Manager, non merci !

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La pêche semble bonne… mais pas pour le personnage le plus près de la proue du bateau,
le manager, en proie à un profond mal de mer.

Mon ami Philippe Détrie, qui a longtemps tenu tribune ici-même, m’a interpellé avec un chiffre issu de l’enquête « état de l’art du management », qui ouvrait le dernier salon du management : 62% des salariés non-managers ne souhaiteraient pas le devenir s’ils en avaient la possibilité. Cernons ce désamour du management en mobilisant les baromètres et les études les plus robustes, qui convergent vers 11 causes.

L’augmentation salariale est le seul avantage majoritairement identifié par les non-managers pour le devenir mais elle est peu consistante. A l’inverse, la pression accrue est très concrètement perçue comme un inconvénient majeur, qui se traduit par davantage de stress, une mauvaise allocation du temps (trop de réunions et de reporting inutiles) et la difficulté à composer avec des directives contradictoires[1]. Par ailleurs, du fait de la courte expérience moyenne des managers (4 ans) et de l’insuffisance des dispositifs de formation au management, le manque de compétences managériales est vu comme un obstacle. Ces préventions sont accentuées par le plafond de verre qui pèse sur les femmes car le management à la française se caractérise par… une véritable misogynie[2].

77% des non-managers estiment que le manager défend les intérêts de l’entreprise avant celui des salariés.

En France, pays marqué par l’antagonisme des rapports sociaux, devenir manager, c’est un peu changer de camp, « passer du côté obscur », voire trahir ses anciens collègues, car 77% des non-managers estiment que le manager défend les intérêts de l’entreprise avant celui des salariés[3]. La difficulté d’assumer la politique et les décisions de l’entreprise – auxquelles ils ne sont pas toujours suffisamment associés – constitue un frein. Alors à quoi bon s’exposer puisqu’à l’inverse, le management souffre d’un considérable déficit de reconnaissance ? Les deux tiers des non-managers pensent que le management n’est pas reconnu à sa juste valeur mais trop d’entreprises conservent leur système d’évaluation centré sur la performance individuelle et ne pratiquent guère l’exemplarité : 19% des managers ne bénéficient pas d’un entretien annuel avec leur supérieur hiérarchique !

L’expérience des non-managers vis-à-vis du management est globalement mauvaise, ce qui n’encourage pas les vocations. Interrogés sur la qualité de leurs managers, seuls 19% des non-managers les qualifient de « bons ». Ce dont souffrent les salariés en France, ce n’est pas de l’excès de management mais de son absence. Les modes de management auxquels sont confrontés les salariés se dégradent de leur point de vue : davantage de rigidité, de verticalité, d’opacité, de contrôles et un manque de vision qui s’aggrave[4]. Les managers se décrivent comme des leaders alors qu’ils sont majoritairement perçus par les membres de leur équipe comme des (petits) chefs.

Seuls 24% des salariés se déclarent mis à contribution dans l’action RSE de leur entreprise alors que 63% souhaiteraient y être davantage impliqués.

Les apprentis managers constatent l’étroitesse des marges de manœuvre car la France se caractérise par une préférence au management de conformité plutôt qu’au management de responsabilité. La fameuse « résistance au changement » n’est pas toujours où on l’attend et le conservatisme semble plus marqué dans le haut de nos pyramides organisationnelles que dans le bas. Alors que les salariés se disent motivés par la prise en compte des enjeux sociétaux et environnementaux, la ligne managériale ne contribue guère à l’avènement du management responsable : seuls 24% des salariés se déclarent mis à contribution dans l’action RSE de leur entreprise (proportion qui tombe à 15% chez les non managers) alors que 63% souhaiteraient être davantage impliqués. Enfin, les éventuels candidats au management redoutent d’être entraînés vers une bureaucratisation numérique, lié à la digitalisation jugée déshumanisante des processus managériaux[5].

Désespérant ? Non ; ces infortunes du management montrent simplement l’urgence de refonder le contrat managérial.

Pour aller plus loin :

« Etre manager aujourd’hui : de l’indi-gestion à l’indigence »

Cet article est une chronique de Martin Richer publiée par l’hebdomadaire Entreprise & Carrières dans son n° 1440. Lisez cette chronique en format PDF

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Consultez le site de Entreprise & Carrières

Lisez un article de Brigitte Nivet, qui apporte un point de vue complémentaire : « Malaise dans le management »  

 

Crédit image : « Fishing in a Catboat in Great South Bay », 1871, par Junius Brutus Stearns, peintre américain (1810-1885), huile sur toile, New-York Historical Museum, USA

[1] Voir : « Démarches QVT : la nécessaire refondation du rôle du manager de proximité » 

[2] Voir : « Management responsable ? » 

[3] Voir : « Autonomie et autorité: les enfants terribles du management » 

[4] Voir : « Management par les valeurs : 4 points d’attention pour les managers » 

[5] Voir : « Le management 2.0 sera-t-il socialement responsable ? » 

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