Les impacts de Paris 2024 ne sont pas aussi équilibrés que cette photo le suggère

La politique d’impact des Jeux olympiques de Paris 2024 : médailles d’or et de plomb

Dans la première partie de cet article (voir : « Les Jeux olympiques de Paris 2024 sont-ils socialement responsables ? ») j’ai traité les impacts économiques, sociaux, sociétaux et territoriaux. Je poursuis ici cette revue d’impact avant de mettre en avant quelques propositions d’amélioration.

 

Impact environnemental : la médaille de plomb de Paris 2024

La ville, où l’Accord de Paris sur le climat a été adopté en 2015 se devait de proposer une approche ambitieuse sur des Jeux compatibles avec les engagements sur le climat. Or, comme le fait remarquer pudiquement Paris 2024, « au regard des enjeux environnementaux, la compatibilité du modèle de grands évènements internationaux avec les limites planétaires est parfois questionnée, que cela soit en raison des impacts environnementaux de l’événement en lui-même (transport aérien utilisé massivement pour se rendre à l’événement, consommation de ressources, production de déchets) ou en raison du type de produits et services promus à cette occasion (utilisation de plastique à usage unique notamment) »[1]. Les organisateurs ont donc voulu s’attaquer à ce problème de compatibilité.

Des ambitions élevées mais reposant sur trois piliers déséquilibrés

En mars 2021, les organisateurs communiquaient fièrement : « Le conseil d’administration du comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 a approuvé la stratégie « climat », laquelle engage Paris 2024 à organiser les premiers Jeux Olympiques et Paralympiques du monde ayant une contribution positive pour le climat »[2]. Début juin 2024, Georgina Grenon, directrice de l’Excellence environnementale de Paris 2024, réaffirmait l’objectif devant la presse : « organiser des Jeux plus responsables était dans l’ADN de Paris 2024 »[3].

Olympische Spiele Munchen par David Hockney, 1972

La stratégie environnementale de Paris 2024 repose sur trois piliers : « réduction des émissions de gaz à effet de serre, soutien massif à des projets positifs pour le climat, et mobilisation des parties prenantes pour démultiplier l’impact à long terme de son action ».

Les organisateurs se sont donnés les moyens d’atteindre ces objectifs. Sur le premier pilier, « au total, Paris 2024 a pour ambition de réduire de moitié les émissions liées à l’évènement, par rapport aux éditions précédentes ». Comment ? « Grâce à un concept sobre et compact pour les sites : 95 % des sites de Paris 2024 sont des infrastructures existantes ou temporaires ». Construire moins d’infrastructures permet de réduire l’impact carbone tout en valorisant la richesse architecturale et le patrimoine existant, sachant aussi que les sites ont été choisis pour leur desserte par les transports en commun.

Autres leviers : « le recours à des solutions bas carbone pour l’ensemble des activités sur les sites, l’utilisation d’une électricité renouvelable pour tous les sites, un plan de restauration durable, un plan numérique responsable, l’utilisation d’équipements temporaires réalisés en matériaux bas carbone, et le recours aux principes de l’économie circulaire ». Le raccordement par Enedis des sites de compétition et de non compétition au réseau électrique, évitant le recours à des groupes électrogènes diesel, permettra une économie de 10.000 litres de diesel (soit l’équivalent de 150 à 170 pleins d’essence) par jour d’opération et une réduction de plus de 80 % des émissions liées à l’énergie.

Une trop grande confiance placée dans la compensation, levier très contesté

Le second pilier est beaucoup moins convainquant, puisqu’il repose sur la compensation, l’arme de ceux qui renoncent. Paris 2024 a fait l’erreur de baser une forte partie de ses initiatives environnementales sur l’approche de compensation, qui était déjà très contestée à l’époque – et l’est encore plus aujourd’hui. Paris 2024 s’engage à compenser l’intégralité des émissions qui ne pourront être évitées. Pour y parvenir, il « soutiendra des projets d’évitement ou de captation de CO2 répartis sur les cinq continents. Il s’agit notamment de projets de restauration et de conservation de forêts et des océans, qui sont de puissants capteurs de C02, ou encore des projets qui évitent un impact négatif sur le climat (en fournissant par exemple des fourneaux améliorés à des populations encore dépendantes d’outils de cuisson rudimentaires) ».

Paris 2024 mentionne aussi des projets de développement d’énergie renouvelable. Le périmètre de cette compensation est large, « puisqu’il inclut les émissions liées au transport des spectateurs »[4]. Paris 2024 signale que l’un de ses impacts essentiels est « le transport international des spectateurs » (auquel s’ajoute l’acheminement des athlètes, qui lui aussi s’opère principalement par avion), mais ne donne aucune indication sur la façon de le réduire.

Un point fort avec un politique d’Achats responsables ambitieuse

Le troisième pilier est beaucoup plus convaincant. Il s’agit de la mobilisation des parties prenantes, qui repose notamment sur les Achats responsables, l’un des éléments solides de sa politique environnementale. « Paris 2024 engage ses partenaires commerciaux et fournisseurs à appliquer des critères de durabilité et de neutralité carbone pour 100 % des achats des Jeux, dans le cadre de sa stratégie responsable des achats ». 100% des achats sont effectués selon une stratégie unique et applicable à tous : la stratégie responsable des achats de Paris 2024. Elle place les enjeux environnementaux et sociaux au cœur de tout le processus d’achat[5]. Les appels d’offres éligibles, qui représentent les trois quarts des appels d’offres, intègrent un critère dédié à la performance sociale et environnementale avec une pondération minimum du critère de 15 %, en moyenne 20 %, pour certains marchés allant même jusqu’à 30 % (par exemple pour la restauration au Village). On aimerait voir un bilan en bonne et due forme de cette stratégie Achats responsables…

L’innovation par l’économie circulaire

Je souhaite mette un « coup de projecteur » sur un élément du premier pilier, « le recours aux principes de l’économie circulaire ». Pour la première fois dans l’organisation des JO, un poste de manager de l’économie circulaire a été créé, et confié à Caroline Louis, ancienne sportive de haut niveau, mais aussi consultante dans un cabinet de conseil en RSE depuis 2009 et responsable depuis 2017 du pôle économie circulaire au sein du réseau Orée[6]. L’enjeu était de mettre au point une analyse de l’empreinte matière des Jeux (qui repose sur quelque 270.000 tonnes de matières premières) en évaluant les ressources à mobiliser à chaque étape du cycle de vie de l’évènement et de disposer ainsi d’un référentiel en parallèle de l’empreinte carbone. Sa mise en place a permis de réfléchir au devenir des matières en amont des Jeux et, ainsi de travailler à augmenter le taux de réemploi et diminuer les déchets.

