CPF : Quand l’exécutif s’ingénie à casser son dispositif… sous prétexte qu’il marche !

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Trop souvent les politiques publiques n’atteignent pas leurs objectifs. On s’y habitue. Mais voilà un cas d’une politique efficace, que tous les managers, professionnels RH et travailleurs ont pu expérimenter concrètement : la réforme du CPF, compte personnel de formation, a si bien réussi qu’elle a fini par coûter plus cher qu’attendu, si bien que les pouvoirs publics font leurs meilleurs efforts pour la faire échouer. Avec un succès indéniable !

Le 10 décembre 2022, le gouvernement déposait un amendement au projet de loi de finances (PLF) pour 2023 instituant un « reste à charge », c’est à dire une participation financière des salariés à leur propre formation professionnelle, pour les salariés utilisant leur CPF. Seuls les demandeurs d’emploi et les salariés dont le projet de formation est co-construit avec l’employeur en seraient exemptés. Le CPF est un dispositif qui permet aux salariés et aux travailleurs indépendants de disposer d’un crédit formation alimenté annuellement.

Dans une interview au Journal du Dimanche du 18 décembre 2022, Muriel Pénicaud, qui avait beaucoup soutenu la réforme du CPF à l’occasion de la loi du 6 septembre 2018 « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » qu’elle a portée lorsqu’elle était ministre du Travail, décrit cette décision comme « une erreur sociale et économique ». Sous le titre « je suis déçue et inquiète », elle explique pourquoi la décision de faire payer une partie du CPF par les salariés va à rebours de l’histoire.

 

Ce que le CPF a changé

L’exécutif cherche à faire des économies sur un dispositif victime de son succès. En effet, 5 millions de personnes ont été formées depuis 2019, pour un coût total de presque 7 milliards d’euros. Mais surtout, 80 % des bénéficiaires du CPF sont des ouvriers et des employés, 50 % sont des femmes et 20% ont plus de 50 ans. C’est donc que le dispositif fonctionne : il atteint les publics visés, les plus éloignés de la formation.

« Avant le CPF, 80 % des Français qui se formaient étaient des cadres, » explique l’ancienne ministre, interviewée par Emmanuelle Souffi. « Les autres restaient coincés dans des trappes à bas salaire faute de qualification pour pouvoir s’élever. Aujourd’hui, il faut encore six générations pour basculer de l’extrême pauvreté à la classe moyenne ». Un reste à charge de 15 à 30% comme évoqué par l’exécutif restera très supportable pour les plus aisés mais risque de placer les plus modestes à nouveau dans une impasse.

CPF : Muriel Pénicaud lance l’appli

Elle pose la question : « Pourquoi faudrait-il financer des droits acquis par son travail, accumulés tout au long de sa vie ? ». Et elle y répond : « Le reste à charge est un contresens, à rebours de la marche de l’Histoire et des besoins de compétitivité du pays ».

On ne peut être plus claire.

 

Pourquoi le reste à charge va à l’encontre de la RSE ?

La politique de formation professionnelle, celle de l’Etat comme celle d’une entreprise, est extrêmement structurante sur la responsabilité sociétale de l’entreprise (voir : « Emploi et formation à l’heure de la RSE : pour une employabilité socialement responsable »). La formation continue devrait corriger les inégalités créées par le système scolaire (formation initiale). Or les chiffres montrent qu’elle les accentue : la formation continue va davantage vers ceux qui sont déjà les mieux formés, laissant les autres sur le bord du chemin (voir : « La formation professionnelle : quelle empreinte sociale ? »).

