Pour un euro investi en santé et sécurité au travail, le retour sur investissement est de 2 à 5 euros

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En matière de santé, l’étude des symptômes précède l’étude des coûts…

J’ai effectué sur ce blog, un travail de recensement des études françaises ou internationales consacrées au chiffrage du retour sur investissement (ROI) en Santé et sécurité au travail, ce que j’ai appelé le « Return on Prevention ». Je suis frappé de constater que le ROP est largement positif mais surtout très fortement concentré dans une fourchette de deux à cinq, et ce malgré la très grande diversité des études identifiées : secteurs d’activité et métiers, pays et structures du système de santé, tailles des entreprises, natures des projets et des investissements réalisés, etc.

Mais alors, si le ROP est largement positif, pourquoi les entreprises en France sont-elles réticentes à investir davantage dans la santé et la sécurité au travail ? C’est à cette question – et à quelques autres – que je tente de répondre dans cette interview publiée par le dernier numéro de « Entreprise & santé », le magazine santé des PME, qui s’intéresse à la santé au travail depuis sa création en 2008.

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L’homme est calme, détendu et précis : « Dans les pays latins, on considère que la santé et sécurité au travail coûtent à l’entreprise. Dans les pays nord-européens et anglo-saxons, on sait que cela rapporte à l’entreprise ». Le débat est ouvert. Attention : Martin Richer sait de quoi il parle. Depuis des années, il dissèque les études publiées sur le sujet et analyse les cas concrets. Et il explique qu’à l’échelle d’une entreprise, une action de santé ou sécurité au travail a un retour sur investissement positif. Pour un euro investi, elle rapporte de 2 à 5 euros. Et cela, avec un retour sur investissement de 1,5 an. C’est-à-dire que le délai moyen de récupération de la somme investie est de 1 à 2 ans. Entreprise & Santé a rencontré Martin Richer.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la sécurité et la santé au travail ?

Martin Richer : Tout naturellement du fait de mon parcours. J’ai eu une formation en Ecole de commerce. Puis, je suis devenu dirigeant de sociétés, notamment aux Etats-Unis ou en Angleterre. En France, j’ai travaillé pour le cabinet SECAFI, numéro 1 du conseil pour les comités d’entreprises et les CHSCT, Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail. Aujourd’hui, je dirige un cabinet conseil spécialisé sur la RSE, Responsabilité Sociale des Entreprises. Car j’ai toujours considéré la question des conditions de travail comme la première responsabilité du dirigeant d’entreprise. L’une va avec l’autre. Pas contre l’autre. La santé au travail constitue un point de rencontre concret entre les objectifs du chef d’entreprise et les conditions de travail des salariés. Et la santé au travail est un sujet essentiel de la RSE, d’une RSE visible et appropriée par les salariés. Elle est facteur de performance économique et sociale.

Et pourquoi s’intéresser spécifiquement au retour sur investissement de la santé au travail ?

Martin Richer : J’en ai besoin pour convaincre mes clients, qui ne sont pas tous prêts à s’engager spontanément dans la démarche. Je rencontre des directions d’entreprise pour développer des pratiques de RSE. Systématiquement, la question survient : combien cela va-t-il me coûter ? Ma réponse est simple : cela va vous rapporter! Toutes les études convergent sur ce point. C’est une bonne entrée en matière car dans tous les cas, il faut parler leur langage et répondre à leurs préoccupations.

Et donc, les études convergent …

Martin Richer : Absolument. De nombreuses études proviennent des USA ou d’Europe du Nord, à savoir l’Allemagne, la Scandinavie, les Pays-Bas. Le résultat est clair : si vous dépensez en santé et sécurité au travail, vous récoltez en termes de bénéfice économique. A part les travaux de l’OPPBTP[1] et de l’INRS[2], il y a peu d’études en France. Cela montre que chez nous, on approche les questions de santé au travail essentiellement sur un plan moral et non sous l’angle de la rationalité économique. Or, il faut être pragmatique : on doit prendre en compte la santé au travail y compris pour des raisons de retour sur investissement.