Plastique, restauration, transports, biodiversité : des tentatives multiples

Paris 2024 s’est donné comme objectif de diviser par deux la quantité de plastique à usage unique utilisé pendant les Jeux. Pour y parvenir, un système de distribution des boissons inédit a été mis en œuvre, basé sur l’installation de fontaines à boisson, la consigne et le réemploi de gobelets, et le recyclage des bouteilles plastiques qui n’auront pu être évitées.

La restauration est un défi logistique puisqu’il s’agit, durant l’événement, de servir plus de 13 millions de repas, soit la plus grande opération de restauration événementielle au monde. Les Jeux de Paris 2024 font le pari d’une alimentation gourmande, durable, locale et responsable combinée avec le savoir-faire et la créativité de la gastronomie française. Les principaux engagements sont les suivants : des menus à faible teneur en carbone seront proposés aux spectateurs, avec une offre végétale multipliée par deux et des plats contenant moins de viande (pour moins de CO2), 80% de produits origine France, 25% de produits à moins de 250 km des sites, 30% de bio.

Le caractère compact de Paris et de sa petite couronne permet de réduire l’utilisation des transports : 80% des sites parisiens sont situés dans un rayon de 10 kilomètres et à moins d’une demi-heure du Village Olympique. Par ailleurs, 3.000 Vélib’ supplémentaires seront mis à disposition, « de nouvelles pistes cyclables connectant le Stade de France et la piscine au Village olympique devraient être aménagées et 10 000 places de stationnement de vélo supplémentaires créées »[7].

Sur la biodiverstité, près de 40 sites accueilleront les Jeux partout en France, et « Paris 2024 veille à préserver l’environnement et la biodiversité sur chacun d’entre eux. En amont de l’installation des équipements, Paris 2024 identifie les effets potentiels sur le patrimoine, la biodiversité, la santé environnementale, le climat et les ressources »[8]. Cela n’a pas empêché la polémique sur les dégradations liées à la tenue des épreuves de surf à Teahupoo, une presqu’île préservée de Tahiti.

Une mobilisation robuste du levier de la labellisation

Le levier de la certification / labellisation a été utilisé pour la construction. Les sites olympiques les plus récents sont certifiés ou en cours de certification environnementale : certification Haute Qualité Environnementale pour le Paris La Défense Arena, le Vélodrome National ou le Stade de Nice ; le label Golf Environment Organisation (GEO) pour le Golf National de Guyancourt ; certification BREEAM et ISO 20121 pour Roland-Garros ; certification ISO 20121 pour Le Bourget…

En matière d’achats, le comité d’organisation des Jeux a été labellisé « AFAQ Focus RSE Achats Responsables » par l’AFNOR avec un niveau qualifié d’exemplaire. Cette norme atteste l’alignement d’une stratégie d’achats responsables avec la norme ISO 20 400. Paris 2024 est la première organisation en France à obtenir un tel niveau.

En 2022, Paris 2024 a obtenu la certification ISO 20121, la norme de management de l’événementiel responsable, reconnaissant ainsi son engagement à respecter les plus hauts standards relatifs à l’impact économique, environnemental et social des Jeux, au travers d’un système de management durable (SMD). Ceci n’est pas de nature à m’impressionner, sachant que la championne toutes catégories du « green » et du « social » washing, la Coupe du monde de football au Qatar (novembre-décembre 2022) avait obtenu en juin 2022 cette même certification.

Plus convaincant : Paris 2024 est à l’initiative d’une révision de la norme ISO 20121 et a pris le leadership du groupe de travail international dédié à cette évolution. Plus d’une dizaine de pays se sont réunis à plusieurs reprises et la nouvelle version de la norme a été approuvée par les pays votants en mars 2024 et a été publiée en avril 2024.

Révisions à la baisse des ambitions climatiques

La communication de Paris 2024 n’a pas suffi à convaincre les Français, qui sont plutôt confiants, à 65 %, sur la réussite des épreuves mais en revanche, ne sont que 28 % à se dire confiants dans la capacité de l’organisation des Jeux à limiter leur impact environnemental[9].

Les ambitions climatiques ont été revues à la baisse. D’une contribution positive pour le climat annoncée en mars 2021, on est passés à une promesse de neutralité carbone, puis à une empreinte carbone limitée à 1,58 million de tonnes équivalent CO2, soit deux fois moins que celle de Londres en 2012 et Rio en 2016 (3,6 millions de tonnes)[10]. C’est à peine moins que l’empreinte des Jeux de Tokyo en 2020, soit 1,96 million de tonnes, mais il faut rappeler que ces derniers se sont déroulés en pleine pandémie, en l’absence de spectateurs. Par ailleurs, je n’ai pas trouvé d’estimation solide du bilan carbone du transport des visiteurs et des athlètes attendus, soit 15,1 millions de personnes dont 1,2 en provenance de l’étranger. Il représenterait à lui seul 34% des émissions totales. Sur ces 15 millions de personnes attendues, moins de 4 millions seraient munies de billets pour les compétitions[11].

