Du partenariat à l’écosystème : les parties prenantes dans tous leurs états

Interview de Martin Richer, fondateur de Management & RSE, publié par « Du grain à moudre » #37 – Mars 2019 ; propos recueillis par Romaric Sangars.

Le partenariat est-il une notion défendue en termes de RSE ?

Absolument. Une des notions-clé de la RSE, c’est celle de « partie prenante », qui englobe de façon très large, toutes les organisations et personnes affectées par l’activité de l’entreprise[1]. Toutes les démarches de RSE se fondent sur la reconnaissance des parties prenantes : ces partenaires qui s’imposent à vous, qu’il s’agisse de l’État ou des générations futures… Le partenariat au sens propre, choisi, lui, a été défini selon quatre critères : il s’agit d’une relation d’affaires bâtie sur mesure ; cette relation repose sur la confiance mutuelle ; elle nécessite un esprit d’ouverture ; enfin, elle implique un partage des risques et des bénéfices[2].

Pouvez-vous nous détailler cette définition ?

Eh bien, tout d’abord, une relation « bâtie sur mesure », cela signifie qu’il y a co-construction : à l’inverse des injonctions imposées de façon unilatérale par un donneur d’ordres dominant, chacun apporte une pierre. Mais si l’on veut que cette « co-construction » soit effective, il faut, au-delà de la règle, que s’instaure au quotidien un climat de confiance vécu par les partenaires. Or, la confiance est mathématiquement plus facile à détruire qu’à construire : il suffit qu’un seul doute pour que la confiance s’effondre dans chaque partie. L’esprit d’ouverture est essentiel, consistant à admettre qu’on n’a pas forcément raison tout seul. Enfin, les entreprises, de même que toutes les organisations vivantes, doivent évaluer en permanence les risques et les bénéfices d’une relation.

Vous évoquez une « crise de la coopération ». Celle-ci serait-elle typiquement contemporaine ?

« On passe du taylorisme, où chacun sait quelle tâche lui est assignée et peut travailler indépendamment, à une société de la connaissance où il n’est plus possible pour une seule personne de résoudre les problèmes complexes auxquels elle est confrontée. »

Oui, je pense que c’est un problème lié à la mutation de notre système économique. On passe du taylorisme, où chacun sait quelle tâche lui est assignée et peut travailler indépendamment, à une société de la connaissance où il n’est plus possible pour une seule personne de résoudre les problèmes complexes auxquels elle est confrontée[3]. Donc, plus on avance dans cette mutation, plus on est obligé de coopérer, alors que le réflexe de l’humain, est au contraire de rechercher l’autonomie[4]. Si la coopération ne répond pas à une tendance naturelle, il faut par conséquent que ce soit l’organisation du travail qui l’encourage, or, il n’en est rien ! C’est le « paradoxe managérial » : derrière les injonctions à la coopération, en réalité, les dispositifs managériaux restent souvent construits selon le modèle issu du taylorisme.

Le partenariat représente-t-il une piste judicieuse dans le cadre de la globalisation économique ?

Clairement. Dans le développement durable, on parle d’« écosystème », cela désigne l’ensemble formé par une communauté d’êtres vivants et son environnement où se développe un réseau d’échanges en vue du maintien et du développement de la vie. Cela a été ensuite appliqué au business stratégique. Au début des années 2000, chez Microsoft, on a commencé à expliquer que le but à viser n’était pas simplement les résultats de l’entreprise mais qu’il fallait optimiser tout l’écosystème, ce qui, dans un second temps fera encore davantage grandir l’entreprise parce que des synergies positives se seront mises en place. On est donc bien loin d’une conception étroite de la performance qui prévaut encore trop souvent.

Quelles sont les erreurs les plus fréquentes que vous rencontrez dans le cadre du partenariat ?

En avoir une vision instrumentale et ne penser qu’à ses propres performances. Cela a été le défaut de beaucoup dans le cadre de l’« open innovation », quand certains grands groupes ont racheté des start-ups pour s’accaparer leurs savoir-faire, en ne percevant les choses qu’à travers le prisme de leur propre organisation. Résultat : ils ont simplement étouffé l’innovation. D’une autre manière, en France, les équipementiers automobiles ont été détruits par les gros constructeurs, si bien que ceux-ci ont été obligés d’aller chercher des équipements en Allemagne ou en Asie, ce qui a créé un ensemble de nouveaux problèmes. Ils ont alors fait un effort vis-à-vis des équipementiers français qui ont pu se développer et retrouver leur croissance, et ce sont les constructeurs qui en bénéficient aujourd’hui. Certaines technologies nouvelles intégrées dans leurs derniers modèles ont été développées par leurs équipementiers et ne l’auraient pas été sans eux. Comme l’affirme justement un proverbe africain, seul on va plus vite ; ensemble on va plus loin.

Pour aller plus loin :

Consultez cet article en téléchargeant « Du grain à moudre » en format PDF (voir la dernière page)

Approfondissez la notion de partie prenante : « Les parties prenantes, le biocarburant des nouveaux business models »

Crédit image : « Ensemble nous vaincrons » : poster de propagande américain (1943) également appelé « Pas de victoire sans le travail »

[1] Selon la définition de l’ISO 26000 : « Les parties prenantes sont des organisations ou des individus qui ont un ou plusieurs intérêts dans une décision ou activité quelconques d’une organisation (entreprise). Du fait que ces intérêts peuvent être affectés par l’organisation (entreprise), il se crée un lien avec celle-ci » (Source: ISO 26000, 2010, Clause 2.20). Définition séminale de Edward Freeman, philosophe et universitaire américain, qui a le premier théorisé la notion de « stakeholder » (1984) : « tout groupe qui peut affecter ou être affecté (impacter ou être impacté, selon les traductions) par la réalisation des objectifs de l’entreprise ».

[2] Je reprends cette définition à trois spécialistes du partenariat en logistique industrielle, Lambert, Emmelhainz & Gardner. Voir Lambert, D. M., Emmelhainz, M. A., & Gardner, J. T. (1996), ‘Developping and implementing supply chain partenerships”, The International Journal of Logistics Management, 1-17 et Lambert, D. M., Emmelhainz, M. A., & Gardner, J. T. (1999), « Building successful logistics partnership”, Journal of Business Logistics, 165-181

[3] Voir : « Travailler ensemble : pour une intelligence de la coopération »

[4] Voir : « Éloge de la coopération : ce que nous dit Richard Sennett »

Partager :

Facebook
Twitter
LinkedIn
Email
WhatsApp

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *