Que peut-on faire en entreprise si la confiance n’est pas là ? Ni coopérer, ni manager, ni s’impliquer. Autant dire que la confiance est le sucre lent des organisations. Elle mérite toute notre attention, notamment de la part de ceux qui managent des équipes ou s’intéressent à la RSE ou à la RH. Les résultats de la dernière enquête d’Edelman montrent que les entreprises s’affirment de plus en plus comme un « tiers de confiance », une évolution qui peut les ravir mais doit aussi les obliger. Partout dans le monde, citoyens et salariés attendent que les entreprises et leurs dirigeants s’engagent davantage vis-à-vis des grands enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux. La RSE s’en trouve renforcée, mais peut-être au risque de la désillusion.
Edelman n’est pas simplement une firme de conseils en relations publiques. Elle cherche à comprendre ce qui constitue les ressorts d’une communication efficace. Et pour cela, elle s’est intéressée à la confiance. Et elle l’a fait avec une belle opiniâtreté : elle vient de livrer son 22ème baromètre de la confiance, adossé à une enquête quantitative d’ampleur (33.000 répondants à travers 28 pays dans le monde, dont les avis ont été recueillis en novembre 2021)[1]. Depuis 2001, ce baromètre permet de mesurer le niveau de confiance qu’accordent les citoyens aux quatre organisations structurantes de notre société : le gouvernement, les médias, les entreprises et le monde associatif (ce dernier est approché par les ONG).
Le constat est sans appel : après deux années de crise pandémique, la défiance est devenue « l’émotion par défaut » de la société, avec 59% des personnes enclines à «se méfier jusqu’à ce qu’elles voient la preuve que quelque chose est digne de confiance ». En comparaison du relevé établi en mai 2020 (ce qui correspond, pour la France, au premier déconfinement), la confiance s’est effritée vis-à-vis de chacune des organisations structurantes (qui sont autant de « parties prenantes ») : seuls 50% des citoyens des 28 pays ont confiance dans les médias. Les Etats (gouvernements : 52% de confiance) ne font guère mieux. Le monde associatif surnage à 59% de confiance et ce sont finalement les entreprises qui cristallisent le mieux la confiance avec un taux de 61%.
Gouvernements et médias s’éloignent de plus en plus des citoyens
Les gouvernements et la presse ne sortent pas grandis de ces deux années de pandémie : les gouvernements apparaissent comme ayant été le jouet des événements et les médias n’ont pas réussi à convaincre de leur objectivité dans leur mission d’information. La défiance grandissante vis-à-vis des gouvernements constitue un handicap sérieux à l’heure où des défis majeurs comme la lutte contre la Covid-19 ou contre le changement climatique doivent être relevés.
Les gouvernements étaient vus comme l’institution la plus fiable pas plus tard qu’en mai 2020, lorsque le monde cherchait un leadership capable de lutter contre une pandémie mondiale. Mais la confiance envers l’Etat a chuté de 13 points, passant de 65% à 52%. Les entreprises sont jugées beaucoup plus compétentes que les Etats (scores de +12 versus – 41, soit un écart de 53 points), mais aussi plus éthiques (+14 vs -12 soit un écart de 26 points).
La confiance envers les Etats s’érode parce que les citoyens ne voient pas leur sort s’améliorer. Le baromètre Edelman constate que 51% des citoyens considèrent qu’eux-mêmes et leur famille ne vivront pas mieux dans 5 ans que maintenant. Parmi les 28 pays interrogés, la France connue pour être « la championne du pessimisme » se classe à l’avant dernier rang (devant le Japon, bon dernier) : seuls 18% des Français pensent que leur sort va s’améliorer, contre (par exemple) 91% des Kenyans, 80% des Indiens ou 64% des Chinois.
