L’Omnibus est une proposition de directive publiée par la Commission européenne fin février 2025 pour modifier très substantiellement la CSRD (Corporate Sustainibility Reporting Directive) et trois autres textes fondamentaux du Pacte vert. J’en résume ici le contenu, puis j’en tire les principaux constats avant de décrire ce que nous savons des prochaines étapes.
La Commission européenne a publié le 26 février 2025 une proposition de directive visant à modifier quatre textes piliers du Pacte vert (« Green Deal ») : la directive CSRD (reporting de durabilité) adoptée en 2022 et entrée en vigueur début 2024, sa directive sœur, la CS3D (devoir de vigilance) adoptée en 2024, le règlement taxonomie de 2020 et le MACF (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières), adopté en 2022. Cette directive dite « Omnibus » réduit considérablement le contenu et la portée des obligations de reporting.
Ces quatre textes ont tous été adoptés après des années d’études et de débats et sont d’application très récente (CSRD et Taxonomie), voire pas encore mis en œuvre (CS3D et MACF). Ils ont pourtant fait l’objet d’une campagne de critiques d’une vigueur peu commune, qui a conduit à la publication de cet Omnibus. Cette campagne reflète parfaitement le retournement de forces politiques et économiques vis-à-vis du Pacte vert, pourtant adopté entre 2019 et 2024 sous le leadership de la même Ursula von der Leyen (voir : « L’Europe à un tournant : le Pacte vert menacé »).
Rappelons qu’à ce stade, cette directive « Omnibus » n’est qu’une proposition. Elle ne décrit pas une situation d’arrivée mais plutôt une situation de départ, sur laquelle va se dérouler une négociation qui va occuper dans les mois qui viennent, la Commission, le Parlement européen et le Conseil.
Décrivons tout d’abord le contenu de cette proposition : qu’est-ce qui changerait si elle venait à être acceptée ?

Les principales modifications en matière de reporting de durabilité (CSRD)
- Réduction du périmètre d’application de la CSRD : environ 80 % des entreprises actuellement concernées en sont exclues.
- Désormais, la directive ne s’applique qu’aux entreprises employant plus de 1.000 personnes (et non plus 250) et présentant soit un chiffre d’affaires net égal ou supérieur à 50 millions d’euros ou un total du bilan égal ou supérieur à 25 millions d’euros.
- Le nombre d’entreprises de l’Union Européenne (UE) éligibles serait drastiquement réduit, passant de 55.000 à environ 11.000.
- Dans la longue histoire du reporting de durabilité, on en reviendrait à une situation vieille de plus de 10 ans, lorsque la directive NFRD (ancêtre de la CSRD) était adoptée en novembre 2014 et s’appliquait à 11.700 entreprises.
- Relèvement des seuils qui s’appliquent aux entreprises non UE opérant dans l’UE (principe d’extra-territorialité de la CSRD), passant d’un CA supérieur à 150 millions d’euros à 450.
- Introduction d’un plafond d’informations sur la chaîne de valeur (« value chain cap » : pas plus d’informations que les exigences de la norme VSME) et mise en place d’une norme de rapportage volontaire pour les entreprises de moins de 1.000 employés (VSME). Un calibrage sera opéré par la Commission (par acte délégué, équivalent européen d’un décret) définissant les informations qu’une entreprise de plus de 1.000 personnes (soumise à la CSRD) peut ou ne peut pas demander à une entreprise de moins de 1.000 personnes (non soumise) appartenant à sa chaîne de valeur.
- Report de deux ans (à 2028) des obligations de reporting pour les entreprises initialement concernées à partir de 2026 ou 2027 (entreprises des vagues 2 et 3).
- Révision des normes européennes ESRS, avec une simplification des exigences et une meilleure cohérence réglementaire. L’étendue de cette révision et sa méthodologie ne sont pas explicitées à ce stade.
- Suppression des normes sectorielles spécifiques.
- Suppression du passage prévu à une assurance raisonnable pour la vérification par l’auditeur ou l’OTI (on restera sur une assurance « limitée »).
Les principales modifications en matière de Taxonomie
La taxonomie européenne est un système de classification des activités, lancé en 2018, permettant d’identifier celles qui sont durables sur le plan environnemental, c’est-à-dire qui n’aggravent pas le changement climatique. Elle repose sur une grille de 6 critères environnementaux – l’adaptation au changement climatique, son atténuation, l’eau, l’économie circulaire, la pollution et la biodiversité.
- Réduction des obligations de reporting, désormais limitées aux plus grandes entreprises.
- Les seuils d’application de la taxonomie sont alignés avec les nouveaux seuils de la CSRD, et concernent désormais les entreprises de plus de 1.000 salariés.
- Ainsi, ce reporting ne s’appliquerait plus qu’à 20 % des entreprises initialement concernées.
- La taxonomie devient optionnelle pour les entreprises de plus de 1.000 employés et moins de 450 M€ de chiffre d’affaires avec la possibilité de ne pas publier les Opex.
- Révision du format de reporting permettant une baisse de près de 70% des informations demandées.
