Emploi et formation à l’heure de la RSE : pour une employabilité socialement responsable

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[ Mise à jour : 15 mars 2022 ]  Les réformes du marché du travail et de la formation professionnelle se succèdent sans toujours s’articuler. Elles ne répondent pas au défi posé par les transformations profondes du système productif, les progrès technologiques et les mutations du travail. Il est nécessaire aujourd’hui de poser un regard nouveau au travers de la notion  d’ « employabilité socialement responsable » (ESR). Celle-ci permet, dans une logique de RSE (responsabilité sociétale des entreprises) de tenir compte de l’empreinte des politiques d’emploi et de formation. Elle offre la meilleure protection face aux évolutions disruptives, favorise l’émancipation des personnes et suscite une reconception du management.

Actualité de la problématique :

Depuis les années 2000, les réformes successives de la formation professionnelle ont eu pour effet de sophistiquer considérablement ses dispositifs et de rendre les salariés de plus en plus responsables de la construction de leur parcours professionnel. L’importance grandissante que prend le compte personnel de formation (CPF) en est un signe emblématique. Ces intentions sont louables lorsqu’elles amènent la société française vers davantage d’autonomie, de responsabilité, de capacités d’émancipation des personnes. Mais elles passent sous silence l’indispensable accompagnement des acteurs qui, s’ils ne font pas partie des plus qualifiés, sont désarmés devant la complexité du « système ».

Les réformes menées lors du quinquennat d’Emmanuel Macron en sont une illustration : la jambe « libéralisation » (du marché du travail) semble beaucoup plus solide que la jambe « protection », qui tarde à montrer ses effets avec la mise en œuvre de la réforme de la formation professionnelle de fin 2018 (loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », portée par Muriel Pénicaud). Le risque majeur de ces évolutions est d’accentuer les inégalités de destin et l’assignement à résidence des exclus de la formation… ce contre quoi le candidat Macron souhaitait précisément lutter, comme en témoigne son ouvrage de campagne « Révolutions » (XO Editions, novembre 2016).

Peut-on au moins compter sur le management des entreprises pour s’impliquer davantage dans l’accompagnement des parcours des collaborateurs au sein de leur entreprise ? Rien n’est moins sûr. Dans le cadre du baromètre du management publié par la Cegos[1], on a demandé aux salariés de caractériser leur manager actuel en fonction de cinq profils proposés. Celui qui arrive en tête, identifié par 32% des salariés, est le « manager de proximité », qui se caractérise par le fait qu’ « il est à l’écoute, accessible et vient à la rencontre des membres de l’équipe ». Certes, cela est appréciable, indispensable même, alors que beaucoup de salariés souffrent de l’éloignement de leur manager vis-à-vis des processus de travail. Mais c’est un rôle trop passif pour épauler efficacement les équipes et les personnes dans la conduite de leur parcours professionnel en temps de turbulence permanente. Le manager qui saurait réussir dans ce rôle volontariste et proactif est le « manager coach », qui « rencontre chaque membre de l’équipe régulièrement pour accompagner leur montée en compétences et faire le point sur leur parcours professionnel ». Mais voilà, ce manager coach arrive bon dernier dans la liste des caractères identifiés par les salariés chez leur manager actuel, avec une représentation navrante de seulement 6%.

De son côté, la RSE (Responsabilité sociétale de l’entreprise) connaît une mue depuis les années 2000 : autrefois très périphérique aux enjeux de l’entreprise, elle s’internalise progressivement et vient ainsi s’intéresser directement aux enjeux d’emploi, de qualification et de formation professionnelle : prise en compte des parties prenantes et de l’intérêt général, inclusion des publics les plus vulnérables, maîtrise des externalités, renforcement des acteurs, pilotage par des indicateurs incorporés dans la notation sociale. Au cœur de cette évolution se trouve l’émergence de la notion d’employabilité, que je propose d’élargir à « l’employabilité socialement responsable » (ESR). Au fond, l’ESR est la rencontre du management (dans un modèle de maturité proche de ce que l’on a appelé ci-dessus le « manager coach ») et de la RSE. Voilà qui ne peut qu’interpeller les lecteurs de ce blog, intitulé « Management & RSE » !

Dans cet article, publiée par la revue Education Permanente (une revue qui m’est chère, créée en 1969 par Bertrand Schwartz), je propose 6 champs de progrès pour donner vie à l’ESR.


L’emploi et la construction des compétences, longtemps absents des objectifs RSE (Responsabilité sociétale et environnementale) des entreprises, commencent à s’imposer et s’installent progressivement au cœur de leur responsabilité vis-à-vis du devenir de leurs salariés (au sein ou en dehors de l’entreprise qui les emploie aujourd’hui) et des attentes sociétales liées à la prévention du risque de chômage et au renforcement de l’attractivité des territoires. Ils commencent à s’imposer comme un outil majeur de leur politique RSE (voir : « La formation professionnelle, levier de la RSE »). Il est donc temps de s’interroger sur les lignes de force de ce que pourrait être une « employabilité socialement responsable » (ESR), solidement connectée au management, aux dispositifs de GRH (gestion des ressources humaines) et au dialogue social. Je propose 6 champs de progrès dans ce sens.

1 – Redéfinir l’employabilité

Limité à un simple bouquet de compétences (savoirs, savoir-faire et savoir-être), le concept d’employabilité devient inopérant face aux mutations du travail (voir : « Comment travaillerons-nous demain ?« ). En effet, on ne peut plus se contenter de chercher le meilleur appariement entre compétences et emploi à un moment donné. Nous avons besoin d’une approche plus dynamique, plus prospective, car il s’agit désormais de sécuriser les parcours professionnels face aux mutations mais aussi d’améliorer la compétitivité dans l’économie de la connaissance.

Dans leur lente transition vers l’économie de la connaissance, les entreprises sont conduites à développer leurs investissements immatériels. Le recrutement, la formation professionnelle et les autres outils du « développement des RH » constituent les principales formes d’investissement dans le « capital humain », terme que je propose de proscrire au profit de la notion de « potentiel humain »[2]. Mais contrairement aux machines et équipements, qui restent dans l’entreprise jusqu’à amortissement ou déclassement, ce capital de compétences est mobile : les salariés actuellement en poste connaîtront en moyenne 6 à 7 employeurs différents au cours de leur carrière.

C’est pourquoi la formation professionnelle et plus largement les politiques de développement des RH doivent être analysées sous l’angle de leur empreinte sociale : en formant ses salariés, une entreprise travaille à sa propre compétitivité, mais aussi à celle des salariés formés. Ces derniers peuvent ainsi améliorer leur contribution positive à l’économie, mais aussi progresser professionnellement à l’intérieur de l’entreprise… ou à l’extérieur.

C’est ici que se noue le quiproquo autours de la notion d’employabilité. Certaines entreprises considèrent qu’elles assument leur responsabilité sociale et assurent l’employabilité de leurs salariés parce qu’elles forment beaucoup. Cependant, si elles ne forment ces derniers qu’à leur poste d’aujourd’hui, elles les rendent très employables mais dans une conception étriquée : elles les enferment dans leur poste actuel au lieu de les outiller pour faciliter leur mobilité, leur autonomie et leur progression professionnelle. D’où le terme d’« employabilité socialement responsable » (ESR), permettant de distinguer les politiques de compétences soucieuses de leur impact sociétal.

Il faut définir l’ESR, l’employabilité socialement responsable, dans une perspective dynamique et de progrès.

La notion d’employabilité souffre d’une approche trop statique, qui la définit comme les compétences professionnelles avérées dont un salarié (en poste ou en recherche d’emploi) peut faire état. Cette approche peut laisser à penser que la responsabilité de l’employabilité repose exclusivement sur l’individu, chacun devenant ainsi « l’entrepreneur de soi-même »[3]. Il faut donc situer l’ESR, l’employabilité socialement responsable, dans une perspective plus dynamique et la définir comme la capacité pour un salarié de maintenir et développer son portefeuille de compétences (savoirs, savoir-faire et savoir-être, mis en œuvre dans l’exercice professionnel) afin de maîtriser son poste, d’évoluer dans son emploi actuel ou à venir, de progresser au sein de son entreprise ou d’aller occuper, dans une autre entreprise, un nouvel emploi sans rupture majeure.

L’ESR est donc une pierre angulaire de la sécurisation des parcours professionnels et de la qualification des personnes. La responsabilité de l’employabilité repose effectivement sur le salarié, qui en est « l’architecte », mais aussi sur l’entreprise et les pouvoirs publics.

C’est ainsi que l’ESR incorpore non seulement la notion de compétences (celles d’aujourd’hui et celles de demain) mais aussi :

  • la motivation, l’implication de celui qui travaille car sans elles, ces compétences restent inertes ; elles ne sont pas mises en mouvement sur la scène du travail[4];
  • la santé au travail, pour la même raison[5];
  • l’innovation, qui donne à la notion d’ESR son caractère collectif (ex : intelligence collective ; voir : « Travailler ensemble : pour une intelligence de la coopération » ).
Cette figure montre l’importance des savoir-être pour construire l’ESR, notamment parce que l’essentiel d’entre eux n’est pas synthétisable par un robot, un algorithme ou l’intelligence artificielle. Source : WEF, “The Future of Jobs : Employment, Skills and Workforce Strategy for the Fourth Industrial Revolution”, 2017

Bien sûr la formation professionnelle est un levier essentiel de la RSE, mais l’approche de l’ESR suggère d’aller plus loin en travaillant sur une responsabilité sociale conjointe entre le salarié, l’entreprise (notamment les managers de proximité et la DRH), le service public de l’emploi et les organismes de formation autours d’une logique d’ « employabilité tout au long de la vie ».

Dans cette conception, l’ESR se construit dans les interactions entre offre d’emploi et demande de travail : elle résulte d’un bouquet de compétences mais aussi d’une attractivité auprès des employeurs, ce qui est beaucoup plus large et inclut par exemple la motivation, la capacité à « se vendre », le capital relationnel, etc. Elle trouve une seconde jeunesse en s’appuyant sur le concept des « capabilités », développé par Amartya Sen et Martha Nussbaum, qui proposent de construire un cadre de sécurité active pour faire face aux transformations du travail et à l’incertitude économique[6].

Nous en sommes loin aujourd’hui : je constate le plus souvent, lors de mes interventions en entreprise, que l’orientation des plans de formation vise moins à développer les marges d’autonomie et les capacités d’évolution des salariés qu’à mobiliser les compétences nécessaires pour tenir un poste donné[7]. C’est une profonde erreur en termes de compétitivité car cette frilosité entrave le développement des organisations du travail participatives (OTP[8]), source d’efficacité individuelle et collective, et place l’entreprise en situation de vulnérabilité en cas de retournement de ses marchés ou de mutations technologiques.

Cette approche « adéquationniste » (un salarié ou un demandeur d’emploi doivent être recrutés ou se former pour un métier spécifique) se matérialise par la baisse continue de la durée moyenne des formations. Pour les salariés, le nombre d’heures par stagiaire qui était encore de 62 heures en 1974 n’est plus que de 27 heures en 2014, soit une érosion de 56% sur cette période de 40 ans, à un niveau très largement insuffisant pour une formation qualifiante, sans même parler d’une formation de reconversion. Pour les demandeurs d’emplois, les stages durent 4,6 mois en moyenne mais ceux commandés par Pôle emploi et les Opca sont beaucoup plus courts (respectivement 2,4 et 2,5 mois) car ils répondent avant tout aux besoins de main-d’œuvre immédiats et visent à favoriser un accès plus rapide à l’emploi. En revanche, ceux commandés par l’État ou les régions sont plus longs (respectivement 4,3 et 6,0 mois). Ici, le problème bien connu – malgré une amélioration récente — est le faible nombre de demandeurs d’emplois formés (687.400 entrées en formation seulement en 2014) et le temps écoulé entre le début de la période de chômage et l’entrée en formation.

