Les enjeux du retour au travail : 4 points d’attention

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Le retour progressif au travail, après l’épisode sans précédent du confinement, place les entreprises devant des menaces et des opportunités inédites. Leur comportement face à cette situation déterminera durablement les échecs et les succès pour les années qui viennent. Les dirigeants, les professionnels des ressources humaines (RH), de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et les partenaires sociaux ont la responsabilité de faire pencher la balance vers la réussite. Voici les 4 enjeux majeurs des mois à venir… et un dispositif permettant de les observer.

L’initiative #Monretourautravail, Jenparle ! a pour ambition d’observer, au fur et à mesure qu’il se déroule, le retour sur leur lieu de travail habituel de tous les travailleurs qui ont été éloignés de celui-ci au cours des dernières semaines, quelle qu’en soit la raison : travail à distance / télétravail, activité partielle, maladie, garde d’enfants, fermeture de l’entreprise, etc. Les combinaisons entre plusieurs modalités de travail (par ex. télétravail et jours de présence) sont intéressantes aussi à décrire. Elle prend appui sur la plateforme collaborative Jenparle, développée par Res publica et s’inscrit dans la suite de l’enquête #Montravailàdistance, Jenparle ! , que nous avons co-initiée et commentée sur ce blog (voir : « Enquête sur le travail par temps de confinement »). Cette première phase a notamment donné lieu à un rapport de Terra Nova rédigé par Thierry Pech et Martin Richer, qui en tirait les premiers enseignements (voir : « La révolution du travail à distance »).

Management & RSE est partenaire de ce nouveau projet porté par Res publica avec le soutien des mêmes partenaires, la CFDT, Terra Nova, Metis, le mensuel ‘Liaisons sociales magazine’, l’hebdomadaire ‘Entreprise et carrières’ et souhaite le partager avec vous, l’enrichir puis l’analyser.

Accédez au site #Monretourautravail, Jenparle !
pour vous informer, contribuer, témoigner et proposer

>>> Les contributions sur le site sont désormais fermées. Merci à ceux qui y ont participé !

>>> Vous pouvez lire ici une synthèse des résultats par ma complice Danielle Kaisergruber, rédactrice en chef de Metis : « Retour et changement au travail : espoirs et regrets »

Le déconfinement n’est pas un retour à la normale ou à l’état précédent du travail

Après l’expérience unique de 55 jours ou 8 semaines de travail confiné (du mardi 17 mars au dimanche 10 mai 2020 inclus) liée à la pandémie de la COVID-19, suivie de plusieurs séquences de déconfinement et reconfinement, le retour au travail, expression ambiguë, qui suggère que celui-ci s’était arrêté pour tout le monde, pose de nouveaux enjeux :

  • S’adapter aux contraintes sanitaires et faire appliquer les mesures barrières de manière partagée.
  • (Re)construire les collectifs de travail en tenant compte des différentes situations de retour au travail et de vécu ; travailler sur la cohésion du corps social.
  • (Ré)activer la relation client en sécurité et travailler à distance avec ses parties prenantes pour relancer l’activité.
  • Tirer les enseignements du travail à distance pour renforcer le management, développer le télétravail de façon raisonnée et améliorer la qualité de vie au travail.

La sortie du confinement, même très progressive, permet à de nombreux travailleurs, ceux qui ont été confinés, qu’ils aient travaillé à distance ou non, de retrouver leur lieu de travail habituel. Le télétravail va parfois se combiner avec quelques jours de présentiel, ou des déplacements professionnels. Ainsi par exemple, sur les 30% de salariés actifs qui ont télétravaillé lors de la première période de confinement, 10% déclaraient à mi-mai 2020 reprendre leur travail sur leur lieu habituel mais 17% déclaraient poursuivre le travail à distance[1].

Ce retour progressif au travail se traduit par 4 enjeux majeurs que les dirigeants, les managers et les salariés vont devoir affronter dans les mois à venir.

1 – Reconstruire la cohésion du corps social

A fin avril 2020, la pandémie de coronavirus a fait plus de 210.000 morts dans le monde, et forcé 3 milliards et demi de personnes, soit 55% de l’humanité au confinement. Cette crise sanitaire n’a laissé personne indemne ou tout au moins indifférent dans le mode du travail : en France, 68 % des salariés ont vu leur situation professionnelle affectée par le confinement lié à la crise de la COVID-19[2]. Près des trois quarts (74%) des salariés estiment qu’il y aura un avant et un après COVID-19 dans l’organisation de leur entreprise[3].

Mais surtout, cette crise a clivé les corps sociaux en plusieurs segments plongés dans des contextes de travail très différents. Les expressions « première ligne » (les soignants, applaudis tous les soirs pour leur courage et leur dévouement), « seconde ligne » (les caissiers, chauffeurs routiers, manutentionnaires, livreurs, qui ont continué à venir sur leur lieu de travail pour assurer la continuité, que l’on a aussi qualifiés de « premiers de corvée », de « héros du quotidien » ou d’ « invisibles ») et « troisième ligne » (les télétravailleurs, mais aussi les pratiquants du travail à distance sous toutes ses formes : télé-enseignement, télé-médecine, télé-maintenance,.. ) illustrent bien ces lignes de fractures (voir : « Le travail à l’épreuve du coronavirus : 4 lignes de front »).

Pendant la période de confinement, un peu plus de la moitié des salariés (53 %) ont continué à travailler à temps plein et 14 % en activité partielle. Un peu plus de la moitié des salariés qui ont travaillé (51 %) l’ont fait sur leur lieu de travail habituel. Les autres ont travaillé en télétravail complet (36 %), en télétravail partiellement (9 %) et le reste dans un autre lieu de travail (4 %). Pour les autres salariés, 17 % se sont retrouvés en chômage partiel total, 14 % en chômage partiel avec de l’activité, 11 % ont été en arrêt de travail pour le confinement et 4 % en arrêt de travail sans lien avec le confinement. Parmi les salariés qui étaient en chômage partiel total pendant la période de confinement, ceux qui déclaraient à mi-mai reprendre leur activité sur leur lieu de travail représentent 16% des actifs et ceux qui la reprennent en télétravail 5%[4].

D’après la DARES (ministère du Travail) le dispositif de chômage partiel (officiellement dénommé « activité partielle » !) a concerné jusqu’à 14 millions de travailleurs. Dans une note de mai 2020, elle remarque : « Si la part des salariés au chômage partiel complet diminue, le nombre d’entreprises ayant eu recours au chômage partiel au cours du mois augmente entre mars et avril, et les raisons du recours au chômage partiel se sont modifiées. L’impossibilité de maintenir l’activité en assurant la sécurité des salariés est moins fréquemment évoquée qu’il y a un mois, au profit de la réduction des débouchés ou des commandes et de la fermeture obligatoire dans le cadre des restrictions de certaines activités ».

Ces différentes populations au travail ont connu des expériences elles aussi très différentes. Par exemple, ceux de la « seconde ligne », les métiers de « première nécessité » qui ont été placés sur le devant de la scène du travail, ont estimé à 87 % être exposés à des risques de contamination. C’est particulièrement le cas dans le commerce (100 %) ou encore dans les établissements recevant du public (98 %)[5]. De ce point de vue, la crise sanitaire a accentué les inégalités sociales : pendant le confinement, seuls 15% des cadres se rendaient sur leur lieu de travail là où 90% des ouvriers y étaient contraints. La caractéristique essentielle du contexte de travail de ces salariés : la peur du virus ; peur de le contracter et peur de le transmettre à ses proches.

« La machine à travailler se remet à fonctionner, avec beaucoup de précautions, de discussions, de protocoles et de lourdeurs dont on ne mesure peut-être pas encore tout le poids. »  – Danielle Kaisergruber dans Metis

Ces travailleurs de la seconde ligne, souvent les plus précaires, ont aussi dû profondément modifier leurs conditions de travail pour appliquer les gestes barrières. Comme le souligne Danielle Kaisergruber dans l’un de ses éditoriaux de Metis : « merci à Edouard Philippe d’avoir adopté les mots ‘distanciation physique’ en lieu et place de cet épouvantable ‘distanciation sociale’ ! Les corps et les respirations qui ne doivent pas transmettre : de là d’énormes restrictions de déplacement, de travail côte à côte, d’échanges. L’enjeu est énorme pour les situations de travail, les conditions dans lesquelles on fait son métier pour tout ce qui ne peut pas être à distance. La machine à travailler se remet à fonctionner, avec beaucoup de précautions, de discussions, de protocoles et de lourdeurs dont on ne mesure peut-être pas encore tout le poids »[6].

Ceux de la troisième ligne ont vécu l’expérience du télétravail de façon positive en général, mais difficile pour ceux (et surtout celles) qui ne bénéficiaient pas de conditions matérielles (équipement informatique et espace dédié) et familiales (présence des enfants) convenables[7].

Ceux qui n’ont pas travaillé durant le confinement, pour les différentes causes mentionnées ci-dessus, ont vécu des expériences elles aussi diverses. Un point me semble saillant : alors que le ministère du travail s’est félicité d’avoir repris les bons aspects du chômage partiel à l’allemande (lors de la précédente crise, celle de 2009, le chômage partiel n’avait bénéficié en France qu’à 300.000 salariés, contre 14 millions de travailleurs en 2020, soit la moitié des salariés[8]), il a laissé le principal de côté : la capacité à profiter des phases d’inactivité forcée pour former les salariés qui en ont le plus besoin. Les mesures FNE (Fonds national de l’emploi) destinées à former massivement ont un impact modeste : « pour l’instant, environ 4.000 entreprises forment 50.000 salariés en activité partielle, » selon la ministre du Travail, ce qui apparaît comme une goutte d’eau face au nombre de salariés en activité réduite[9]. Par ailleurs, le nombre de demandeurs d’emplois entrés en formation est resté en retrait des années précédentes pendant toute la durée du confinement…

Au fur et à mesure du déconfinement, l’anxiété économique remplace la peur de la contamination. A fin avril, 56 % des salariés se déclaraient inquiets pour leur situation professionnelle, inquiétude qui n’épargnait que les salariés des très grandes entreprises. A l’inverse, ce sont les ouvriers qui sont aussi les plus inquiets (64 %), presque 10 points de plus que les autres catégories. Par ailleurs, 79 % des salariés (85 % dans le privé et 68 % dans le public) pensent que la crise aura un impact sur leur entreprise ou leur administration. Ce sont les cadres (88 %) et les ouvriers (82 %) qui sont les plus inquiets. Des craintes s’expriment aussi sur les conditions du travail futures : 53 % redoutent une augmentation du temps de travail, 49 % une dégradation des conditions de travail, 45 % des suppressions d’emploi[10].

Mais tout n’est pas noir : les salariés sont aussi heureux de « se retrouver », de renouer avec un travail plus collectif, de contribuer aux impératifs de la reprise. Une étude de Harris Interactive réalisée fin avril montre que près des deux tiers des salariés (64 %) disent avoir confiance en leur employeur pour organiser au mieux la reprise de l’activité sur le lieu de travail. Certes, ce niveau de confiance est inférieur à celui que l’on observe parmi les salariés américains (83 %), australiens (80 %), britanniques (74 %) et allemands (73 %), mais il est supérieur à celui des Espagnols (58 %) et des Italiens (53%), autres pays d’Europe du Sud fortement touchés par la crise sanitaire[11].

Ce sera le défi majeur pour les DRH, mais aussi pour les IRP et les organisations syndicales, de re-tisser les liens entre ces populations qui se sont trouvées écartées pendant la phase de confinement.

Au même titre que l’enquête #Montravailàdistance, Jenparle ! a montré que l’enjeu majeur du travail à distance pour les managers était la préservation du lien avec leurs collaborateurs, le besoin de ressourcer la relation de travail se fait sentir de façon cruciale dans cette nouvelle étape. On ne développe ni n’entretient une culture d’entreprise à distance ; on ne façonne pas les codes du travail collectif à distance.

