhai, Elena Cottini et Niels Westergaard-Nielsen ont publié dans The Scandinavian Journal of Economics un texte intitulé « How Productive Is Workplace Health and Safety ? », qui s’appuie sur les comptes de résultats de plusieurs centaines d’entreprises et sur les enquêtes Conditions de travail de quatre pays d’Europe du Nord. Elle retient également une méthode basée sur des données longitudinales et établit un lien entre l’environnement de travail et la performance économique des entreprises du secteur privé à l’échelle nationale. Elle montre dans le cas du Danemark, que la qualité de l’environnement de travail et plus particulièrement le climat social et la limitation du travail répétitif, a un effet positif puissant sur la productivité. Pour la Suède, une amélioration de la santé et de la sécurité des salariés (mesurées par les expositions aux risques physiques et psychosociaux, les maladies de courte et de longue durée, les accidents, les décès, le stress, la dépression) est associée à une performance économique plus élevée.

La remise en cause de quelques idées reçues

Les traitements statistiques (études de variance, analyses en composante principale,…) permettent de distinguer les variables qui ont le plus d’impact sur la performance des entreprises. D’où un sérieux coup porté à quelques idées reçues malheureusement encore bien enracinées dans certaines organisations. « La performance économique et financière des entreprises diminue avec le manque de reconnaissance, les contraintes sur les horaires et sur l’organisation du temps de travail, l’insécurité économique et les changements organisationnels, » nous dit l’auteur. Espérons que ce constat mettra fin aux comportements managériaux consistant à ne pas donner de signes de reconnaissance aux collaborateurs par crainte des revendications salariales, à tronçonner les emplois du temps des salariés pour gagner des miettes en productivité, à miser sur la précarité, à entretenir une opacité sur les informations ou à enchaîner les restructurations mal préparées et mal accompagnées.

« En revanche, » poursuit l’auteur, « la performance des entreprises n’est pas systématiquement associée à l’intensité du travail, aux exigences émotionnelles, au manque d’autonomie, aux mauvais rapports sociaux, aux conflits de valeurs ni aux contraintes physiques ». Voilà qui oppose le démenti des faits à ceux qui pensent encore qu’améliorer la performance passe par l’intensification des tâches, l’engagement sans limite des collaborateurs, la prescription étroite du travail (plutôt que la confiance), la concurrence entre les salariés ou encore par la dureté physique des conditions de travail.

Quelles politiques de santé et sécurité en découlent ?

Parmi les résultats les plus intéressant de cette étude de la DARES, on note que « le niveau de prévention et de sécurité augmente avec le nombre de salariés dans l’entreprise, l’ancienneté moyenne des salariés et l’appartenance à un groupe » et qu’il est « plus important dans l’industrie et plus faible dans dans les services, le commerce, les transports, l’hébergement et la restauration ». Il n’y a pas ici de surprise… mais tout de même une confirmation de

  • l’erreur que constitue le rehaussement des seuils sociaux, qui a pour effet d’exposer encore davantage les TPE et PME qui sont déjà les moins outillées ;
  • la montée des risques liés à la tertiarisation croissante de notre économie ;
  • l’importance de la qualité du climat social et du dialogue social, sachant, qui plus est, que l’indicateur de prévention (qui reflète l’étendue et la diffusion des politiques de prévention) « est négativement corrélé avec les conflits de valeurs, le manque de reconnaissance et les mauvais rapports sociaux».

De façon plus générale, l’étude met en avant l’intérêt bien compris des dirigeants d’entreprise d’investir dans la prévention des risques pour améliorer la performance. Elle montre « l’existence d’un lien fort et positif entre prévention et performance de l’entreprise, quel que soit l’indicateur considéré ». En effet, une hausse du niveau de prévention d’un écart-type est associée à une hausse de la productivité (valeur ajoutée) de 23 % en moyenne, du taux de marge de 0,015 point (soit environ 10 %), de la rentabilité d’exploitation de 0,021 point (soit environ 15 %) et de la rentabilité financière de 0,014 point (soit environ 8 %, même si ce dernier résultat est jugé statistiquement non significatif).

Quels sont les leviers et outils les plus efficaces ? « Le fait d’avoir bénéficié d’une formation à la sécurité au cours des douze derniers mois et de disposer de consignes de sécurité écrites est très fortement et positivement associé à la performance économique et financière des entreprises (de l’ordre de +20 % et +15 % respectivement), » nous dit l’auteur. Par ailleurs, la présence d’un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER) est fortement et significativement associée à la performance de l’entreprise. Rappelons que la présence du DUER est obligatoire pour toutes les entreprises depuis près de 20 ans (2001) mais une autre étude de la DARES a montré que seuls 46 % des employeurs (établissements) ont élaboré ou mis à jour ce document[2]. Voici donc une raison supplémentaire de déployer ces outils, trop souvent perçus par les entreprises comme des contraintes administratives.

Conclusion

La santé organisationnelle devient un enjeu business pour les entreprises, celles qui ont compris que la conduite du changement consiste à hybrider l’accompagnement humain et la transformation des organisations. « Cette étude montre que l’investissement des entreprises dans la santé et la sécurité de leurs employés est également un bon indicateur de leur santé économique, » nous dit l’auteur. La santé ne se partage pas. Celle des collaborateurs est le meilleur gage de celle de l’entreprise.

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,
Management & RSE

Pour aller plus loin :

Consultez l’étude de la DARES dans son intégralité : Mélina Hillion, « Conditions de travail, prévention et performance économique et financière des entreprises », Document d’études de la DARES, Numéro 238, août 2020

Les études françaises et internationales sur le Retour sur investissement : « Santé et sécurité au travail : 3 bonnes raisons d’investir »

« Pour un euro investi en santé et sécurité au travail, le retour sur investissement est de 2 à 5 euros »

« Interview : un euro investi en rapporte beaucoup plus » (Agir Magazine)

Consultez les autres articles de ce blog consacrés à l’amélioration des conditions de travail et à la santé/sécurité au travail

Cet article est une version augmentée d’une chronique de Martin Richer publiée par l’hebdomadaire Entreprise & Carrières dans son n° 1498. Pour lire cette chronique en format PDF, cliquez ici

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[1] « Améliorer les conditions de travail pour une RSE opérationnelle »

[2] « La prévention des risques professionnels. Les mesures mises en œuvre par les employeurs publics et privés », Dares Analyses, 16 mars 2016

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