Comme l’écrit Muriel Pénicaud sur le réseau social Linkedin, en prévoyant dans le PLF « un reste à charge », qui doit être défini par décret, on introduit un facteur de sélection à l’entrée. « Comment peut-on envisager qu’une aide-soignante, un ouvrier du bâtiment ou un livreur à domicile ait les moyens, en fin de mois, en pleine période de forte inflation, de financer sa propre formation pour conserver ou améliorer son emploi ? ». Et elle ajoute : « Le CPF est souvent leur deuxième chance et parfois leur première chance d’émancipation sociale. C’est injuste et incohérent. Ces mesures vont restreindre l’accès à la formation des principaux bénéficiaires du CPF, les ouvriers et employés, les seniors et les femmes, qui vont perdre une chance de promotion sociale, d’employabilité et d’avenir ».

Le montant moyen des formations acquises par mobilisation du CPF atteint 1.400 €, si bien que le reste à charge de 30 % évoqué par le gouvernement placerait sur son utilisateur une charge supérieure à 400 €, un montant qui peut être très dissuasif pour les salariés en bas de l’échelle des rémunérations. Natanael Wright, président et fondateur de Wall Street English France, déplore une réforme qui pourrait « dénaturer » le CPF et « priver de son bénéfice les classes les moins favorisées »[1].

Il faut rappeler que le CPF était la grande ambition de la loi sur la formation professionnelle du 5 mars 2014, qui renouait avec l’objectif de 1971 d’articuler développement des entreprises et des individus (voir : « La formation professionnelle, levier de la RSE »). Le CPF qui s’est substitué au DIF (droit individuel de formation) à compter du 1er janvier 2015, permettait de rattacher les droits à la formation à la personne et non plus au contrat de travail. Pourtant, le DIF, créé en 2004, alimenté à raison de 20 heures par an et plafonné à 120 heures, est longtemps resté confidentiel auprès des salariés, et plus encore des moins qualifiés.

D’après le baromètre de Cegos publié en juin 2015, les salariés français se révélaient « de moins en moins confiants dans l’efficacité du Compte personnel de formation : seuls 23 % pensent que le CPF va contribuer au maintien de l’employabilité des salariés les plus fragiles, contre 37 % des DRH et responsables formation ». Le baromètre précisait : « Comme l’an dernier, ce sont les moins diplômés qui se montrent les plus pessimistes. La Réforme ne semble donc toujours pas avoir trouvé ses publics prioritaires ». L’année 2015 voyait démarrer d’importantes réformes sur la formation professionnelle (issues de la loi du 5 mars 2014) alors que 84 % des personnes sondées par le cabinet Sodie disaient ne pas connaître le CPF, ni le CEP (conseil en évolution professionnelle) qui en sont des points majeurs. Le CPF avait du mal à trouver son public.

C’est la loi de 2018 portée par Muriel Pénicaud, fort justement dénommée « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui va donner son lustre et son succès au CPF. La ministre avait compris l’importance de la simplicité d’accès, de la confiance placée dans les usagers et de l’autonomie. Deux améliorations apportées par sa réforme ont changé la donne :

  • la conversion des droits CPF en euros (alors qu’ils étaient précédemment gérés en heures… et le sont restés pour le secteur public)
  • et surtout le lancement en novembre 2019 de l’appli moncompteformation.fr, disponible sur smartphone, simple et (relativement) conviviale, utilisable facilement et 24 heures sur 24.

Le nombre d’inscriptions par le CPF pouvait alors décoller : 500.000 en 2019, 1 million en 2020, 2 millions en 2021.

 

Sur un plan plus qualitatif, en janvier 2021, la CDC (Caisse des dépôts et consignations), qui gère le dispositif, en dressait un bilan chiffré présenté comme « positif », qui montrait que la réforme du CPF a modifié le profil des actifs qui se forment. « Auparavant, les cadres étaient plus nombreux à suivre une formation professionnelle, » note-t-elle. « Depuis 1 an, on constate que 66 % des demandes de formations émanent d’employés, d’ouvriers ou de techniciens. 38 % des personnes désirant se former ont un niveau BEP/CAP ou en dessous ». Les formations sont sollicitées à parts égales par les femmes et les hommes, ajoute la CDC.