Le déficit de confiance est explosif car il révèle l’écart qui se creuse entre les classes aisées (qui font plutôt confiance) et les classes populaires (qui font preuve de défiance). Edelman suit depuis 2012 l’écart entre le niveau de confiance des 25% des revenus les plus élevés (62% de confiance en 2022) et les 25% des revenus les plus bas (47% de confiance), soit un gouffre de 15 points, qui s’accroit encore d’un point sur l’année.
Dans certains pays, ce gouffre recoupe une polarisation des choix politiques. Ainsi, aux Etats-Unis, les Démocrates présentent un indice de confiance de 55%, plus élevé de 20 points que celui des Républicains ! Et pour la première fois, la confiance vis-à-vis de l’entreprise est davantage ressentie chez les Démocrates (55%) que chez les Républicains (48%, avec une baisse massive de 12 points en un an). L’envahissement du Capitole pourrait se doubler de celui de Wall-Street !
L’entreprise et son corps social apparaissent comme une force de confiance et d’efficacité
Les entreprises représenteraient-elles mieux l’intérêt général que les Etats ? Voici un paradoxe que Montesquieu aurait apprécié. En moyenne, les citoyens des 25 pays voient les gouvernements davantage comme une force de division (48%) que de cohésion (36%). Leur vision de l’entreprise est à front renversé : 31% seulement la voient comme une force de division contre 45% comme un facteur de cohésion, dans une configuration proche de celle du monde associatif (respectivement 29% et 50%).
La conséquence, comme l’affirme Edelman, est que « les dirigeants d’entreprise sont attendus sur un nouveau mandat : celui de ‘sauveur’ de la société ». L’employeur devient la seule valeur refuge face à la crise sanitaire et à la défiance généralisée. 70 % des Français déclarent avoir confiance en leur employeur (+3 points) et 44 % déclarent que leur employeur a su créer un environnement propice pour retourner au travail en sécurité : l’employeur est devenu une figure stable et rassurante, face à l’incertitude générée par la crise sanitaire. Nous avons déjà pointé l’importance de cet atout de la confiance pour les entreprises (voir : « Déconfinés mais pas désimpliqués : 3 atouts pour le monde d’après »).
La force de l’entreprise, vue par les citoyens, tient en la combinaison de sa capacité et de son efficacité. Ils ne sont plus que 44% à considérer que les Etats sont capables de fédérer les efforts pour résoudre les problèmes sociétaux et environnementaux. Mais ils sont 55% à accorder cette capacité aux entreprises d’une part et au monde associatif d’autre part. Ils ne sont plus que 42% à penser que les Etats ont la capacité d’exécuter avec succès des plans et une stratégie pour obtenir des résultats dans ces domaines. Mais ils sont 57% à conférer cette efficacité au monde associatif et surtout 65% aux entreprises.
Peut-être également, l’entreprise apparaît-elle comme un îlot de paix et de concorde. L’un des résultats les plus inquiétants de l’enquête Edelman est la proportion très élevée, à savoir 64% des citoyens dans le monde, qui estiment que leurs concitoyens ne sont pas capables d’avoir un débat calme et constructif sur leurs points de désaccord. C’est la conséquence de la montée de la défiance : sans un minimum de confiance, il n’y a pas de débat apaisé possible (voir : ma tribune dans Le Monde : « La crise de la délibération concerne l’entreprise et le champ politique »). Le dialogue pacifié et encadré ; le climat de travail propice à une controverse informée et bienveillante, sont des vertus dont les entreprises s’emparent pour faire la différence (voir : « Managers, construisez votre dream team : l’expérience de Google »).
Cependant, il n’est pas impossible que cette attente vis-à-vis de l’entreprise soit en partie surfaite. En effet, lorsqu’on interroge les citoyens sur les succès enregistrés par les différents acteurs dans le passé récent, l’entreprise n’est pas particulièrement distinguée pour son efficacité. Ainsi par exemple, vis-à-vis du réchauffement climatique, 69% des citoyens dans le monde considèrent que les entreprises ne réussissent pas à améliorer la situation, une proportion similaire à celle accordée aux Etats (68%).
Par ailleurs, la confiance vis-à-vis de l’entreprise s’obtient d’abord par la proximité. Ceci apparaît à la vue des acteurs en qui les citoyens ont le moins ou le plus confiance. Dans la première catégorie, celle de la défiance, on trouve d’abord les politiques (seulement 42% de confiance), suivis des journalistes (46%), puis… des chefs d’entreprise (49%). Mais à l’autre extrémité du spectre, les acteurs qui attirent le plus la confiance sont MON chef d’entreprise (« my CEO » : 66%), mes collègues (74%) et les scientifiques (75%).
La confiance se rétracte dans les limites d’un cercle presque intime. Edelman insiste : « Trust, once hierarchical, has become local and dispersed as people rely on my employer, my colleagues, my family”. Les citoyens apprécient donc « LEUR patron » (dont ils connaissent sans doute les contraintes) mais beaucoup moins les patrons en général (et donc le fonctionnement des entreprises).
Ce besoin de proximité apparaît aussi dans le niveau de confiance par typologie d’entreprises : il est plus prononcé (67% avec une progression de 3 points en un an) vis-à-vis des entreprises familiales que vis-à-vis des entreprises privées (58%) ou des entreprises cotées (56%), qui elles-mêmes dépassent les entreprises publiques (52%). Ces données illustrent l’ambivalence de la relation des citoyens à l’entreprise, que nous avions relevée sur la base des données (elles aussi sur la confiance) de l’étude annuelle du CEVIPOF (voir : « L’entreprise : la disruption ou la détestation ! »).
Mais ne boudons pas notre plaisir : « Mon chef d’entreprise » est l’acteur qui progresse le plus (+ 3 points en un an) et n’est détrôné que par les scientifiques, maîtres tutélaires de la confiance en temps de pandémie…
La réticence des citoyens vis-à-vis des entreprises apparaît dans une autre série de chiffres intéressants : 52% des citoyens dans le monde considèrent que le capitalisme tel qu’il fonctionne crée plus de souffrances que de bienfaits. Sur cet aspect, l’écart entre les classes aisées (62% de confiance vis-à-vis du capitalisme) et les classes populaires (47%) atteint son plus haut niveau avec 15 points. Et même (question posée uniquement dans les 21 pays dits démocratiques), 33% pensent que les économies administrées (planifiées) réussissent mieux que les économies de marché ! Le point faible de l’entreprise apparaît ici : elle est jugée comme beaucoup plus efficace que les Etats et beaucoup plus visionnaire, mais aussi comme beaucoup moins juste (définie comme « servant les intérêts de chacun de façon équitable et juste »). La capacité de l’entreprise à concilier l’intérêt de toutes ses parties prenantes – et non seulement celui des actionnaires, dirigeants et clients – est donc en question, ainsi que la transition vers un « capitalisme des parties prenantes ».
Enfin, les dirigeants d’entreprises ne sont pas véritablement épargnés par la crise de la vérité, qui ne prospère pas qu’aux Etats-Unis, pays hôte des « vérités alternatives » de Donald Trump. Une proportion très inquiétante des citoyens pensent que les acteurs en responsabilité « leurs mentent en toute connaissance de cause, en affirmant des choses fausses ou manifestement exagérées dans le but de les tromper » : 67% (+ 8 points en un an) pensent que les journalistes le font et 66% (+ 9 points) en accusent leurs dirigeants politiques. Mais 63% (+ 7 points) considèrent que c’est aussi le cas des dirigeants d’entreprises.
L’entreprise ne peut pas prospérer sur les défaillances des institutions comme l’Etat, qui portent l’intérêt général. Elle doit se préoccuper de passer un nouveau contrat avec elles. « L’échec des gouvernements a généré une confiance excessive vis-à-vis des entreprises, une mission pour laquelle les entreprises privées ne sont pas spontanément douées, » affirme Richard Edelman, CEO d’Edelman.