- Adaptation du principal indicateur clé de performance fondé sur la taxinomie pour les banques, à savoir le ratio d’actifs verts (GAR). Les banques pourront exclure du dénominateur du GAR les expositions relatives aux entreprises qui ne relèvent pas du champ d’application futur de la CSRD (c’est-à-dire les entreprises comptant moins de 1.000 salariés et dont le chiffre d’affaires est inférieur à 50 millions d’euros).
Rappelons que puisque la taxonomie est d’ordre réglementaire, elle sera modifiée par des actes délégués et non par une directive.
Les principales modifications en matière de devoir de vigilance (CS3D)
La CS3D est une directive destinée à contraindre les entreprises à prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans leur chaîne de valeur.
- Allègement drastique de la portée : seuls les fournisseurs directs (de rang 1) sont concernés par les obligations de vigilance, c’est-à-dire les opérations directes des entreprises avec leurs fournisseurs, sous-traitants et partenaires commerciaux directs, sauf en cas de risque avéré.
- Or les problèmes adressés par le devoir de vigilance ne se situent généralement pas dans le rang 1 mais plus profond dans la chaîne d’approvisionnement.
- Report d’un an (jusqu’au 26 juillet 2028) de l’entrée en vigueur des exigences de devoir de vigilance pour les plus grandes entreprises, et l’adoption des lignes directrices est avancée d’un an (juillet 2026).
- Le principe de la responsabilité civile des entreprises est supprimé (comme dans la loi existante en Allemagne) et les sanctions financières associées sont allégées (suppression de l’amende de 5 % du chiffre d’affaires mondial).
- Réduction de la fréquence des évaluations périodiques, qui passe de 1 an à 5 ans, sauf en cas de nécessité.
- Cet allègement pourrait générer, selon la Commission, une économie estimée à 320 millions d’euros de coût de mise en conformité pour les entreprises.
- Réduction de la charge pesant sur les PME et entreprises de taille intermédiaire, notamment en limitant les informations qu’elles peuvent être tenues de fournir dans le cadre de la cartographie des chaînes de valeur demandée par les grandes entreprises.
- Suppression de l’obligation de mettre fin, en dernier recours, à la relation d’affaires en cas d’infraction constatée, remplacée par une mesure de suspension de la relation commerciale.
- Alignement des plans de transition aux attentes de la CSRD (de fait : suppression de l’obligation de mettre en œuvre un plan de transition climatique).
- Disparition de la perspective d’extension de la directive au secteur financier.
Les principales modifications concernant le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF)
Ce mécanisme est la mise en œuvre du principe de la taxe carbone, qui devra être payée sur les matières premières et produits polluants importés dans l’Union Européenne.
- Réduction de 90 % du nombre d’entreprises couvertes par la taxe carbone aux frontières, censée entrer en vigueur en 2026.
- Introduction d’un nouveau seuil annuel cumulé de 50 tonnes par importateur, qui supprimera les obligations découlant du MACF pour environ 182.000 ou 90 % des importateurs, principalement des PME, tout en continuant de couvrir plus de 99 % des émissions relevant du champ d’application du mécanisme
Les constats issus du contenu de ces modifications
On constate tout d’abord l’ampleur des modifications en termes de nombre d’entreprises assujetties : la proposition de la Commission fait fondre la CSRD de 80%, la taxonomie de 80% également, la CS3D d’une proportion inconnue mais importante et le MACF de 90%. Autant cet amaigrissement drastique nous semble légitime pour le dernier (il permet de couvrir 99% des émissions du champ d’application), autant il pose vraiment question pour les trois premières :
- Les dispositifs prévus conserveront-ils leur pouvoir d’entraînement sur l’économie ? On peut légitimement en douter. Par exemple pour la CSRD, l’Omnibus ferait passer le nombre d’entreprises éligibles de 55.000 à environ 11.000, ce qui comparé au nombre d’entreprises privées dans l’UE, soit 32 millions, n’en représente plus que… 0,03%.
- Ne risque-t-on pas de créer une économie à deux vitesses ? C’est clairement le cas pour les trois premières, qui vont provoquer une orientation des financements vers les très grandes entreprises, celles qui offrent les garanties de prévention des risques (CSRD), de maîtrise de leur chaîne de valeur (CS3D) et de décarbonation de leurs activités (taxonomie).
- Est-il judicieux de construire des dispositifs aussi sophistiqués pour, finalement, ne les appliquer qu’à un très petit nombre d’entreprises ? Cela se justifierait si nous étions dans une optique d’expérimentation avec la volonté d’étendre rapidement les dispositifs mais ce n’est clairement pas le cas. Au contraire, d’autres « simplifications » sont attendues…

Le second constat porte sur l’objectif même de la proposition de directive. Il s’agissait de donner droit à la demande légitime des entreprises, qui souhaitaient une simplification, un allègement de la charge administrative et une meilleure maîtrise des coûts. En annonçant le 26 février ce qu’elle appelle elle-même le « paquet omnibus », la Commission a rappelé son objectif de déployer un effort de simplification sans précédent, en réduisant d’au moins 25 % les charges administratives et d’au moins 35 % celles pesant sur les PME d’ici la fin du mandat actuel.