La 5ème édition annuelle de l’Observatoire des trajectoires professionnelles, publiée par la Fondation The Adecco Group en novembre 2022 relevait la notoriété très élevée du CPF, désormais connu de 95% des actifs. Ils sont cependant à peine 20% à l’avoir mobilisé pour suivre une formation… Mais la situation était en voie d’amélioration. La loi du 6 septembre 2018 s’est traduite notamment par un montant annuel d’alimentation du CPF plus important pour les personnes dont la qualification n’atteint pas le niveau 3 (CAP). Le recours au CPF un an après sa mise en œuvre semblait déjà être une réalité pour toutes les catégories de salariés, puisque 63 % des bénéficiaires étaient employés, ouvriers ou techniciens[2].

Alors que les seniors sont souvent exclus de l’accès à la formation professionnelle, ce qui pose d’autant plus de problèmes de maintien dans l’emploi que l’âge de départ en retraite est repoussé, 20% des bénéficiaires du CPF ont plus de 50 ans.

Le pacte RSE se noue également dans la co-construction des parcours professionnels, qui nécessite d’articuler l’engagement des individus à la responsabilité de l’entreprise. C’est tout l’enjeu de la possibilité offerte aux entreprises et aux branches de venir abonder le CPF de leurs salariés. On en est encore loin puisque 12% des salariés seulement seraient prêts à frapper à la porte de leur RH pour leur proposer de coconstruire un projet de formation mobilisant le CPF, selon le premier baromètre de la formation professionnelle Lefebvre Dalloz, dévoilé en janvier 2023. Le CPF reste un outil limité dès qu’il s’agit d’envisager une formation qualifiante ou de reconversion (500 euros sont crédités chaque année sur le compte des salariés à temps plein ou partiel et sur celui des travailleurs indépendants, dans la limite de 5.000 euros).

 

Le soupçon d’oisiveté et d’inutilité : une administration arrogante

Selon le magazine Capital, « le sujet [du reste à charge] est poussé par Élisabeth Borne, qui souhaite officiellement éviter les formations de ‘plaisir’ mais surtout réduire les dépenses »[3]. Le reste à charge « éliminerait un grand nombre d’achats ‘plaisir’ »[4]. Voilà revenu l’éternel soupçon d’oisiveté, qui pèse depuis toujours sur le salarié, au travail ou en formation. Le CPF serait une gabegie (« un pognon de dingue » ?) dont profiteraient les salariés pour s’offrir du bon temps ou faire leur marché parmi des offres qui ne contribuent pas réellement à leur qualification.

Le cas du permis de conduire a défrayé la chronique. Pourtant, les recherches sur ce que les économistes appellent « les freins périphériques à l’emploi » montrent l’importance de ce sésame vers l’emploi, notamment pour les jeunes en milieu rural. De fait, 13 % des formation CPF en 2021 avaient pour motif l’obtention du permis de conduire, demandé surtout par des jeunes, des personnes peu qualifiées, ayant des emplois d’ouvriers ou d’employés, dont le 1er motif est son usage dans la vie quotidienne. Le même constat peut être dressé pour les langues : on ne peut regretter à la fois le retard des salariés français en termes de pratique des langues et le fait qu’ils tentent d’y remédier. Loin d’être inutiles, ces deux exemples présentent des bonnes réponses aux besoins de formation des jeunes (voir : « Formation professionnelle des jeunes : les 7 travaux d’Hercule »). On peut aussi souligner que le CPF a permis d’accompagner bon nombre de repreneurs et des créateurs d’entreprise (environ 20% des demandes) dans leur démarche, ce qui correspond à un vrai besoin.

Il est vrai que le CPF a donné lieu à beaucoup d’offres farfelues et même malhonnêtes visant à « aspirer l’argent du CPF ». Il est vrai aussi que le gouvernement a tardé à agir pour y mettre de l’ordre. Mais cela a été fait : nettoyage des offres et certification, meilleure surveillance des prestataires, lutte contre le démarchage téléphonique et contre les offres abusives, etc. Ces abus ont été fortement médiatisés, bien au-delà de leur impact réel (par exemple, seules 6 % des inscriptions CPF provenaient du démarchage). Pourquoi alors faire peser sur le salarié les excès résiduels de l’offre ?

