Les mots travaillent comme on dit d’une pièce de bois qu’elle travaille. Ils jouent avec leur époque et avec nous. Mieux qu’une armée de sociologues et d’économistes, ils décrivent l’évolution du monde de l’entreprise, ses réussites, ses hautes œuvres mais aussi ses petites lâchetés quotidiennes, ses dérives et ses bassesses. Dans l’entreprise, nous sommes encore loin de la communication responsable. Mais être capable de se mouvoir dans les mots, c’est créer les conditions de sa propre survie !
« Les mots font le job » : c’est le titre d’un délicieux ouvrage de Pierre Jullien, qui dit bien son intention et que je vous incite à lire. C’est un dictionnaire, c’est-à-dire un espace protecteur de l’entrelacement des mots et du monde, qui évoluent en rythme. Il s’agit de renifler les mots du travail, de la vie en entreprise, du management des hommes pour comprendre leurs déformations successives, leurs gauchissements et ajustements à chaque époque, qui nous font revivre quelques siècles d’histoire économique et de mouvements sociaux… et qui nous aident à nous repérer.
L’ancien Premier ministre Edouard Philippe aime dire que « la poutre travaille » pour décrire les changements politiques à l’œuvre à bas bruit[1]. Les mots aussi. Car eux aussi sont schumpétériens. « Des sens sont détruits, d’autres connaissent le burn-out ou bien la mise au chômage technique en attendant la retraite ou un réemploi », nous dit notre auteur. Ils jouent avec leur époque et avec nous. Ils décrivent l’évolution de la vie « en société ».
Journaliste au « Monde » depuis 1983, Pierre Jullien a alimenté cet ouvrage par ses chroniques publiées sur la chaîne « emploi » du site lemonde.fr. Mais réalisé par un amateur de mots, qui a été durant 17 ans journaliste puis rédacteur en chef du « Monde des philatélistes », l’exercice se teinte des manies gourmandes du collectionneur.
Renifler les mots pour comprendre ce qui nous arrive au travail
Rien ne lui échappe dans la course du temps mais aussi dans celle de l’espace : dans notre monde globalisé, il nous rappelle que les mots du travail voyagent. Challenge, coach, entrepreneur, management : les meilleures expériences nous ont été empruntées par nos cousins anglais… à qui nous nous sommes empressés de les reprendre non sans nous sentir un peu coupables. Mais nous avons aussi repris l’infâme « process », « emprunté du français processus aux environs de l’an 1300 ».
L’auteur savoure les éléments de langage, qui forment l’ossature de la communication moderne et avec la novlangue managériale, qui la déforment. Et c’est cet alliage qui fait le charme de ce livre : la rigueur de l’encyclopédiste alliée à la subtilité, à l’humour, qui font scintiller cette joyeuse profusion de références et de citations goûteuses.
Le principal attrait de ce livre est de nous inciter à utiliser les mots pour réfléchir à ce qui nous arrive au travail, dans notre entreprise, dans notre métier. Prenons par exemple le noble métier de président de la République. L’un d’entre eux avait décidé à l’orée des années 2010, de sceller un « pacte de compétitivité » avec des porteurs de pin’s sur lesquels était inscrite la mention « 1 million d’emplois ». Avant d’en décider, mieux vaut bien lire Pierre Jullien et découvrir avec lui que le mot « pacte » renvoie selon le Petit Larousse à une « convention par laquelle en sorcellerie, le diable se met au service de quelqu’un en échange de son âme »…
Vous vous demandez comment les entreprises vont pouvoir accompagner « leurs » seniors jusqu’à une retraite dont l’âge est sans cesse repoussé ? Lisez Pierre Jullien, qui nous éclaire : le mot « carrière » renvoie à un « terrain entouré de barrières et aménagé pour des courses de chars » selon le TLFi (Trésor de la langue française informatisé) mais marque également « la distance qu’un cheval peut parcourir sans perdre haleine ». Lorsque l’on sait que, d’après notre vénérable ministère du Travail, 37% des actifs en France ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à l’âge de la retraite, on se dit que souffler, c’est gagner (voir : « Soutenabilité du travail et opportunités d’emploi : la position singulière de la France en Europe »).