Une nouvelle incarnation d’entreprises et de dirigeants est attendue
Ces attentes fortes sont à la fois une chance (les entreprises ont de l’espace pour s’exprimer) et une contrainte (si on les attend, c’est aussi parce qu’on ne les estime pas assez actives ou efficaces à ce jour). C’est à ce prisme qu’il faut apprécier les attentes prioritaires exprimées par les citoyens des 28 pays pour l’édition 2022 : ils estiment que les entreprises ne sont pas assez actives sur les enjeux de :
Réchauffement climatique pour 52% des citoyens
Lutte contre les inégalités 49%
Formation des salariés 46%
Accès à la santé 42%
Fiabilité des informations 42%
Lutte contre les injustices 42%
On retrouve ici bon nombre d’enjeux sociétaux et environnementaux, ceux de la RSE.
L’entreprise trouve une place de choix dans les sources qui permettent aux citoyens de s’informer. Parmi les différents types de médias qu’ils utilisent, seuls les moteurs de recherche (59%) et les médias traditionnels (57%) se situent au-dessus de la moyenne en termes de confiance. En revanche, les médias propriétaires (comme par exemple les sites internet des entreprises, 43%) et surtout les réseaux sociaux (37%) se situent à un niveau très bas. Parmi les 22 pays qui ont répondu à cette question, la France est celui qui se caractérise par le taux de confiance envers les réseaux sociaux le plus faible (19%). Une analyse sur 10 ans (2012 à 2022) montre que seuls les médias propriétaires progressent (un peu : 1 point) face à l’érosion des médias traditionnels (-5 points) et des réseaux sociaux (-8 points).
L’autre point de vulnérabilité est lié aux infox (« fake news ») avec un niveau jamais atteint, 76% (+ 4 points) de citoyens qui se disent préoccupés par la prolifération des infox utilisées comme une arme. Sur cet aspect, la France (64% ; – 1 point) est avec le Japon et les Pays-Bas, l’un des pays les moins touchés, peut-être, comme on l’a vu, parce que les Français n’accordent aucune confiance aux réseaux sociaux.
Finalement, face à ce désastre informationnel, l’information à laquelle les citoyens se fient le plus est celle qui provient de leur entreprise (65%), jugée par eux beaucoup plus crédible que toutes les autres sources identifiées, officielles ou non.
Plus globalement, si le taux de confiance vis-à-vis de l’entreprise (en général) n’est que de 61%, celui vis-à-vis de « mon employeur » atteint 77%, ce qui constitue un capital de confiance très appréciable. Réfrénons cependant les enthousiasmes : ce niveau de confiance est de 10 points inférieur en France (67%) et il a perdu 3 points depuis 2021. Parmi les 27 pays analysés sur cet indicateur, seuls le Japon et la Corée du Sud sont en position plus défavorable que la France.
Cela dit beaucoup de choses sur le contrat social, sur les difficultés du dialogue social à la française et sur le retard de notre pays dans la transition managériale.
L’avenir est aux acteurs engagés
Parmi les 27 principaux pays, Edelman observe la montée des acteurs engagés, comme le pointe l’édition 2022 :
- 58% des citoyens achètent ou recommandent les produits conformes à leurs valeurs et leurs convictions ;
- 60% choisissent leur employeur en fonction de leurs valeurs et de leurs convictions ;
- 64% investissent sur la base de leurs valeurs et de leurs convictions.
Par ailleurs, selon une autre enquête d’Edelman menée auprès des investisseurs de 7 pays, 88% des investisseurs institutionnels soumettent les données ESG à la même exigence de robustesse que les données financières ou opérationnelles.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement la France, le Trust Barometer 2021 révélait déjà que l’activisme est en progression chez les consommateurs comme chez les employés français. Six consommateurs sur dix estiment avoir aujourd’hui le pouvoir de faire évoluer les grandes entreprises et marques et 47 % des employés déclarent être plus susceptibles d’exprimer leur désaccord avec la direction qu’ils ne l’étaient un an auparavant.