Contrairement au soupçon d’inutilité, la CDC insistait déjà dans son bilan chiffré publié en janvier 2021, sur la caractère professionnel des formations suivies par le DIF. « Les formations plébiscitées changent et attestent d’une convergence avec les compétences recherchées sur le marché du travail », relevait la CDC. En particulier, alors que les formations en langues figuraient en tête des formations demandées avant la réforme du CPF avec 40 % des demandes, elles ont été dépassées dans le cadre du CPF réformé par les formations dans les domaines du transport, de la manutention et du magasinage, qui représentent 30 % des demandes. « Souvent très techniques, ces formations sont particulièrement demandées sur le marché du travail, » soulignait la CDC.

Une étude de la Dares, la direction des études du ministère du Travail, réalisée avec France compétences et publiée le 17 février 2023, met à mal l’argument de l’oisiveté. Elle a passé au crible le déroulement et les résultats des formations devant se terminer en novembre 2021, en interrogeant celles ou ceux qui les ont suivies huit à neuf mois plus tard. Résultat principal : huit formations sur dix affichaient au moins un objectif professionnel, d’abord « améliorer ses perspectives de carrière » pour un tiers des titulaires ayant mobilisé leur CPF, ensuite « se reconvertir » pour un quart ou encore « créer ou reprendre une entreprise » pour un cinquième. Seules 17 % des formations commandées ne correspondent à aucun objectif ou finalité professionnels explicites. Et encore, il s’agit surtout de formations en langues ou bureautique, dont l’impact en matière d’insertion professionnelle est souvent déterminant. Il serait temps de reconnaître que le CPF n’est pas un gadget pour salariés infantilisés mais un outil de construction des compétences.

Huit mois après la fin de leur formation, beaucoup de bénéficiaires du CPF disent avoir atteint leur objectif : à 72 % pour être plus efficaces à leur travail, à 50 % pour se reconvertir, à 43 % pour ne pas perdre leur travail. De plus, 64 % disent avoir déjà mis en pratique les acquis de leur formation et 19 % pensent s’en servir plus tard. Seuls 5 % pensent ne pas les employer.

Seules 11 % des formations ont été abandonnées en cours de route, surtout par manque de temps, ou parce qu’elles se déroulaient uniquement à distance. Loin de la vision arrogante de formations inutiles ou « voies de garage », l’étude montre que 86 % des bénéficiaires du CPF recommanderaient la formation qu’ils ont suivie à un proche (voir : « Pour quels usages utilise-t-on son CPF ? », Clés du social, 29 avril 2023). Le reste à charge illustre le manque de confiance dans la capacité des travailleurs à piloter leur parcours professionnel.

 

L’obstacle budgétaire : un prétexte à l’immobilisme

Bien sûr, un outil de construction des compétences qui marche finit par coûter cher. Mais pourquoi prétendre le découvrir maintenant ? J’ai souvenir qu’il y a 10 ans, en 2013, la Cour des Comptes avait estimé à 13 milliards le coût du DIF (ancêtre du CPF) si on le déployait sérieusement et notait que ce coût n’était pas financé…

Par ailleurs, l’invocation des dérives budgétaires du CPF pour justifier un assèchement est en grande partie fallacieuse. Si le déficit de France Compétences lié au CPF s’élevait effectivement à 3,3 milliards en 2020, les coups de rabot successifs effectués en 2022 – interdiction du démarchage, éjection des certificateurs douteux des bases de données de la Caisse des dépôts, renforcement de l’identification numérique à travers FranceConnect+… – ont ramené le coût annuel du CPF à 1,5 milliard mi-2023. Pour 26 millions potentiels d’utilisateurs, c’est un ratio tout à fait convenable. L’objectif est donc d’ores et déjà atteint puisqu’en déposant subrepticement son amendement au PLF en décembre 2022, le gouvernement affichait la volonté de réduire l’enveloppe annuelle des dépenses du CPF à moins de 2 milliards d’euros par an, contre 2,75 auparavant[5].

Il faut aussi tenir compte des effets d’échelle que le CPF a générés. A l’occasion du second anniversaire du lancement de l’application Mon Compte Formation fin 2021, les données de bilan diffusées mettaient l’accent sur la réduction du prix moyen des formations obtenues grâce à la massification et à la rationalisation de l’offre, passé en moyenne de 2 100 € avant le lancement de l’appli CPF à 1 200 €, soit une réduction de quelque 43% !

 

La bureaucratie en action : acharnement numérique

Le reste à charge n’est que la seconde mesure envisagée par nos imaginatifs gouvernants pour réduire le succès du CPF. La première a consisté à ériger une complexité numérique à l’entrée, en exigeant depuis le 25 octobre 2022, l’utilisation de FranceConnect+ pour entrer sur #moncompteformation. FranceConnect était déjà un obstacle conséquent mais je peux témoigner que FranceConnect+ représente un summum de ce que la bureaucratie française fait de mieux pour écarter toute velléité de connexion, et cela même pour une personne assez au fait des usages numériques.

On sait pourtant que l’illectronisme, c’est-à-dire la difficulté à bien utiliser les outils numériques, concerne 17 % de la population française selon l’Insee, soit 13 millions de personnes. (voir : « Illectronisme : nouvelle fracture française », Entreprise & Carrières, N°1530). « Le CPF s’était démocratisé auprès du grand public en tant que service accessible par téléphone mobile. Et FranceConnect+ complexifie cet accès par mobile… » déplore Claire Khecha, déléguée générale de la fédération des Acteurs de la compétence. Conséquence : la complexité de la nouvelle démarche risque de réserver l’accès à l’achat de formations aux seuls salariés à l’aise avec le matériel informatique et disposant des outils nécessaires, c’est-à-dire les cadres. « Un gâchis, à l’heure où 82% des prestations CPF sont engagées par des personnes relevant des catégories employés/ouvriers, » relève Benjamin d’Alguerre, journaliste spécialiste de la formation.

Par ailleurs, « on ne peut qu’être pour la mise en place de dispositifs anti-fraudes, réclamés depuis deux ans. Mais tout a été mis en place brutalement, sans campagne de communication à destination des usagers. On en subit les conséquences aujourd’hui », regrette Claire Khecha (voir : « L’achat de formations avec l’appli CPF s’écroule depuis le renforcement des règles de sécurité », Work in Progress, 7 décembre 2022).

La mesure s’est révélée très efficace, se traduisant par une baisse de près de 50% des demandes de formation par le CPF. La consultation des chiffres de validation de dossier d’achats de formations au titre du CPF sur l’open data de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), montre que début octobre 2022, la CDC recensait 168.398 achats par le biais de l’application MonCompteFormation. Quelques semaines plus tard à peine, ce nombre dégringolait à… 95.891, soit un affaissement de presque moitié. Alors que les Français les plus éloignés de la formation professionnelle sont aussi ceux qui ont le plus de difficultés à utiliser le numérique, on accentue les phénomènes d’exclusion au CPF… pour ceux qui en ont le plus besoin.

L’étude Dares – France compétences mentionnée ci-dessus a pourtant bien montré l’importance de l’immédiateté et de la facilité d’accès : les démarches d’inscription par le CPF sont faites 1 fois sur 2 sans accompagnement : la personne sait ce qu’elle veut, le trouve et s’inscrit à la formation. Elle s’inscrit rapidement après sa décision : quelques jours (dans 37 % des cas) ou quelques mois (30 %), voire 1 journée (12 %).

 

Conclusion (provisoire…)

L’amendement au PLF instituant un « reste à charge » supposait la rédaction d’un décret précisant les modalités de mise en œuvre, dont la gestation a posé de nombreux problèmes juridiques. Les acteurs de la formation professionnelle discutaient depuis le mois de janvier 2023 avec le cabinet de Carole Grandjean, ministre de l’Enseignement et de la Formation professionnels, pour aboutir au meilleur compromis. Dans une interview au Journal du Dimanche du 15 janvier 2023, Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, qui gère le CPF, indiquait que les mesures prises, sans spécifier de quelles mesures il s’agit, « devraient éviter d’activer la prise en charge partielle du CPF par les bénéficiaires ». Certains annonçaient clairement la fin du « reste à charge ».

C’est à la suite de ces mouvements confus et contradictoires, que Bruno Le Maire, ministre des Finances, a annoncé le 9 mai au micro de France Culture, la mise en place prochaine d’un reste à charge de 30 % sur l’usage du CPF. Cette déclaration a ensuite été contredite et relativisée, accroissant les incertitudes et le découragement des candidats à la mobilisation de leur CPF. La dynamique qui s’enclenchait enfin est cassée par cette obstination paradoxale.

C’est justement cette simplicité et cette autonomie, qui ont fait le succès du CPF, qui sont aussi compromises par le reste à charge et les obstacles d’accès. Comme l’affirme Antoine Foucher, ex-directeur de cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, « réguler par la demande est une erreur et risque de casser une dynamique. Nous disposons de leviers pour réguler par l’offre » (« Le reste à charge est contraire à l’esprit du CPF », Centre-inffo, 15 décembre 2022).

Bien sûr, le CPF n’est pas la solution à tous les problèmes de la formation professionnelle et n’est pas sans défaut. Mais il a un mérite essentiel : le capital que nous accumulons sur notre CPF est une assurance contre le risque d’obsolescence des compétences. Ce n’est pas au moment où nous sommes confrontés à la multiplicité des transitions (numérique, écologique, démographique, territoriale…) qui chamboulent les compétences recherchées qu’il faut remettre en cause cette assurance.

Cela est d’autant plus vrai qu’Emmanuel Macron a souvent placé l’éducation et la formation au rang de priorité essentielle de l’investissement public (voir : « Réforme de la formation professionnelle : révolution de papier ? »).

Au contraire, le manque de compétences, les désajustements entre offre et demande ainsi que les difficultés de recrutement devraient conduire à une approche plus inclusive du CPF. Le reste à charge devrait être sinon enterré, du moins fortement modulé de façon à ne pas peser sur les projets de formation des moins qualifiés et des plus éloignés de l’emploi.

Une révision de la loi Avenir professionnel (2018) doit avoir lieu en 2023. C’est le moment de travailler sur un CPF plus inclusif, plus orienté vers la professionnalisation des actifs mais aussi vers les leviers de leur émancipation. Il serait temps aussi de tirer les leçons du fiasco de la réforme des retraites en mettant ce sujet sur la table des partenaires sociaux, afin que le dialogue social s’en empare.

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,
Management & RSE

Note : Le groupe Galileo Global Education, qui pratique depuis quelques années une politique de croissance en rachetant de nombreux organismes de formation en France et à l’étranger (Paris School of Business, ESG Finance, le Conservatoire libre du cinéma français, Le Cours Florent, etc.), a annoncé en novembre 2022 l’arrivée de Muriel Pénicaud au sein de son conseil d’administration.

Pour aller plus loin :

Consultez « RSE et emploi : Construire les compétences, développer l’employabilité »

Cet article est une version augmentée d’une chronique de Martin Richer publiée par l’hebdomadaire Entreprise & Carrières dans son n° 1626. Pour lire cette chronique en format PDF, cliquez ici

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[1] Work in Progress (Newsletter d’InfosocialRH), mai 2023

[2] Bilan 2020 du Compte Personnel de Formation, Centre Inffo, Inffo Formation n°1000

[3] Capital, 31 janvier 2023

[4] Les Echos, 17 février 2023

[5] Le Figaro, 7 décembre 2022

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