Transformation du management : la révolution de la confiance

[  Mise à jour : 28 août 2024  ]  « C’est quand la marée descend qu’on voit ceux qui nageaient sans maillot, » disait le vénérable Warren Buffet, moquant le comportement de certains investisseurs. « C’est lorsque la marée se retire sous l’effet de la poussée du travail à distance que l’on distingue les managers qui nageaient tous nus, » pourrait-on dire aujourd’hui. Car le management ne sort pas indemne des trois confinements, de la série de couvre-feux et des tensions sur les collectifs de travail que nous avons connus durant la crise sanitaire. Nous mobilisons ici plusieurs études et baromètres réalisés après le premier confinement pour comprendre ce que la crise sanitaire a fait au management. 

En effet, le management en France sort transformé de la crise du Covid. Avec des progrès sensibles sur les trois piliers que sont l’autonomie, la quête de sens, et finalement la confiance. Un point d’attention cependant : les dirigeants doivent prendre les mesures pour que le management post-Covid qui se cristallise sous nos yeux préserve ces progrès.

 

1 – Les progrès de l’autonomie et de l’agilité changent la relation managériale

La crise sanitaire laissait planer un risque majeur sur le management : celui du repli sur soi, de l’anxiété.

Camus nous l’a bien dit : la peste, c’est aussi la peur ; celle qui est en nous, qui nous fige et nous empêche de changer. Mais voilà que la vague irrésistible du travail à distance a bouleversé la relation managériale (voir : « Le Sénat se penche sur les transformations du travail et du management »). C’est ce que montre l’étude du cabinet Oasys Mobilisation, qui a interrogé 750 managers et 750 collaborateurs en mars 2021, un an après le début du premier confinement, pour connaître leur perception de l’évolution du management. Elle montre que 78% des collaborateurs en télétravail considèrent avoir « plus de liberté pour organiser [leur] travail ou activité », contre 55% de ceux qui ne le sont pas. Mais pas seulement, car les managers qui continuaient à fonctionner selon les principes du « command & control » ont dû changer d’approche pour s’essayer aux charmes du modèle CAR (confiance – autonomie – responsabilité) vis-à-vis de l’ensemble de leurs collaborateurs.

Comme l’exprime Julien Lever dans « Manager aujourd’hui… Manager autrement ? », « la crise sanitaire, et le recours massif au télétravail qui a suivi, a simplement révélé ce qui était déjà très largement à l’œuvre : le mode de management traditionnel ‘Command and Control’ est désormais totalement dépassé. Hiérarchique, rigide, il montre de mieux en mieux ses limites, a fortiori dans des situations de crises collectives comme celle que nous traversons. Et les organisations fondées sur des modes de management plus souples et plus agiles se sont clairement mieux adaptées »[1].

Sur les huit évolutions qui ont caractérisé cette période de pandémie, celle que les collaborateurs placent en tête, à 66%, est « la possibilité de trouver des solutions rapides sans avoir à demander l’avis de tout le monde ». Vient ensuite, à 64%, le fait de « responsabiliser davantage chacun sur les objectifs à atteindre » suivi, à 63%, de « rendre les modes de fonctionnement de l’entreprise plus souples et agiles ». On constate ainsi que le podium regroupe toutes les composantes de l’agilité et de l’autonomie.

Au total, 70% des collaborateurs (ce qui est considérable dans le contexte français) estiment que leur manager « leur fait plus confiance et leur laisse plus d’autonomie ». Pour accélérer l’indispensable transition managériale vers l’agilité et l’autonomie, le coronavirus a fait davantage que les armées de consultants, les heures de formation, les préceptes de Vineet Nayar, Isaac Getz, Frédéric Laloux et les incantations des apôtres de l’entreprise dite « libérée ». La révolution de la confiance est en marche, à bas bruit… (sur l’importance de la confiance, voir : « L’entreprise et le dirigeant de demain seront engagés » ).

Une autre enquête plus récente sur « Le regard des salariés sur les nouveaux modes de management dans le monde post-covid des entreprises » confirme la persistance de ces évolutions[2]. Elle note que 73% des salariés se sentent plus libres dans la manière d’organiser leur travail et 71% d’entre eux admettent pouvoir prendre davantage de décisions par eux-mêmes. Par ailleurs, « les salariés du privé reconnaissent volontiers l’impact positif du management pratiqué au sein de leur entreprise sur différentes dimensions de leur travail » et « la crise sanitaire a bouleversé les pratiques managériales des entreprises, qui évoluent actuellement vers plus d’horizontalité et d’agilité ».

Un autre motif d’espoir est issu de la 8e édition du baromètre OpinionWay pour le think tank « Vers le haut » publié le 26 octobre 2022 : la confiance placée dans les entreprises par les jeunes (16 à 25 ans) pour leur accorder de la place augmente régulièrement. Ainsi, 47 % des jeunes interrogés pensent que les dirigeants d’entreprise font suffisamment confiance à un jeune de moins de 26 ans « pour lui confier le management d’une équipe de plusieurs personnes », contre seulement 23 % en 2015. Ce doublement est très significatif et exprime les efforts réalisés par les entreprises pour s’ouvrir davantage aux aspirations de la jeunesse.

Un bémol toutefois concernant la capacité à agir au plus près du terrain : lorsqu’il s’agit de savoir si « dans les situations de crise, nous cherchons à trouver des marges de manœuvre et d’action, » l’étude du cabinet Oasys montre que 89% des managers répondent par l’affirmative mais seuls 58% des collaborateurs sont d’accord. Cet écart béant de 31 points est significatif d’une divergence de fonds entre la perception des managers et le vécu ressenti par les collaborateurs. Il faut s’atteler à combler ce gouffre. En effet, il est crucial que les entreprises ne déçoivent pas cette envie de confiance manifestée par les collaborateurs.

 

2 – L’engagement s’enracine dans le sens

La crise sanitaire a accéléré la transition de l’engagement vers l’implication (voir : « Le grand renversement : de l’engagement à l’intelligence collective »).

Selon l’étude d’Oasys, le taux d’engagement des collaborateurs s’établit à 73% (85% chez les managers) et gagne 11 points par rapport à l’édition 2019. Alors que les Français sont très critiques vis-à-vis de l’entreprise en général, ils sont attachés à la leur : « Je défends mon entreprise becs et ongles lorsqu’on la critique, » affirment 81% des managers mais aussi (plus remarquable) 64% des collaborateurs (+ 8 points depuis 2019). Les entreprises qui travaillent sur leur raison d’être l’ont bien compris : cet attachement dépend du sens que chacun trouve (ou non) dans son travail. Ainsi, les managers et collaborateurs très engagés sont plus de 85% à voir clairement leur contribution à la réussite de leur entreprise face à moins de 30% des collaborateurs qui ne sont pas engagés.

La crise sanitaire a provoqué d’intenses réflexion chez les collaborateurs, autour de l’engagement, la relation à l’entreprise, le rapport au travail. La hiérarchie des attentes vis-à-vis de l’entreprise en est ressortie bouleversée. Lorsque, comme le montre cette étude de l’Apec, les cadres attendent d’abord et avant tout du plaisir et du sens et ensuite seulement, du salaire et de la sécurité d’emploi, la fonction et l’acte de manager en ressortent profondément transformés.

Les dimensions du sens se renforcent entre elles. Ainsi, la professionnalisation de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) contribue à la qualité du management : 81 % des salariés ayant identifié une fonction RSE dans leur entreprise sont satisfaits de leur manager, contre 61 % lorsqu’il n’y en a pas, d’après le troisième baromètre de la RSE du Medef[3].

Là encore le bémol des perceptions joue le rôle de lanceur d’alerte : d’après l’étude d’Oasys, si 89% des managers estiment qu’ils donnent du sens, 61% seulement des collaborateurs pensent que leur manager le fait, soit un écart de 27 points, qui reflète l’effort qui reste à consentir sur l’amélioration des pratiques managériales. Le réflexe naturel des dirigeants et managers reste de « donner du sens », alors que le sens se créée au quotidien, dans les relations de travail (voir : « Les trois sens du sens au travail »).

L’émergence du sens nécessite une ingénierie de la discussion, que je recommande d’organiser selon les principes du dialogue professionnel (voir : « L’expression des salariés au travail : 7 bonnes pratiques pour réussir »). Je signale aussi la publication en mai 2020 d’un guide réalisé par le réseau des conseillers en organisation du travail et conduite du changement RH de la DGAFP (fonction publique) sous le titre « Manager dans un contexte de post-crise Covid19 : comment anticiper et accompagner ses équipes et la reprise de l’activité ». Même s’il n’est pas sans défaut, je suis frappé de constater que c’est la fonction publique qui innove avec cet outil managérial tout à fait utilisable par les organisations du secteur privé[4].

Ces dimensions contribuent à l’évolution du management, également bousculé par les technologies (voir : « Le management 2.0 sera-t-il socialement responsable ? »).

La synthèse de ces transformations silencieuses : il devient aujourd’hui tout à fait illusoire d’appeler les collaborateurs à l’engagement si on n’est pas prêt à travailler de façon collaborative sur la question cruciale du sens.

 

3 – Le regain de la confiance génère de l’optimisme

Cette 8ème édition de l’Observatoire du Management d’Oasys réserve d’autres pépites, qui montrent que nos entreprises et leur corps social ont su faire preuve de résilience durant cette crise sanitaire pourtant si éprouvante. 56% des collaborateurs trouvent que le management a progressé dans leur entreprise (ainsi que 71% des managers, ce qui est moins surprenant). Dans le contexte culturel français plus critique qu’ailleurs vis-à-vis du management, c’est un résultat très encourageant pour la communauté des managers.

On entend et on lit des commentaires issus des entreprises qui ont du mal à fidéliser les jeunes autour de leur supposée incapacité à accepter l’autorité managériale. Vraiment ? Selon le baromètre du Medef, deux-tiers des salariés évaluent positivement leur manager (69% en 2021 contre 66 % en 2020) et cette appréciation positive est particulièrement marquée chez les jeunes de 16 à 24 ans, parmi lesquels 83 % considèrent que leur manager direct est un bon manager[5].

L’amélioration de la relation managériale devient prioritaire dans le contexte où les entreprises cherchent à retenir leurs collaborateurs et plus particulièrement les jeunes dont on connait l’intolérance au management de type « command & control ». Mais c’est vrai aussi pour les plus âgés, à l’heure où le report de l’âge de la retraite conduira inéluctablement l’Etat à encourager les politiques de maintien dans l’emploi des seniors. Or, l’étude (mars 2022) de la chaire Impact Positif d’Audencia a bien montré que plus les répondants avancent dans leur carrière, plus le désaccord avec les pratiques managériales devient un élément moteur de leur envie de reconversion : alors que 38 % le citent tous âges confondus, le chiffre monte à 44 % pour les 35-44 ans et jusqu’à 56 % pour les 45 ans et plus.

