La VAE rend visible des compétences acquises sur le terrain
La Validation des acquis de l’expérience (VAE) a incité les acteurs de la formation à effectuer une saine révolution : elle confère la dignité d’un diplôme ou d’un titre professionnel à une personne en fonction de son expérience de travail ou de ses activités associatives, syndicales ou citoyennes. « On apprend toujours dans le travail, même dans le travail apparemment le plus simple, que l’on dit parfois non qualifié, » nous dit le rapport que Terra Nova vient de publier sur « Libérer la VAE : comment mieux diplômer l’expérience ». La VAE est ainsi un facteur de reconnaissance sociale et de dynamiques de mobilité professionnelle. Les partenaires sociaux qui négocient en ce moment même dans le cadre de la future réforme de la formation professionnelle devraient en tenir compte…
Créée par une loi de janvier 2002, la VAE permet à un travailleur de faire certifier les compétences qu’il a acquises au fil de son activité. Il doit pour cela identifier un certificateur (un ministère, dont celui de l’Education nationale, un organisme de formation public ou privé, une chambre consulaire, une branche professionnelle,…) au regard de son expérience et de son projet, construire son dossier de recevabilité et le faire accepter, constituer le « dossier d’expérience », sorte de mise en récit de sa vie professionnelle, soutenir son dossier lors d’un entretien avec un jury, composé d’enseignants du certificateur et en principe de professionnels.
En ouvrant des possibilités d’acquisition de diplômes à ceux qui ont une pratique professionnelle reconnue, et non seulement à ceux qui ont été distingués par le système scolaire et universitaire, la VAE a bousculé positivement le système français. Comme l’indique justement un rapport de la Fabrique de l’industrie, « pendant trop longtemps, la formation continue a davantage été conçue comme une formation initiale dispensée aux adultes (acquisition de savoirs de base, remise à niveau, etc.) que dans une logique de continuum permettant à tous les salariés de progresser dans leur vie professionnelle grâce à l’enrichissement de leurs compétences »[1]. Ce faisant, alors qu’elle apparaît parfois comme un dispositif un peu compassé, la VAE apporte une réponse aux besoins accrus d’adaptabilité et de mobilité ; elle nous fait entrer dans la modernité.
Comment la VAE contribue-t-elle à la RSE ?
La VAE en tant qu’outil de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), peut s’analyser selon deux angles.
- Sur le plan macro-économique, la VAE est un dispositif par lequel la société reconnaît l’acquisition de compétences par une personne qui a contribué à son développement.
- Sur le plan micro-économique, la VAE permet d’améliorer les compétences des salariés qui travaillent dans une entreprise et sont souvent ceux qui n’ont bénéficié que de peu de formation (initiale et continue) lors de leur parcours de vie et sont donc les plus vulnérables aux chocs externes (restructuration, problème de santé,…).
Au sens propre du terme, la VAE est un processus de reconnaissance, par la société sur le plan macro-économique ; par l’entreprise sur le plan micro-économique. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit, à rebours de la défiance généralisée (à l’égard de la société comme de l’entreprise) que nous connaissons, de venir à la rencontre des travailleurs, d’intégrer positivement la soif de reconnaissance dont ils font souvent preuve et de contribuer à leur développement personnel et professionnel.
La formation professionnelle doit être analysée sous l’angle de son empreinte sociale (voir : « La formation professionnelle : quelle empreinte sociale ? »). Or, sur le plan social, la VAE contribue à la lutte contre les inégalités. On connaît dans ce domaine, les limites des dispositifs traditionnels de la formation continue : la formation va à ceux qui sont déjà les mieux formés et échoue à donner une réelle seconde chance à ceux qui le sont moins. A contrario, la VAE est un réel dispositif qualifiant, contribuant à la promotion des salariés qui occupent les qualifications les plus basses. L’examen de la liste des 7 certifications les plus visées de 2012 à 2015 (page 23 du rapport Terra Nova) est instructive à cet égard.
En termes de mobilité, les vertus de la VAE sont connues depuis longtemps, comme en témoigne le rapport de Pierre Cahuc et Francis Kramarz de 2004 : « La question de la validation de l’expérience est centrale dans tout système cherchant à promouvoir non seulement la mobilité ascendante, c’est-à-dire au sein d’une profession ou d’un secteur, mais aussi la mobilité horizontale, c’est-à-dire entre professions ou entre secteurs »[2].
Terra Nova propose de développer la VAE vers deux publics prioritaires dans les politiques publiques et qui en bénéficient peu aujourd’hui : les jeunes et les demandeurs d’emploi. Vis-à-vis de ces deux populations vulnérables, le message est fort : si vous n’êtes pas fait pour l’école, si vous avez été écarté par l’entreprise, vous pouvez vous diplômer par le travail. Vous aurez donc autant de valeur. C’est juste une autre manière d’apprendre et d’être reconnu…
L’extension du numérique va contribuer au développement de la VAE. Terra Nova propose de mobiliser tout son potentiel. Le numérique rend possible des auto-diagnostics de positionnement, des décisions rapides de recevabilité et des simplifications administratives, des recours instantanés à des formations en ligne, et des tenues de jurys à distance.
L’engagement des entreprises : la VAE composante de votre projet RSE
Malgré une belle unanimité sur l’intérêt de la démarche, le nombre total de validations reste modeste (307 000 de 2002 à 2014), très inférieur aux objectifs assignés à l’origine (60 000 par an) et se situe en baisse assez régulière depuis 2011.