Enfin, l’ESR suppose une dynamique d’anticipation. La GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), qui consiste à projeter dans l’avenir les activités de l’entreprise, les évolutions de ses métiers et les compétences nécessaires, permet théoriquement d’orienter l’effort de formation vers la mise en adéquation anticipée des compétences. Mais la GPEC est aujourd’hui trop exclusivement pratiquée par les grandes entreprises et en anticipation courte des restructurations. Il manque une approche de la GPEC plus pragmatique, à distance des contextes de restructuration, focalisée sur l’identification des métiers menacés et sur l’accompagnement des salariés concernés vers une reconversion professionnelle.

2 – Réaliser un effort majeur de formation à destination des moins qualifiés

Vis-à-vis des exigences posées par l’ESR, notre système de formation professionnelle ne se caractérise pas par son dynamisme: seuls 3,5% des Français âgés de 25 à 64 ans ont suivi une formation certifiante ou diplômante sur l’année[9]. C’est beaucoup moins qu’en moyenne en zone euro (5,1%) ou même en Espagne (7%), légèrement moins qu’en Allemagne (3,8%). En fait, parmi les pays de l’Union Européenne, seules la Bulgarie, la Slovénie, la Roumanie, la Grèce et l’Italie font moins bien…

En France, plus qu’ailleurs, l’absence de diplôme est un marqueur à vie. La proportion de Français de 25-34 ans qui sont diplômés au plus du brevet et qui étaient au chômage en 2016, d’après l’OCDE atteint le seuil critique de 27%. C’est 4 fois plus que les diplômés de l’enseignement supérieur (7%). Cet écart est beaucoup plus important en France que dans la moyenne des pays de l’OCDE (17% et 7% respectivement)[10]. Ce marqueur pérennise les inégalités sociales car dans le domaine de l’inéquité scolaire, la France est particulièrement mal classée : 27ème rang sur 34 parmi les pays de l’OCDE. C’est pourquoi l’objectif de développer l’ESR devrait se situer au cœur des politiques sociales des nations et des politiques RH des entreprises.

Les salariés les moins qualifiés se voient infliger une double peine car, d’une part, ils sont les plus exposés aux mutations et, d’autre part, ils sont les plus dépendants à leur poste de travail et à leur entreprise. Selon une étude menée par l’OCDE dans 14 pays, les travailleurs ayant perdu leur emploi sont ceux qui « mobilisaient le moins de compétences mathématiques, verbales, cognitives et interpersonnelles » avant le licenciement et ils occupaient des emplois requérant un niveau de formation moins élevé que le niveau moyen[11]. Ainsi, ne pas permettre aux salariés les moins qualifiés de se former régulièrement accroît la probabilité qu’ils perdent leur emploi et se retrouvent dans une situation durable de chômage, de sous-activité ou de successions d’emplois précaires. Plus la compétence du travailleur était spécifique au poste de travail et plus la perte de compétence et de salaire est importante.

La formation professionnelle devrait permettre de donner à chacun une seconde chance. Or, c’est exactement le contraire qui se produit : selon l’INSEE, seuls 10 % de ceux qui n’avaient aucun diplôme ont bénéficié d’une formation continue en 2010, contre 34 % des Bac +4 et plus. Danielle Kaisergruber pointe la spécificité du système français : « La France est le pays européen bon dernier en matière de taux d’obtention de diplômes en cours de vie active… que l’on soit chômeur ou en emploi. Dans la lignée de la tradition française de valorisation extrême du diplôme initial, de sacralisation de l’Ecole, la société française a fait implicitement le choix de répondre aux défis économiques et technologiques essentiellement par la formation initiale »[12].

Si bien qu’en France, les salariés déclarent pouvoir suivre des formations d’adaptation à leur poste mais presque les deux tiers d’entre eux (65%) déclarent ne pas avoir eu la possibilité de suivre une formation pour changer de métier[13]. Un profond handicap face à l’ampleur des mutations économiques qui reconfigurent notre tissu productif…

La sous-représentation des catégories socio-professionnelles les plus vulnérables dans les bénéficiaires de la formation professionnelle ne s’oppose pas seulement à l’équité ou à la RSE mais aussi au principe d’employabilité posé par le code du Travail (« l’employeur a l’obligation de veiller à la capacité des salariés à occuper un emploi », article L. 6321-1) et même au préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». De façon plus problématique, cela prive les salariés concernés de leur capacité de rebond et les entreprises en question de leurs opportunités de valorisation de leur potentiel humain.

La préférence française pour la formation initiale s’avère un très mauvais choix lorsque la rapidité des mutations transforme profondément le travail et les besoins des entreprises.

La préférence française pour la formation initiale s’avère un très mauvais choix lorsque la rapidité des mutations (technologiques, économiques, sociales) transforme profondément le travail et les besoins des entreprises. C’est pourquoi Terra Nova a proposé d’engager un « choc de compétitivité » par une élévation importante du niveau de qualification général de la population française[14]. Un effort consistant sur les offres de formations continues « générales », développant les compétences transversales et non spécifiques au poste de travail, permettrait

  • de redonner aux salariés peu qualifiés davantage de moyens de choisir leur mobilité et de ne plus subir les évolutions économiques et technologiques ;
  • de sortir de la conception « adéquationniste » du marché du travail ;
  • de casser un modèle reposant de façon exclusive sur le diplôme et la formation initiale en offrant effectivement une seconde chance (droit réel et non plus seulement formel).

Il faut aussi interrompre la spirale des allègements de charge sur les bas salaires, qui omet d’offrir aux salariés concernés des possibilités d’acquérir de nouvelles compétences. Ce faisant, elle les enferme dans de trappes à déqualification. Il faut donc soit redéployer les sommes mobilisées par le CICE (crédit d’impôt compétitivité-emploi) pour financer ce « choc de compétitivité par l’élévation du niveau de formation », soit conditionner les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires au financement de formations obligatoires d’actualisation des savoirs de base dans le plan de formation des entreprises[15].

Le modèle économétrique utilisé par le groupe de travail de Terra Nova montre que si les 30 milliards d’euros du CICE étaient affectés à la formation des moins qualifiés et des plus de 45 ans, le PIB pourrait augmenter de près de 5 % et le PIB par habitant serait supérieur de 1 400 euros à son niveau actuel, et atteindrait ainsi près de 29 500 euros.

3 – Moduler les cotisations chômage acquittées par l’employeur

L’un des effets pervers des dispositifs actuels – qui handicape le développement de l’ESR – est que les entreprises n’ont aucun intérêt à développer les formations destinées à construire les compétences transférables permettant à leurs salariés de préparer leur reconversion professionnelle. Comme l’indique le rapport de Terra Nova cité ci-dessus, « les entreprises n’assument pas toujours leur responsabilité sociale d’obligation et de maintien des compétences de leurs salariés, et externalisent sur la société le coût du maintien d’une main d’œuvre capable de s’adapter aux mutations technologiques et économiques ».

Un effet socialement bénéfique de la formation professionnelle est qu’elle limite les risques de chômage ou en réduit la durée. Ainsi, Marie Salognon, chercheuse associée à EconomiX a montré que « la formation professionnelle dispensée lors du dernier emploi permet un raccourcissement de la durée de chômage »[16].

D’où l’idée de « conditionner les cotisations d’assurance-chômage sur la qualité de la politique de formation » idée émise initialement par deux économistes, Mathilde Lemoine et Étienne Wasmer, dans leur rapport pour le CAE (Conseil d’analyse économique), « Les mobilités des salariés », publié en mai 2010. Elle se fonde sur le constat qu’une politique de formation socialement responsable (qui profite à la vaste majorité des salariés, qui privilégie les compétences transversales, etc.) place les salariés qui quittent l’entreprise en capacité plus favorable pour retrouver rapidement un emploi de qualité. Elle minimise donc les coûts sociaux.

Les auteurs proposent une mesure permettant d’encourager la responsabilité sociale par l’incitation financière: « l’idée est de conditionner les cotisations d’assurance-chômage et les obligations de reclassement sur la ‘qualité’ de la politique de formation, qui dépend à la fois de la fraction des effectifs formés, de la participation des salariés aux formations et de la proportion de formations diplômantes, c’est-à-dire dont la validation conduit de facto à une portabilité »[17].

L’adéquationnisme est aussi un obstacle au développement de l’ESR dans le recrutement car les employeurs ont une trop forte propension à rechercher une adéquation étroite des diplômes des candidats aux postes qu’ils proposent, au détriment de leur motivation et de leurs compétences en situation de travail. Mais les aléas de la vie et les mutations économiques emportent ce conformisme sur leur passage : une équipe de chercheurs du CEREQ a montré sur la base d’une étude de cohorte qu’en 2001, 46% seulement des jeunes en poste occupent un emploi qui correspond à la spécialité de leur formation initiale terminée trois ans auparavant. Cette proportion est supérieure à 60% pour les Bac+2 et plus mais tombe à 40% pour ceux qui n’ont que le bac et même à 30% pour les CAP-BEP non diplômés[18]. Cela montre que l’expérience spécifique cumulée prend le pas sur les acquis de la formation initiale.

L’initiative annoncée par le gouvernement d’Emmanuel Macron sous le nom de « bonus-malus » pour freiner la rotation de la main-d’oeuvre va dans le bon sens.

L’initiative récemment annoncée par le gouvernement d’Emmanuel Macron sous le nom de « bonus-malus » pour freiner la rotation de la main-d’oeuvre va dans ce sens[19]. Il prendrait la forme d’un taux de cotisation patronal sur l’assurance-chômage variable (les scénarios vont de 2 % à 10 %, contre un pourcentage fixe de 4,05 % aujourd’hui). En clair, plus une entreprise aura fait tourner sa main d’œuvre – quel que soit le contrat, CDI, CDD, intérim, intermittence… — plus son taux de cotisation sera élevé. Cette initiative, s’inspire du rapport rédigé par les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole en 2003, qui proposait une réflexion d’envergure sur le système d’experience rating pratiqué aux États-Unis[20]. Dans ce système, « les cotisations de sécurité sociale des entreprises sont en partie modulées en fonction de leurs pratiques antérieures ou de leurs antécédents en matière de licenciements : au niveau de chaque État, le taux de cotisation d’une entreprise est déterminé sur la base des prestations de chômage versées aux salariés qu’elle a récemment licenciés ». Selon l’approche de la RSE (ou le principe « pollueur-payeur »), elle fait progresser l’ESR en ré-internalisant les externalités négatives, c’est-à-dire les coûts que les entreprises font supporter à la collectivité de par leur politique de GRH. Mais si le vice doit être pénalisé, la vertu doit être encouragée : la modulation des cotisations versées par les entreprises permettrait de prendre en compte de façon positive les politiques d’ESR menées par les entreprises.

4 – Miser sur l’inclusion

Globalement, le système de formation français est peu inclusif, comme le montre le rapport du CEDEFOP consacré à la comparaison entre pays de l’Union européenne[21]. Basé sur une batterie de 36 indicateurs, il montre que l’un des facteurs qui distingue le plus la France par rapport à ses voisins est la proportion très élevée des personnes de 25 à 64 ans qui voulaient entrer en formation, mais qui n’y ont pas réussi (supérieure de 45% à la moyenne européenne).

Une politique d’employabilité socialement responsable se préoccupe d’embarquer l’ensemble des salariés dans la démarche d’anticipation et d’adaptation face aux mutations économiques.

Or, une politique d’employabilité socialement responsable se préoccupe d’embarquer l’ensemble des salariés dans la démarche d’anticipation et d’adaptation face aux mutations économiques, en évitant les phénomènes d’exclusion ou de fracture. Beaucoup reste à faire dans les entreprises. On a déjà évoqué la « double peine » des moins qualifiés. Il faut mentionner aussi celle qui traverse la discrimination par l’âge. Comme nous le relevions dans le rapport Terra Nova, le taux de participation à la formation diminue drastiquement avec l’âge : 61% des 25-34 ans ont suivi une formation au cours des douze derniers mois, dont 8,8% une formation qualifiante, contre seulement, respectivement, 32,8% et 0,5% des 55-64 ans. Or l’allongement de la période d’activité professionnelle dû au report de l’âge du départ en retraite nécessiterait un développement des formations tout au long de la vie afin de pallier la diminution des capacités cognitives.