Elle indique que les mesures de simplification annoncées vont permettre de réduire les charges administratives dans l’UE pour un montant de plus de 6 milliards d’euros… sans donner aucun étayage précis sur les hypothèses de calcul de ce chiffre ! En fait, il faut creuser au fonds d’un document de travail de la Commission pour constater que les calculs économiques sur lesquels reposent ses décisions dépendent des données fournies par la banque de données Orbis, qui se révèle incapable de donner une estimation fiable ne serait-ce que sur le nombre d’entreprises qui resteront soumises à la CSRD après application de l’Omnibus, qu’elle situe entre 7.689 et 13.707, soit du simple au double ![1]
Avec Bertrand Desmier, j’avais proposé six leviers permettant d’atteindre cet objectif de simplification et de maîtrise des coûts, documentés dans notre rapport publié par Terra Nova (« Le déploiement de la CSRD : pour un changement de posture plutôt qu’un moratoire » ; voir ci-dessous le lien d’accès dans la rubrique « Pour aller plus loin ») :
- Offrir un meilleur avenir professionnel aux salariés de la comptabilité, du contrôle de gestion et de l’audit
- Soutenir les entreprises dans leur projet CSRD
- S’attaquer vraiment au problème de la lourdeur administrative
- Desserrer la pression de l’oligopole professionnel du chiffre
- Faire (enfin) la pédagogie de la CSRD comme levier de compétitivité
- Faire de la CSRD et du Pacte vert l’ossature du nouveau projet européen
Aucun n’a été actionné par la Commission. Elle a préféré s’obstiner dans sa vision étriquée d’une CSRD vue comme une charge administrative plutôt qu’une opportunité de différenciation compétitive pour les entreprises de l’UE. Elle a donc annoncé vouloir choisir entre les leviers de réduction du nombre d’entreprises éligibles (en jouant sur les seuils d’applicabilité), d’amaigrissement des données à reporter, de report des délais.
Le choix d’un seul de ces leviers aurait eu le mérite de la clarté… et d’une certaine simplicité. Mais cernée par le lobbying d’organisations puissantes aux intérêts non convergents voire contradictoires, elle n’a pas voulu choisir et a engagé avec l’Omnibus, la plus mauvaise des solutions en jouant sur tous les tableaux à la fois.
A moins que vous ne soyez un spécialiste (très) pointu, la lecture des 4 premières sections de cet article, consacrées aux modifications introduites par l’Omnibus, vous a sans doute interloqué. Et vous n’avez rien vu, car j’ai soigneusement sélectionné les points les plus saillants, mais le maquis créé par l’Omnibus fait que le diable se loge dans les détails.
Les 4 textes en question (CSRD, Taxonomie, CS3D et MACF) étaient déjà d’une complexité peu commune, dont une bonne partie résulte des multiples exceptions, dérogations, suppléments de délais négociés au fil de leur élaboration par les lobbies. Cette complexité est également due au fait que ces 4 textes sont inter-dépendants et s’insèrent dans un ensemble plus vaste, le Pacte vert, en entretenant des liens de dépendance systémiques. Toucher à l’un de ces textes crée des effets sur les autres. Toucher aux 4 textes en même temps provoque des effets de bord inattendus. Résultats : après l’Omnibus, le degré de complexité du salmigondis indigeste qui en résulte devient hors d’atteinte d’un chef d’entreprise normalement constitué.
La Commission a ainsi joué contre l’intérêt des entreprises tout en prétendant répondre à leurs aspirations. La lourdeur et les coûts de la CSRD sont en grande partie dus à la trop forte dépendance vis-à-vis de ceux que nous avons appelés dans notre rapport Terra Nova « l’oligopole professionnel du chiffre », composé de cabinets de conseil et des grands réseaux d’auditeurs. En augmentant encore le degré de complexité, la Commission accroît le pouvoir asymétrique dont disposent les représentants de cet oligopole.
De même, la Commission a toujours mis en avant l’impératif de compétitivité de façon univoque. L’eurodéputé Renew Pascal Canfin, ex-président de la Commission environnement au Parlement européen, très impliqué dans l’élaboration du Green Deal, l’a justement souligné : « Les simplifications envisagées le sont au nom de la compétitivité, mais on n’a à ce jour aucune analyse démontrant en quoi, dans leur version actuelle, les textes nuisent à cette compétitivité ». Au contraire, on peut parfaitement concevoir les quatre textes en question comme des leviers de compétitivité. D’ailleurs, autre paradoxe, l’Omnibus est publié au moment même où les premiers rapports CSRD sont publiés par les entreprises de la première vague. Chacun pourra constater qu’ils ne ressemblent en rien à la description qui en est faîte par des adversaires de la CSRD. Pascal Canfin poursuit : « Alors que, par exemple, nous avons besoin de ces données pour mener des politiques qui favorisent les entreprises européennes plus décarbonées que leurs concurrentes américaines ou Chinoises »[2].