2 – Prendre en compte les nouvelles aspirations des salariés

Toutes les observations qui ont été faites au cours du confinement, tous les commentaires et les analyses ont mis en avant les changements qui pourraient se produire à l’issue de la période exceptionnelle de confinement. Ils concernent de nombreux aspects de la vie au travail et le travail lui-même : 75 % des personnes qui ont répondu à #Montravailàdistance, Jenparle ! pensent que l’expérience de travail à distance va modifier un peu, assez ou beaucoup la manière de considérer le travail dans leur vie ; 65 % pensent que cela va changer l’équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle. Ces changements concernent aussi le regard porté sur les déplacements domicile-travail, sur le management, sur l’organisation du travail, sur l’autonomie dans le travail, etc.

Début 2020, en à peine trois mois, le virus a totalement bouleversé le quotidien de millions de salariés en révolutionnant parfois certaines valeurs fondant notre organisation collective. La crise sanitaire a aussi fait naître des attentes très fortes qui constituent dès à présent des enjeux stratégiques pour les entreprises. A titre d’illustration, voici quelques résultats issus d’une étude de l’IFOP publiée début juin 2020 sur les « Perceptions et attentes des salariés pour l’après confinement » :

  • Evolution du rapport au travail puisque plus d’un salarié sur deux (58%) ne voit plus son travail de la même manière ;
  • Forte accélération de la nécessité de prendre en compte le bien-être au travail : 81% des salariés considèrent qu’il s’agit là d’un enjeu prioritaire au sein de leur entreprise, un chiffre qui a bondi de 25 points en seulement deux ans ;
  • Fortes attentes exprimées par les salariés vis-à-vis de l’organisation du travail, qui reflètent une nouvelle façon d’appréhender le travail et sa finalité : « mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle » (50%), « changer de rythme de travail » (41%) ou encore « davantage faire de télétravail » (30%)[12].

Si les Français jugent que les entreprises doivent s’occuper de leur performance, 78% considèrent qu’elles doivent également contribuer au bien-être collectif.

Comme on l’a vu, la crise a donné à chacun l’opportunité de faire un point sur soi-même, son rapport à sa famille, son projet de vie, avec un besoin accru de réalisation de soi. A ce titre, les consommateurs sont en attente de marques plus porteuses de sens, contribuant à faire évoluer la société. Ainsi, 23% des Français désirent que les marques servent d’exemples et guident le changement[13]. L’étude sur la raison d’être des entreprises, réalisée en mai 2020 par l’institut Opinionway montre que si les Français jugent que les entreprises doivent s’occuper de leur performance, 78% considèrent qu’elles doivent également contribuer au bien-être collectif (en matière sociale, environnementale…) et donc dans une proportion bien supérieure à celle qui dominait pendant le débat sur la raison d’être et la loi Pacte, après la publication en mars 2018 du rapport Notat-Senard sur le sujet[14].

Dans le détail, les Français souhaitent notamment que les entreprises qui reçoivent des aides publiques contribuent davantage au bien-être collectif (à 91%), qu’elles prennent davantage en compte le bien-être de leurs salariés (à 91% également, et encore plus pour les CSP-) ou qu’elles aient une responsabilité vis-à-vis des territoires dans lesquels ils sont implantés (à 90%). Les Français espèrent aussi que les entreprises qui le peuvent relocaliseront leurs activités internationales dans l’Hexagone (à 89%), développeront une vision de long terme (à 89% aussi), s’impliqueront davantage dans l’amélioration de la société et repenseront leur rôle (à 88% à chaque fois), qu’elles donneront plus de sens à leur activités (à 88% toujours) ou qu’elles fassent davantage pour l’environnement (à 86%).