Les organisateurs des JO de Paris 2024 ont davantage communiqué sur les objectifs globaux qu’ils se donnent (sans dévoiler les détails des calculs) que sur les résultats obtenus : c’est ce qui manque clairement aujourd’hui. Cité par Reporterre, Martin Muller, professeur au département de géographie et de durabilité de l’université de Lausanne témoigne : « Il y a un manque de transparence autour du 1,58 million de tonnes équivalent CO2. Je n’arrive pas à comprendre, en tant que chercheur, sur quelle base cela a été calculé »[12].

Le 3 juin 2024, un rapport a été publié par Paris 2024, qui synthétise les émissions de CO2 consommées depuis 2018 jusqu’à la fin de 2023. Sur cette période de 6 ans, 476.000 de tonnes équivalent CO2 ont été émises, soit 30% du budget carbone de l’événement sur sa durée de vie. Les trois-quarts des émissions sont liés à la construction des infrastructures pérennes, soit environ 349.000 tonnes de CO2. Cette proportion apporte une validation éclatante à la stratégie de sobriété d’infrastructure (utilisation maximale d’installations existantes). Le tiers restant (127.000 tonnes) est imputé à la préparation des Jeux : achat de matériel informatique, restauration, conseil, ingénierie, déplacements des collaborateurs ou des prestataires…

La nature ayant horreur du vide, le débat se cristallise sur des objectifs environnementaux en lien direct avec les épreuves et parfois un peu anecdotiques. Ainsi par exemple, la compétition test de natation en eau libre, qui devait se tenir dans la Seine, a dû être entièrement annulée le 6 août 2023 en raison de la pollution du fleuve due aux fortes pluies tombées plus tôt, qui ont fait déborder les égouts et ont ramené les eaux usées dans le fleuve. L’organisation d’épreuves de natation en eau libre et de triathlon dans le Seine, grâce à un investissement de 1,4 milliard d’euros pour rendre le fleuve baignable était pourtant un engagement fort. Mais les organisateurs ont assuré que l’eau du fleuve sera aux normes à temps et permettra aux athlètes de concourir dans une eau respectant les normes sanitaires européennes. Pourtant, selon les résultats d’analyses publiées le 21 juin 2024, la Seine était toujours trop polluée, à un mois et demi des Jeux olympiques, au regard des critères pour y autoriser les épreuves de triathlon et de natation en eau libre. Le préfet de région, Marc Guillaume, s’est dit « confiant, avec le Cojo (Comité d’organisation), sur la tenue des épreuves fin juillet – début août dans la Seine ».

Fluctuat : Après avoir reporté sa médiatique baignade dans la Seine à deux reprises, Anne Hidalgo a annoncé le 19 juin que celle-ci se produirait finalement autour du 15 juillet…

 

Impact gouvernance : une méthodologie robuste de pilotage des impacts

Paris 2024 est un exemple qui me semble emblématique d’une stratégie d’impact. Dans ce modèle, on ne se contente pas d’observer a posteriori les impacts pour essayer de les réduire (impacts négatifs) ou de les maximiser (impacts positifs). Au contraire, on se place en position d’anticipation en décidant d’emblée de maîtriser ou de créer des impacts et de les piloter dans la durée. Ainsi, l’ensemble du cycle de vie des Jeux (préparation / exécution / suites) est régulé par des objectifs déclinés en indicateurs de pilotage.

Une stratégie d’impact ambitieuse, dotée de méthodes et de moyens

La stratégie d’impact se décline sur deux axes ambitieux :

  1. Livrer des Jeux plus responsables et innovants sur le plan social et environnemental dans tous les actes associés à l’organisation des Jeux de Paris 2024, avec une exigence permanente : inscrire l’organisation du plus grand évènement sportif au monde au service de l’environnement, du développement économique et social et de l’amélioration de la qualité de vie dans les territoires hôtes.
  2. Bâtir un héritage social et environnemental qui mette le sport au service de l’individu, de la société et de la planète : créer une prise de conscience sur l’importance des activités physiques et sportives pour la santé, donner envie de bouger plus et renforcer l’accès à la pratique, utiliser le sport à des fins pédagogiques, éducatives et citoyennes, s’appuyer sur le sport pour l’inclusion, la solidarité et l’égalité, et faire de ces Jeux une opportunité pour accélérer la transformation écologique du sport.

 

Quatre thématiques ont été définies (en lien avec les ODD, Objectifs du développement durable des Nations Unies) :

  1. Le sport pour l’éducation ;
  2. Le sport pour la santé ;
  3. Le sport pour l’inclusion, l’égalité et la solidarité ;
  4. Le sport pour l’environnement.

 

Chacune se décompose, en plusieurs objectifs, par exemple la première, le sport pour l’éducation:

  1. Augmenter l’activité physique et sportive de la maternelle à l’université ;
  2. Soutenir le rôle du sport pour le plaisir d’apprendre et de vivre ensemble ;
  3. Utiliser le sport comme un moteur d’engagement et de citoyenneté

 

Marie Barsacq, la directrice impact et héritage de Paris 2024, explique pourquoi ces objectifs ont été choisis : « La démarche d’héritage et d’impact a débuté dès la phase de candidature de Paris 2024. Il fallait que cette candidature ait du sens pour tous les Français et aller au-delà de l’organisation d’un événement sportif aussi beau soit-il. (…) Quand on a réfléchi à la nature de ces impacts, la première chose qui nous est venue à l’esprit c’est la recherche d’impact pour la jeunesse et pour lutter contre la sédentarité. (…) Lorsque nous avons obtenu les Jeux, nous avons lancé une étude avec l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (ONAPS) pour faire un état des lieux de la sédentarité et de l’inactivité physique en France, avec un focus sur les jeunes. L’analyse a confirmé les chiffres de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui montrent que les enfants français sont bien en deçà des recommandations d’activités physiques de l’OMS »[13].

