Sous le titre « Salariés, engagez-vous ! », le mensuel Liaisons Sociales Magazine (No 206, novembre 2019) revient sur la notion d’engagement en entreprise, dont il a fait le sujet de son dossier. Muriel Jaouen, auteur de ce dossier, aborde de façon construite et subtile les limites de ce mot d’ordre très en vogue actuellement au sein des directions RH et RSE. La lecture de cet article nous semble salutaire pour apprécier ce qui se joue derrière la notion d’engagement.
Interrogé dans le cadre de l’article d’ouverture de ce dossier, Martin Richer met l’accent sur trois facteurs :
1) La question du lien
La thématique de l’engagement connaît un grand succès parce qu’elle pose en filigrane la question essentielle du lien, celui entre les salariés et l’entreprise ou l’organisation qui les emploie. Or, un lien se doit d’être réciproque (et non inconditionnel) et l’engagement est suspendu à un lot de conditions, qui gagnent toujours à être éclaircies. De ce point de vue, les notions d’empowerment, d’implication et d’intelligence collective sont plus fertiles que celle d’engagement, qui risque de mener les entreprises à une impasse.
2) Le contrat social
L’abus d’injonctions peut finir par nuire au contrat tacite passé entre les salariés et leur employeur. L’exigence normative d’engagement traduit le déséquilibre d’un contrat social, c’est-à-dire d’attentes mutuelles – implicites autant qu’explicites – entre les deux parties. Les entreprises voudraient que les salariés soient engagés dans leur travail, alors même qu’elles ont tendance à mettre à mal la durabilité au nom d’une nécessaire hyperflexibilité à laquelle le collaborateur n’a pas d’autre choix que de se soumettre. Lorsque l’engagement n’est pas mutuel, c’est ce contrat social qui est faussé. De même, l’entreprise doit veiller à la congruence entre le ‘dire’ et le ‘faire’ : si elle appelle ses collaborateurs à s’engager pour un objectif collectif, tout en maintenant des grilles d’évaluation individuelles, elle a toutes les chances de les voir chercher à répondre aux secondes plutôt qu’à servir le premier.
3) Le malentendu de la mesure
La complainte souvent entendue plaçant les salariés Français parmi les plus désengagés du monde (et à l’avant-dernier rang du classement des travailleurs européens) repose sur du sable. Tirer les fils de ces diagnostics ramène le plus souvent sur une étude de l’institut Gallup, véritable marronnier de la littérature et de la blogosphère managériales, dont l’examen permet de constater qu’elle ne mesure pas l’engagement mais la qualité du management, ce qui est bien différent.
A la lumière de ces trois facteurs, on peut apprécier la conclusion de Muriel Jaouen : « la situation est sans doute moins préoccupante que ne voudraient l’affirmer les tenants d’un désengagement massif et définitif. Les entreprises peuvent donc peut-être lâcher un peu de lest sur le registre de l’engagement. Avant de céder à de prochaines sirènes… À quand le ‘supplément d’âme’ ? ».
Nous pensons effectivement que l’engagement est conditionné par l’existence d’un contexte pensé et animé au service d’une vision collective et avec le plein soutien du management. Un outil issu de la loi Pacte, la Raison d’être, apporte la colonne vertébrale pour construire cette vision (voir : « La raison d’être : un objet managérial disruptif »).
Pour consulter l’article de Muriel Jaouen, cliquez ici (fichier PDF)
Pour aller plus loin :
« Le grand renversement : de l’engagement à l’intelligence collective »
Sommaire de Liaisons Sociales Magazine de Novembre 2019
Crédit image : Détail des superbes fresques « Allégorie des effets du Bon et du Mauvais Gouvernement », 1337-1339, d’Ambrogio Lorenzetti (peintre de l’école siennoise, 1290-1348), qui ornent les trois murs de la Salle de la Paix (ou salle des Neuf) du Palazzo Publico de Sienne.