L’expression des salariés au travail : 7 bonnes pratiques pour réussir

[ Mise à jour : 29 janvier 2023 ] Il est temps de redonner du poids à la parole individuelle et collective des salariés sur le travail. L’expression des salariés au travail est une voie de progrès qui répond à la demande de sens qui s’exprime de plus en plus fortement, notamment depuis la crise sanitaire. C’est aussi un axe de RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) particulièrement concret et visible. Et c’est enfin une démarche de renforcement des relations humaines, un levier de compétitivité, qui vous permet de favoriser la motivation, la cohésion d’équipe et l’innovation. Voyons quelles sont les conditions de sa réussite.

La démarche consiste à impliquer les collaborateurs dans un débat constructif sur le travail, ce qui va bien et ce qui ne va pas dans le travail, dans les relations de travail, la coopération et l’ensemble des conditions DU travail. Cette ingénierie de la délibération passe par la construction d’espaces d’expression sécurisés, qui incitent, favorisent et entretiennent les échanges.

1) Définissez vos objectifs 

La question n’est pas de savoir si vous devez ou non permettre l’expression des salariés au travail dans votre entreprise ou votre organisation. Elle existe déjà. Les trois-quarts des salariés interrogés déclarent parler régulièrement de leurs conditions de travail au sein de leur entreprise[1]. Mais cette parole s’exprime dans l’informel. La vraie question est donc de savoir si vous allez ou non organiser cette expression, lui conférer une valeur d’effectivité, montrer qu’elle est à même de transformer le réel, au service de la qualité de vie au travail et d’une meilleure performance globale. En d’autres termes, il s’agit simplement de formaliser cette démarche d’expression et de la connecter à vos processus de gestion (conduite du changement, prévention des risques professionnels, innovation, communication interne) et cela sans lui ôter son caractère spontané et mobilisateur.

En encourageant vos salariés à parler ouvertement et dans un cadre sécurisé des difficultés de leur travail et de sa contribution à l’accomplissement de chacun, vous lancez un signal d’attention à même de changer le climat social : oui, les dirigeants sont à l’écoute, se soucient du bien-être des salariés, s’intéressent à leur vision, à leurs propositions. Sans prétendre transformer l’entreprise en espace de démocratie, ce qu’elle n’a pas lieu d’être, vous montrez votre volonté de tendre vers une démocratisation du travail, c’est-à-dire des procédures de prise en compte des aspirations de chacun, d’échanges contradictoires, de règlement pacifié des désaccords et de construction d’un avenir commun (voir : « L’entreprise, espace de démocratie ou de bon gouvernement ? »). Bref, il s’agit de s’inscrire dans le sillage de l’accord interprofessionnel sur la qualité de vie au travail signé le 19 juin 2013 par les partenaires sociaux, tout en s’inscrivant dans les attentes des salariés, en particulier des générations nouvelles autour du sens du travail.

Comme tout projet de transformation, cette démarche doit faire l’objet d’un engagement fort de la direction générale. Celle-ci doit communiquer clairement ses intentions, les règles du jeu et se poser comme garante de son efficacité et de son authenticité.

La démarche d’expression des salariés est un acte managérial fondateur.

2) Centrez le contenu de la démarche d’expression sur le travail

Je recommande un fort ancrage de la démarche sur le travail et notamment sur ses dimensions collectives, sur les pratiques professionnelles, sur les métiers et les compétences requises, sur les conditions DE travail et DU travail. Cela  permet d’éviter d’empiéter sur les domaines de compétence d’autres dispositifs (cercles de qualité, entretiens d’évaluation, etc.). Cela permet surtout de rendre une forte visibilité au travail, que des décennies de « reengineering » et de management par les objectifs ont enseveli sous les process et les indicateurs. C’est bien d’ailleurs le travail, qui se trouve au cœur des échanges entre salariés, tels qu’ils se déroulent aujourd’hui. Une enquête de l’ANACT a montré que les sujets les plus fréquemment abordés entre collègues sont les relations de travail, le contenu, l’organisation du travail, l’évolution professionnelle, la sécurité et les conditions physiques du travail, la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée. Vous constaterez ainsi qu’aucun des processus de gestion déjà en place dans votre entreprise ne permettait de rendre compte du travail dans ses réalités complexes.

La démarche d’expression des salariés est un dispositif de management, qui vient s’insérer dans votre existant.

3) Construisez les modalités de l’expression avec les représentants du personnel

Les modalités de la démarche d’expression doivent être déterminées en concertation avec les partenaires sociaux. Les syndicats peuvent s’inquiéter d’une démarche qui peut apparaître à leurs yeux comme concurrente de leur rôle de représentation de la parole des salariés et de  transformation de son contenu en plateforme revendicative. Mais du point de vue de l’entreprise, puisque cette démarche vise à s’extraire de la communication verticale et descendante habituelle, il faut accepter en cohérence, d’en partager l’organisation et les fruits avec les parties prenantes et notamment les représentants du personnel. Ces derniers sont d’ailleurs à la recherche de moyens pour renouer avec une connaissance plus intime du travail. Leur implication constitue un gage de la liberté de parole vis-à-vis des salariés. Il faut donc prévoir des points de rencontre dans la démarche avec les organisations syndicales mais aussi permettre aux comités d’établissement et aux CHSCT (désormais dénommés Commissions santé sécurité conditions de travail ou CSSCT) de se nourrir du contenu des échanges et d’apporter leur point de vue sur les thématiques abordées.

Sans chercher à tout formaliser, vous pouvez aussi signer avec vos organisations syndicales un accord d’entreprise définissant les règles et l’esprit de la démarche, ou à défaut, l’écrire dans une brève « charte du dialogue professionnel ». Concernant l’esprit de la démarche, l’Anact donne quelques conseils concrets : « La parole ne se décrète pas ! Elle exige un cadre et des règles : liberté de s’exprimer, confiance, non-jugement. (…) La participation est basée sur le volontariat et le souhait d’améliorer la qualité de vie de l’entreprise. Pour cela, les participants doivent respecter les individus et les engagements ; s’interdire de recourir à un procès d’intention, les informations données devant être objectives et fondées sur des éléments factuels en lien avec des situations de travail concrètes ; garantir une confidentialité des propos des personnes présentes ; et au final se responsabiliser dans leur prise de parole » (Kit de l’Anact, « Mettre en place des espaces de discussion », 30 mai 2017). Cela pourrait constituer la charte de bien des démarches de délibération menées par l’Etat, par les collectivités territoriales comme par les entreprises !

La démarche d’expression des salariés n’est pas en concurrence avec le dialogue social. Elle le nourrit.

4) Veillez à l’articulation avec le management intermédiaire

La liberté de parole au sein des groupes d’échange nécessite de mettre à distance l’autorité hiérarchique. Mais l’erreur serait d’en déduire que les managers doivent être exclus de la démarche. Ils doivent au contraire être intégrés dans son pilotage et dans son exécution, notamment en animant certains des groupes d’échange. On évitera simplement que des salariés se trouvent dans des groupes animés par un de leurs managers. La démarche d’expression ne va pas de soi pour les managers, qui peuvent légitimement craindre de se trouver court-circuités, surchargés par des tâches supplémentaires, déstabilisés dans leur maîtrise des circuits de l’information et du pouvoir. Il faut donc les renforcer dans leur rôle de hiérarchisation et d’analyse des propositions remontées du terrain, tout en valorisant le caractère transversal de leur contribution. Il faut également que les managers disposent eux-aussi de groupes d’expression qui leurs permettent de partager et de confronter leurs points de vue entre pairs. La démarche d’expression des salariés constitue pour eux un socle pour refonder leur pratique managériale sur des bases plus riches en relations humaines, en compréhension des contraintes de leurs équipes, en capacité à établir la confiance (voir : « Démarches QVT : la nécessaire refondation du rôle du manager de proximité »).

La démarche d’expression des salariés contribue à renouveler les pratiques et la relation managériales.

5) Redéfinissez un rôle réellement stratégique pour la DRH

Si la Direction générale est l’initiateur et le garant de la démarche d’expression, la DRH en est l’architecte. C’est à elle de définir, en concertation avec les parties prenantes, les éléments clés : composition et fonctionnement des groupes d’échange, définition du champ de l’expression, méthode d’animation, formation associée, valorisation des contenus produits, articulation avec le dialogue social, communication interne,…

Les composantes de l’entreprise apparaissent aujourd’hui comme de plus en plus éclatées : communication entre dirigeants et salariés vide de sens et d’envie, opposition entre fonctionnels et opérationnels, luttes de territoire entre les équipes. C’est à la DRH de se saisir du travail comme le thème fédérateur pour retisser du lien social et resserrer ces composantes autour d’un projet mobilisateur, construit par les salariés eux-mêmes. C’est aussi à la DRH, si vous choisissez de procéder par expérimentation, de préparer, d’organiser et d’évaluer les projets tests. La DRH, aujourd’hui trop cantonnée à l’accompagnement social du changement y trouvera matière à refonder sa légitimité et redevenir un interlocuteur qui pèse sur la préparation et la conduite du changement dans l’entreprise (voir : « DRH V2.0 : L’architecte de la qualité de vie au travail »).

La démarche d’expression des salariés est la contribution de la DRH pour redonner du sens au travail, puis injecter du sens au projet d’entreprise.

6) Concevez l’expression comme une voix et une voie pour la RSE (responsabilité sociale des entreprises)

La parole publique prend des formes multiples dans notre société : états généraux, « grenelles », conférences de citoyens, modèle délibératif nouveau, consultations sur les réseaux sociaux, enquêtes d’utilité publique, démocratie participative,… Comment croire que l’entreprise restera hermétique à cette poussée de la parole ? D’autant que la technologie amplifie son écho : internet et les réseaux sociaux brisent la verticalité et les monopoles de l’information ; le Web 2.0 favorise l’interactivité du dialogue. L’entreprise doit accueillir positivement cette poussée, l’organiser et l’entremêler avec son fonctionnement usuel, plutôt que de l’ignorer, ce qui reviendrait à la laisser à la merci de l’informel (rumeurs, conflits larvés, souffrance au travail qui couve sous la cendre sans débouché d’expression, etc.). Comme la RSE, l’expression des salariés au travail fait évoluer le management des organisations pour évoluer de la verticalité du contrôle vers l’horizontalité de la régulation.

La démarche d’expression des salariés replace le travail et les hommes – qui ne sont pas une partie prenante comme les autres, mais plutôt une « partie constituante » — au centre des organisations, de leur fonctionnement et de leur visée stratégique.

7) Faites de l’expression des salariés un levier de performance

Les premières expériences montrent que les craintes de voir l’expression des salariés se réduire à des plaintes, des attaques contre le management ou des demandes non maîtrisables sont pour l’essentiel infondées. Mais la démarche d’expression ne doit pas tenir la question de la performance à distance. Au contraire, il faut que la qualité du travail et la performance économique soient associées comme dialectique créatrice d’une démarche de progrès, tendue  vers la volonté d’agir individuellement et collectivement.

L’expression des salariés contribue à forger une fierté professionnelle partagée, une véritable reconnaissance collective du travail, source de motivation et d’engagement. Elle solidifie la cohésion au sein des équipes et entre elles. Elle fait émerger les dysfonctionnements, les irritants, les sources de tension qui obèrent l’efficacité et le bon déroulement du travail. Enfin, elle contribue à la construction d’une organisation du travail favorable à la performance et à la qualité de vie au travail, reposant sur la mobilisation des capacités d’initiative, l’autonomie professionnelle, l’intelligence collective et la capacité de coopération (voir : « Les organisations du travail participatives: les 5 piliers de la compétitivité »).

La démarche d’expression des salariés est un point d’appui pour votre transition vers un nouveau modèle de compétitivité. Dans ce nouveau modèle, la performance dépend de l’amélioration continue de votre capacité collective à s’adapter aux demandes de vos clients et usagers, toujours plus différenciées et versatiles, à résoudre les problèmes et les imprévus sur le terrain, au plus près de leur origine.

Si vous souhaitez aller plus loin sur ces 7 bonnes pratiques, je vous invite à consulter deux articles que j’ai publiés dans Metis Europe, qui proposent pour chacune d’entre elles  des illustrations, des témoignages et des exemples concrets.

