Face à face sur la nouvelle représentation des salariés

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Ordonnance sur le travail et CHSCT – « La RSE est synonyme de conduite durable des affaires, fondée sur l’ouverture des points de vue et la prise en considération de tous les aspects de la création de valeur, » affirmait l’IFA dans une excellente brochure destinée aux dirigeants d’entreprise (« RSE & durabilité du projet d’entreprise, mission stratégique du Conseil », janvier 2017). L’ouverture des points de vue suppose un management à l’écoute et un dialogue social de qualité, tendu vers l’objectif d’un vrai échange entre parties prenantes mais surtout vers la volonté de coproduire des progrès tangibles pour les collaborateurs et pour la société dans son ensemble.

Les ordonnances Travail effectuent un pas dans cette direction, qui me semble positif mais reste controversé. La revue mensuelle Préventique, qui traite notamment de la prévention des risques professionnels, de la santé et de la sécurité au travail, m’a donné l’occasion d’en débattre avec Denis Garnier dans son No 155 (Novembre 2017) que l’on trouvera ci-dessous.

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L’ordonnance du 22 septembre 2017 fusionnant les représentations des salariés dans les entreprises a suscité beaucoup de craintes : y a-t-il atteinte aux possibilités offertes aux salariés de discuter des questions d’hygiène et de sécurité dans leur entreprise ?

Dans un duel entre gentlemen, on se mesure mais on tire en l’air !

Denis Garnier et Martin Richer ne partagent pas le même point de vue. Ils ont accepté d’en débattre ici.

Denis Garnier est Syndicaliste

Martin Richer est Consultant en responsabilité sociétale des entreprises et fondateur de Management-RSE.com

La loi d’août 2015, dite loi Rebsamen, intègre le CHSCT dans une délégation unique du personnel (DUP) pour les entreprises de moins de 300 salariés. Au-dessus, il faut un accord majoritaire. L’ordonnance du 22 septembre 2017, crée un comité social et économique (CSE) dans toutes les entreprises de plus de 10 salariés. Le nombre de membre sera fixé par décret. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, le CSE remplace les CE, DP et CHSCT. Une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) est créée. Les membres de la commission sont désignés par le CSE parmi ses membres. La CSSCT, par délégation du CSE, se voit confier les attributions du comité relatives à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail, à l’exception du recours à un expert. Ce droit à expertise est conservé mais sera exercé par le CSE. Les missions de la CSSCT semblent en retrait par rapport à l’ancien CHSCT, en matière de prévention des risques et de veille du respect des obligations légales.

Que pensez-vous de la fusion des instances de représentation des personnels ?

Denis Garnier – « Tel que défini par le code du travail, le CHSCT contribuait, avec l’employeur, « à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale des travailleurs ». Cette formulation, identique pour les deux parties, est aujourd’hui écartée par cette ordonnance. Elle donnait un sens commun, objectif partagé entre employeurs et travailleurs. Demain, la santé des salariés sera immergée dans le cadre plus large de « la promotion de la santé dans l’entreprise ». Il était impossible au CHSCT d’acquérir les compétences nécessaires dans des domaines aussi divers que les risques chimiques, biologiques, physiques, le bruit, les vibrations, les rayonnements, les risques psychosociaux, les harcèlements, les organisations du travail etc. Comment faire dans cet espace de promotion de la santé ?

La veille des prescriptions légales, assurée auparavant par le CHSCT, n’est plus d’actualité. L’employeur est donc libéré d’obligations de bon sens.

La promotion de la santé sous-entend la prévention. Lorsque le mot est clair, « prévention », il a du mal à se faire comprendre des employeurs. Dans l’ordonnance, il est sous-entendu !

Notons que le texte renvoie entièrement à la négociation pour définir les moyens de fonctionnement de cette commission et qu’aucun minima n’est fixé par décret. Enfin, le fait que ne soit pas prévue la possibilité de maintenir des instances séparées, par accord, entre les employeurs et les syndicats, est en contradiction avec le dialogue social que prétend porter la réforme. »

Martin Richer – « La fusion des IRP au sein d’une instance unique, le « comité social et économique » (CSE) constitue une réforme progressiste, et cela pour 5 raisons.

  1. La distinction entre DP focalisés sur les droits individuels et CHSCT centré sur les droits collectifs n’a plus de sens à l’heure où les risques psychosociaux ont pris le pas sur les risques physiques. Dans son rapport « Les CHSCT au milieu du gué »[1], le professeur Pierre-Yves Verkindt recommandait la fusion entre CHSCT et DP.
  2. Pour traiter les problématiques d’aujourd’hui, celles du temps de travail, de la charge de travail, du télétravail, de la conciliation vie personnelle–vie professionnelle, la séparation des aspects économiques et métiers (traités par le CE) des aspects santé et conditions de travail (CHSCT) devient un obstacle. Le travail échappe à tout découpage en tranches et requiert une analyse systémique.
  3. La multiplicité actuelle des instances n’est pas une bonne solution pour les représentants du personnel (RP) qui ont déjà bien du mal à susciter des vocations et courent d’un comité à l’autre. L’étude de l’économiste Thomas Breda montre que 62 % des RP cumulent les mandats, le plus souvent contraints par le manque de candidats[2].
  4. Le dialogue social à la française, comparé à ce qui se passe chez nos voisins européens, se caractérise par l’importance des moyens consacrés, qui produisent très peu de progrès réels. En d’autres termes, la France se situe en queue du peloton quant à la capacité des RP d’infléchir les décisions prises par les directions d’entreprise (voir : « Le dialogue social à la française, chef d’œuvre en péril »). Une instance unique, plus cohérente et plus forte permettra d’y remédier.
  5. L’essentiel des projets de changement qui sont mis en œuvre aujourd’hui dans les entreprises résultent de « la révolution du numérique ». Or, une très grande partie de ces projets, qui sont les plus stratégiques pour l’avenir des salariés, échappent aujourd’hui au dialogue social car la séparation entre CE et CHSCT n’est pas pertinente pour débattre de leurs effets ».

Denis Garnier, comment renforcer le rôle direct des salariés dans la discussion sur les questions de santé au travail ? Comment les salariés pourraient-ils faire appel à des expertises extérieures ?

Denis Garnier – « Le code du travail impose l’analyse des risques professionnels au CSE mais aussi au service de santé au travail. Or le CSE, comme le feu CHSCT, n’a pas les moyens de cette analyse, car cela suppose des connaissances, des techniques que seuls des professionnels avertis peuvent mener avec succès. La réforme passe donc à côté de l’essentiel. La question de la santé au travail mérite une observation clinique des situations de travail à partir de faits et d’alertes qui ne peuvent être rapportés que par ceux qui travaillent. Il faut donc organiser une collecte d’informations de qualité. Cela passe par une protection sans faille de celui qui s’exprime, qu’il soit travailleur ou représentant du personnel. Le CSE doit pouvoir agir avec du temps et des moyens suffisants pour mener les enquêtes et rédiger les compte rendus à transmettre au service de santé au travail qui procèdera ensuite à l’analyse du risque. La relation travailleurs–représentants du personnel doit être privilégiée pour obtenir cette information indispensable pour une prévention de qualité.

Enfin, l’apport d’une expertise extérieure doit pouvoir s’opérer à deux niveaux ; dans les entreprises dotées d’une CSST, pour les risques graves et les réorganisations importantes ; pour les autres, par des services en matière d’enquêtes, d’analyses, de rédaction du DUERP[3] et de plan d’actions de prévention des risques. Il s’agit bien d’obtenir les meilleures réponses pour assurer la protection physique et mentale des salariés. »

Martin Richer, vous avez présidé un groupe de travail de Terra Nova qui a rendu un rapport sur « le dialogue social au seuil d’un renouveau »[4]. Comment limiter les abus s’il n’y a aucun encadrement du dialogue des questions de santé au travail ?

Martin Richer – « Je ne crois pas que la question du travail sera éclipsée par celle de l’emploi au sein du CSE. D’abord parce que la question de la qualité du travail revient en force à la fois dans les stratégies syndicales et dans l’agenda des directions. Ensuite parce que les ordonnances prévoient un certain nombre de « garde-fous », par exemple le fait que les CSE traiteront les sujets de santé et sécurité au cours d’au moins 4 réunions par an (même fréquence minimum que celle demandée aux actuels CHSCT) en plus, bien entendu des réunions ponctuelles en cas d’événement grave.

Le vrai inconvénient de cette fusion des IRP (et j’admets qu’il est de taille) est le risque d’éloignement entre le lieu du dialogue social et celui de la réalisation du travail. Le dialogue de proximité est bien incarné par les actuels DP, beaucoup mieux que par les futures commissions de santé, sécurité et conditions de travail dont le seuil de création se situe à 300 salariés (contre 50 pour les actuels CHSCT). Certes, les ordonnances prévoient la possibilité de mettre en place par accord d’entreprise des représentants dits « de proximité », mais personne n’a à gagner d’une politisation du débat sur le travail, qui risque pourtant d’intervenir du fait de cet éloignement.

L’enjeu pour les directions d’entreprise comme pour les élus du personnel est désormais de s’organiser et de mieux cultiver les compétences pour être plus efficace dans le cadre du CSE. Cela nécessite une vision stratégique du dialogue social. »

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,

Management & RSE

Pour aller plus loin :

Accédez à l’article de la revue Préventique, No 155, Novembre 2017

Consultez le sommaire du No 155

Lisez mon débat avec le professeur Pierre-Yves Verkindt dans « Santé & Travail » : « Faut-il conserver le CHSCT ? »

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[1] « Les CHSCT au milieu du gué » remis le 28 février 2014 par P. Y. Verkindt au ministre du travail.

[2] Thomas Breda, Les représentants du personnel en France, Presses de Sciences Po, mars 2016

[3] Obligation légale instaurée par un décret en 2001 sur le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), qui généralise l’obligation de prévention de l’employeur. (Note de MR)

[4] Voir Luc Pierron et Martin Richer, « Le dialogue social au seuil d’un renouveau », Note Terra Nova, 25 septembre 2014

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