Pourquoi cette langueur ? Aujourd’hui, la VAE est une démarche d’initiative fortement individuelle, qui gagnerait à être mieux prise en compte par les entreprises. L’approche de la VAE est parfaitement en phase avec les attentes des chefs d’entreprise, qui considèrent que c’est en situation professionnelle que les personnes apprennent (plus qu’en suivant des stages de formation). Pourtant, on observe un faible développement quantitatif de la VAE, notamment en entreprise.
L’enjeu est que les entreprises s’emparent davantage de la VAE dans le cadre de démarches collectives, et en fassent un moyen de reconnaissance des salariés, un outil au service de la mobilité interne ou externe, un instrument de gestion stratégique des ressources humaines (voir : « La formation professionnelle, levier de la RSE »). Une bonne implication des entreprises permettrait aussi de fournir un meilleur accompagnement aux demandeurs, l’un des facteurs clés de succès majeurs, et par conséquent de contrecarrer l’un des freins majeurs au développement de la VAE, pointé par le rapport Terra Nova : le taux d’abandon très élevé, dû notamment à la longueur et à la complexité du processus.
Le rapport Terra Nova remarque aussi que la VAE est un droit individuel mais que le choix par des entreprises de mettre en place des VAE collectives pour des groupes de salariés bien déterminés est toujours très positif. « Ces VAE collectives présentent de meilleurs résultats en termes de réussite et déclenchent une dynamique collective. Pour les entreprises, la VAE peut répondre à un certain nombre d’enjeux : cultiver leur performance par un engagement renouvelé et une qualification actualisée des salariés concernés, développer la réactivité et la flexibilité de l’organisation afin de mieux anticiper et intégrer les évolutions de son secteur et/ou de ses métiers, changer l’image de ses métiers et du coup l’image de l’entreprise, et mettre en œuvre sa responsabilité sociétale ».
Intégrer la VAE comme dispositif d’évolution professionnelle pour les salariés les moins qualifiés dans le projet RSE est pour l’entreprise, une façon concrète et visible d’affirmer sa responsabilité sociale. Cela permet de développer les capacités de ces salariés à progresser au sein de leur entreprise mais aussi de mieux valoriser leur parcours à l’extérieur. C’est une dimension essentielle de ce que j’ai appelé l’« employabilité socialement responsable » (voir : « 6 champs de progrès pour une employabilité socialement responsable »).
Le rapport Terra Nova donne un exemple d’entreprise qui s’est saisie de la VAE comme levier de sa responsabilité sociale : le groupe Veolia a souhaité donner à ses managers un objectif de montée en compétences et de reconnaissance de métiers faiblement valorisés : chauffeurs, éboueurs… Il s’agissait là du prolongement d’une politique entamée dès les années 1990 et clairement engagée dans un partenariat avec l’Éducation nationale pour parvenir à créer des diplômes nouveaux[3].
Au-delà d’une simple certification des compétences, la VAE permet aussi de les développer. On connaît déjà des VAE hybrides, qui se combinent avec la formation dans une logique d’acquisition de compétences manquantes – l’objectif étant l’obtention de la certification. Terra Nova propose d’étendre ces démarches de façon plus ambitieuse vers « une VAE de parcours, qui combine dès le début de la démarche l’organisation de ressources et de séquences de formation – tandis que la VAE d’origine était davantage conçue pour reconnaître une expérience passée en la valorisant par un diplôme ».
Face aux lourdeurs du système de formation, à ses difficultés à tenir compte rapidement des mutations du travail dues aux bouleversements du numérique, « cette VAE de parcours est une réponse d’avenir aux besoins des entreprises qui doivent s’adapter aux changements rapides des techniques et des manières de travailler, plus proche en quelque sorte du terrain ». Dans notre économie constituée à 75% d’activités de services, elle est un remarquable outil de RSE pour faire progresser les métiers faiblement valorisés bien qu’indispensables à nos sociétés de services. Au croisement des politiques de GRH et de RSE, elle constitue un facteur de fidélisation et de motivation.
Pour inciter les entreprises à s’engager, Terra Nova propose notamment de sanctuariser un financement dédié à la VAE sur les budgets de formation obligatoires et de mobiliser les syndicats, les représentants du personnel pouvant être des vecteurs importants de développement de la VAE.
Conclusion
Véritable outil de promotion sociale, de reconnaissance socioprofessionnelle, de reconversion et d’insertion professionnelle, la VAE doit désormais devenir un véritable dispositif de sécurisation des parcours professionnels.
Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises, Management & RSE ; reponsable du pôle « Entreprise Travail & Emploi » de Terra Nova
Pour aller plus loin :
Danielle Kaisergruber, David Rivoire et Abdoul Karim Komi, « Libérer la VAE : comment mieux diplômer l’expérience », Rapport Terra Nova, 7 février 2018. A télécharger ici.
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Crédit image : Souvenirs brouillés d’une expérience (non validée) d’écoute d’Abbey Road, l’un des meilleurs albums des Beatles.
[1] Thibaut Bidet-Mayer et Louisa Toubal, « Formation professionnelle et industrie : Le regard des acteurs de terrain », Rapport de La Fabrique de l’industrie, octobre 2014
[2] Pierre Cahuc et Francis Kramarz, « De la Précarité à la Mobilité : Vers une Sécurité Sociale Professionnelle », Rapport officiel, 2 décembre 2004
[3] Voir également Damien Brochier, « Le développement de la VAE dans un groupe de services », La Revue de l’IRES, n° 55, 2007