Pour les Français, il est important et non secondaire que les entreprises renforcent leurs actions dans l’emploi, les salaires et la sécurité sanitaire sur le lieu de travail (à 94%); l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, le fait de privilégier des fournisseurs locaux et la limitation des déplacements professionnels non indispensables (à 91%); l’égalité salariale femmes/hommes et la réduction de l’impact environnemental de leurs activités (à 89%); le recours à des modes de transports plus écologiques (à 87%); le développement du télétravail (à 86%) loin devant le soutien aux associations, à vocation sociale (à 72%) et culturelle (à 64%).

Cette meilleure contribution au bien-être collectif serait source de motivation, de fidélisation et de cohésion pour les salariés (à 88% chacun), une source de recrutement de collaborateurs et de clients (à 85% chacun), un moyen de fidéliser ses clients (à 83%) et d’augmenter ses performances économiques (à 82%)[15].

Ceci met en évidence la nécessité d’une coopération forte entre DRH et RSE, mais aussi la montée en puissance des directions RSE et développement durable, en charge de l’intégration de ces attentes dans la stratégie et le modèle d’affaires de l’entreprise (voir : « La crise sanitaire réhausse le rôle des directeurs RSE » ).

3 – Renouer un vrai dialogue social

« Le problème français est encore et toujours l’absence de dialogue social », remarque Pierre Cahuc dans « Challenges » (10 avril 2020). D’autres économistes comme Daniel Cohen ou Philippe Aghion ont relevé que le dialogue social est un atout crucial pour la reprise du travail dans de bonnes conditions sanitaires dans cette période si particulière. Ils ont raison.

Plus que jamais, la qualité du dialogue social est un atout majeur, qui permet d’assurer au plus près de terrain, la conciliation des impératifs sanitaires avec ceux de l’efficacité du travail. Ainsi que le note la déclaration commune du 30 avril 2020 du MEDEF, de la CFDT et de la CFTC, « en période de crise plus que jamais, le dialogue social est un levier essentiel pour traiter les sujets au plus près des besoins et trouver les bonnes solutions pour tous. Il joue un rôle prépondérant dans la mise au point des décisions prises par les entreprises pour maintenir ou reprendre leurs activités ».

Le dialogue social d’entreprise permet de générer des prescriptions de travail plus pertinentes, mieux ajustées que ne le peut l’arsenal du ministère du travail, lesté de son protocole national de déconfinement publié le 3 mai et de ses innombrables « fiches conseils métiers », « guides pour les salariés et les employeurs » et « kit de lutte contre le COVID 19 »[16]. Là où le dialogue social était actif, il s’est renforcé. A mi-mai 2020, 3.000 accords d’entreprises et 11 accords de branches liés à la Covid-19 avaient été signés (sur les primes, la prise des congés payés, l’organisation du travail…), ce qui traduit une certaine dynamique. Ailleurs, des méthodes plus tranchées sont venues combler le vide du dialogue social. Selon l’enquête Technologia-Challenges (mai 2020), près de 20 % des entreprises ont été confrontées depuis le début de la crise sanitaire à l’exercice par leurs salariés d’un « droit de retrait », qui dans la majorité des cas s’est réglé par une modification de l’organisation du travail. « En s’appuyant sur les syndicats et les élus pour adapter l’organisation du travail en temps de crise sanitaire, les employeurs mettent toutes les chances de leur côté pour éviter des contentieux », explique Vincent Roulet, avocat spécialisé en droit social chez Eversheds Sutherland.

« Il est impensable qu’un chef d’entreprise décide tout seul en cette période troublée. » – François Asselin, président de la CPME

Le dialogue interprofessionnel s’est aussi activé. François Asselin, président de la CPME, a ainsi déclaré, de façon plutôt inédite : « La crise sanitaire pousse tous les acteurs sociaux à se mettre autour de la table pour trouver des solutions acceptées par les salariés. Il est impensable qu’un chef d’entreprise décide tout seul en cette période troublée. Il se retrouverait isolé pour redémarrer son activité ». Le dialogue social entre syndicats, patronat et gouvernement, jadis perçu comme un frein pour réformer le pays, fait un retour en force : « Nous ne nous sommes jamais autant parlé », avance François Hommeril, secrétaire général de la CFE-CGC[17].

Alors que le président de la République avait montré une certaine propension à ignorer les partenaires sociaux dans la première moitié de son mandat, Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont reçu les organisations patronales et syndicales le 4 juin 2020 pour une réunion consacrée au sauvetage de l’apprentissage. Emmanuel Macron a annoncé aux partenaires sociaux que pas moins de quatre concertations vont se dérouler entre mi-juin et début juillet sur des dossiers majeurs : suite du dispositif d’activité partielle, emploi des jeunes, adaptation des compétences, assurance chômage. Le lendemain, 5 juin, s’est ouverte en visioconférence la concertation sur le télétravail. Certes, on se garde bien de parler de « négociation » mais seulement de concertation et de dialogue ; certes la France n’est pas l’Europe du Nord (au Danemark, durant la période de confinement en 2020, syndicats et patronat se sont accordés pour réduire les congés payés, une option qui était rejetée au même moment par 72 % des Français, selon un sondage Odoxa publié le 2 avril par « Challenges »). Mais c’est une avancée.

4 – Construire et déployer un projet partagé volontariste

Cet enjeu est le plus important puisqu’il conditionne la pérennité des entreprises et des organisations. Je le mentionne en dernière position parce qu’il est dépendant des trois premiers enjeux, qui créent les conditions de sa réalisation.

Dans la mesure où les tensions sur l’emploi vont augmenter, et au vu de la longue phase contestataire qui a affecté l’économie nationale avant la crise sanitaire (manifestations contre la loi Travail, Gilets Jaunes, contestation contre la réforme des retraites), on peut s’attendre à ce que la crise sanitaire et maintenant économique se prolonge par un contexte politique et social troublé et conflictuel. Il est d’autant plus nécessaire de fédérer les énergies autour d’un projet commun.

La perspective du retour est attendue par beaucoup : 22 % des personnes ayant répondu à l’enquête #Montravailàdistance, Jenparle ! retrouveront leur lieu de travail habituel avec plus de satisfaction qu’avant, 46 % avec autant de satisfaction. Mais elle n’empêche pas nombre de salariés de s’inquiéter : fin avril, 29 % des salariés ressentaient de la nervosité ou de la peur à l’idée de retrouver leur lieu de travail, 30 % s’attendaient à subir plus de pression, 37 % étaient préoccupés par la survie de leur entreprise[18].

La réussite des entreprises dépendra de leur capacité à embarquer ces aspirations, qui ne sont pas toutes nouvelles, dans un projet concerté.

« Si près d’un salarié sur deux se dit stressé à l’idée de revenir sur son site de travail, c’est bien paradoxalement l’optimisme qui domine, tant pour son entreprise que pour sa propre situation professionnelle. Le fait d’avoir côtoyé le pire pendant la crise tant en termes de santé que de crainte sur sa situation peut en effet engendrer en contrepartie un regain d’optimisme au moment de reprendre le travail »[19]. Nous avons souligné notamment l’atout essentiel que constitue le regain de confiance envers l’entreprise, envers le management et les collègues (voir : « Déconfinés mais pas désimpliqués : 3 atouts pour le monde d’après »).

Les entreprises et leurs dirigeants ont l’opportunité de s’appuyer sur cette confiance et cet optimisme pour créer un projet de développement partagé avec leurs salariés, en les associant au diagnostic de la position de leur entreprise, à l’élaboration des conditions à réunir pour surmonter la crise économique et aux plans d’action pour l’avenir. La réussite des entreprises dépendra de leur capacité à embarquer ces aspirations, qui ne sont pas toutes nouvelles, dans un projet concerté et volontariste, avec l’objectif de préserver voire développer les activités et l’emploi. Pour certaines, la démarche commence par la formulation de leur raison d’être (voir : « Raison d’être : il est temps de tirer les leçons de l’expérience »).

Les suites d’une enquête au long cours…

Chaque nouvelle phase de la crise sanitaire que nous traversons constitue une nouvelle expérience inédite de la vie au travail. Quels changements apportera-t-elle ? Les aspirations de transformation qui se sont exprimées seront-elles tenues ou la “vie d’avant” reprendra-t-elle ses droits et imposera-t-elle à nouveau son rythme et ses excès ? Les changements apporteront-ils une vie meilleure ou, au contraire, seront-ils porteurs de contraintes nouvelles et d’exclusions ? Les espoirs de démultiplication du dialogue, de mobilisation de l’intelligence collective qui a permis de tenir autant qu’il a été possible pendant la phase aigüe de la crise seront-ils déçus ou, au contraire, seront-ils les ferments d’un renouvellement du travail ? A suivre…

 

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,

Management & RSE

 

Pour aller plus loin :

Accédez au site #Monretourautravail, Jenparle ! pour vous informer, contribuer, témoigner et proposer. En répondant au questionnaire, en formalisant vos souhaits et en apportant votre témoignage, vous contribuez à constituer une information qui sera utile à tous.

Consultez la vidéo de l’amphi-débat de l’UODC du 23 juin 2020 (webinar) sur les conséquences de la crise sanitaire sur le travail et le management : « Confiance, autonomie, engagement au travail : comment la Covid change la donne ? »

Lisez l’article de Gilmar Sequeira Martins, « Le futur du travail en suspens », Liaisons Sociales Magazine, No 212, mai 2020 (fichier PDF) sur l’évolution accélérée des pratiques de travail durant la crise sanitaire.

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[1] Enquête Opinionway pour « Les Echos » auprès de 1015 personnes menée entre le 13 et 14 mai 2020

[2] Enquête CFDT – Kantar effectué en ligne du 16 au 22 avril 2020 sur un échantillon de 1 005 personnes, représentatif des salariés français selon la méthode des quotas

[3] « Perceptions et attentes des salariés pour l’après confinement ; Bien-être et organisation du travail : un avant et un après COVID-19 », IFOP, 4 juin 2020 (échantillon de 1003 personnes représentatif de la population  française salariée)

[4] Données issues de « L’état d’esprit des salariés pendant le confinement », Clés du social, 20 mai 2020 et Enquête Opinionway pour « Les Echos » auprès de 1015 personnes menée entre le 13 et 14 mai 2020 (question posée uniquement aux actifs en poste, soit 54% de l’échantillon)

[5] Enquête Kantar citée ci-dessus

[6] « Le travail entre le temps et l’espace », par Danielle Kaisergruber, Metis, 25 mai 2020

[7] Voir l’étude Terra Nova citée ci-dessus

[8] Le dispositif d’activité partielle a été étendu à toutes les catégories de salariés, employés à domicile, assistantes maternelles, personnels navigants ou marins pêcheurs, salariés au forfait jour…

[9] Interview de Muriel Pénicaud dans « Entreprise & Carrières » n°1480 du 11 au 17 mai 2020

[10] Ce paragraphe est fondé sur les résultats de l’enquête Kantar citée ci-dessus

[11] Deuxième vague de l’étude Harris Interactive-Worklife auprès de 3 343 salariés interrogés, dont 859 Français, les 21 et 22 avril 2020

[12] Voir : « On ne pourra pas dire aux télétravailleurs que tout reprend comme avant »

[13] Source : vague 2 de l’étude Kantar France COVID19, 15 avril 2020

[14] Etude sur la raison d’être des entreprises, réalisée les 19 et 20 mai par l’institut Opinionway auprès d’un échantillon représentatif de 1018 personnes

[15] Marc Landré, « Les entreprises devront contribuer plus au bien-être collectif dans le monde d’après », Le Figaro, 27 mai 2020

[16] Un aperçu figure ici

[17] « Challenges » du 23 avril 2020

[18] Enquête Harris Interactive – Toluna, « Travailler à l’heure de la pandémie, vague 2 », 30 avril 2020

[19] Enquête IFOP du 4 juin 2020 citée ci-dessus

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