Elles prouvent que le retour sur investissement est positif ?

Martin Richer : Oui. Quels que soient le pays concerné, les secteurs d’activité et les méthodologies, il y a une très forte convergence. Dans la trentaine d’études que j’ai pu recenser, un euro investi en rapporte beaucoup plus. Le retour sur investissement se concentre autour de 2 à 5, même s’il peut atteindre des niveaux plus élevés dans certains cas. Par exemple, les études suivies par l’agence européenne de Bilbao[3], concernent de nombreux pays et de nombreuses activités : boucherie, agroalimentaire, services sociaux, etc. Elles confirment toutes ce résultat. Mais cela est très peu connu en France. A ce titre, l’étude menée récemment par l’OPPBTP a produit d’une part de la connaissance, d’autre part des changements et des progrès. Elle a reposé sur plus de 100 situations test et a mobilisé les patrons des TPE et PME concernées pour chiffrer tout le dispositif mis en œuvre dans une action de prévention. Les fédérations professionnelles devraient suivre cet exemple: prendre le sujet à bras le corps et mesurer le retour sur investissement.

Que dire de l’étude de l’OPPBTP ?

Martin Richer : La méthodologie est très solide et intéressante. 101 cas d’action de prévention ont été suivis, avec une approche fine de leur compte d’exploitation. Le retour sur investissement moyen est de 2,19. Le délai moyen de récupération est de 1 an et demi, ce qui surprend les chefs d’entreprise qui s’attendent à un délai plus long, notamment pour une PME ou une TPE. Et pourtant, cela s’explique. Par exemple, les effets sur l’absentéisme sont immédiats. Un facteur psychologique joue aussi. Quand un chef d’entreprise s’engage dans une action de santé au travail, le signal est fort. Il est immédiatement décodé par les salariés, dont l’engagement et la motivation au travail s’accroissent. Cette étude a aussi chiffré le gain par salarié. Il est important, notamment dans les TPE et PME :

  • 8 200 € pour les entreprises de moins de 20 salariés,
  • 3 700 € pour les entreprises de 20 à 49 salariés et
  • 1 600 € pour les entreprises de plus de 50 salariés.

Et pour l’étude de l’agence de Bilbao ?

Martin Richer : elle explore des activités très diverses. Par exemple, un programme mené par la branche de la boucherie en Allemagne : 255 000 travailleurs concernés, réduction de 28 % des accidents du travail sur 6 ans, 1 000 accidents du travail évités chaque année, coût de 8 milliards d’euros, bénéfice de 40 milliards d’euros, économie de 4,81 euros pour un euro investi. Des résultats similaires ont été observés avec les agriculteurs finlandais, l’assurance maladie en Allemagne, l’industrie en Pologne, etc. Cette convergence des résultats, malgré la grande diversité des pays et des activités, est impressionnante.

Existe-t-il une différence selon la taille et l’activité de l’entreprise ?

Martin Richer : Quelle que soit l’activité, les résultats sont là. Quant à la taille de l’entreprise : le retour sur investissement est plus important pour une TPE, par rapport à une PME. Et il est plus important pour une PME, par rapport à une grande entreprise.

Mais alors… Pourquoi les entreprises semblent réticentes en France à investir en santé au travail ? Pourquoi faut-il leur démontrer le retour sur investissement ?

Martin Richer : Pour trois raisons : la rationalité limitée, la temporalité, la mutualisation des coûts.

La rationalité limitée aboutit à des décisions non optimales. Prenons l’exemple de la participation des femmes dans les équipes de direction. Elles constituent 15 % des comités de direction ou des comités exécutifs et 54 % des diplômés de l’enseignement supérieur. La représentation l’emporte sur le rationnel : les hommes désignent des hommes, parce que les femmes seraient moins efficaces! La santé au travail est vue comme un coût, voire une soustraction et une confrontation : ce que je gagne, tu le perds. Elle n’est pas vue comme une solution mutuellement gagnante.