Autre interrogation majeure en termes de contenu : l’extra-territorialité. Pour mettre fin à la naïveté européenne qui impose des contraintes à ses entreprises tout en laissant les entreprises étrangères qui ne subissent pas ces contraintes accéder à son marché unique, la Commission avait intégré des critères d’extra-territorialité dans la CSRD – comme elle l’avait déjà fait précédemment avec succès dans la réglementation RGPD[3]. Cela n’a pas échappé aux entreprises étrangères, notamment américaines. Ainsi par exemple, le Conference Board, un think tank patronal américain, estimait que 3.000 sociétés américaines sont concernées par la CSRD[4]. Elles ont déployé un intense lobbying vis-à-vis de la Commission et des Etats membres, sous l’égide notamment de la chambre de commerce américaine en France (AmCham). Le parti Républicain a développé un argumentaire au vitriol contre la CSRD et les prétentions supposément hégémoniques de l’UE, repris par Donald Trump et surtout son vice-président JD Vance.
Et cela a fonctionné ! La Commission a cédé aux pressions américaines. Dans le projet Omnibus, le seuil de chiffres d’affaires réalisé en Europe, qui détermine si une entreprise non UE opérant dans l’UE sera soumise à la CSRD passe de 150 millions d’euros à… 450 !
Cette soumission fait résonnance avec une autre mesure de l’Omnibus, la diminution drastique du nombre d’entreprises couvertes par la taxe carbone aux frontières. Etait-il opportun d’envoyer de façon aussi claire, le message selon lequel les entreprises américaines, chinoises ou autres, dès lors qu’elles ne dépassent pas certains seuils relevés par l’Omnibus, peuvent librement inonder le marché européen sans se conformer aux normes imposées aux entreprises des pays de l’UE ? Décidément, l’Europe fait peu de cas des instruments de sa souveraineté.
Enfin, le choix d’abolir les normes sectorielles spécifiques est totalement contradictoire avec les impératifs de pertinence et de simplification. Voici comment la Commission se contente de justifier cette décision (je cite) : “Many companies and business associations have expressed concerns that the sector specific standards would result in an increased amount of disclosure requirements and additional reporting burden”. Au contraire, bien intégrées à l’analyse de double matérialité comme prévu par la version initiale de la CSRD, les normes sectorielles permettent de se concentrer sur l’essentiel, sur les éléments les plus matériels compte tenu des spécificités du secteur.
Finalement, le contenu de l’Omnibus ne satisfait personne. Le communiqué de presse des organisations syndicales (CFDT, CGT, CFE-CGC et Unsa) publié le surlendemain de la présentation du projet de la Commission est intitulé « Omnibus : Les droits humains et environnementaux ne sont pas négociables ! Halte au recul du modèle européen ! »[5]. Il indique notamment : « Le texte présenté aujourd’hui dénaturerait profondément les objectifs initiaux. En effet, sous couvert de simplification, il répond plus à un objectif de déréglementation frénétique guidée par la compétitivité. Ce texte affaiblirait la responsabilité des entreprises et leur obligation d’agir au sujet de l’impact de leurs activités sur l’environnement et les droits humains, tout au long de la chaîne de sous-traitance. Le démantèlement des avancées obtenues lors de la précédente mandature constituerait un renoncement aux droits humains, pourtant au fondement de l’Union ».
De son côté, le Medef fait part de son insatisfaction. Il estime que les annonces de la Commission européenne « sont insuffisantes pour rétablir notre compétitivité ». Et Fabrice Le Saché, en charge de l’Europe au sein du Medef ajoute : « Nous devons aller beaucoup plus loin, plus vite. Nous prenons acte des premiers pas. Le Medef continue à porter ses propositions pour faire réussir l’Europe ».
Ces constats laissent présager des négociations animées dans les mois à venir, qui augmentent les incertitudes sur l’ampleur des reculs qui seront finalement retenus.
Les constats concernant la méthode
Les modifications radicales proposées par l’Omnibus mettent en position délicate les entreprises qui ont « joué le jeu », ont compris la logique de la CSRD et des trois autres textes, ont anticipé et ont eu à cœur de tenir les délais, par exemple pour publier leur premier rapport CSRD (pour les entreprises de la première vague) début 2025. Au contraire, elles donnent raison aux entreprises qui ont « traîné les pieds » et aux 9 Etats membres qui ont refusé de transposer la CSRD dans les délais. On a connu meilleure pédagogie…
Comment attendre désormais de la solidarité et de l’alignement parmi les Etats et leurs entreprises ? Que penser d’une Commission qui traite mieux les entreprises qui s’opposent aux textes – pourtant régulièrement débattus, votés et promulgués – que celles qui les appliquent avec discipline ? Faustine Bas-Defossez, directrice environnement du European Environmental Bureau l’a très bien résumé : « Il est désormais clair que la ‘simplification’ n’est qu’un cheval de Troie pour une déréglementation agressive. Ce paquet crée une incertitude juridique, récompensant les retardataires et pénalisant les entreprises qui ont pris l’initiative de contrôler et de signaler leur impact sur l’environnement ».
Certes les chefs d’État et de gouvernement de l’UE avaient déjà appelé la Commission à alléger les obligations de reporting des entreprises le 8 novembre 2024, dans leur déclaration de Budapest sur le nouveau Pacte européen pour la compétitivité. Mais ils avaient aussi demandé que les propositions soient accompagnées par des études d’impact — une demande superbement ignorée par la Commission. Et pour cause : on chamboule quatre textes dont deux (CSRD et Taxonomie) sont d’application très récente et deux (CS3D et MACF) n’ont pas encore terminé leur parcours[6]. Nous ne disposons donc pas du recul nécessaire.