Le dirigeant face à sa légitimité
Certes, nous avons guillotiné un roi. Il n’empêche : lorsqu’il s’agit de désigner un dirigeant, la culture française est baignée par un élitisme sans pareil. Voici ce que disait Andrew Shonfield, ancien directeur de l’Institut Royal des Affaires Internationales dans son grand ouvrage « Le capitalisme d’aujourd’hui » publié en 1965 : « Le point de vue français, qui est très antérieur à la révolution de 1789, est essentiellement que la gestion efficace de la vie économique d’une nation doit dépendre de la concentration du pouvoir entre les mains d’un petit nombre de personnes exceptionnellement douées qui possèdent une capacité de prévision et un jugement qui échappent à la moyenne des entrepreneurs chanceux. La prévision à long terme et l’expérience utilisées systématiquement par les gens au pouvoir sont les fondements intellectuels du système. La force et l’efficacité de l’appareil gouvernemental déterminent ainsi le degré de succès pratiquement atteint ». Voilà pourquoi aujourd’hui, le système scolaire et l’enseignement supérieur français sont toujours très efficaces pour générer une élite de quelques-uns, propulsés aux plus hauts postes dans l’administration et le secteur privé, mais incapables d’élever correctement le niveau pour l’ensemble d’une génération.
Si le terme de « dirigeant » est ignoré par le droit, la notion de « cadre dirigeant » est réglementée par le droit du travail, qui met en avant trois critères reflétant cet élitisme : indépendance, autonomie de décision, rémunération. L’article L.3111-2 du code du travail précise que les cadres dirigeants sont ceux « auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».
La Cour de cassation a plusieurs fois rappelé l’importance de la réunion de ces trois critères cumulatifs. Elle en a tiré une conséquence : la qualité de cadre dirigeant implique une « participation à la direction de l’entreprise »[2]. Elle entend en effet limiter la qualification de cadre dirigeant, dont les employeurs ont parfois tendance à abuser, aux situations dans lesquelles le salarié participe effectivement à la prise de décisions stratégiques pour l’entreprise. En clair, pour être cadre dirigeant, il faut diriger !
Le second de ces trois critères, l’autonomie de décision, se retrouve dans le mot « décideur », dont l’étymologie est commune avec le substantif « ciseau » et le verbe « couper ». Être un décideur, c’est savoir (ou pouvoir) trancher. Parfois dans le vif… Car selon l’adage attribué à Pierre Mendès France, « gouverner c’est choisir ».
D’ailleurs, on s’est souvent interrogé sur ce blog sur la figure du chef, sur la vigueur de la discipline et de la hiérarchie dans les rapports de travail (voir par exemple : « Le défi de l’autonomie : ce n’est pas l’entreprise qu’il faut libérer mais le travail »). Là encore, Pierre Jullien nous propose des pistes à travers le « Petit lexique des mots essentiels » (2001) d’Odon Vallet, selon lequel « les anges de Dieu délivraient ses messages en descendant auprès des hommes aux moments clés de la Révélation. Le christianisme primitif donna un statut à ces relayeurs en créant le mot grec de hiérarchisa ou pouvoir (archè) du sacré (hiéros) ». La hiérarchie procède du pouvoir sacré : excusez du peu ! Le « chef » n’en fait peut-être qu’à sa tête, mais il tient sa mission du divin, comme le capitaine d’industrie, seul maître à bord après Dieu.
La légitimité du dirigeant, c’est de mener sa barque (son aventure, son entreprise) dans le mouvement. Cela fait bientôt quatre siècles, depuis l’an 1625 exactement, que nos gouvernants et chefs d’entreprise nous échauffent (toujours), nous refroidissent (souvent) ou nous passionnent (parfois) avec la réforme. Mais cela va beaucoup mieux depuis que j’ai appris, grâce à l’opuscule de Pierre Jullien, que ce mot signifie « le rétablissement de l’ancienne discipline dans une maison religieuse ».
Comme par ailleurs, il m’indique que le verbe « réformer », dérivé du latin reformare, signifiait au XIIème siècle « rendre à sa première forme », « ramener à sa forme primitive », je comprends mieux qu’à force de « réformer » l’économie et l’entreprise, on va finir par pratiquer un retour vers le futur et ce que j’appelle le « changement moonwalk », qui donne l’illusion du mouvement tout en conservant une position parfaitement stationnaire (voir : « La crise du travail est une crise de la régulation »).
Voilà sans doute pourquoi la réforme est passée de mode, au profit d’une incarnation plus moderne, la transformation.
Le dirigeant face à l’irrésistible élargissement de la gouvernance
Le second critère retenu par le droit pour définir la notion de « cadre dirigeant » suggère aussi – mais sans l’affirmer clairement – que le dirigeant prend part à la gouvernance, un autre mot clé, qui définit les structures du pouvoir et les circuits de prise de décision. Je suis frappé de constater que la notion de dirigeant ou de chef d’entreprise ne fait pas partie de l’épais « dictionnaire critique de la RSE »[3]. C’est un peu comme si la RSE cherchait à ignorer un acteur pourtant essentiel de la régulation entre les parties prenantes. Dans ce dictionnaire collectif c’est à la notion de gouvernance de l’entreprise qu’il faut s’intéresser pour comprendre la place et le rôle de dirigeant, sous la plume de Roland Perez, Professeur en Sciences de Gestion à l’Université Montpellier et spécialiste reconnu de la RSE.
Selon Roland Perez, c’est la gouvernance qui donne sa substance au dirigeant : « Il est convenu d’appeler gouvernance de l’entreprise l’ensemble du dispositif institutionnel et comportemental concernant les dirigeants, depuis la structuration de leurs missions et leur nomination, jusqu’au contrôle de leurs actions et aux décisions de régulation les concernant, au point que l’on a pu définir la gouvernance comme « le management du management » ».
Pour Pierre Jullien, le mot « gouvernance » apparaît au XIIIème siècle et fait référence aux « baillages de l’Artois et de la Flandre ». Il relève de l’anglicisme issu du latin gubernare (diriger un navire, gouverner) et du grec kubernân (κυβερνıν), qui signifie tenir le gouvernail. Le portail de l’économie et des finances précise qu’elle « peut se définir comme l’ensemble des règles qui régissent la manière dont les entreprises sont contrôlées et dirigées (…) et pose les règles et les procédures de prise de décision ».
Le dirigeant tient le gouvernail… mais dans quelle finalité ? Tout est là et cette définition n’en dit rien. Les milieux financiers ont d’ailleurs une fâcheuse tendance à retenir de la gouvernance une délimitation très restreinte : les relations entre actionnaires, Conseil d’administration et équipe de direction. Pour l’IFA ces relations englobent la direction générale et de nombreuses fonctions internes (audit interne, gestion des risques, relations des investisseurs, direction juridique, secrétaire du conseil, comité du conseil ou comités ad hoc, etc.) et externes (commissaires aux comptes, avocats, conseils, etc.), qui interagissent avec les administrateurs[4]. Aujourd’hui, il faut lui ajouter plusieurs dimensions pour lui donner sa modernité.
D’abord, l’idée du long terme. Ainsi, Pierre-Yves Gomez, directeur de l’Institut français de gouvernement des entreprises (IFGE), définit la gouvernance comme « l’ensemble des institutions, des règles et des pratiques, qui légitime le pouvoir de ceux qui sont chargés d’orienter l’entreprise de manière irréversible », c’est-à-dire sur le long terme[5].
Ensuite le caractère spécifique de la gouvernance, qui doit se structurer en fonction des enjeux propres à l’entreprise, des caractéristiques de son actionnariat et de la personnalité des acteurs en présence, si bien qu’une réflexion continue doit s’organiser sur cette architecture, réflexion rythmée par l’évaluation annuelle du conseil[6]. Pour l’ISO 26.000, principale norme internationalement reconnue en RSE et Développement durable, « la gouvernance de l’organisation peut comprendre à la fois des mécanismes formels de gouvernance, reposant sur des processus et des structures définis, et des mécanismes informels, émergeant en fonction des valeurs et de la culture de l’organisation, souvent sous l’influence des personnes qui dirigent l’organisation ». Le dirigeant applique donc son empreinte sur la gouvernance, qui inclut aussi des principes de contrôle et de transparence.
La question des valeurs est désormais fondamentale, comme le soutient justement Bpifrance Le Lab, qui nous dit que « la gouvernance est un système visant à élaborer, valider et mettre en œuvre des décisions stratégiques, en s’appuyant sur un socle de valeurs, au service de la vision de l’entreprise »[7]. Il est d’ailleurs consternant de voir autant de travaux sur la gouvernance qui ne mentionnent pas l’éthique, qui en est pourtant une condition essentielle – et pas seulement depuis la loi Sapin 2 de décembre 2016 sur la transparence de la vie économique.
Pas de gouvernance moderne sans reconnaissance de la multiplicité des parties prenantes, notion introduite par l’OCDE dès le début des années 2000 en affirmant que la gouvernance « fait référence aux relations entre la direction d’une entreprise, son conseil d’administration, ses actionnaires et d’autres parties prenantes »[8]. Mais c’est au Canada qu’il faut aller pour trouver une conception de la gouvernance adaptée aux sociétés en réseaux et à la mobilisation de l’intelligence collective. Selon le Professeur G. Paquet de l’Université d’Ottawa, « la gouvernance ce sont ces circuits et réseaux qui relient actionnaires, sociétaires, travailleurs, fournisseurs, clients, groupes d’intérêt, médias, élus, fonctionnaires et autorités réglementaires des divers niveaux de gouvernement, et qui amènent les divers acteurs à coordonner leurs activités de manière à assurer une performance adéquate à l’organisation ».
Le rapport Rocher a touché du doigt l’essentiel : « comme pour tout enjeu de gouvernement, les questions de la finalité (pour quoi ?) et des intérêts (pour qui ?) sont fondamentales, car elles engagent, selon les réponses, des régimes de gouvernance qui ne produisent pas les mêmes externalités ni le même partage de la valeur. Historiquement, la « corporate governance » s’est d’abord structurée, au cours des années 1970 aux États-Unis, autour d’un objectif de maximisation de la performance économique et dans l’intérêt premier des actionnaires (shareholders) »[9]. L’irruption et le développement de la RSE changent tout en mettant à bas la primauté absolue de l’actionnaire. Si comme l’affirme l’IFA, « la gouvernance est l’ensemble des mécanismes et des comportements qui encadrent le processus de création et de répartition de la valeur »[10], alors il faut reconnaître que cette valeur est globale, c’est-à-dire créée par et à destination de l’ensemble des parties prenantes[11].
Le rôle du dirigeant évolue ainsi vers la capacité à construire des équilibres entre les parties prenantes, à tisser des compromis et à les partager à la fois en interne et en externe. D’où l’approche intéressante de Pierre-Yves Gomez : « On peut reformuler la définition du gouvernement de l’entreprise : c’est l’ensemble des lois, des règles et des pratiques qui légitiment le pouvoir de ceux qui, d’une part contrôlent le développement d’un projet viable et, d’autre part, gèrent les parties prenantes de manière à dégager un profit suffisant : cette double responsabilité assure la continuité de l’entreprise »[12].
Je vous conseille d’ailleurs la lecture d’un ouvrage très pragmatique, qui pour une fois s’écarte de la gouvernance telle qu’elle devrait être pour se concentrer sur la réalité telle qu’elle est, le « Dictionnaire vécu de la gouvernance », ouvrage collectif d’HEC Paris Alumni[13]. Ce n’est pas pour rien que j’ai choisi d’y rédiger l’entrée sur « Parties prenantes » !
La notion d’impact est devenue essentielle et doit être prise en compte par une gouvernance moderne. Elle apparaissait déjà dans la définition de la norme l’ISO 26.000, qui date de 2010 : « La gouvernance de l’organisation est le système par lequel une organisation prend des décisions et les applique en vue d’atteindre ses objectifs. La gouvernance de l’organisation est le facteur le plus important car il permet à une organisation d’assumer la responsabilité des impacts de ses décisions et activités, et d’intégrer la responsabilité sociétale en son sein et dans ses relations ». Le défi pour les dirigeants aujourd’hui consiste à passer d’une gouvernance de contrôle à une « gouvernance par l’impact » ou « gouvernance par les empreintes ».
Enfin, un ingrédient essentiel d’une gouvernance moderne est la possibilité de désaccords, qui induit la nécessité d’instruire les différences de vues au sein de la gouvernance. Plus les parties prenantes s’affirment, plus la survenance de ces désaccords est probable… et ne doit plus être considérée comme un problème qu’il faudrait glisser sous le tapis. La spécificité de la gouvernance (par rapport au gouvernement) réside justement dans pluralité des centres de décision, dans la possibilité d’un processus de confrontation, de négociation et de convergence entre des opinions différentes, comme le montrait déjà un excellent rapport du CGDD en 2010[14].
Au diable ce tripalium !
Maintenant que j’ai dit tout le bien que j’en pense, voilà le moment de faire part de mes deux réserves sur le livre de Pierre Jullien. Elles ne constituent en rien un découragement à le lire, bien au contraire.
Dans un chapitre intitulé « le travail, quelle torture », Pierre Jullien nous « fait le coup » du tripalium. C’est un coup classique, maintes fois perpétré, y compris par des récidivistes. Il consiste à dénier la complexité et l’ambivalence du travail, à la fois effort et accomplissement, comme l’a très bien montré Hannah Arendt, pour ne retenir que son versant doloriste.
Alors on nous ressert l’étymologie du mot travail, qui proviendrait du fameux et accablant « tripalium », instrument de torture composé de trois pieds, à la réputation sulfureuse, utilisé par les Romains pour punir les esclaves rebelles. Car le mot latin tripalium désignait effectivement un instrument de torture (et le verbe trepaliare signifie torturer), mais aussi le dispositif de contention utilisé lors du ferrage des animaux de trait.
Il est vrai que La Genèse (3.19) nous a prévenus : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière ». Chez Montaigne, travail signifie souffrance. Et la salle de travail, dans les maternités, c’est la salle où les femmes accouchent, presque toujours dans la douleur… Le politologue et sondeur Jérôme Fourquet fait souvent remarquer que l’assertion selon laquelle « il faut souffrir pour réussir » coupe notre pays en deux avec 51% d’adhésion et 49% de désapprobation.
Pour Franck Lebas, linguiste et maître de conférences à l’Université Clermont Auvergne, « cette hypothèse [du tripalium] apparue seulement au XXème siècle est très probablement fantaisiste »[15].
Pour aller plus loin, écoutons deux des analystes les plus subtils du travail :
Maurice Thévenet : « Un a priori consiste à penser que le travail n’est que pression sur la performance, stress imposé, cadences infernales, contrainte et souffrance, en ne voyant dans cette activité humaine que l’étymologie tronquée d’un tripalium réduit à un instrument de torture et non à l’outil qui aidait le maréchal-ferrant à immobiliser l’animal pour mieux le ferrer ou le soigner »[16]. Oui, le soigner…
Pierre-Yves Gomez : On répète en écho l’origine supposée du mot travail (tripalium) pour conforter « une conception accablante du travail, vu comme un supplice, une aliénation », alors que « cette étymologie est largement fantaisiste : le tripalium était un dispositif destiné à immobiliser un animal à marquer ou à ferrer. (…) L’objet manifeste essentiellement l’inconfort d’une situation qui contraint la liberté. (…) Ainsi une conception doloriste du travail se forge une fausse origine savante »[17].
Quelles sont alors les alternatives ? Au départ, le travail désignait une activité qui réclame de la peine, des efforts, voire des tourments. Cela s’applique aux hommes mais aussi aux animaux, au bois (oui, la poutre), au vin, à un immeuble… Le débat actuel entre les spécialistes de l’étymologie amène à renoncer à l’hypothèse du tripalium au profit de deux hypothèses possibles :
- Soit le traps, nom d’un outil du maréchal-ferrant au Moyen-Age, composé d’une poutre, traps (qui a donné les mots « travée » et « entraver »), qui servait à contenir les grands animaux, chevaux, bœufs, pour les soigner ou les ferrer. L’idée de contrainte se mêle à celle du soin.
- Soit le préfixe trans, que l’on retrouve dans le mot « trouble » mais aussi « transformation », qui porte l’idée de surmonter les obstacles (effort, peine) et de changer, accolé à « vail », qui signifie le voyage (que l’on retrouve dans « dévaler » ou encore dans « balade »). Le travail serait donc un voyage (travel en anglais) de transformation.
Ce débat n’est pas une affaire de puristes. Il reflète la compréhension vis-à-vis du travail, qui a bien besoin d’un regard plus bienveillant, et détermine nos représentations et nos attitudes, in fine nos comportements.
Le management, entre contrôle, soin et manipulation
Ma seconde réserve sur le livre de Pierre Jullien : l’auteur s’est peu intéressé au management, qui pourtant apparaît aujourd’hui à la fois comme le responsable (victime expiatoire ?) des maux de l’entreprise moderne et le porteur du salut à qui on demande de résoudre toutes les contradictions. J’observe que l’entreprise est un lieu où les « injonctions contradictoires », les « conflits de valeur » et autres « dissonances cognitives » sont soigneusement glissés sous le tapis : les managers s’en débrouilleront !
Expédiant ce petit chapitre avec une élégante désinvolture, Pierre Jullien se contente de souligner l’emprunt par les Américains du français « ménager », qui signifiait « disposer et régler avec soin », attesté depuis le XVIème siècle. Là encore, il ne regarde qu’une seule face de la médaille car le management, lui aussi, se dérobe à une analyse univoque.
Le mot anglais « management » viendrait du français « manège », qui lui-même provient du latin « manus agere », conduire avec la main, comme on le fait dans un manège d’équitation. Au 15ème siècle, « mesnagement » était en fait un terme d’équitation signifiant « tenir en main les reines d’un cheval ». Pour d’autres, il viendrait du français « ménagerie », mot utilisé par Etienne de la Boétie au 16ème siècle. Les personnes qui pratiquaient l’équitation à cette époque exerçaient pour la plupart des responsabilités militaires ou civiles, si bien que l’idée de « tenir les reines » a rapidement dépassé le strict cadre de l’équitation pour signifier tenir les reines d’une échoppe, d’une fabrique, d’une manufacture (là encore, la main…), d’une exploitation agricole ou d’une administration.
Jusqu’à la période du taylorisme, le management consistait, comme le ménagement, à prendre soin. On retrouve cette conception dans « manos », la main, qui nous a laissé l’expression « ménager sa monture ». Un dirigeant, un manager, c’est celui qui a la main, mais qui sait ménager ses troupes…
Avoir la main, c’est aussi être en capacité de contrôler. Dans une autre hypothèse, le terme management proviendrait de l’italien « maneggiare », contrôler, qui nous a laissé l’expression « être aux manettes ». Manager, le substantif masculin français, apparaît en 1785 au sens d’organisateur, d’administrateur, mais désigne d’abord un maître de cérémonie !
Pour Loïck Roche, directeur de la pédagogie et doyen du corps professoral de l’école de management de Grenoble, l’étymologie du terme management, dans une première acception, provient effectivement du mot « manager » qui signifie contrôler, mais dans une seconde, il se rapporte à ménager, c’est-à-dire soigner ou cultiver. On retrouve ici le dilemme du manager moderne, écartelé entre le fatras du reporting, du contrôle qui lui est imposé par des dirigeants qui cherchent à se rassurer ayant perdu le contact avec le travail et la volonté de s’investir davantage dans le soutien professionnel des collaborateurs (voir « Démarches QVT : la nécessaire refondation du rôle du manager de proximité »).
Mais le mot manège désigne aussi une façon adroite, mais aussi hypocrite, de procéder, ce qu’on appelle un stratagème. Poussant un peu plus loin la perversité, Lionel Meneghin relève une consanguinité troublante : « La métaphore de la main est importante. Étymologiquement, manipuler signifie en effet « conduire par la main ». Un autre verbe emprunte l’image de la main et de l’usage qui peut en être fait. C’est le terme « manager », étymologiquement « mettre la main ». Manipuler et manager semblent partager une proximité, voire une complicité. Jeux de mains, jeux de vilains ? »[18]. A vous de juger !
Dans l’entreprise, le troupeau suit le berger, sans savoir s’il le mène vers les doux pâturages ou vers l’abattoir. Ironie de l’étymologie : mener vient du latin minari, « menacer » qui, en bas latin, veut dire « pousser, mener les bêtes en les menaçant ». Une posture peu valorisante pour nos leaders d’aujourd’hui !
Vous avez donc le choix de retenir l’étymologie qui vous convient parmi ces propositions. Manager, pour vous, est-ce conduire, soigner ou manipuler ? C’est votre façon de manager ou de diriger qui le dira.
Les mots de la RSE : aucune tolérance pour le « greenspeaking »
RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et communication entretiennent des rapports ambivalents. Les détracteurs de la RSE aiment rappeler que cette dernière se réduit souvent à un pur exercice de communication puisque beaucoup de directeurs RSE ne sont pas intégrés au comité exécutif. Le raisonnement est un peu simplet. On peut leur rappeler cette étude de l’OFG publiée en février 2024, qui montre que seules 43 % des entreprises du SBF 120 et 50 % de celles du CAC 40 ont intégré leur direction de la communication dans leur comité exécutif[19].
Le premier communiquant, celui qui met l’entreprise en mots, c’est son dirigeant. Et il faut bien constater que l’exercice est de plus en plus difficile avec la prise en compte de la RSE. Pierre Jullien s’est peu intéressé à la RSE, c’est pourquoi il faut aller butiner dans le dictionnaire de Pierre Jacquemot, qui montre que ce que nous appelons dans ce blog la « RSE transformative » donne tout son sel au métier du dirigeant, qui doit écouter et comprendre toutes les parties prenantes, bien au-delà des actionnaires, des clients et des salariés. « Parmi les travaux récents qui se sont intéressés au lien entre RSE et compétitivité, certains avancent même l’idée que la RSE pourrait s’appréhender comme une composante à part entière du capital immatériel et organisationnel de l’entreprise. Ainsi, la RSE serait-elle devenue une occasion d’appréhender le système de management de l’entreprise dans sa globalité, ce qui inclut les démarches de progrès stratégique (type d’innovation, formation en capital humain), de progrès de leadership (image et réputation des produits et services), et de progrès managérial (dialogue partie prenante, organisation du travail) »[20].
Un autre ouvrage bien utile est le « Dictionnaire vécu de la gouvernance » cité plus haut, qui expose les convictions d’Adrien Couret (article sur « Mission ») : « Si l’on veut aligner société et entreprise, il ne faut pas se contenter de rechercher un « impact social » comme un produit dérivé de l’activité, ni seulement présumer de la force opérante des statuts en y ajoutant quelque nouveau codicille. Il faut aller au cœur, faire entrer la Société dans l’entreprise, c’est-à-dire directement dans sa gouvernance, là où se situe le pouvoir d’orientation, d’objectivation et de décision, bref le pouvoir tout court ».
Le livre de Pierre Jullien montre que les mots sont un outil de résistance et de recherche du progrès. Il faut tirer les enseignements de l’étude réalisée par l’UJJEF et Inférences sur l’« Analyse sémantique du discours corporate des entreprises » (mars 2010) : ce rapport introduit la notion de « greenspeaking » et définit les grandes caractéristiques du discours « corporate » sur la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et le DD (développement durable) : économisme, cout-termisme, pas de pensée de la complexité, évitement de la contradiction et du conflit. Ces caractéristiques sont paradoxales vis-à-vis de la substance même du DD. « Sur plus de 500.000 mots et locutions examinés, le mot contradiction est cité une fois… pour dire qu’il n’y en a pas ! »[21].
Or la RSE propose justement un cadre d’action pour traiter les contradictions, les tensions, les dilemmes éthiques entre objectifs économiques, sociaux, sociétaux, environnementaux. Encore faut-il que les mots ne les occultent pas.
C’est pourquoi nous avons besoin de la puissance originelle des mots, qu’il faut remettre sans fards, au centre de la communication pour rétablir le dialogue. Edgar Morin l’a parfaitement résumé : « Malgré de plus en plus de communication, je constate de moins en moins de compréhension. De la même façon que la technique n’empêche pas la barbarie, la communication n’empêche pas l’isolement. Améliorons la qualité de nos relations humaines, plutôt que leur quantité. Le sens d’une vie humaine est l’épanouissement personnel au sein d’une communauté ».
Contrairement à ce qu’affirment beaucoup d’agences de communication, les dirigeants et les entreprises n’ont pas besoin de storytelling. Le storytelling est le terme acceptable pour désigner une pratique qui l’est moins, la propagande, la langue de bois corporate. Si le storytelling est ce que son nom indique c’est à dire une façon de raconter une histoire et non la réalité du travail, c’est une manipulation. Le reste, « c’est de la com’ « …
Jean-Marie Charpentier, Rédacteur en chef de la revue Les Cahiers de la communication interne, le dit à sa manière dans l’une de ses notes de blog : « Trop de discours et pas assez de récit, voilà où nous en sommes dans les médias comme dans la communication des organisations. Ce qui manque le plus c’est l’enquête, c’est-à-dire l’attention aux faits »[22].
Je ne résiste pas, d’ailleurs, à rappeler l’étymologie du mot « dialogue », qui au travers du préfixe ‘dia’ nous indique qu’il s’agit d’une traversée, d’un enjambement, idée que l’on retrouve dans le mot « diagonale ». Comme le dit très justement Paul Watzlawick, de l’école de Palo Alto, « la qualité de notre message est dans la réponse qui lui est faite… L’important n’est pas ce que je dis, mais comment l’autre perçoit, comprend, intègre ce que je dis ». Or nos communicants oublient parfois le sens du préfixe co-, qui pourtant, signe leur métier.
Jean-Marie Charpentier l’exprime clairement dans une autre note de blog : « La fonction communication, y compris la communication interne, est restée à distance d’un des principaux changements, celui du travail réel. Le message et l’image en surplomb ont été préférés à la dynamique de communication dans l’activité professionnelle. Pour dire les choses autrement, ce qu’on appelle la com ‘ a privilégié la représentation et le discours de tête ‘sur’ l’entreprise, l’organisation, le changement aux dépens de la parole ‘dans’ le travail, l’activité, les situations, mais aussi aux dépens des relations ‘entre’ les acteurs. Elle s’est déployée du haut vers le bas, alors que se développaient dans le travail de nouvelles approches plus transverses, à la fois du fait des techniques et des besoins de relations nouvelles entre les acteurs de l’entreprise »[23].
C’est en cela que la RSE, attentive à l’attention portée aux parties prenantes, pousse la communication à se centrer sur le travail et ses enjeux pour les salariés, les clients et fournisseurs, les partenaires de l’entreprise (voir : « Travail et communication, le nouveau visage de la performance sociale »). La RSE ne se mesure pas en ULBM (unité légère de bruit médiatique), elle s’intéresse à ses parties prenantes, aux engagements qu’elle peut prendre vis-à-vis d’elles et aux moyens de leur donner consistance.
Je crois qu’aujourd’hui, il y a pire que la langue de bois, c’est-à-dire les incantations idéologiques qui esquivent la réalité : c’est la langue de coton, c’est-à-dire le politiquement correct d’entreprise (la « langue de boîte »), une parole qui met la réalité abrasive des événements à distance, qui anesthésie la discussion, aseptise la contradiction et l’étouffe sous un consensus de façade. Avec cette langue officielle, cette communication « Tefal », aucune idée n’accroche, les aspérités sont arasées. Et l’on constate, effaré, l’apparition d’un nouveau langage, au confluent du business et de la guimauve : le « biz-ounours ».
Conclusion (provisoire…)
Pour l’essentiel, la communication aujourd’hui n’est pas une communication responsable ; c’est une parole abondante, verticale et du haut vers le bas. De ce fait, elle n’imprime pas sur le corps social : les mots du management sont à haut débit mais ont peu de crédit.
Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,
Management & RSE
Pour aller plus loin :
Pierre Jullien, « Les mots font le job ; Nouveau lexique du monde du travail », lemieux éditeur, janvier 2016
Pierre Jacquemot, « Le dictionnaire encyclopédique du développement durable », éditions Sciences Humaines, avril 2017
« Dictionnaire vécu de la gouvernance », ouvrage d’HEC Paris Alumni, éditions Les ozalids d’Humensis, Octobre 2022, (préface de Michael Porter)
Nicolas Postel et Richard Sobel (dir.), « Dictionnaire critique de la RSE », Coll. Capitalismes, éthique, institutions, Presses universitaires du Septentrion, septembre 2013
Cet article est une version augmentée d’une publication préliminaire dans Metis : « Quand le langage nous travaille : de la langue de bois à la langue de coton »
Crédit image : « The Singing Butler », 1992, huile sur toile par Jack Vettriano, peintre écossais
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[1] Ainsi par exemple, Édouard Philippe, ancien Premier ministre et président de Horizons explique dans une interview à la Tribune Dimanche du 11 février 2024 que « la déclaration de politique générale de Gabriel Attal a traduit une évolution du barycentre politique au sein du bloc central. Si j’avais prononcé un certain nombre des éléments formulés par Gabriel Attal, la majorité de l’époque, peut-être même le président de la République, s’en seraient émus. C’est bien, la poutre travaille encore« .
[2] Arrêt du 15 juin 2016, n°15-12894
[3] Nicolas Postel et Richard Sobel (dir.), « Dictionnaire critique de la RSE », Coll. Capitalismes, éthique, institutions, Presses universitaires du Septentrion, septembre 2013
[4] Jean-Florent Rerolle, « Vade-mecum de l’Administrateur », IFA, juin 2023
[5] Voir aussi Pierre-Yves Gomez, « La gouvernance d’entreprise », Que sais-je ?, Humensis, 2021
[6] D’après Jean-Florent Rerolle, « Vade-mecum de l’Administrateur », op. cit.
[7] « La gouvernance des PME et ETI ; Levier de confiance et de performance », Etude BPIfrance, Février 2020
[8] OCDE, « Principes de gouvernement d’entreprise de l’OCDE », 2004
[9] « Rapport Rocher – Repenser la place des entreprises dans la société : bilan et perspectives deux ans après la loi Pacte », Octobre 2021 ; Rapporteur : Anselme Mialon, Direction générale du Trésor
[10] D’après Jean-Florent Rerolle, « Vade-mecum de l’Administrateur », op. cit.
[11] Voir aussi les travaux de Mehdi Nekhili, fondateur de la chaire Gouvernance et RSE à Le Mans Université
[12] Pierre-Yves Gomez, « Coopération ou incitation : le rôle des ordres de gouvernance dans la trajectoire de l’entreprise » in Blanche Segrestin, Baudoin Roger et Stéphane Vernac (dir.), « L’entreprise, point aveugle du savoir – Actes du colloque de Cerisy», Editions Sciences Humaines, Le Seuil, octobre 2014
[13] « Dictionnaire vécu de la gouvernance », ouvrage d’HEC Paris Alumni, éditions Les ozalids d’Humensis, Octobre 2022 (préface de Michael Porter)
[14] Voir « La gouvernance concertée », Rapport du Commissariat général à l’environnement et au développement durable, mars 2010
[15] Franck Lebas, « Étymologie de travail », Idées reçues sur le travail, Emploi, activité et organisation, Paris, Le Cavalier Bleu, 2023, p. 22-23
[16] Maurice Thévenet, « Le travail à vide », RH Info, 17 décembre 2014
[17] Pierre-Yves Gomez, « Le travail invisible ; enquête sur une disparition », Ed. François Bourin, février 2013
[18] Lionel Meneghin, « La manipulation, est-ce efficace ? », Les Echos, LeCercle, octobre 2012
[19] Etude citée par Challenges du 8 février 2024
[20] Pierre Jacquemot, « Le dictionnaire encyclopédique du développement durable », édition Sciences Humaines, avril 2017
[21] Séverine Lecomte et Assael Adary, « L’ISO 26000 en pratique : faire de la responsabilité sociétale un levier de performance pour l’entreprise », Dunod, mars 2012, page 129
[22] Jean-Marie Charpentier, « Les faits, voilà ce qui manque le plus en communication », Blog, 2 janvier 2024
[23] Jean-Marie Charpentier, « Le travail change la communication en entreprise », Blog, 5 mai 2019