Le coût social de l’éviction des seniors des actions de formation est considérable. Le rapport Terra Nova montre que si le taux d’emploi des seniors français de 55 à 64 ans était le même que celui des seniors allemands, soit 61,5% au lieu de 44,5%, le PIB augmenterait de plus de 3%. Dans le cas où le rattrapage s’étalerait sur 10 ans, une telle progression pourrait générer 0.3 point supplémentaire de croissance par an pendant cette période.

Terra Nova s’attarde également sur les jeunes, rappelant qu’en France, 133.000 d’entre eux sortent chaque année du système éducatif sans diplôme, c’est-à-dire 18% d’une classe d’âge[22]. Parmi eux 24.000 ont achevé leur scolarité sans dépasser la classe de troisième. Les origines socio-culturelles ont encore des conséquences très marquées sur la scolarité puisque parmi ceux qui quittent le système scolaire sans diplôme, le Cereq compte cinq enfants d’ouvriers pour un enfant de cadre.

5 – Renforcer les acteurs

Une politique d’employabilité socialement responsable ne se contente pas d’obligations et d’incitations : elle s’efforce d’améliorer l’autonomie et les capacités des acteurs sociaux, sur le terrain.

La politique ambitieuse annoncée en septembre 2017 par le gouvernement d’Emmanuel Macron sous la forme d’un « Grand Plan d’investissement 2018-2022 » va dans le sens de l’ESR par l’ampleur des investissements qu’elle mobilise (15 milliards d’euros sur 5 ans) pour des actions de construction de compétences transversales et transférables au profit des publics les plus fragiles (notamment 1 million de chômeurs faiblement qualifiés et 1 million de jeunes décrocheurs)[23]. En revanche, l’accompagnement et le soutien professionnel, qui sont une composante essentielle de l’ESR, restent dans l’angle mort de cette politique. Le risque de cette politique est de se focaliser sur les aspects bénéfiques du renforcement de l’autonomie des salariés (capables de mobiliser leur CPF, compte personnel de formation) en oubliant la contribution, elle aussi essentielle des entreprises.

Il est tout aussi nécessaire d’inciter les entreprises, notamment par le biais de la notation sociale, à développer les dispositifs qui permettent d’améliorer l’accès à la formation pour tous. Dans une communication sur « Quand la formation continue » présentée lors de la 3ème biennale Formation – Emploi du Cereq, trois chercheurs ont montré que le taux d’accès à la formation est très sensible à la diffusion des informations concernant les formations dans les entreprises[24]. Ainsi, la part des salariés formés dans les entreprises dans lesquelles les salariés signalent la diffusion d’informations sur la formation atteint 57%, soit 2,2 fois plus que dans les entreprises qui ne diffusent pas cette information (26%).

Le problème : nos entreprises ne sont pas particulièrement en pointe sur la diffusion des informations concernant les possibilités de formation, les opportunités de mobilité professionnelle, la gestion des carrières. Une grande enquête menée par l’Institut du Leadership du Groupe BPI auprès de 9.145 salariés de 16 pays l’a bien montré : la France se trouve classée au 16ème rang (sur 16 !) lorsque l’on demande aux salariés s’ils sont bien informés sur les possibilités d’évolution professionnelle, avec un résultat positif de seulement 46% alors que la moyenne des 16 pays étudiés est de 57%[25]. Cela traduit un relatif désintérêt vis-à-vis des approches compétences et explique le ressenti négatif des salariés français sur leurs perspectives d’évolution.

Autre levier: les entreprises ont-elles mis en place les démarches consistant à recueillir les besoins de formation formulés par leurs salariés ? Ici apparaît une fragilité majeure : la part des entreprises qui effectuent le recueil des besoins de formation de leurs salariés a baissé entre 2005 et 2010. Ce constat est valable pour toutes les entreprises mais particulièrement pour les petites (moins de 50 salariés), qui sont justement les moins formatrices : 55% seulement d’entre elles effectuaient ce travail de recueil en 2010 contre 62% en 2005. Ce repli est un symptôme supplémentaire de l’éloignement du management vis-à-vis du travail, qui creuse une fracture sociale au sein de bon nombre d’entreprises et rend la compréhension du travail et de ses difficultés opaque aux yeux de ceux qui sont en charge de son pilotage.

Un simple recueil de l’information n’est pas suffisant car l’appétence pour la formation n’est pas spontanée, notamment de la part des populations les moins qualifiées, qui ne gardent pas toujours un bon souvenir de leur parcours scolaire. C’est donc un dialogue qu’il faut établir, souvent formalisé par les entretiens professionnels. La part des salariés formés dans les entreprises dans lesquelles les salariés signalent la réalisation d’entretiens abordant les besoins de formation atteint 62%, soit presque deux fois plus que dans les entreprises qui ne réalisent pas ces entretiens (33%). Or, la proportion des salariés ayant participé à un entretien professionnel atteint 82% pour les cadres mais chute à 54% pour les employés et même 47% pour les ouvriers. Il faut donc étendre la démarche, notamment aux ouvriers et employés, démarche impulsée par la loi sur la formation professionnelle du 5 mars 2014.

Le rôle d’un management de proximité capable de pratiquer l’échange d’expérience et le dialogue centré sur le travail réel avec les salariés est essentiel.

Cela confirme le rôle essentiel d’un management de proximité capable de pratiquer l’échange d’expérience et le dialogue centré sur le travail réel avec les salariés. Seuls les managers de proximité sont capables de montrer à chacun en quoi le développement des compétences contribue au projet de l’entreprise et de guider les salariés pour rechercher la convergence entre leur projet professionnel et le projet d’entreprise.

Il faut aussi arrêter de considérer la formation, qui n’est qu’un outil, comme le principal voire le seul levier pour agir sur les compétences. En rapprochant le travail et l’acquisition de compétences, les DRH peuvent véritablement changer la donne, notamment pour les moins qualifiés, en proposant des processus moins rebutants et plus efficaces: mises en situation apprenante, job rotation, valorisation des acquis de l’expérience, maîtrise et tutorat, échange de pratiques professionnelles, processus de transmission informelle des savoirs[26]. Après tout, ces processus d’apprentissage ont révélé leur intérêt pour les cadres de haut niveau (coaching, communautés d’apprentissage, co-développement).