La chaîne évaluative des impacts : des objectifs aux indicateurs

Ces objectifs sont ensuite assortis d’indicateurs permettant d’évaluer leur avancement. Ces indicateurs sont parfois ancrés dans le long terme, par exemple l’évolution du nombre d’enfants engagés dans la Semaine Olympique et Paralympique : 3 millions de jeunes sensibilisés au cours des 7 dernières éditions : de 72.000 élèves et étudiants en 2018 à 1.000.000 en 2023 (multiplication par 14 entre 2018 et 2023). L’évaluation utilise aussi des indicateurs issus d’enquêtes, par exemple l’enquête réalisée auprès des bénéficiaires des projets soutenus par le Fonds de dotation Paris 2024 (voir la section consacrée à l’impact sociétal) : 87% des bénéficiaires des projets soutenus par ce fonds évoquent que leur condition physique s’est améliorée grâce à leur participation aux projets et 90% que leur bien-être s’est amélioré.

La démarche évaluative a été mise en place de façon volontaire par le Comité d’organisation des Jeux de Paris 2024. En novembre 2023, Paris 2024 a produit un premier rapport permettant de faire un point d’étape précis, que vous pouvez trouver dans sa version synthétique ici (54 pages) et dans sa version intégrale là (154 pages).

Ce rapport d’évaluation intermédiaire « Bâtir l’héritage social et environnemental des Jeux », produit par un groupement d’évaluateurs externes, présente le cadre de mesure de l’impact social et environnemental des Jeux de Paris 2024, ainsi que les réalisations et résultats des projets mis en place en la matière. Ce groupement d’évaluateurs externes met en œuvre les principes de pluridisciplinarité et réunit des experts du Centre de Droit et d’Economie du Sport (CDES), du groupe Pluricité et de l’Agence Phare concernant l’héritage social des Jeux, et des cabinets Ipama et Sport 1.5 en ce qui concerne l’héritage environnemental immatériel. Il est centré sur les impacts de l’écosystème, en intégrant les initiatives menées par des parties prenantes, pour ne pas se limiter aux seules actions portées par Paris 2024.

Un second rapport a suivi 6 mois plus tard (mai 2024), centré sur les impacts des Jeux en eux-mêmes, intitulé « Rapport Durabilité pré-Jeux ; Livrer des Jeux plus responsables », qui lui aussi existe en version de synthèse (21 pages) et en version intégrale (131 pages).

Cette séparation entre les deux séries de rapport dont on ne voit pas bien ce qui les distingue (si ce n’est que le premier, si j’ai bien compris, est produit par le groupement d’évaluateurs externes tandis que le second est entièrement à la main de Paris 2024) est totalement artificielle et génère de nombreuses redites. Pour l’avenir, une convergence vers une seule série me semble préférable, ménageant le plus grand espace possible pour des évaluations externes.

Ces rapports intermédiaires seront suivis par deux autres rapports, un an (en 2025), puis cinq ans (en 2029) après les Jeux, ce qui permettra de déterminer les impacts à chaud mais également à long terme.

Chaîne de valeur de l’impact et théorie du changement : deux points forts de la méthodologie

L’évaluation s’inscrit dans le cadre conceptuel de la chaîne de valeur de l’impact : une analyse des besoins permet de se donner des objectifs que l’on va atteindre avec des ressources pour produire des résultats et in fine des impacts.

Chaîne de valeur de l’impact, Paris 2024, Novembre 2023

L’évaluation mobilise la théorie du changement, qui s’attache à comparer les résultats, effets et impacts qui avaient été visés lors de la définition de la stratégie avec les résultats, effets et impacts réellement obtenus en cours et en fin de déploiement de la stratégie. Ce chaînage est présenté à titre d’exemple par le schéma ci-dessous qui s’applique à l’axe « éducation et engagement ». Holger Preuss, président du Comité de suivi, insiste bien sur le critère d’additionnalité : « Il est crucial de distinguer tous les impacts évalués et de s’assurer qu’il s’agit d’effets additionnels et de véritables changements pour les Parisiens, les Franciliens et les Français, c’est-à-dire d’effets qui n’auraient pas été produits sans l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques »[14].

Théorie du changement de l’axe éducation et engagement – Paris 2024, Novembre 2023

L’évaluation des impacts proposée dans le rapport de novembre 2023 est réalisée à l’aune de deux tableaux de bord d’indicateurs : 17 indicateurs, dont 4 indicateurs prioritaires, déterminés par Paris 2024 et validés par le Comité de suivi de l’évaluation. S’y ajoutent 20 indicateurs issus d’une démarche de l’OCDE qui a créé deux guides méthodologiques pour évaluer l’impact des évènements sportifs, culturels et professionnels, le premier sur la démarche d’évaluation, le second sur les indicateurs de référence. Ces deux guides ayant été publiés en juillet 2023, Paris 2024 a été le premier organisateur d’événement sportif à intégrer ce cadre de référence à sa démarche.

Une régulation assurée par un Comité de suivi indépendant

Ce processus d’évaluation est piloté par un Comité de suivi de l’évaluation de l’impact social et de l’héritage des Jeux de Paris 2024, fruit d’une collaboration entre le Comité International Olympique (CIO), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 (Cojo). Ce Comité de suivi est composé de neuf experts, provenant à la fois d’organisations (universités, gouvernements, organisations sportives) du pays hôte (France) et internationales qui, ensemble, apportent une richesse de compétences et d’expérience dans la réalisation et le suivi de l’évaluation de l’impact et de l’héritage d‘évènements sportifs majeurs.

Parmi ces neuf experts, l’un est bien connu de la communauté française de la RSE : Thierry Sibieude, titulaire de la Chaire Innovation et Entrepreneuriat Social de l’ESSEC et auteur de 13 MOOCs sur les questions d’innovation sociale et d’entrepreneuriat social, dont le MOOC portant sur « L’évaluation et la mesure d’impact social ». Au vu de sa composition, on peut raisonnablement penser que ce Comité fait preuve d’indépendance.

« Ce Comité de suivi a été informé en détail de la démarche d’évaluation mise en place par le Comité d’organisation des Jeux de Paris 2024, a pu examiner les méthodologies appliquées, les indicateurs proposés et superviser l’approche globale de l’évaluation, » nous dit son président, Holger Preuss[15].

Au-delà de la régulation de la préparation et de l’exécution des Jeux 2024, la démarche d’évaluation a aussi permis de créer des ressources partagées comme le « Guide de Paris 2024 pour des événements responsables » ou le « Guide d’écoconception des infrastructures temporaires ». Ces livrables ont eux-mêmes fait l’objet d’une évaluation : « Quand ces publications sont connues des acteurs de l’écosystème des Jeux, elles sont jugées de grande qualité, approfondies et utiles. En effet, les parties prenantes utilisant ces ressources expriment que les équipes de Paris 2024 ont développé des savoirs et expertises fiables qui n’existaient pas et sur lesquelles il est possible de s’appuyer que cela soit pour les Jeux ou pour d’autres évènements »[16].

 

Limites de la démarche d’évaluation des impacts et propositions

La section 4.2 du Rapport intermédiaire d’évaluation de la Stratégie ‘Héritage & Durabilité’ de Paris 2024 intitulée « Des points d’attention » souligne quelques « points de vigilance et de questionnement dont il faudra tenir compte » : la difficulté du « changement d’échelle » ; l’évaluation définitive des résultats et des impacts qui reste encore, à ce stade, à réaliser ; le fait que la plupart des indicateurs mis en exergue à travers l’écriture du rapport d’évaluation sont des indicateurs de réalisation et ne développent pas ou peu les effets (au sens des résultats et des impacts) des activités sur leurs bénéficiaires. A l’exception du dernier, ces points me semblent un peu anecdotiques. De vraies limites, qui, elles, ne sont pas pointées par le rapport doivent à mon sens être soulignées.

Recensement, hiérarchisation et dialogue avec les parties prenantes

Le recensement et la hiérarchisation des parties prenantes apparaissent comme lacunaire, ce qui est très problématique pour une organisation de cette importance. C’est une leçon du reporting de durabilité en général et de la CSRD en particulier (voir : « La CSRD marque l’entrée dans l’économie d’impact ») : la qualité et la pertinence d’une stratégie d’impact reposent sur une analyse des attentes et enjeux des parties prenantes (double matérialité). Le schéma ci-dessous, qui résume l’identification des parties prenantes, pose effectivement problème : où est l’Etat, où sont les spectateurs… ? L’apparence foisonnante, « à plat », de ce schéma nous dit beaucoup du déficit de réflexion et de mise en perspective.

Liste des parties prenantes des Jeux Olympiques de Paris 2024 – Source : Paris 2024

Par ailleurs, je n’ai pas réussi à trouver des informations consistantes sur la façon dont Paris 2024 dialogue avec ces parties prenantes ou entend le faire. C’est pourtant un domaine essentiel – et ce n’est pas un hasard si la CSRD place une forte emphase sur ce que les anglo-saxons appellent désormais le SRM – pour Stakeholder relationship management.

Généralisation du modèle de contribution

Spécifiquement pour les impacts environnementaux, le comité de suivi a créé un « modèle de contribution », qui synthétise les différentes façons dont les impacts peuvent s’exercer dans le sens d’une accélération de la transformation écologique de l’écosystème de Paris 2024, et les qualifie en cinq « types de contribution » :

  1. Provoquer une prise de conscience ;
  2. Faire monter en compétence ;
  3. Outiller et aménager ;
  4. Transformer les normes et pratiques sectorielles ;
  5. Faire évoluer les comportements individuels.
Stratégie Environnement de Paris 2024 – Cinq « types de contribution » – Source : Paris 2024

Ce modèle de contribution, qui semble pragmatique et opérationnel, n’a aucune raison de se cantonner aux impacts environnementaux : il devrait être généralisé.

Problèmes et controverses : bousculade sous le tapis

Dans tout rapport RSE ou rapport de durabilité, on trouve un chapitre « problèmes et controverses », qui fait clairement défaut dans le cas des publications de Paris 2024, qui semblent reposer sur l’idée que ne pas évoquer un problème est une façon de le traiter. Ce chapitre manquant permettrait d’aborder les points qui posent question ou ont provoqué des tensions, par exemple :

Faire la lumière sur le caractère dérogatoire du régime fiscal des Jeux. Par le décret du 27 juin 2020 modifiant le décret du 23 juillet 2015, les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ont été ajoutés sur la liste des compétitions sportives internationales, organisées en France, bénéficiaires du régime fiscal prévue à l’article 1655 septies du code général des impôts, qui exonère les organismes chargés de leur organisation des impôts sur les bénéfices et revenus, réalisés en France ou de source française, les rémunérations versées aux salariés de l’organisme. Par ailleurs, certains impôts prévus par le texte tels que la contribution économique territoriale, la cotisation foncière des entreprises et certaines taxes spéciales d’équipement ne sont pas encourus. Or, les évaluations économiques que j’ai pu consulter sont muettes sur l’impact de ce régime de faveur.

La politique de déplacement (mais certains parlent d’expulsions et de « nettoyage social ») des populations vulnérables, éloignées des zones olympiques et les mécanismes d’éviction qui touchent en particulier les migrants et les très pauvres. Interrogée par Quotidien en novembre 2023, Anne Hidalgo, maire de Paris, a parlé de « deux choses sur lesquelles on ne va pas être prêt », à savoir « les transports » et « la mise à l’abri des personnes sans domicile » fixe. Selon le collectif Le Revers de la médaille, 12.545 personnes, principalement des migrants, ont été expulsées en 2023-2024, soit une hausse de presque 40 % en un an. Dans cette même lignée, l’expulsion des étudiants locataires franciliens du CROUS afin de réquisitionner leurs 3.000 logements pour l’accueil des volontaires et des partenaires des Jeux témoigne du peu de considération vis-à-vis de certaines parties prenantes.

Le salaire des dirigeants, notamment Tony Estanguet, président du comité d’organisation des Jeux olympiques (COJOP), qui a perçu une rémunération annuelle de 270.000 euros bruts jusqu’en 2020, alors que le Cojop étant une association de type loi 1901, la rémunération de ses dirigeants est plafonnée par la loi. Mais le problème ne se limite pas à une personne. Dès 2020, la Cour des Comptes s’émouvait des « salaires plus élevés que la moyenne du secteur privé » dans le Comité d’Organisation (COJO) et en 2021 l’Association Française Anti-Corruption (AFA, rattachée au ministère de la Justice) pointait le « montage atypique » de la rémunération de Tony Estanguet. Libération du 7 février 2024 commente l’ouverture d’une enquête par le parquet national financier, visant cette rémunération.

Ethique et corruption : un impensé des Jeux, malgré les leçons de l’histoire

Les problèmes d’éthique et de corruption sont soigneusement passés sous silence. En 2021, les conditions d’organisation des marchés publics des Jeux ont fait l’objet de rapports de l’AFA dénonçant des risques sérieux d’« atteinte à la probité et de conflits d’intérêts ». En 2022, une enquête, avec perquisitions du COJO, a été ouverte. En juin 2023, des perquisitions ont eu lieu au siège du Comité d’Organisation des JO de Paris 2024 et de Solideo (entreprise chargée de la réalisation des infrastructures olympiques) après des soupçons de « prise illégale d’intérêts » et de « favoritisme ». De ce point de vue, les traditions de l’olympisme sont respectées : les patrons des Comités Internationaux Olympiques organisant les deux derniers JO (Brésil et Japon) sont respectivement sous le coup d’une enquête pour corruption (Japon) et condamné à 30 ans de prison (Brésil). Le programme « Agenda 2020 » du CIO promettait pourtant plus de transparence dans la gouvernance et la tolérance zéro en matière de corruption.

Les dysfonctionnements du Comité d’organisation

Le manque de transparence et les dysfonctionnements du Comité d’organisation ont été exposés par un livre de Sébastien Chesbeuf, qui en était le responsable des affaires publiques et des relations internationales jusqu’à son licenciement en janvier 2020[17].

Impacts géopolitiques

Les impacts géopolitiques ont été largement passés sous silence, limités à la présence des athlètes russes et biélorusses en plein conflit ukrainien.

Volontariat ou salariat déguisé ?

L’appui sur les 45.000 volontaires (bénévoles) des Jeux olympiques de Paris, recrutés sans difficultés témoigne de l’engouement mais certains ont raconté la grande désorganisation, les plannings chargés et pour les opposants, il s’agit de la plus grande campagne de « salariat déguisé » ou « travail dissimulé » qu’ait connue la France. Ceci aurait mérité un débat informé et documenté.

Les insuffisances du suivi en insertion professionnelle

Les efforts en matière d’insertion professionnelle en faveur des jeunes, pilotés notamment par la Solidéo, sont remarquables et ont d’ailleurs dépassé leurs objectifs. En revanche, et c’est un grand classique, les députés Stéphane Peu et Stéphane Mazars ont eu raison d’attirer l’attention dans leur rapport d’information sur les retombées des Jeux 2024, remis le 5 juillet 2023, sur « l’insuffisance du suivi des personnes bénéficiaires après la fin de leur contrat de travail ». Je soutiens vivement leur proposition appelant à un « renforcement des heures d’apprentissage dans la dernière phase des travaux ».

L’instrumentalisation du dialogue social

Les documents d’évaluation des impacts de Paris 2024 s’attardent tous sur les mérites de la charte sociale conclue avec les syndicats et les organisations patronales en 2018, présentée, à juste titre, comme « une première dans l’histoire des Jeux Olympiques ». En revanche, ils ne mentionnent jamais l’impact délétère de la récupération des Jeux par quelques organisations syndicales, qui agitent la menace d’une grève surprise pour obtenir des avantages catégoriels hors de proportion avec l’éventuel surcroît de travail induit ou l’urgence de revendications légitimes. Moi qui ai toujours été favorable aux organisations syndicales (voir : « Oui, les syndicats sont utiles ! »), je le dis sans détour : cette instrumentalisation n’a rien à voir avec les pratiques normales du dialogue social, détériore fortement l’image des syndicats et porte gravement atteinte à leur légitimité.

Embarras et empêchements : mieux cerner les effets d’éviction

Les embarras et les empêchements provoqués par l’organisation et le déroulement des Jeux sont peu étudiés, alors que leur impact est probablement majeur. « Cyclistes, piétons, automobilistes, livreurs, les franciliens pris dans le dédale infernal des travaux et des restrictions de circulation avant les jeux olympiques » : cet article du Figaro s’attarde sur les empêchements auxquels font face ceux qui habitent ou travaillent à Paris, 50 jours avant les Jeux olympiques[18]. Sa lecture suffit à convaincre que la propagande russe n’a pas besoin d’inventer des faits : les récits de la presse françaises suffisent !

Certes, les effets d’éviction ont été partiellement pris en compte dans l’évaluation économique mais leur estimation est complexe car il ne suffit pas de comptabiliser la balance entre les touristes attirés par l’événement et ceux découragés. En effet, comme le fait remarquer Alexandre Mirlicourtois, « les touristes intéressés par les Jeux Olympiques ont des pratiques spécifiques. Un spectateur qui passe la majeure partie de sa journée au stade n’est pas un touriste qui visite. Il faut donc s’attendre à une chute spectaculaire de la fréquentation des musées, des monuments historiques avec des conséquences en cascade sur les commerces attenants »[19]. Le Prodiss, syndicat regroupant les professionnels du spectacle vivant privé a estimé à 150 millions d’euros, soit 13 % des recettes totales, le manque à gagner causé par les Jeux olympiques[20].

Consignes dans le métro parisien – Juin 2024

L’impasse sur l’évaluation des impacts décentralisés

Alors que l’avenir des Jeux réside probablement dans leur décentralisation, un défi positivement relevé par Paris 2024 et par son ambition de faire des Jeux pour « la France entière » (voir la section consacrée à l’impact territorial), il est regrettable que l’étude d’impact économique (réalisée par la CDES) soit limitée à l’Ile de France. Nous avons bien davantage besoin d’apprendre sur les impacts économiques sur les territoires associés. « Des résultats au niveau national se calculeront après les Jeux », a précisé l’économiste Christophe Lepetit (CDES) : attendons les résultats…

La mauvaise conception et exécution de la stratégie Climat

La stratégie climat a été mal communiquée et exécutée. Paris 2024 a longtemps communiqué sur des Jeux « neutres en carbone » voire même « climate positive », deux affirmations très fragiles, que le comité a fini par abandonner. Ensuite, la rigueur de la mesure du bilan carbone des déplacements des spectateurs internationaux s’est révélée fragile. Selon les calculs du think tank d’experts The Shifters en juin 2024, elle pourrait être le double de ce qui est prévu jusqu’ici, autour de 1,1 million de tonnes de CO2.

L’évaluation du bilan climatique aurait clairement dû être confiée à un organisme indépendant, qui aurait pu garantir la transparence et la rigueur de la démarche.

L’impensé des achats non alimentaires

Certes, les achats alimentaires font l’objet d’objectifs ambitieux, comme on l’a vu plus haut, mais « les stratégies d’achats non-alimentaires, qui représentent environ 20% de l’empreinte carbone totale (goodies par exemple), restent des “impensés” de la stratégie climatique de Paris 2024 », comme l’a souligné le Carbon Market Watch dans son rapport sur l’impact environnemental[21].

Les coûts de sécurisation en partie occultés

La facture olympique ne prend pas en compte tous les coûts induits pour l’Etat, notamment en termes de sécurisation de l’espace public, qui pourraient s’élever à plusieurs dizaines de millions d’euros. Christophe Lepetit (CDES) explique « si le COJOP est responsable de la sécurité dans les sites olympiques, l’Etat reste responsable de tout le reste de l’espace public, ce qui risque d’occasionner des surcoûts (mobilisations exceptionnelles, versements de primes aux fonctionnaires de police et de gendarmerie…) ».

La stratégie d’impact doit mieux intégrer l’impact des sponsors

La stratégie d’impact vis-à-vis des sponsors n’est pas suffisamment réfléchie. Dans son rapport sur l’empreinte environnementale des Jeux, l’ONG Carbon Market Watch fait remarquer que « de nombreux sponsors des Jeux sont sur une trajectoire climat insoutenable ; l’incertitude quant à la prise en compte de critères climatiques lors de la sélection des sponsors est une occasion manquée d’influencer positivement la stratégie climat des grandes entreprises »[22].

Par ailleurs, un impact certes diffus mais extrêmement puissant des Jeux est celui du marketing qui va se déverser pendant sa durée et gaver les 4 milliards de téléspectateurs attendus, ainsi que les 13,5 millions de spectateurs sur place. Ils verront des publicités de véhicules SUV (sponsor : Toyota), de hamburgers (McDonald’s), de boissons sucrées (Coca-Cola), de voyages aériens (Air France). Certes, il est difficile de chiffrer ces impacts (qui ne sont même pas mentionnés dans les documents d’analyse d’impacts de Paris 2024), mais il est en revanche possible de rééquilibrer la stratégie de sponsoring, soit en étant plus exigeant avec les sponsors retenus (ex : exiger de pousser plutôt des messages pour promouvoir des modèles légers de véhicules électriques), soit en mettant en avant d’autres initiatives pour contrebalancer ces impacts négatifs.

Professionnaliser le fonctionnement du Comité de suivi

On apprend au détour du copieux rapport d’évaluation qu’au cours des 12 derniers mois, le Comité de suivi ne s’est réuni qu’ « à deux reprises, à la fois en ligne et en personne ». On aimerait également savoir comment ses membres sont choisis, pour quelle durée de mandat, et s’il existe un règlement intérieur. Bref, le Comité de suivi devrait à mon sens se rapprocher de ce qui est prévu par la loi Pacte et ses décrets d’application sur les Comités de mission (dans le cadre de la société à mission).

La pérennisation de la démarche

On sent une réelle motivation de s’inscrire dans la durée, ce qui est très positif. Mais encore faut-il que les dispositifs qui le permettent soient effectivement mis en place. Ainsi par exemple, le rapport d’évaluation intermédiaire pose une recommandation que je soutiens : accompagner les lauréats Impact 2024 vers une pérennisation et un essaimage des projets.

 

Conclusions (provisoires)

Au terme de cette recherche, la question qui me semble la plus essentielle peut se formuler ainsi : est-ce que ces JO resteront comme simplement un moment, ou bien comme une inflexion dans la transformation durable du pays ? On peut espérer qu’une partie des méthodes et des ambitions déployées par Paris 2024 évoquées ci-dessus seront pérennisées pour les éditions suivantes mais également transférées à d’autres événements d’ampleur, qu’ils soient sportifs, culturels ou professionnels, ainsi qu’à des organisations plus classiques. Même si j’ai pointé les failles et les insuffisances, il me semble que Paris 2024 dans l’ensemble, a posé les bases d’un événement d’ampleur mondiale socialement responsable. Son « héritage », pour reprendre ce terme cher aux organisateurs de Paris 2024, doit être accueilli, amélioré et transmis.