« Expression des salariés : comment lui donner vie ? »

« L’expression des salariés : nouvelles frontières de l’entreprise »

Conclusion : construisez le dialogue professionnel dans votre organisation

S’il est un mot qui caractérise la démarche d’expression des salariés, c’est celui de dialogue.

C’est d’abord un dialogue au sens du lien qui reconnecte les collaborateurs avec les dirigeants. Comme le résumait Philippe Davezies, enseignant-chercheur en médecine et santé au travail à l’Université de Lyon, « la situation actuelle dans laquelle une foule de professionnels extérieurs (consultants, services de santé au travail, services sociaux, etc.) s’interposent entre salariés et directions pour pallier un déficit de discussion témoigne d’une situation sociale franchement pathologique »[2]. On ne saurait mieux dire…

C’est ensuite un dialogue au sens de la régulation. On connaît les apports – mais aussi les limites – du dialogue informel, du dialogue managérial et du dialogue social. Le quatrième dialogue, qu’il faut tisser avec les trois précédents, est le dialogue professionnel. Il est indispensable à l’heure où le modèle taylorien, fondé sur la dissociation entre les décideurs et les exécutants, devient un handicap dans un monde où les niveaux de formation et d’autonomie des salariés se sont accrus (voir : « Autonomie au travail : la France a tout faux ! »).

C’est enfin un dialogue qui s’enroule autour du travail. Mathieu Detchessahar, professeur au Laboratoire d’Economie et de Management Nantes-Atlantique (LEMNA) de l’Université de Nantes le souligne avec force : « Nous appelons à un management par la discussion, c’est-à-dire à une action de conception des conditions managériales et organisationnelles de soutien à la discussion sur le travail. Ce management ne vise pas à autre chose qu’à refaire du travail un objet central du management. En ce sens, un management par la discussion est avant tout un management du travail. »[3]

C’est le moment de cultiver le dialogue sur le travail.

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises

Pour aller plus loin:

Lisez la suite de cet article:  « Discuter du travail pour mieux le transformer »

Questionnez-vous : Pourquoi le dialogue professionnel est-il difficile ? Et pourquoi la mise en discussion du travail est cependant indispensable ? Les réponses pertinentes d’Olivier Mériaux et Jean-Christophe Michel, extrait du MagRH consacré à la QVT. « La QVT ‘pour de vrai’ : les défis de la mise en discussion du travail », MagRH No 6, Olivier MÉRIAUX (consultant, cabinet Plein Sens, ancien directeur technique et scientifique de l’ANACT) et Jean-Christophe MICHEL (consultant, cabinet Plein Sens)

Familiarisez-vous avec les différentes facettes de la QVT (qualité de vie au travail) : « Parcours QVT : la qualité de vie au travail dans tous ses états »

Ecoutez cette [VIDEO] : « Comment et pourquoi structurer le dialogue professionnel dans l’entreprise ? » L’essentiel en 10’ de vidéo et réponses aux questions de Jacques Lambert

Pour recevoir automatiquement les prochains articles de ce blog « Management & RSE » dès leur publication, inscrivez-vous à la Newsletter. Pour cela, il vous suffit d’indiquer votre adresse email dans le bloc prévu à cet effet sur la droite de cet écran et de valider. Vous recevrez un courriel de confirmation.

[1] ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), « Comment les salariés s’expriment-ils sur le travail et les conditions de travail ? Les résultats du sondage ANACT / CSA », 22 octobre 2012. Enquête réalisée à l’occasion de la 9ème édition de la Semaine pour la qualité de vie au travail, auprès de 1 011 salariés actifs français, interrogés par le groupe CSA, via Internet, entre le 5 septembre et le 15 septembre 2012.

[2] Philippe Davezies, « Enjeux, difficultés et modalités de l’expression sur le travail : point de vue de la clinique médicale du travail », Pistes (Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé), novembre 2012

[3] Mathieu Detchessahar, « Faire face aux risques psychosociaux : quelques éléments d’un management par la discussion », revue Négociations No 19, éditions de Boeck, 2013

Partager :

Facebook
Twitter
LinkedIn
Email
WhatsApp

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *