Ce blog repose sur une conviction forte : le management est le levier le plus solide pour construire, installer et pérenniser une politique RSE (Responsabilité sociétale d’entreprise) dans les organisations. Et pourtant, mon expérience m’a souvent montré que ce levier est sous-utilisé.
Au travers de ce blog, je souhaite tracer quelques pistes de réflexion et d’action pour aider les organisations privées et publiques à progresser dans une démarche de mise en œuvre de la RSE adossée à un management re-considéré.
Dans l’économie de la connaissance, c’est le management qui vertèbre les entreprises et c’est sa qualité qui détermine leur compétitivité. Comme Peter Drucker l’a écrit dans La Vision écologique, « Le management et les managers sont la ressource centrale, l’organe générique, distinctif et constitutif de la société (…) et la survie-même de la société dépend de la performance, de la compétence, du sérieux et des valeurs de ses managers »[1].
Pour les managers de proximité (ce terme matérialiserait-il un certain éloignement de la part des dirigeants ?) la RSE ne peut pas être seulement une contrainte de plus, qui s’ajoute à la pluie d’injonctions (parfois contradictoires) qui s’abat sur eux sans ménagement (et sans management ?). Une étude récente de la Harvard Business Review montre d’ailleurs que seules 30% des grandes entreprises mondiales estiment fournir les moyens nécessaires aux managers intermédiaires pour faire face à leurs nouvelles responsabilités[2]. Pour faire changer la donne, il faut tisser la RSE dans le projet d’entité orchestré par le manager avec son équipe. La RSE n’est pas une obligation supplémentaire : elle soutient la posture managériale et donne son âme à ce que l’on appelait « le mode de management » (en version chic d’aujourd’hui : le style de leadership).
« LE » manager, dit-on… Mais c’est une approximation. Je crois qu’il faut cesser de considérer le management « en bloc » et envisager les managers dans leur diversité. Sous prétexte que les managers intermédiaires se situent tous, par définition, entre la sphère stratégique de l’organisation et sa base opérationnelle, on considère le management comme homogène. Il a fallu attendre les travaux de Christopher A. Bartlett et Sumantra Ghoshal pour faire enfin vaciller le mythe du ‘Generic manager’ que ces deux auteurs assimilent au paradigme de la poupée russe : à chaque niveau de la hiérarchie, le manager serait le même mais en plus ou moins gros ![3] Ils distinguent trois niveaux de management (operating level, senior level et top level), qui assument des rôles bien différents.
Il faut donc reconnaître que le management n’est pas homogène dans son comportement face au changement. Ainsi par exemple, David Autissier et Isabelle Verdangeon-Derumez[4] ont identifié 4 comportements dominants : les légitimistes (qui obéissent), les négociateurs (qui appliquent mais veulent voir leurs spécificités prises en compte), les indifférents (qui refusent de s’engager dans le changement) et les contestataires (qui s’opposent). Cette classification est sans doute un peu schématique mais elle a le grand mérite de mettre en évidence cette diversité, au-delà de la distinction usuelle : les cadres dirigeants d’un côté, qui resteraient en bloc fidèles au rôle de « passeur de la stratégie » ; les autres de l’autre côté, que l’on a tendance à assimiler aux « salariés ordinaires »…
L’intérêt majeur de cette tentative de classification est d’attirer l’attention sur le fait que la RSE peut être appropriée et mise en œuvre de façon très différente selon ces familles, qui reflètent l’attitude face aux changements mais aussi les trois grandes options proposées par l’économiste américain Albert-Otto Hirschmann : « Exit, Voice, Loyalty »[5].
Je souhaite également, à travers ce blog, promouvoir une vision positive de la RSE, qui nous incite à nous arracher à la gangue de la contrainte, du normatif, de l’obligation de reporting. Au contraire, la RSE de demain devient un moteur de la différentiation compétitive et d’innovation (vis-à-vis de l’extérieur) et un facteur de cohésion interne, pour l’organisation et son écosystème. Cette « RSE version 2 » donne une nouvelle énergie au changement. C’est ce que j’appelle la
RSE tRanSformativE.
Celle-ci présente sept caractéristiques :
- Elle s’intègre à l’ossature du modèle d’affaires,
- Elle est conçue comme un levier stratégique et un facteur de différenciation compétitive,
- Elle est un vecteur de la conduite du changement,
- Elle s’incarne dans la culture, dans les comportements et replace le travail humain au cœur de l’organisation,
- Elle est diffusée par l’ensemble des directions fonctionnelles et opérationnelles, qui l’intègrent dans leurs métiers et leurs pratiques,
- Elle mobilise les ressources du dialogue social,
- Elle est portée par la ligne managériale, assimilée et appropriée par les salariés.
Peut-on qualifier cette démarche de « management responsable »? N’est-ce pas un comble alors que le manager est responsable par définition (et par traduction) ?
Pas si vite !
Ethymologiquement, un responsable (du latin respondere) est celui qui apporte des réponses.
Si les managers avaient toujours les réponses, ce blog n’aurait pas lieu d’être !
Martin Richer,
Management & RSE
[1] Peter Drucker, « The Ecological Vision: Reflections on the American Condition », Transaction Publishers, 1993
[2] HBR, « Danger in the middle », mars 2013
[3] Christopher A. Bartlett et Sumantra Ghoshal, « The myth of the generic manager : new personal competencies for new management roles », California Management Review, Vol 40, No 1, Autumn 1977)
[4] David Autissier et Isabelle Verdangeon-Derumez, « Les managers de première ligne et le changement », Revue française de gestion, No 174, mai 2007)
[5] Défection, protestation, loyauté. Face aux défaillances des organisations, entreprises ou gouvernements, les individus peuvent réagir par la défection ou la réaction silencieuse, par exemple en cessant d’acheter un produit. Mais ils peuvent aussi réagir par la prise de parole et la protestation, en contestant de l’intérieur, de diverses manières, les institutions qui les déçoivent. Il faut aussi tenir compte de la loyauté qu’on décide de maintenir, parfois en dépit de des déceptions. Voir Albert-Otto Hirschmann, “Exit, Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States”, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1970 ; traductions et adaptations en français : « Face au déclin des entreprises et des institutions », Editions ouvrières, 1972; « Défection et prise de parole ; théorie et applications », Fayard, 1995.