Jeux Olympiques de Paris en 1924 : départ 10.000 mètres masculin au stade de Colombes, remporté par le Finlandais Ville-Ritola

Pour la suite, des Jeux Olympiques encore plus socialement responsables nécessiteraient sans doute une reconfiguration fondamentale pour sortir du modèle de gigantisme. A Séoul en 1988, 237 épreuves étaient au programme olympique. Il y en aura 329 à Paris. L’évènement est-il condamné à croître en taille dans le temps ? « On n’arrivera pas à la hauteur des objectifs climatiques en restant dans le modèle actuel des JO, » tranche César Dugast, membre du collectif ‘éclaircies’ et consultant spécialisé dans les enjeux carbone chez Carbone4.

Mais faire voyager des millions de personnes, pour beaucoup en avion, pour vivre « en vrai », ensemble, les émotions intenses que procure le sport, est-il un modèle pérenne ? « On pourrait imaginer sortir du méga-événement centralisé dans une seule ville, pour plutôt répartir les disciplines dans différents pays, développer les fanzones décentralisées, » suggère César Dugast. Objectif : « recruter plus de spectateurs localement, créer une expérience enrichie et élargie des Jeux, et réduire la place de l’avion dans les déplacements »[23].

Des Jeux plus décentralisés pourraient aussi « tourner » entre un nombre plus restreint de villes, qui auraient réellement accompli des efforts de décarbonation et de réduction des impacts négatifs, comme l’ont préconisé des chercheurs dans une étude publiée par la revue Nature en 2021. D’une certaine façon, Paris 2024 apparaîtra peut-être, a posteriori, comme le commencement de cette évolution, puisque Paris accueille pour la troisième fois (1900, 1924, 2024) les Jeux Olympiques (comme Londres en 2012 et Los Angeles en 2028). L’objectif prioritaire devrait être désormais de rechercher la compatibilité de l’olympisme avec la transition environnementale et l’inclusion sociale.

Note de contexte : J’ai entrepris cette étude des impacts de Paris 2024 en réponse à un défi. J’avais réalisé un article critique sur le Mondial de foot, qui avait provoqué du buzz et même un certain émoi (voir : « La Coupe du Monde de football est-elle socialement responsable ? »). Plusieurs lecteurs m’ont répondu alors sur le thème « C’est facile de critiquer le Qatar mais vous devriez regarder les JO de Paris ». Voilà.

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,
Management & RSE

 

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[1] « Rapport intermédiaire d’évaluation de la Stratégie ‘Héritage & Durabilité’ de Paris 2024 ; Axe stratégique ‘Bâtir l’héritage social et environnemental de Paris 2024’ », Synthèse du rapport, Novembre 2023, 54 p.

[2] Voir https://olympics.com/fr/infos/paris-2024-commits-to-staging-climate-positive-olympic-and-paralympic-games

[3] « Les Jeux seront-ils vraiment éco-responsables ? », Ouest France, 25 juin 2024

[4] « PARIS 2024, DES JEUX QUI RÉPONDENT AUX DÉFIS DE SOCIÉTÉ ACTUELS », Brochure de Paris 2024, JUILLET 2021

[5] « PARIS 2024, DES JEUX QUI RÉPONDENT AUX DÉFIS DE SOCIÉTÉ ACTUELS », op. cit.

[6] Ce paragraphe repose sur un article de Des Enjeux et des Hommes, « JO Paris 2024 & transition écologique » https://www.desenjeuxetdeshommes.com/blog/rencontre-3rdl-jo-paris-2024-transition-ecologique/

[7] Communication officielle https://www.france.fr/fr/article/paris-2024-jeux-olympiques-durables-responsables/

[8] « PARIS 2024, DES JEUX QUI RÉPONDENT AUX DÉFIS DE SOCIÉTÉ ACTUELS », op. cit.

[9] Enquête d’Odoxa

[10] « JO 2024 à vos marques, presque, partez », Libération, 26 juillet 2023, page 2

[11] « JO 2024 : craintes sur les retombées économiques », Le Monde, 7 juillet 2023

[12] « Les JO 2024 pollueront plus que prévu », Reporterre, 12 mai 2023

[13] Interview à « Vers le haut », 5 février 2024 https://www.verslehaut.org/publications/articles/a-la-rencontre/

[14] « Rapport intermédiaire d’évaluation de la Stratégie ‘Héritage & Durabilité’ de Paris 2024 », Synthèse du rapport, op. cit.

[15] « Rapport intermédiaire d’évaluation de la Stratégie ‘Héritage & Durabilité’ de Paris 2024 », Synthèse du rapport, op. cit.

[16] « Rapport intermédiaire d’évaluation de la Stratégie ‘Héritage & Durabilité’ de Paris 2024 », Synthèse du rapport, op. cit.

[17] Sébastien Chesbeuf, « La face cachée des JO », Jean-Claude Lattès, juin 2024, 216 p. Voir : « Paris 2024 paie ses promesses intenables », Ouest France, 5 juin 2024

[18] Le Figaro, 5 juin 2024, page 2

[19] Alexandre Mirlicourtois, « JO : l’envers du décor économique », Xerfi, 23 janvier 2024 https://www.xerficanal.com/economie/emission/Alexandre-Mirlicourtois-JO-l-envers-du-decor-economique_3752472.html

[20] La Tribune Dimanche, 4 février 2024

[21] « Viser le vert : Évaluation de la stratégie climat et de la communication des Jeux Olympiques de Paris 2024 », Carbon Market Watch, 22 avril 2024

[22] « Viser le vert : Évaluation de la stratégie climat et de la communication des Jeux Olympiques de Paris 2024 », op. cit.

[23] Cité dans « A 100 jours de l’ouverture, l’impact climatique “insoutenable” des JO de Paris 2024 pointé du doigt », Novethic, 17 avril 2024

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