Pour Sylvain Boucherand, directeur du cabinet de conseils spécialisé BL évolution, « on peut s’interroger sur la méthode, car ces dispositions du Green Deal commençaient tout juste à être mises en œuvre et aucune évaluation des effets, difficultés ou du fameux ruissellement dans la chaîne de valeur n’ont pu être démontrés pour justifier ce repositionnement »[7].
La méthode consiste également à feindre que l’on peut conserver les mêmes objectifs, ceux issus du Pacte vert, tout en vidant de leur substance les instruments que la Commission avait construits pour y parvenir. La Commission von der Leyen 2 reprend les objectifs de la Commission von der Leyen 1 en neutralisant ses leviers !
« Moins de charges administratives, un accès plus facile au financement et des règles plus claires et plus prévisibles. Nous conservons nos objectifs, mais nous changeons la manière de les atteindre », a expliqué Stéphane Séjourné, le vice-président exécutif pour la prospérité et la stratégie industrielle lors de la présentation de l’Omnibus. La Commission insiste sur le fait que ses objectifs climatiques à long terme — c’est-à-dire la réduction des émissions de 90% en 2040 et l’atteinte la neutralité carbone d’ici 2050 — sont maintenus. La nouvelle configuration risque cependant de retarder l’atteinte de l’objectif de décarbonation et de transition juste. Compte tenu de l’urgence, avons-nous les moyens de nous priver de ces instruments ?
Le manque de transparence est aussi à souligner. Dans ses documents de travail, la Commission justifie systématiquement ses choix par la formule « de nombreuses entreprises et associations d’entreprises ont exprimés une préoccupation… »[8]. Mais on aimerait savoir qui sont ces entreprises et ces associations d’entreprises, qui sont en fait des syndicats patronaux. On aimerait aussi savoir pourquoi les positions, les arguments, les points de vue exprimés par les nombreuses entreprises et associations d’entreprises, parmi lesquelles le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD), le Mouvement Impact France (MIF), la Communauté des entreprises à mission, qui elles, sont favorables à la CSRD ne sont jamais mentionnées. Nous en avons donné de nombreux exemples dans nos deux rapports Terra Nova signalés ci-dessous dans la section « Pour aller plus loin ». De même, les prises de position des coalitions européennes d’investisseurs ou des soutiens de la finance durable n’ont pas été mentionnées.
Plus récemment, 86 dirigeants d’entreprises, banquiers et gérants de fonds ont rappelé l’intérêt de la CSRD, tout en soulignant l’utilité de simplifier les normes et de rendre leur application plus progressive pour les PME et les ETI, dans une tribune intitulée « La CSRD, une avancée réelle pour les entreprises », publiés par le quotidien Les Échos[9]. Ils y affirment que la simplification de la CSRD « doit se faire avec nuance, sans perdre de vue l’essentiel, ni en opposant systématiquement durabilité et compétitivité ». Pour eux, l’abandon de l’ambition serait une « erreur stratégique » dans un contexte où « l’Union européenne et ses États membres y ont investi beaucoup de capital politique et que les entreprises y ont consacré des moyens importants ».
De son côté, le président du CJD, Mathieu Hetzer, qui voit dans la CSRD « un outil de compétitivité pour mieux évaluer les risques et définir des stratégies d’entreprises plus robustes » souligne : « La réduction du champ d’application [de la CSRD] est vraiment regrettable. On tricote puis on détricote. Les entreprises sont en mouvement, elles ont investi, recruté, maintenant qu’on fait demi-tour on va licencier ? Ce qui se joue est ridicule. Ce retour en arrière est une faute de nos dirigeants politiques »[10].
Une cinquantaine d’associations, dont ClientEarth, le WWF et le Bureau européen de l’environnement, ont accusé la Commission, dans un courrier du 4 février 2025, de ne pas garantir un dialogue « ouvert, transparent et régulier ». Dans son article de La Tribune sur la préparation de l’Omnibus, Dominique Pialot relève que « la liste des invités a fait couler beaucoup d’encre, car elle ne comprenait à l’origine aucune des entreprises ayant déjà appliqué la CSRD et s’étant exprimées pour son maintien, ni aucune coalition d’investisseurs en finance durable, alors précisément que c’est en priorité à eux que s’adressent les rapports CSRD. (…) Elle comporte de nombreux acteurs ouvertement opposés au maintien des textes, notamment issus du secteur pétro-gazier, mais aussi des banques et des compagnies d’assurance, des acteurs de la construction, de l’automobile ou du secteur aérien »[11].
Voici ce qu’en dit le quotidien Libération (27 février 2025) : « Ce paquet a été préparé dans le plus grand secret et sans aucune étude d’impact, ce qui est pourtant une exigence légale. (…) La Commission est incapable de justifier que ces textes négociés pendant plusieurs années, constitueraient des « charges insupportables pour les entreprises » ».