Au-delà des managers intermédiaires, les dirigeants participent aussi à ce nouvel état d’esprit au sujet des ressources humaines, comme le relève une étude menée par OpinionWay auprès d’un échantillon de 400 dirigeants d’entreprise et 503 salariés[6]. Les dirigeants estiment à 84 % avoir le sentiment d’être aujourd’hui plus attentifs à la situation de leurs collaborateurs. Autre fait notable, les deux tiers (67 %) des dirigeants envisagent de ne plus se réserver un exercice solitaire du pouvoir, mais de solliciter davantage de l’aide ou des conseils extérieurs. Ils déclarent également (à 74 %) accepter de déléguer davantage en toute confiance et ils sont aussi nombreux à se montrer plus tolérants face aux erreurs potentielles de leurs collaborateurs. De leur côté, les salariés interrogés sur l’attitude de leurs dirigeants, reconnaissent sans conteste (71 %) qu’ils ont géré la situation de crise correctement. Un avis positif qui n’empêche pas la moitié d’entre eux (47 %) d’estimer que les dirigeants ont privilégié les décisions favorisant les intérêts financiers de l’entreprise plutôt que ceux des collaborateurs. Nous sommes en France !

Enfin, derniers chiffres issus de l’étude d’Oasys, auriez-vous soupçonné que dans notre vieux pays qui décroche souvent la palme des plus pessimistes du monde, 83% des salariés disent « avoir confiance dans la capacité de leur entreprise à rebondir après la crise » et 70% ont confiance dans leur propre avenir professionnel ?

 

Et maintenant ?

Maintenant, il faut consolider ces progrès. Le suivi sur longue période du baromètre du Medef évoqué ci-dessus (« Cinquième baromètre national de perception de la RSE en entreprise – Edition 2023 », Brochure du Medef, octobre 2023) met en évidence des facteurs d’inquiétude.

Certes, près de 2 salariés sur 3 jugent positivement leur manager direct, ce qui est un démenti cinglant adressé à ceux qui prétendent que le management est partout toxique. Cependant, un facteur de fragilité apparaît : alors que j’ai montré dans plusieurs articles de ce blog que la relation managériale s’est solidifiée lors de la crise sanitaire, l’absence de réponse crédible aux nouvelles aspirations des salariés après le déconfinement provoque une dégradation. Depuis le point bas de 2019 (63%), l’amélioration obtenue durant la crise sanitaire (66% en 2020 puis 69% en 2021) connaît un renversement avec 68% en 2022 et 65% en 2023.

Les dirigeants doivent s’emparer de ce défi en posant à nouveau frais la question de la relation managériale : qu’en attendent les salariés, qu’en attendent les dirigeants, quels sont les obstacles et comment les lever ?

 

Conclusion (provisoire)

Alors que les dirigeants cherchent les voies de la croissance sobre, la capacité de rebond est déjà présente, à l’état latent, dans les entreprises. Il faut donc préserver les évolutions positives de ces derniers mois et ne revenir en aucun cas au monde d’avant, et encore moins au management d’avant !

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,
Management & RSE

 

Pour aller plus loin :

Consultez cet article qui tire également quelques leçons des baromètres sur le management : « Management responsable ? »

Cet article est une version augmentée d’une publication préliminaire dans Entreprise & Carrières N°1534 : « Manager après le coronavirus »

Crédit image : « L’heure bleue. Deux enfants se baignant sur la plage à Skagen » par Peder Severin Krøyer, 1908, huile sur toile, collection privée (Wikimedia Commons – Domaine public)

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[1] « Manager aujourd’hui… Manager autrement ? », Livre blanc de PerformanSe, Février 2022

[2] « Le regard des salariés sur les nouveaux modes de management dans le monde post-covid des entreprises », IFOP pour ESCE Business School, 7 décembre 2021

[3] Troisième baromètre de la responsabilité sociale des entreprises Medef/Kantar publié le 12 octobre 2021. Voir aussi : « La qualité du management, principal levier de compétitivité des entreprises »

[4] Au titre des défauts, j’ai été gêné par une tendance à la psychologisation…

[5] Source : Troisième baromètre de la responsabilité sociale des entreprises Medef/Kantar publié le 12 octobre 2021

[6] Etude menée par OpinionWay auprès d’un échantillon de 400 dirigeants d’entreprise et 503 salariés pour Grant Alexander, publiée en septembre 2021

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