L’intrusion du numérique favorise ces évolutions et fait émerger de nouveaux outils : serious games, classes digitales et ateliers virtuels, classes inversées, « blended learning » (qui combine les formations en groupe et en présentiel, l’auto-formation et le e-learning), groupes de professionnalisation, social learning (importance des communautés dans l’apprentissage). Derrière la montée en puissance du e-learning (qui ne se moque des MOOCs ?) se profile la véritable innovation pédagogique, qui repose sur le triptyque: présentiel, distanciel et expérientiel au poste de travail. Ces innovations nous rappellent l’évidence : dans une économie de la connaissance en flux de savoirs continus, la construction des compétences emprunte des chemins autrement plus entrelacés que la seule formation.

Ce n’est pas l’intelligence qui permet l’apprentissage, ce sont les apprentissages qui développent l’intelligence.

Il faut alors inverser les vérités académiques et représentations anciennes : ce n’est pas l’intelligence qui permet l’apprentissage, ce sont les apprentissages qui développent l’intelligence. Je pense que c’est dans cette inversion que réside le formidable potentiel de progrès de l’ESR apporté par les nouvelles technologies d’apprentissage. C’est aux DRH d’orchestrer ces mutations et d’en tirer les conséquences organisationnelles. A quand une « Direction des compétences » pour remplacer la « Direction de la formation » ?

Enfin, il faut aussi mobiliser les ressources du dialogue social. A ce titre, le rapport Terra Nova propose

  • de compléter l’obligation de négocier les orientations du plan de formation dans les entreprises par celle de négocier le contenu du plan de formation ;
  • d’institutionnaliser et renforcer les « commissions formation » actuellement présentes au sein des comités d’entreprise (en cours de transformation en comité social et économique) dans les entreprises de plus de 200 salariés.

Le modèle des Union Learning Representatives (ULR), mis en place en Grande-Bretagne à la fin des années 1990, par le gouvernement travailliste constitue un point de référence utile. Il a contribué à mobiliser les organisations syndicales pour promouvoir le rôle de la formation professionnelle auprès des salariés, quel que soit leur niveau de qualification. Depuis 1999, 26.000 ULRs ont été créés, avec un réel impact identifié en matière d’accès à la formation : la probabilité d’accéder à cinq jours ou plus de formation était de 46,5% pour l’ensemble des salariés dans les entreprises où existent des ULRs, en 2011, contre 29% dans les autres entreprises[27].

6 – Définir les indicateurs de progrès et les rendre publics par la notation sociale

La RSE est une démarche de changement. Elle se pilote. Parce qu’elle s’intéresse aux impacts sociaux et environnementaux de l’entreprise sur son écosystème et ses parties prenantes, elle incite à porter un regard beaucoup plus qualitatif sur la politique de formation menée par les organisations privées et publiques. Au-delà des indicateurs quantitatifs globaux habituels (dépense en formation, nombre de stagiaires, taux d’accès), 5 indicateurs de progrès, qui peuvent constituer les axes d’une employabilité socialement responsable, tendent à s’imposer.

a) La répartition par qualifications. Certaines entreprises se contentent de s’engager sur le segment du marché du travail le plus en déséquilibre et forment en priorité leurs « hauts potentiels », qu’elles appellent aussi leurs « talents ». Ce faisant, elles perpétuent le point faible de notre système de formation, qui profite le plus à ceux qui sont déjà les mieux dotés et laisse sur le bord de la route les salariés les moins qualifiés. D’autres entreprises, au contraire, ont compris que la compétitivité d’une entreprise ne peut relever seulement de quelques individus mais au contraire, vient s’ancrer dans des processus collectifs.

b) La nature des formations. Certaines entreprises se contentent de former leurs salariés dans l’objectif d’être toujours plus efficaces, plus productifs dans leur poste. D’autres entreprises, à l’inverse, encouragent leurs salariés à acquérir des compétences transversales et transférables car elles savent que les mutations sont permanentes et s’accélèrent : mieux vaut privilégier agilité et adaptabilité. Ces organisations apprenantes permettent aux salariés de progresser au sein de leur entreprise et de « rebondir » plus rapidement s’ils sont amenés à la quitter. Par ailleurs, ces entreprises ne privilégient pas systématiquement les dispositifs classiques (salle de classe) et ne méprisent pas le travail : elles savent au contraire, utiliser le travail comme outil et moment de construction des compétences.

c) L’évolutivité des formations proposées. Certaines entreprises ont mis en place des processus de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) permettant une mise en question périodique de leur stratégie, une traduction (quantitative et qualitative) de cette dernière en termes d’emplois et sur cette base, une re-conception de leur plan de formation. Cela permet par exemple, d’anticiper une diminution des besoins de travail dans certains métiers et de former les salariés concernés pour leur permettre d’occuper d’autres postes. D’autres entreprises, au contraire, ne se préoccupent guère de l’alignement de leurs actions de formation (résultant de demandes au coup par coup et à courte vue) avec l’évolution de leur environnement concurrentiel et de leur stratégie.

Digitalisation, automatisation, robotisation : l’ESR anticipe et intègre la « disruption », les mutations du travail, qui mettent le marché de l’emploi sous tension et posent le défi de l’adaptation du système de formation

d) L’accompagnement des salariés. Certaines entreprises ont compris que laisser les salariés « seuls face à leur employabilité » et à la complexité des dispositifs de formation, revient à accepter que seuls les plus qualifiés réussissent. Elles mobilisent leur direction des RH et surtout leur management de proximité pour soutenir les collaborateurs dans la construction de leur parcours professionnel et la mobilisation des dispositifs adéquats (formation bien sûr, mais aussi situations apprenantes, valorisation des acquis, tutorat, coaching, etc.). Elles s’assurent que la question de la formation est abordée lors des entretiens professionnels avec tous les salariés, et non seulement avec les ingénieurs, cadres et techniciens… Ainsi se dégagent quelques indicateurs comme la proportion des salariés ayant bénéficié d’un entretien professionnel par catégorie socioprofessionnelle.

e) La connexion au dialogue social. Certaines entreprises mobilisent le dialogue social de façon à ce que leurs initiatives de formation soient mieux portées et diffusées dans l’entreprise. Elles négocient loyalement les orientations, voire le contenu, de leur plan de formation avec leurs organisations syndicales ; elles consultent leur Comité d’Entreprise (ce qui est obligatoire) mais surtout tiennent compte de leurs remarques (ce qui n’est pas obligatoire mais se révèle souvent fort pertinent) ; elles donnent à la Commission formation des moyens de fonctionner.