Derrière cette formule « de nombreuses entreprises et associations d’entreprises ont exprimés une préoccupation… », les adversaires des quatre textes sont clairement les gouvernements allemands et français, ainsi que les syndicats patronaux des mêmes pays. Ils ont mené un intense lobbying de façon déterminée, coordonnée… et malheureusement efficace. Cela me peine de le dire, mais les gouvernements français, ceux dirigés par Gabriel Attal, puis Michel Barnier et enfin François Bayrou, se sont comportés en porte-voix du Medef, de la cpme, de l’Afep et du Meti[12], reprenant les mêmes contre-vérités, les mêmes éléments de langage, comme la fameuse légende des 1.178 point de données.
La position changeante de la France illustre bien la brutalité du retournement de situation sur la CSRD. Avec la loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques) de 2001, la France a été le premier pays du monde à exiger un reporting RSE de la part des grandes entreprises. Soyons clair : la CSRD n’aurait jamais vu le jour sans l’engagement persévérant de la France ces dernières années, qui a œuvré pour convaincre ses partenaires européens de l’intérêt du reporting RSE. Elle a d’ailleurs été le premier pays parmi les 27 à transposer la CSRD dans son droit national. Mais c’est aussi la France qui a été l’un des deux pays les plus déterminés à obtenir sa remise en cause.
Les prochaines étapes : l’incertitude domine
Vous aviez réalisé votre premier rapport CSRD pour début 2025 sur les données 2024 et vous vous demandez sur quelles bases travailler pour l’année prochaine ? Vous étiez dans la vague 2 ou 3 et vous avez éventuellement commencé à travailler mais à quel référentiel faut-il se vouer désormais ? N’oublions pas que l’objectif de ce merveilleux Omnibus est de simplifier. Il suffit de s’accrocher…
Présenté par la Commission européenne le 26 février 2025, la directive Omnibus qui, rappelons-le, n’est à ce stade qu’un projet, doit maintenant être examinée par le Conseil de l’UE, l’organe dans lequel sont représentés les États membres, et par le Parlement européen. Au Parlement européen, il sera traité par la Commission des affaires juridiques pour la CSRD et la CS3D et par la Commission environnement pour le MACF (les modifications sur la Taxonomie passeront par actes dénégués et donc « court-circuitent » le Parlement).

Le calendrier n’est pas encore fixé mais devrait s’écouler sur l’année 2025, d’après Pascal Canfin, qui en est le principal acteur pour Renew. Bien sûr, chacune des instances a le pouvoir de porter des amendements aux textes concernés. Si les discussions devraient être plutôt apaisées au Conseil, les débats s’annoncent vifs au Parlement européen. Dans l’hebdomadaire Challenges, l’eurodéputée centriste Marie-Pierre Vedrenne annonce « une bataille très difficile » au Parlement européen[13].
Ce sera ensuite, probablement en 2026, le temps difficilement maîtrisable du Trilogue, une étape incontournable dans le rituel européen qui voit les trois acteurs, la Commission, le Conseil et le Parlement, défendre chacun leur version des textes et essayer de trouver un accord. Une fois les compromis passés, les dernières modifications sont apportées aux textes qui peuvent enfin être adoptés par le Parlement et le Conseil, puis publiés au Journal officiel de l’UE et entrer en vigueur après un délai déterminé. Dans le meilleur des cas, nous sommes sans doute vers mi-2026…
S’ouvre enfin un autre rituel, celui de la transposition par les Etats membres dans leur droit national, qui disposeront d’un délai, en général de 12 à 18 mois, qui n’est pas connu à ce jour. Chaque pays a un degré de liberté pour apporter de nouvelles modifications aux textes compte tenu des spécificités de leur droit – ce que les adversaires de l’UE appellent la « surtransposition ». Nous sommes ici sans doute (mais qui peut le dire ?) vers fin 2027.
Là aussi, des événements imprévisibles peuvent survenir, d’autant plus que la Commission a donné de très mauvaises habitudes aux Etats membres avec la CSRD, en tolérant que certains pays, l’Allemagne en tête, n’en fassent « qu’à leur tête » en refusant de transposer dans les délais impartis et en « jouant la montre »… ce qui leur a permis d’obtenir les modifications substantielles qu’ils souhaitaient… Une véritable prime à l’indiscipline et à la procrastination.
Après la transposition, qui se traduit généralement par des décrets et/ou des ordonnances, les textes deviennent applicables dans les pays membres, là encore après un certain délai.
Nous serons alors probablement en 2028 et personne n’est capable de dire quelles seront les dispositions précises portées par ces textes dans leur version définitive.
L’incertitude est d’autant plus importante que la Commission européenne a prévu deux autres paquets impactant potentiellement le calendrier d’application :
- Omnibus II, qui visera à simplifier les processus de reporting dans le but de stimuler les investissements stratégiques,
- Omnibus III, pour clarifier les exigences pour les entreprises de taille intermédiaire.
Ce cumul d’incertitudes place les entreprises concernées par les changements en situation délicate. Et il est loin d’être exclu que nous constations dans les mois qui viennent que la Commission est capable de s’engluer encore davantage…
Un constat inattendu : une insécurité juridique majeure
Pratiquer la « simplification » à la hache ou à la tronçonneuse aboutit à augmenter la complexité, avec en prime, une superbe création d’insécurité juridique dont nous constaterons les dégâts dans les semaines et les mois qui viennent.
Le recul sur la CS3D crée de l’instabilité réglementaire en Europe, puisque la France ou encore l’Allemagne se sont dotées ces dernières années de normes similaires sur le devoir de vigilance, que la loi européenne devait permettre d’harmoniser. Idem pour la CSRD : les pays membres n’étaient pas sur la même ligne de départ avec la directive précédente (NFRD de 2014) que certains pays, la France et l’Italie notamment, avaient sur-transposée. La CSRD avait justement vocation à harmoniser la situation mais son report sur les vagues 2 et suivantes crée des écarts de situation.

Ces écarts de situation mettent les entreprises en situation délicate et créent de l’insécurité juridique. Pour en tenir compte, la proposition Omnibus crée un mécanisme baptisé « Stop the clock », qui devrait être négocié dans les toutes prochaines semaines au Parlement européen, destiné à combler (en partie seulement) ces incohérences dues aux modifications substantielles d’une directive, la CSRD, transposée par 18 pays sur les 27 et donc en application seulement dans une partie des pays de l’UE. Ce mécanisme va permettre de laisser les entreprises de la vague 1 (plus de 1.000 personnes) continuer à appliquer la CSRD telle qu’elle existe en gelant les vagues suivantes (moins de 1.000), qui vont donc temporairement revenir à la législation précédente, soit la directive NFRD de novembre 2014 (transposée en France en août 2017).
La proposition Omnibus repousse la date limite de transposition à 2028 (pour laisser le temps qui convient au trilogue de définir la nouvelle CSRD) ce qui crée une inégalité de fait entre les 18 pays qui ont transposé (dans lesquels les grandes entreprises poursuivent la CSRD) et les 9 pays qui n’ont pas transposé… avec la difficulté pour les groupes internationaux qui peuvent avoir des activités, des entités ou des filiales dans les 18 ET dans les 9 pays…
Vous avez dit simplification ?
Les constats positifs
Tout cependant n’est pas à jeter dans ce qu’est devenu la CSRD.
D’abord, des éléments essentiels ont pu être préservés alors que leur suppression avait été un temps envisagée par la Commission, qui finalement a renoncé à ces options :
- la double matérialité dans la CSRD,
- le caractère holistique de la CSRD, qui ne se limite pas à l’enjeu climatique,
- les plans de transition climatique dans la CS3D (même si leur effectivité est diminuée).
Mais surtout, il existe aujourd’hui un fort besoin dans les entreprises de structurer leur démarche RSE. Aujourd’hui, en France, il y a plusieurs cheminements possibles dans ce but : les labels RSE, la qualité de « société à mission » issue de la loi Pacte de 2019, et la CSRD, qui propose une approche en partie alternative et en partie complémentaire. Elle consiste à hiérarchiser ses enjeux selon le filtre de la matérialité, à mettre en œuvre des plans d’action pour limiter les impacts négatifs et maximiser les impacts positifs, puis à construire des indicateurs pour piloter la démarche. La CSRD a exercé un impact pédagogique très fort et très positif chez beaucoup d’entreprises qui ont expérimenté sa démarche.
Je pense donc que malgré le recul sur les obligations légales, il y aura encore beaucoup d’entreprises qui conduiront une démarche CSRD de façon volontaire, y compris parmi celles qui n’ont plus légalement à le faire aujourd’hui. C’est un acquis précieux, ce qui restera de la CSRD : une méthode de raisonnement et de construction de sa démarche RSE.
Conclusion (provisoire)
Pour conclure, il faut d’abord élaborer une définition du terme Omnibus.
Nom. Masculin. Véhicule poussif et démodé à traction animale, profondément inadapté à la vie moderne, capable d’embarquer beaucoup de monde, desservant toutes les stations et tous les lobbies, mais handicapé par son caractère lent et par ses rejets immodérés de déjections équines ou de CO2 dans l’atmosphère.
Pourquoi l’Omnibus est-il un véhicule poussif ?
Parce qu’il s’est toujours refusé à voir la CSRD comme un outil de compétitivité. Or, par temps de greenwashing exacerbé, les entreprises responsables ont besoin d’une méthodologie et d’un cadre d’action pour rendre leur démarche visible et crédible. Elles ont aussi besoin d’indicateurs pour piloter leurs initiatives et communiquer avec leurs parties prenantes, des indicateurs standardisés, audités, discutés et publiés. Comme je l’ai affirmé dans un rapport pour Terra Nova, « la CSRD est le système métrique de l’entreprise responsable ». Au contraire, l’Omnibus ne comprend la CSRD que comme une démarche de conformité et par conséquent, tombe dans le piège de la charge administrative : des coûts de reporting et par conséquent sans retours sur investissement (voir : « Mise en œuvre de la CSRD : la vérité des coûts »). Mon compère Bertrand Desmier ne cesse de souligner – et il a bien raison – qu’il eut été bien préférable de mettre en avant l’idée de transformation et d’appeler la directive CSTD pour Corporate Sustainable Transformation Directive. Pour engager dans de bonnes conditions le débat qui va s’ouvrir au Parlement européen, les défenseurs de la CSRD devront le replacer dans la « Big picture ».