Il y a aussi une raison temporelle : certes, la santé au travail rapporte, mais nous ne pouvons pas nous le permettre car nous raisonnons au trimestre. Or, nous avons vu avec l’étude de l’OPPBTP que le délai de récupération est court…

logo Entreprise et sante

Enfin, il y a des raisons liées à la mutualisation des coûts du fait de la prise en charge par l’assurance maladie des accidents ou maladies. Avec une conséquence : les actions de santé au travail vont faire des économies à la société, pas à notre entreprise… Or, l’étude de l’OPPBTP démontre que les gains sont réalisés par l’entreprise qui a effectué l’investissement. Il est vrai également qu’aux Etats-Unis, les coûts de santé au travail sont davantage attribués à l’entreprise. Et les entreprises américaines ont beaucoup étudié le retour sur investissement en santé et sécurité au travail.

Quel conseil donneriez-vous à un employeur, notamment en TPE ou PME ?

Martin Richer : Il faut commencer petit et concret en travaillant avec le personnel, ses représentants et le médecin du travail. Il faut repérer les opérations à impact fort. Il faut chercher de l’aide, par exemple auprès des Agences Régionales pour l’Amélioration des Conditions de Travail. Et prendre sa calculette : en santé au travail, démontrer l’impact positif sur le compte d’exploitation est un encouragement supplémentaire à persévérer.

Propos recueillis par le Dr Matthieu Méreau

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,

Management & RSE

Pour aller plus loin :

Mon recensement des études françaises ou internationales qui ont tenté de chiffrer le retour sur investissement (ROI) en Santé et sécurité au travail : « 3 bonnes raisons d’investir »

Mon interview dans « Entreprise & Santé » N°34, 2ème trimestre 2016, 31 mai 2016

Feuilleter l’intégralité de « Entreprise & Santé » N°34, qui contient aussi, entre autres, un intéressant dossier sur la pluridisciplinarité en santé au travail

La suite de cet article : « La santé et la sécurité au travail, levier de compétitivité »

Crédit image : André Brouillet (1857-1914), « Une leçon à la Salpetrière », 1887, Musée d’Histoire de la Médecine, Rue de l’École de Médecine, Paris. Dans une salle de l’hôpital Pitié-Salpêtrière, à Paris, le neurologue Jean-Martin Charcot plonge l’une de ses patientes, Blanche Wittman, surnommée « la reine des hystériques », en état d’hypnose. Son but ? Provoquer chez elle une crise, afin d’étudier les symptômes de la maladie. Le personnage assis, qui apparaît à la droite de Charcot, attentif, le crayon à la main, est son élève Paul Richer (1849-1933), qui fera quelques progrès en médecine et en sculpture et deviendra membre de l’Académie de médecine (1898) et de l’Académie des Beaux-Arts (1905). Clin d’œil affectueux à mon arrière-grand-père…

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[1] Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics

[2] Institut national de recherche et de sécurité. Voir Marc Lassagne, Julien Perriard, Anne Rozan, Christian Trontin, « L’évaluation économique du stress au travail », Editions Quae, décembre 2012

[3] EU-Osha (Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail), dont le siège est à Bilbao

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3 réponses

  1. Les coûts de la santé au travail et de prévention des risques professionnels sont difficiles à mesurer et les marges d’erreurs sont importantes. La portée des approches économiques de la prévention reste toutefois à ce jour limitée par les difficultés théoriques et pratiques de mise en œuvre.
    source : Les aspects économiques de la prévention des risques professionnels : http://www.officiel-prevention.com/formation/formation-continue-a-la-securite/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=139&dossid=261

  2. Merci ! Bel article !
    Je reste encore persuadé que le ROI peut être important, mais le point de départ est de définir les bons investissements 🙂 (ex: je veux réduire le nb d’AT liés aux manutentions: je vais former tous le monde sans me pencher sur l’organisation du travail… Mauvais départ à mon avis…)
    Bonne journée

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