Hubert Landier : « Réinventer le travail, réinventer l’entreprise »

La société doit prendre soin de l’entreprise qui elle-même,
doit prendre soin du travail.

Derrière ce titre de « Renaissance », l’ambition du livre d’Hubert Landier n’est pas mince puisqu’il s’agit, comme le précise le sous-titre de son livre, de « réinventer le travail » et de « réinventer l’entreprise ». Or, nous avons besoin d’ambition. La loi PACTE, qui prétendait « transformer l’entreprise » a été votée en première lecture le 9 octobre 2018 à l’Assemblée nationale, dans une configuration a minima, consistant à concentrer la réforme sur la répartition de la valeur, sans remettre en cause la façon dont celle-ci est créée[1].

Cette capacité transformatrice que le Président (et Bercy) n’ont pas voulu insuffler dans la loi, Hubert Landier nous conjure de la porter. Le grand mérite de son livre est de montrer que reconstruire l’entreprise ne peut se faire seulement « par le haut » (illusion de la gouvernance) mais doit aussi se faire « par le bas » (par le travail).

C’est d’abord une exigence, car « les Français et singulièrement les salariés sont fâchés avec les entreprises, et plus particulièrement avec les grandes entreprises ». Il passe en revue les raisons qui expliquent ce « divorce croissant » mais s’attarde sur les conséquences, qui prospèrent dans l’angle mort des systèmes de reporting : le désengagement, « peu visible car il se dissimule souvent derrière une apparence de bonne volonté » et ses manifestations : « perte d’efficacité personnelle et collective, progression de l’absentéisme de courte durée, manque de coopération dans les changements imposés par la Direction ».

Les réponses apportées aujourd’hui esquivent la confrontation avec les réalités du travail.

Face à cela, les réponses apportées aujourd’hui « relèvent le plus souvent d’un joyeux bricolage » et esquivent la confrontation avec les réalités du travail : s’en prendre aux symptômes de l’absentéisme, promouvoir l’aptitude au leadership au sein de l’encadrement, susciter des sources de fierté d’appartenance, améliorer les facteurs d’ambiance, imaginer une entreprise dépourvue de hiérarchie. Il est vrai que les solutions réelles, à savoir satisfaire les besoins d’équité et d’autonomie, sont plus exigeantes.

Autre fausse réponse, celle proposée par l’utopie de l’entreprise libérée. Huber Landier s’appuie sur sa longue pratique de l’audit social pour se livrer à une rafraîchissante déconstruction de cette pseudo innovation managériale[2], qui n’est en rien nouvelle. Il déplore que ses fondateurs, Brian Mc Carney et Isaac Getz « ne disent rien des difficultés auxquelles conduit la formule qu’ils cherchent à vendre »[3].

Malgré ce diagnostic sans concession, l’ouvrage n’a rien d’un lamento décliniste. Hubert Landier s’attache à proposer des pistes de solution, sans tomber dans la boîte à outils. Il faut d’abord s’intéresser à ce qu’il appelle « l’indispensable triangulation », qui repose sur « les trois aspects complémentaires de la vie de l’entreprise » que sont le management, la gouvernance et le dialogue social, « qui demandent à être mis en cohérence ». On retrouve ici les trois boucles de régulation souvent envisagées par les entreprises de façon compartimentée, isolée, alors qu’il faut en favoriser les interactions[4]. Sa réflexion sur le dialogue social, qui s’appuie sur des travaux qui ont fait la réputation de l’auteur[5] débouche sur trois propositions concrètes, qui empruntent aussi bien au « modèle » allemand qu’à son voisin italien : instaurer une présidence élue du comité d’entreprise; mettre fin aux effets de seuil ; adapter le principe de la représentation syndicale unique.