C’est vrai aussi sur le plan stratégique. A l’heure où les besoins de capitaux pour financer la transition écologique, sociale et géopolitique n’ont jamais été aussi importants (d’où l’annonce du « Clean industrial deal » le même jour que celle de l’Omnibus), la Commission tente de démanteler les mécanismes pensés pour flécher ces investissements vers les acteurs qui prennent en compte la performance globale (voir : « La CSRD est un outil de management de la performance globale »). Il y a là une contradiction fondamentale.
C’est vrai aussi sur le plan géopolitique. Tétanisée par la nouvelle politique commerciale des Etats-Unis depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et de sa menace de droits de douane à 25%, la Commission entend riposter par du « Trump light » à base de dérégulation, au lieu de construire une Europe puissance, qui impose sa souveraineté basée sur ses normes et sur sa politique économique plus attentive aux impératifs climatiques et sociaux.
Tout n’est pas perdu pour autant. La CSRD, la CS3D et la Taxonomie ont participé à un mouvement fondamental que l’Omnibus ne pourra pas supprimer : elles ont créé de la compétence dans les entreprises ; elles ont contribué à relever le niveau stratégique de la RSE et de certains des enjeux qu’elle porte, comme la lutte contre le réchauffement climatique. Elles ont fait entrer les sujets de RSE et de durabilité dans l’enceinte des Comex et dans celle des Conseils d’administration. C’est un acquis considérable, qu’il faudra consolider.
Deuxièmement, même privés de leur capacité de transformation par l’Omnibus, même racornis en termes d’entreprises éligibles et de portée, les quatre textes vont s’installer. Il suffira à une prochaine équipe dirigeante de l’UE plus ambitieuse d’abaisser les seuils, de réinstaller ce qui a été éradiqué, pour redonner de l’ampleur au changement. Il n’est même pas exclu que l’équipe actuelle ne soit pas amenée à revenir aux options précédentes, contrainte par la réalité des dégâts causés par le réchauffement climatique, la perte de biodiversité ou le creusement des inégalités.
Troisièmement, le débat au Parlement européen sur le projet Omnibus va s’ouvrir et nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise. Les sociaux-démocrates et Renew ont de bons arguments à faire valoir au PPE pour infléchir le contenu. J’ose espérer que le PPE saura les discuter et s’abstiendra de trouver une majorité alternative en s’alliant avec l’extrême droite, qui n’a pas caché son hostilité vis-à-vis de la CSRD et de la CS3D.
A ce stade, ce qui reste de la CSRD après le passage de l’Omnibus est un immense gâchis :
- Une proposition qui vide de 80% de sa substance une méthodologie de maîtrise des impacts nécessaire et utile pour les entreprises, sur la base d’un argumentaire fallacieux et partial[14].
- Une insécurité juridique maximum pour les 3 à 4 années à venir.
- Une terrible claque pour les entreprises qui avaient anticipé et « fait le job » avec une prime aux procrastinateurs.
- Une gouvernance défaillante avec un projet de directive édicté sans évaluation sérieuse de la précédente et dans une opacité de la consultation des parties prenantes.
J’espère que le débat au Parlement européen me donnera tort. Et c’est dans cet esprit que j’y prendrai ma part.
Martin RICHER, fondateur de Management & RSE et Directeur de l’Executive Master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po Paris
Pour aller plus loin :
Consultez les autres articles de ce blog sur la CSRD et le reporting de durabilité.
Les deux rapports Terra Nova de Martin Richer :
- « La CSRD : le système métrique de l’entreprise responsable », Rapport Terra Nova, 30 mai 2024
- Avec Bertrand Desmier : « Le déploiement de la CSRD : pour un changement de posture plutôt qu’un moratoire », Rapport Terra Nova, 20 novembre 2024
Projet de Directive de la Commission – Omnibus de février 2025
Communiqué de presse de la Commission (en français)
Crédit image : « Dans l’omnibus », huile sur toile par Maurice Delondre en 1880. J’aime beaucoup le regard appuyé un brin hypocrite du lobbyiste à chapeau haut-de-forme…
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[1] COMMISSION STAFF WORKING DOCUMENT du 26 février 2025 – SWD(2025) 80 final, page 28
[2] Cité dans Dominique Pialot, « Simplification du Green Deal : la préparation mouvementée du paquet omnibus », LaTribune, 7 février 2025
[3] Règlement Général sur la Protection des Données
[4] ”CEO Insights for What’s Ahead ; Weekly insights from The Conference Board”, July 26 2023
[5] Communiqué du 28 février 2025.
[6] Par exemple, la France n’a pas encore transposé la CS3D.
[7] Sylvain Boucherand, dans Youmatter du 26 février 2025
[8] “Many companies and business associations have expressed concerns…”
[9] Les Échos, 19 février 2025
[10] Youmatter du 26 février 2025
[11] Dominique Pialot, « Simplification du Green Deal : la préparation mouvementée du paquet omnibus », LaTribune, 7 février 2025
[12] Respectivement : Mouvement des entreprises de France, Confédération des petites et moyennes entreprises, Association française des entreprises privées, Mouvement des entreprises de taille intermédiaire.
[13] Challenges, 26 février 2025
[14] Cet argumentaire est expliqué et démonté dans mes deux rapports pour Terra Nova (voir la section « Pour aller plus loin ») ; je n’y reviens pas ici.