En termes de RSE la problématique est simple : sur ces 5 critères les entreprises sont actuellement traitées de la même manière, qu’elles mettent en œuvre les bonnes pratiques ou au contraire « gèrent a minima ». Il faut donc créer des incitations à agir de manière socialement responsable, c’est-à-dire en tenant compte des impacts sur la société.

C’est pourquoi Terra Nova propose la diffusion d’une notation sociale permettant de valoriser les employeurs qui investissent dans la perspective de l’ESR, afin d’améliorer leur réputation et leur attractivité. Cette notation incite les entreprises à se fixer des objectifs, prendre des engagements en concertation avec leurs parties prenantes et suivre leur réalisation. Elle guide les choix des candidats dans les processus de recrutement.

Cette notation peut s’appuyer entre autres sur la grille d’indicateurs élaborée par la fédération de la formation professionnelle, qui constitue une bonne base de départ[28]. Elle comporte en effet

  • des indicateurs de résultat (ex : nombre de salariés ayant suivi une formation certifiante),
  • des indicateurs de moyens (ex : pourcentage de salariés bénéficiant d’entretiens d’évaluation et d’évolution de carrière intégrant une composante formation),
  • des indicateurs d’exclusion (ex : pourcentage de salariés n’ayant pas bénéficié d’actions de formation depuis au moins deux ans).

J’y ajoute les 5 indicateurs de progrès discutés ci-dessus.

La démarche des entreprises qui cherchent à construire l’ESR montre que la formation professionnelle ne peut pas être dissociée des politiques de GRH, ni de l’organisation du travail.

La démarche des entreprises qui cherchent à construire l’ESR montre que la formation professionnelle ne peut pas être dissociée des politiques de GRH, ni de l’organisation du travail. Au contraire, les liens entre ces trois domaines sont déterminants et permettent à Josiane Véro, chargée d’études au Département Formation et Certification du Cereq, d’établir une typologie des entreprises, classées en 4 familles[29] :

  • Les entreprises qui mettent en œuvre un « pilotage minimaliste de la formation » emploient 15% des salariés, souvent dans des PME. Le travail y est répétitif, à faible contenu cognitif et faible autonomie. Il n’y a pas de stratégie RH et le TPF[30] atteint le minimum légal.
  • Les entreprises qui fonctionnent suivant une « logique d’ajustement au poste » (39% des salariés) ont une organisation du travail qui présente des caractéristiques similaires, mais tirées vers le haut par des normes de qualité. La stratégie RH y est axée sur le développement de l’entreprise et les dépenses de formation y sont plus importantes (TPF = 2,6%).
  • Les entreprises qui déploient une « logique de développement des compétences » (21% des salariés) ont une organisation du travail basée sur des équipes autonomes, la résolution des aléas ; une stratégie RH axée sur le développement de l’entreprise mais incluant des entretiens individuel et une politique de formation plus étoffée (TPF = 4,6%).
  • Les entreprises qui mettent en œuvre une « logique de développement des capacités », proche de ce que nous entendons par ESR (25% des salariés) se caractérisent par une organisation du travail axée sur la rotation des tâches, une stratégie RH axée sur le développement de l’entreprise et des salariés, des espaces de délibération et une politique de formation ambitieuse (TPF = 6,5%).

Et c’est ainsi que nous revenons à la RSE. Car cette typologie a le grand mérite de souligner que la politique de construction des compétences ne s’envisage pas « hors sol » mais de façon systémique. De même, l’approche de l’ESR ne vient pas se greffer sur une organisation sans en changer le métabolisme. Il est bien évident que la « logique de développement des capacités » (4ème famille dans la typologie) passe par une politique de formation qui ne répond pas seulement aux besoins de l’entreprise mais aussi aux attentes d’autres parties prenantes, les salariés, et de l’intérêt général.

Conclusion

La première loi qui a posé les fondations de la formation professionnelle continue, la loi Delors de 1971, avait donné une impulsion puissante. Depuis, les fortes ambitions se sont paradoxalement fracassées sur le mur de la crise. Alors que la crise – qui n’est autre qu’une profonde transformation de nos systèmes productifs – aurait dû renforcer la légitimité de ces ambitions, ces dernières ont progressivement laissé place à une glissade morose dans la construction de dispositifs sophistiqués qui ignorent la capacité des acteurs sociaux à s’en emparer. Conséquence : les réformes se succèdent (au rythme d’une tous les trois ans cette dernière décennie) mais la réforme piétine. Il faut maintenant inverser la logique en renforçant les acteurs pour reprendre la voie des transformations sociales impulsées par le terrain, celle de la RSE.

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,
Management & RSE

Pour aller plus loin :

Cet article, « Emploi et formation à l’heure de la RSE : pour une employabilité socialement responsable », est paru initialement dans la revue Education Permanente n°213 (2017-4) consacrée aux politiques de l’emploi et formation. Education Permanente est la première revue francophone de recherche dans le champ de la formation et du développement des adultes, au travail et hors travail. Depuis sa création, Education Permanente (dirigée aujourd’hui par Paul Santelmann, directeur de la Veille « emploi & qualifications » à l’Afpa, Association pour la Formation Professionnelle des Adultes), s’efforce de répondre aux exigences d’une revue de recherche reconnue et à la nécessité de rendre service aux professionnels, en leur fournissant des instruments de pensée critique de leurs pratiques.

Consultez l’introduction générale de ce No d’ Education Permanente (fichier PDF)

Consultez le sommaire sur le site de la revue

Consultez l’article original en format PDF

Consultez le catalogue de la revue

Crédit image : La plus belle représentation de la connaissance, selon moi. C’est une œuvre de Jacek Yerka, artiste peintre polonais né en 1952, dont les tableaux relèvent du surréalisme mais aussi de l’onirisme.

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[1] Baromètre Cegos « Radioscopie des managers : la fonction managériale est-elle encore attractive ? », Octobre 2018 : 1025 salariés et 578 managers (n’appartenant pas à une instance dirigeante) ont été interrogés en France en juillet 2018. Tous les répondants travaillent dans une entreprise du secteur privé de 500 collaborateurs et plus, ou dans une organisation de la Fonction Publique d’Etat.

[2] Voir sur le blog de Management & RSE : « Sommes-nous tous du capital humain ? » http://management-rse.com/2015/07/08/sommes-nous-tous-du-capital-humain/

[3] Selon l’expression de Michel Foucault

[4] Je préfère les notions de motivation et d’implication à celle plus en vogue d’engagement. Voici pourquoi : « Travail et communication, le nouveau visage de la performance sociale » http://management-rse.com/2018/04/11/travail-et-communication-le-nouveau-visage-de-la-performance-sociale/

[5] La santé au travail est pourtant un domaine sous-investi par les entreprises : « Santé et sécurité au travail : 3 bonnes raisons d’investir » http://management-rse.com/2014/11/17/sante-et-securite-au-travail-3-bonnes-raisons-dinvestir/

[6] Martha C. Nussbaum, « Capabilités ; Comment créer les conditions d’un monde plus juste », éditions Climats, Paris, 2012. Voir également Fernagu-Oudet S. (2012), Favoriser un environnement « capacitant » dans les organisations, in Bourgeois E., Durand M. Eds., Former pour le travail, pp. 201-213, Paris, PUF

[7] La collision entre l’élévation du niveau d’éducation des jeunes qui entrent sur le marché du travail et la réduction de l’autonomie au travail dans les entreprises provoque des insatisfactions, de la frustration et du désengagement : voir sur ce point, « Autonomie au travail : la France a tout faux ! » http://management-rse.com/2016/06/15/autonomie-travail-france-a-faux/

[8] Voir « Les organisations du travail participatives : les 5 piliers de la compétitivité » http://management-rse.com/2013/09/12/les-organisations-du-travail-participatives-les-5-piliers-de-la-competitivite/

[9] Chiffres d’Eurostat concernant l’année 2011

[10] OCDE, « Regards sur l’éducation », édition 2017

[11] OCDE, « Perspectives de l’emploi », 2013

[12] Danielle Kaisergruber, « Formation : le culte du diplôme », Editions de l’Aube, juillet 2012

[13] Enquête réalisée par OBEA-InfraForces pour le cabinet de conseil en recrutement Michael Page et Le Monde auprès de 1 000 salariés d’entreprises de plus de 1 500 personnes, interrogés en mai 2013

[14] « Entrer et rester dans l’emploi : Un levier de compétitivité, un enjeu citoyen », Rapport Terra Nova du groupe de travail « formation professionnelle », 24 juin 2014 http://www.tnova.fr/note/entrer-et-rester-dans-l-emploi-un-levier-de-comp-titivit-un-enjeu-citoyen

[15] Voir « Pacte de responsabilité : l’impératif de la formation professionnelle » http://management-rse.com/2014/03/31/pacte-de-responsabilite-limperatif-de-la-formation-professionnelle/

[16] Marie Salognon, chercheuse associée à EconomiX (université de Paris X-Nanterre) et conseillère scientifique au CAE (Conseil d’analyse économique), étude publiée par le CAS (Centre d’analyse stratégique, aujourd’hui France Stratégie) et intitulée « L’exclusion professionnelle, quelle implication des entreprises? »

[17] Mathilde Lemoine et Étienne Wasmer, « Les mobilités des salariés », CAE, mai 2010

[18] Thomas Couppié, Jean-François Giret et Alberto Lopez, Centre d’études et de recherche sur les qualifications, CEREQ, 2009

[19] Alain Ruello et Marie Bellan, « Le gouvernement prépare un big bang sur les contrats courts », Les Echos, 16 octobre 2017. Les modalités évoquées ci-après se heurtent à une forte opposition du Medef et ont considérablement varié au cours du temps. Elles devraient être traitées par les partenaires sociaux lors de la négociation interprofessionnelle sur l’assurance chômage ouverte fin 2018.

[20] « Protection de l’emploi et procédures de licenciement », rapport du CAE, 2003

[21] “On the way to 2020: data for vocational education and training policies ; Countries statistical overwiews – 2016 update », CEDEFOP report, february 2017

[22] Voir également : « Quand l’école est finie, enquête 2010 auprès de la génération 2007 », Cereq, 2012

[23] Sur les ambitions initiales du Président, voir : « Réforme de la formation professionnelle : révolution de papier ? » http://management-rse.com/2018/02/22/reforme-de-formation-professionnelle-revolution-de-papier/

[24] Présentation de l’ouvrage de Renaud Descamps, Jean-Claude Sigot et Marion Lambert, « Quand la formation continue », 3ème biennale Formation – Emploi du Cereq, Paris, 19 septembre 2013.

[25] « L’entreprise idéale existe-t-elle ? », 5ème enquête de l’Institut du leadership du Groupe BPI avec BVA auprès de 9 145 salariés représentatifs de la population active dans 16 pays : Allemagne, Belgique, Brésil, Canada, Chine, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Italie, Maroc, Pologne, Roumanie, Royaume Uni, Russie, Suisse. L’enquête porte sur l’année 2012.

[26] Voir sur la VAE : « La VAE, outil de la RSE : quand le travail apprend » http://management-rse.com/2018/02/08/vae-outil-de-rse-travail-apprend/

[27] “Working for learners : a handbook for unions and their union learning representatives”, Unionlearn, April 2011

[28] « Rendre compte des impacts économiques et sociétaux des investissements en formation professionnelle ; Guide de reporting à destination des entreprises », Fédération de la Formation Professionnelle (FFP), février 2013

[29] Josiane Véro, « Politique d’entreprise et sécurisation des parcours : un lien sous-estimé ? », 3ème biennale Formation – Emploi du Cereq, Paris, 19 septembre 2013

[30] TPF : taux de participation financière = dépenses de formation déductibles/masse salariale

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