Reconnaître la valeur du travail

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Conditions de travail : un chantier inachevé mais un témoignage durable…

Peut et doit mieux faire… c’est en substance ce qu’affirme Martin Richer pour la France en matière de conditions de travail. Manque de reconnaissance, stress, faible pouvoir de décision, soutien insuffisant du management, carrière stagnante… sont les raisons invoquées à ce mal-être.

Voici la fin de son interview en deux parties publiée par le mensuel Prévention BTP, dont vous avez pu lire le début dans un précédent post : « La prévention des risques professionnels, levier de la RSE ».

Comment se situe, selon vous, la France en termes de conditions de travail ?

La dernière étude de la Fondation de Dublin sur les conditions de travail en Europe montre assez bien les enjeux[1]. En France, 21 % des salariés se déclarent très satisfaits de leurs conditions de travail. C’est peu. Tous les grands pays fondateurs de l’Union européenne sont largement au-dessus : l’Allemagne est à 29 %, le Royaume-Uni à 39, l’Espagne à 23. Notre conception du travail est encore très taylorienne. Les salariés ont une faible marge de manœuvre et doivent exécuter un travail qui a été conçu par d’autres. Seuls 31 % d’entre eux déclarent pouvoir influencer les décisions qui sont importantes pour leur travail, alors que la moyenne des 27 pays de l’Union est à 40 %[2]. Cela montre que nous avons des déficits dont beaucoup sont liés, selon moi, à l’organisation du travail.

Quels sont les principaux facteurs que les salariés mettent en avant concernant leurs conditions de travail ?

Le premier facteur est la reconnaissance de leurs efforts et du travail, au sens large. 30 % des Français disent que ce qu’ils font n’est pas reconnu par les autres, ce qui est là aussi très supérieur à la moyenne européenne, qui se situe à 22 %[3]. En France, nous avons une difficulté à reconnaître la valeur du travail, à donner un feedback positif aux salariés, notamment parce qu’on a peur qu’ils demandent une augmentation de salaire. Surtout, nous sommes cantonnés à une approche de mesure de la performance en oubliant les moyens mis en œuvre pour atteindre la performance attendue et en ne parlant pas beaucoup du travail réel dans les entreprises. Or ce qui importe aux salariés, c’est d’être capables de réaliser un travail de qualité. Le stress et le mal-être apparaissent quand ils estiment qu’ils n’en ont pas les moyens[4].

Le management est-il en cause ?

Le management et l’organisation du travail sont au cœur de cette problématique. Mais on ne peut pas tout leur imputer. L’enquête de la Fondation de Dublin sur les conditions de travail révèle que la France est le dernier pays de l’Union Européenne où les salariés sont encouragés par leur responsable hiérarchique à participer aux décisions importantes. En même temps, une enquête française sur le management[5]montre que 40 % des managers se disent non-associés à l’élaboration de la stratégie de l’entreprise. Il y a donc une déficience du management, mais ce n’est pas pour autant que les managers en portent seuls la responsabilité. Il faut d’abord leur donner les moyens d’assumer leurs responsabilités, comme le préconisait déjà le rapport Lachmann Larose Pénicaud,[6]alors que dans le même temps le ratio du nombre de managés par managers est en constante augmentation. Ils ont de moins en moins de temps pour accompagner leurs équipes, ils sont absorbés par le reporting et par des tâches bureaucratiques (« Les organisations du travail participatives : les 5 piliers de la compétitivité »).

Quels sont les leviers d’amélioration ? Que faudrait-il changer ?

On retombe toujours sur les mêmes cinq leviers majeurs : la reconnaissance et le dialogue autour du travail réel, déjà évoqués ; le dialogue social : la direction de l’entreprise a-t-elle une approche ouverte et est-elle capable de parler en toute transparence de sa stratégie ? Le management, déjà évoqué. Dernier levier, la conduite du changement : est-on capable d’anticiper les impacts humains et sociaux des changements, tels les réorganisations et les restructurations ? Le changement est-il imposé ou les salariés peuvent-ils y contribuer et être acteurs du changement ?

Le BTP a un taux d’absentéisme deux fois inférieur à la moyenne alors qu’il est souvent qualifié de « métier pénible ». Comment l’expliquez-vous ?

C’est le secteur dans lequel se trouve la proportion la plus importante de salariés qui jugent leur travail pénible, ce que déclarent 79 % des ouvriers du secteur dans l’étude de Viavoice[7]. Il y a un lien entre précarité et pénibilité car 31 % des ouvriers de ce secteur estiment que leur travail est précaire. La notion de pénibilité et l’appréhension de la pénibilité ont beaucoup changé ces dernières années. Le BTP est vu comme un secteur à forte pénibilité parce qu’on pense à une notion physique. Or la pénibilité a trois dimensions : la dimension physique, mais aussi la dimension mentale et sociale. Le BTP est placé très haut en termes de pénibilité physique. En revanche, il est extrêmement bien placé en termes de pénibilité mentale. La dernière enquête d’Alma Consulting Group montre que l’absentéisme dans la banque est deux fois supérieur à ce qu’il est dans le BTP.[8]

La formation professionnelle joue-t-elle son rôle dans les entreprises afin de permettre aux salariés d’évoluer dans leur fonction ou vers une nouvelle carrière ?

Là aussi, c’est un terrain de conquête et un champ de progrès considérable. La formation est très mal répartie : elle va d’abord aux mieux formés et aux plus qualifiés. Il y a aussi un problème de portage de la stratégie de formation professionnelle dans les entreprises, afin d’offrir aux salariés une véritable sécurisation de leur parcours. Il faut que les managers soient sensibles à ces questions de construction des compétences pour qu’ils aident les salariés dont ils sont responsables à construire ces parcours et à utiliser les formations comme un des outils pour évoluer (« La formation professionnelle, levier de la RSE »).
En France, de nombreux salariés se disent enfermés dans leur fonction. Beaucoup sont en souffrance, insatisfaits de leur poste et trouvent que leur travail n’est pas reconnu. Ils ne changent pas de poste ou d’entreprise parce qu’il y a la crise et le chômage, mais aussi parce que l’on n’a pas réussi à leur donner le désir de le faire.

Propos recueillis par Diane Valranges, « Prévention BTP », No 174, avril 2014

Pour aller plus loin :

Revue « Prévention BTP », No 174, avril 2014 : consultez le sommaire

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[1] “5th European Working Condition Survey”, EWCS, Eurofound, April 2012

[2] L’enquête a été réalisée avant l’entrée de la Croatie, 28ème Etat membre de l’Union

[3] “3rd European Quality of Life Survey”, EQLS, Eurofound, November 2012

[4] Voir : Yves Clot, « Le travail à cœur – Pour en finir avec les risques psychosociaux », La Découverte, mai 2010

[5] « 1er baromètre des managers : Les résultats de l’édition 2012 », CSP Formation, mars 2013

[6] Rapport d’Henri Lachmann, Christian Larose et Muriel Pénicaud, « Bien-être et efficacité au travail », février 2010

[7] « Les palmarès du bonheur professionnel », Viavoice – Le Nouvel Observateur, octobre 2013

[8] Baromètre de l’absentéisme 2013, Alma Consulting Group

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