La démocratie sera une question essentielle de l’engagement des entreprises. Aujourd’hui, les pays qui jouissent du meilleur indice de confiance de leur population sont soit des dictatures (No 1 : la Chine avec… 83% de confiance), soit des pays autoritaires (voir le tableau ci-dessous). En revanche, le bas du tableau, à l’exception de la Russie, est occupé par les démocraties occidentales. Les écarts entre ces deux familles ont tendance à s’accroître, matérialisés par une différence jamais atteinte de 40 points entre la Chine et les Etats-Unis. Cet écart atteint même 52 points pour la confiance vis-à-vis du gouvernement (et 35 points vis-à-vis des entreprises). Oui, vous avez bien lu, les communistes chinois ont beaucoup plus confiance en leurs entreprises que les capitalistes américains ! Concilier confiance et démocratie est un enjeu majeur pour les années à venir et les entreprises peuvent y contribuer.
On peut observer aussi que la France, longtemps décrite comme « la championne de la défiance », a heureusement perdu ce statut[2]. Même si son classement reste peu favorable (indice de confiance : 50% versus 56% pour la moyenne mondiale), elle a gagné 2 points en 2022 et fait mieux désormais que l’Espagne, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis (qui ont perdu 10 points depuis 2017), la Corée du Sud et le Japon.
Si l’on examine plus spécifiquement la confiance vis-à-vis de l’entreprise, le diagnostic est similaire : la France est en position plutôt défavorable (indice de confiance de 54% contre 61% en moyenne des 27 pays) mais elle a progressé de 3 points et fait mieux désormais que l’Espagne, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Allemagne, la Corée du Sud et le Japon.
L’avènement du dirigeant engagé
L’édition 2021 du baromètre montrait déjà que les attentes des Français deviennent plus élevées envers les dirigeants : 75 % estiment que les leaders économiques ont une responsabilité envers le grand public, 67 % attendent des dirigeants d’entreprise qu’ils s’impliquent publiquement dans la gestion des problèmes de société lorsque le gouvernement ne les résout pas et 66 % souhaitent que les dirigeants, et particulièrement les CEO, deviennent leaders du changement.
Ces évolutions se poursuivent en 2022. Richard Edelman, le CEO d’Edelman les résume par cette formule : “Societal leadership is now a core function of business ”. A l’échelle mondiale, une très forte majorité des répondants considèrent que le dirigeant (CEO) doit désormais s’engager : 81% appellent de leurs vœux un « dirigeant visible personnellement pour discuter des politiques publiques avec les parties prenantes externes ou des initiatives prises par leur entreprise dans le but de bénéficier à la société »[3]. Par ailleurs, 60% des salariés (en progression de 5 points depuis 2019) « attendent, lorsqu’ils sont en recherche d’un emploi, que le dirigeant s’exprime publiquement sur des enjeux sociaux et politiques controversés auxquels ils sont sensibles en tant que salariés »[4].
Les sujets sur lesquels les dirigeants sont attendus prioritairement sont :
Emploi et économie 76%
Technologie et automatisation 74%
Inégalités salariales 73%
Changement climatique 68%
Discriminations 65%
Impacts de l’immigration sur l’emploi 61%
Amélioration de l’éducation-formation et de la santé 61%
Moyens d’accroître la vaccination anti-Covid 57%
Qui sera le prochain président du pays ? 40%
Le score des deux derniers items dessine la « ligne rouge » à ne pas franchir : les dirigeants sont attendus sur les sujets même controversés, mais en restant dans la limite des thématiques qui concernent l’entreprise, sur lesquelles elle peut agir, sans pour autant entrer dans la sphère purement politique.
Conclusions (provisoires)
A l’heure où les entreprises américaines s’engagent vis-à-vis de causes comme Me Too, Black Lives Matter ou l’intersectionnalité, les entreprises françaises hésitent, se cherchent. Pour retrouver (ou préserver) la confiance, elles doivent faire la différence entre l’entreprise citoyenne – sensible aux enjeux sociétaux de son activité – et l’entreprise militante – qui prétend se substituer aux acteurs légitimement élus. C’est le rôle du dirigeant de guider l’entreprise dans cette dialectique, entre la stratégie de l’entreprise et les enjeux qui l’entourent.
Une étude de Via Voice et We Are Com publiée fin 2020 mettait en lumière un désaveu des citoyens assez net à l’égard de la communication des entreprises, majoritairement jugée comme insincère. On a vu des marques telles que Gillette avec le spot « The best man can get », ou Pepsi, dans la campagne « Live for Now » qui tentait de préempter le mouvement Black Lives Matter, rencontrer des difficultés dans des communications sur des engagements qui n’étaient pas jugés légitimes par leurs publics. L’authenticité est donc la seule posture tenable : il faut éviter une communication calibrée, aseptisée et finalement peu crédible, en choisissant ses combats (voir : « Travail et communication, le nouveau visage de la performance sociale »). Il faut s’intéresser prioritairement aux enjeux sur lequel le dirigeant et l’entreprise peuvent exercer un impact réel et sur lequel ils sont prêts à déployer des engagements et des actions concrets, en co-construction avec les parties prenantes concernées. Pour 53 % des personnes interrogées par Via Voice, une communication sincère est une communication cohérente avec ses actes.
La méthodologie proposée par la loi PACTE – responsabilité sur ses impacts ; raison d’être ; société à mission – apporte une solution pragmatique (voir : « Loi PACTE : le couronnement de la RSE ? »). L’entreprise choisit ses combats en fonction de l’intensité des impacts qu’elle peut réduire (impacts négatifs) ou accroître (impacts positifs), en fonction de son « pourquoi », de la contribution qu’elle apporte à ses parties prenantes (notre définition de la Raison d’être), en fonction des missions qu’elle décide de poursuivre et des objectifs concrets qui y sont associés (société à mission). Cette approche prend le contre-pied du « purpose-washing » qui alimente actuellement le cycle de la défiance.
Le dirigeant de demain, éclairé, sensible et engagé, est celui qui sait guider l’expression de la raison d’être de son entreprise et lui procurer le cadre d’action permettant sa réalisation effective. Telle est la condition d’une confiance durable.
Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,
Management & RSE
Pour aller plus loin :
Méthodologie. Le Trust Barometer d’Edelman est une enquête annuelle, conduite dans le monde depuis 22 ans, qui mesure l’évolution de la confiance dans les institutions et figures d’autorité sociétales. Elle est administrée en ligne auprès d’un échantillon global de 33.000 répondants à travers 28 pays dans le monde (Canada, Chine, France, Allemagne, Inde, Japon, Mexique, Arabie Saoudite, Corée du Sud, Royaume-Uni, États- Unis, Indonésie, Singapour, Émirats Arabes Unis, Malaisie, Pays-Bas, Thaïlande, Australie, Kenya, Italie, Brésil, Irlande, Colombie, Afrique du Sud, Argentine, Espagne, Russie, Nigéria). Dans chaque pays, sont interrogés 1150 répondants âgés de 18 ans et plus et représentatifs de la population sur des critères d’âge, sexe et région d’habitation. Ce terrain a été réalisé en novembre 2021.
“The Cycle of Distrust ; Edelman Trust Barometer 2022”, Edelman Data & Intelligence, January 2022
Crédit image : « Intérieur à Ciboure », juin 1940, par Henri Matisse (1869 – 1954), huile sur toile, Musée Toulouse-Lautrec à Albi
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[1] Voir la méthodologie de l’enquête dans la section « Pour aller plus loin ».
[2] Voir : Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg, « La fabrique de la défiance… et comment s’en sortir », Albin Michel, février 2012
[3] “CEOs should be personally visible when discussing public policy with external stakeholders or work their company has done to benefit society.”
[4] “When considering a job, I expect the CEO to speak publicly about controversial social and political issues that I care about.”
Une réponse
Excellent article. Bravo Martin