Un point d’intérêt particulier pour les lecteurs de Futuribles est la prospective de l’entreprise proposée par l’auteur. Hubert Landier n’est pas un homme des fins. Il ne croît pas davantage à la fin de l’entreprise qu’à la fin du travail (Jeremy Rifkin), à la fin du salariat (Jean-Pierre Gaudard), ou à celle du management (Gary Hamel). Il écouterait plutôt Pierre Veltz s’élevant contre « la facilité des fins, qui nous empêche de penser la réalité et de percevoir les mutations ». Sa prospective de l’entreprise, qui recoupe très bien des travaux que j’ai eu la chance de mener avec Futuribles sur l’avenir du travail[6] ou avec Terra Nova sur l’entreprise contributive[7], nous emmène vers une entreprise toujours présente mais confrontée à de profonds changements. Quelques signes avant-coureurs de cette nouvelle entreprise affleurent sous nos yeux : éclatement spatial, multiplicité de statuts pour prendre en compte les insatisfactions envers le salariat et la subordination, horizontalité matérialisée par les entrelacs des réseaux, atténuation de l’opposition entre capital et travail ou entre vie personnelle et vie professionnelle, qui laisseront place à d’autres clivages, fin de l’économie purement extractive, inflexion de la globalisation avec un retour au localisme et à la reconnaissance des spécificités culturelles.

L’apport essentiel du livre d’Hubert Landier réside dans ce questionnement permanent au fil des pages : est-ce le monde que nous voulons pour nos enfants ? Comment construire une entreprise désirable ?

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,

Management & RSE

Pour aller plus loin :

Hubert Landier, « Renaissance. Réinventer le travail, réinventer l’entreprise, une urgence pour préserver l’humanité », L’Harmattan, mars 2018

Cet article a été originellement publié sur le site de la revue Futuribles. Consultez cet article sur le site de la revue : « Renaissance. Réinventer le travail, réinventer l’entreprise »

Crédit image : « La Vierge à l’Enfant avec Sainte Anne », 1501, par Léonard de Vinci, huile sur panneau de peuplier, musée du Louvre. Ce tableau condense les apports de la Renaissance. Anne regarde Marie, qui enlace et regarde Jésus, qui la regarde à son tour, comme l’agneau qui le regarde.

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[1] « Ré-encastrer l’Entreprise dans la Cité : une analyse du rapport Notat-Senard » http://management-rse.com/2018/10/29/re-encastrer-lentreprise-dans-la-cite-une-analyse-du-rapport-notat-senard/

[2] Getz I., Carney B.-M. (2009, trad. franç., 2012), Freedom Inc., Free Your Employees and Let Them Lead Your Business to Higher Productivity, Profits and Growth, New York, Crown Business. Trad. franç. Liberté et Cie, Paris, Fayard.

[3] Celles-ci sont pourtant bien réelles ; voir « L’entreprise libérée est-elle socialement responsable ? » http://management-rse.com/2015/11/23/lentreprise-liberee-est-elle-socialement-responsable/

[4] Voir « L’entreprise, espace de démocratie ou de bon gouvernement ? » http://management-rse.com/2018/04/25/lentreprise-espace-de-democratie-ou-de-bon-gouvernement/

[5] Voir notamment : Hubert Landier, « Dialogue social, une urgence pour l’entreprise », L’Harmattan, juin 2015

[6] « Comment travaillerons-nous demain ? Cinq tendances lourdes d’évolution du travail », Futuribles, No 422, Janvier-Février 2018 https://www.futuribles.com/fr/revue/422/comment-travaillerons-nous-demain-cinq-tendances-l/

[7] « L’entreprise contributive, un ‘modèle’ organisationnel pour une RSE incarnée » http://management-rse.com/2018/03/08/lentreprise-contributive-modele-organisationnel-rse-incarnee/

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Une réponse

  1. merci pour ce bel article
    l’entreprise libérée n’est pas encore assez présente dans le paysage économique en France
    Mais qui formera des managers a devenir des coachs des entraîneurs de l’évolution de ses propres collaborateurs, pour les propulser au delà même de leurs postes actuels ?

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