Raison d’être : singularité et empreinte

Entreprise à mission : « La raison d’être est à la fois une singularité et une empreinte que l’on souhaite laisser. »

Ce sont des mots qui pèsent : « raison d’être », « entreprise à mission ». Des mots déjà entendus, mais qui désormais racontent des engagements forts pour les entreprises. Au-delà des mots, des qualités, statutaires, impliquantes, qui poussent plus loin encore le principe de la RSE[1]. Lors de la convention LUCIE organisée par la CCI, le I7 septembre 2019, Martin Richer, consultant spécialisé en RSE, a décrit comment, en définissant sa raison d’être, l’entreprise ouvre une autre dimension pour elle, ses parties prenantes et le monde en général. Quelles différences entre slogan et raison d’être ? Comment devenir une société à mission ? Quel intérêt à le faire ? En route vers un intérêt collectif assumé.

Interview dans Anjou Eco, trimestriel de la CCI du Maine-et-Loire

Anjou Eco : Qu’est-ce qu’une « entreprise à mission » ?

Martin Richer : Pour débattre sur sa raison d’être et sur la notion de société à mission, il faut d’abord se questionner sur Ia notion d’entreprise, et accepter de déconstruire ses croyances en la matière. Le droit français ne définit pas l’«entreprise», lui préférant le terme de «société». Une société est un rassemblement d’actionnaires, qui se sont mis d’accord pour prendre un risque ensemble, en vendant des biens ou des services, et pour en tirer des bénéfices qu’ils se partagent.

L’entreprise va au-delà de cette idée. Elle n’appartient pas aux actionnaires. Elle regroupe des ressources humaines, matérielles, des idées, des capitaux autres que financiers. Elle porte l’idée d’un projet, d’une aventure. L’entreprise a d’autres objectifs que de maximiser les retours financiers des actionnaires. Elle intègre l’ensemble des parties prenantes, internes et externes. Et elle tend à s’améliorer sur trois dimensions : économique, sociale-sociétale et environnementale. Ce que les Anglo-saxons nomment les « 3P » : People, Planet, Profit.

L’entreprise est un objet d’intérêt collectif ?

Oui, dans la mesure où elle s’interroge sur l’impact qu’elle veut laisser. La loi Pacte, inspirée par le rapport Notat-Sénard, a structuré une architecture, sorte de fusée à trois étages, qui permet aux entreprises de se situer dans le formalisme de leur engagement, de la RSE jusqu’à la société à mission.

Comment se situe la RSE dans cette réflexion ?

Elle est le premier étage de la fusée. Depuis le vote de la loi Pacte en avril 2019, la RSE est consacrée dans la loi. Elle est une obligation pour toutes les entreprises. L’article 1833 du Code civil, qui définit l’objet d’une société, stipule ainsi: « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. » La notion d’« intérêt social » est la transcription dans le droit de la jurisprudence. Elle informe du fait que les objectifs de la société peuvent être distincts de ceux des actionnaires. Ils ne sont pas uniquement économiques. Cette nouvelle rédaction a une portée juridique faible, mais cela reste un symbole qui compte.

Par rapport à la RSE, que signifie la « raison d’être » ?

La raison d’être donne une visée, pour se projeter dans son environnement sur le long terme. Quel apport au monde qui nous entoure notre entreprise souhaite-t-elle ? C’est un étage de la fusée plus impliquant, qui repose sur le volontarisme. L’article 1835 du Code civil indique ainsi : « Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans Ia réalisation de son activité. »

Jusqu’où va l’entreprise à mission ?

La notion d’entreprise n’est toujours pas véritablement inscrite dans le droit ; on parle donc de société à mission. Ce n’est pas un statut (une société anonyme ou une coopérative), mais une qualité. Elle est encore plus formelle et impliquante, en raison de l’engagement de résultat. On va plus loin.

« La raison d’être est à 360 degrés. C’est ce que l’on est aujourd’hui et ce que l’on veut être demain. »

Qu’est-ce qui distingue la raison d’être de l’entreprise à mission ?

Cinq critères. Il faut avoir inscrit sa raison d’être dans les statuts, après une assemblée générale. Il faut avoir décliné la raison d’être en objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux. Ces objectifs doivent être mesurables. Par exemple, OpenClassrooms, grand acteur européen de la formation online, définit ainsi sa raison d’être : « Rendre l’éducation accessible à tous » ; et il la décline en objectifs très précis (partenariat avec Pôle emploi,…).

Il y a aussi la gouvernance ; il faut créer un comité de mission avec au moins un salarié, qui effectue un suivi précis de la mission. Ce comité doit vérifier que les objectifs donnent effectivement, concrètement, chair à la mission. Le quatrième critère consiste à faire vérifier par un tiers externe qui rédige un avis joint au rapport annuel de l’entreprise. Enfin, la qualité doit être déclarée au greffe du tribunal de commerce, qui vérifie la conformité des statuts et publie la qualité de la société à mission.

N’est-ce pas contraignant ?

Ça l’est et c’est une réelle barrière. Mais d’un autre côté, ces contraintes garantissent l’authenticité des démarches. Elles évitent l’effet greenwashing. Je dis souvent que la RSE signifie pour moi « Retour Sur Engagement » ; on prend des engagements et on vérifie qu’on les tient. Il ne faut pas confondre la raison d’être ou la mission avec un objet social, un manifesto, une vision, une vocation. Storytelling, identité, récit, marque employeur… ne parlent qu’à une ou quelques parties prenantes, mais pas à toutes. La raison d’être, elle, est à 360 degrés. C’est ce que l’on est aujourd’hui et ce que l’on veut être demain, vis-à-vis de ses parties prenantes. L’expression de sa raison d’être n’est pas un travail en chambre, c’est une démarche qui vient de l’intérieur, un projet collectif qui met tout le monde d’accord.

On est loin du slogan ?

Un gourou américain du « purpose », l’équivalent de notre raison d’être, explique que cette dernière doit pouvoir être écrite sur un tee-shirt. Pour autant, effectivement, ce n’est surtout pas un slogan. La raison d’être est à la fois une singularité et une empreinte que l’on souhaite laisser. Elle donne sens, dit pourquoi on travaille.

Comment distinguer la mission de la communication ?

Avec mon partenaire « Des enjeux et des Hommes », nous avons défini neuf critères auxquels selon nous, la raison d’être doit répondre. Elle doit être simple et synthétique, différenciante, stable, inspirante, adaptable, crédible, en correspondance avec les ODD[2] et inclusive des parties prenantes. Lorsque la marque Petit Bateau exprime sa raison d’être en disant : « Du côté des générations futures depuis 1893 », c’est un très joli slogan, mais pas une raison d’être, qui définit une contribution aux enjeux sociaux et environnementaux pour le futur.

Où en sont les sociétés à mission ?

Aux Etats-Unis, le mouvement se déploie depuis les années I 990. En France, aujourd’hui, une trentaine d’entreprises sont sur le chemin. Celles qui sont déjà avancées dans leur démarche RSE ont un temps d’avance.

Si l’entreprise à mission a des devoirs, a-t-elle aussi des droits ?

C’est en débat. Certains évoquent le droit à un taux de TVA inférieur, quand l’entreprise montre et démontre qu’elle a plus d’impact positif que ses voisins. Nous y viendrons peut-être un jour, mais il est trop tôt pour le dire, et encore plus pour savoir sous quelle forme. L’idée aujourd’hui est plutôt de miser sur des labels que sur des avantages monétaires ou des dérogations.

Existe-il des sanctions pour les entreprises qui ne respecteraient pas les engagements pris au travers de leur raison d’être ?

Il n’y a pas de sanction au sens monétaire. Si la raison d’être n’est pas respectée, pas mise en œuvre, la qualité est tout bonnement retirée.

Propos recueillis par Aurélie Jeannin

Retour sur l’atelier Entreprise à mission

A l’occasion de cette intervention de Martin Richer lors de la convention LUCIE organisée par la CCI le 17 septembre 2019, un questionnaire court a été adressé aux participants, dont vous trouverez ici les résultats :

  • les principaux avantages à devenir une entreprise à mission ;
  • les principaux freins et obstacles à devenir une entreprise à mission ;
  • les besoins en outils et accompagnements.

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,

Management & RSE

Pour aller plus loin :

Consultez cet article sous format PDF : Anjou Eco n°57 – novembre 2019

Consultez cet article sur le site de la CCI

Passez en revue les articles de ce blog consacrés à la raison d’être et aux sociétés à mission

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[1] Responsabilité Sociétale des Entreprises

[2] Objectifs du Développement Durable (définis par l’ONU)

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