2015, année RSE ?

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[Le titre de cet article pourrait être « 2018, année RSE ?» tant les fondamentaux sont invariants… Mise à jour : 5 janvier 2018] Une année s’achève, une autre commence… et la RSE progressivement s’impose. La Responsabilité Sociétale des Entreprises n’est pas un supplément d’âme, un catalogue de bonnes intentions décoratives ou l’une de ces modes managériales aussi anecdotique qu’éphémère. Au contraire, la RSE s’impose parce qu’elle suscite un nouveau rapport au travail, à l’entreprise et à l’avenir. Au-delà des péripéties, la RSE est là pour durer. Voici les 7 raisons pour lesquelles les dirigeants et les managers doivent non seulement s’y intéresser, mais s’y investir.

La RSE est une démarche de conviction

Chacun d’entre nous joue plusieurs rôles sociaux : nous sommes salarié ou acteur de la vie économique, citoyen, bénévole attentif à une cause, consommateur, parfois actionnaire de notre entreprise ou d’une autre, etc. Mais nous sommes avant tout une personne et ces différents rôles ne sont plus cloisonnés : au contraire, nous entendons qu’ils se nourrissent mutuellement et c’est dans ces échanges que nous trouvons notre cohérence, que nous affirmons notre personnalité. Les nouvelles générations forment l’avant-garde de ces évolutions, notamment les jeunes que l’on appelle les « Millennials »[1] parce qu’ils sont devenus adultes au tournant du millénaire. Ces jeunes sont en train de prendre leurs responsabilités de management dans les entreprises. Dans 10 ans ils représenteront 75% des salariés dans le monde et seront en charge de l’avenir de nos entreprises, de nos gouvernements. Cette génération n’a pas la même hiérarchie de valeurs que les précédentes. Elle est davantage consciente des impacts de ses activités sur la société et sur l’environnement. Elle est fortement demandeuse de possibilités de mettre en action des comportements responsables.

Dès 2011, le cabinet PWC attirait l’attention sur les changements provoqués par cette génération sur le rapport au travail [2]. Cette enquête réalisée auprès des Millennials dans 75 pays mettait en évidence une hiérarchie des attentes professionnelles inusitée. Interrogés sur leurs motivations pour accepter un travail, ils citent en priorité, pour 65% d’entre eux, les perspectives de développement personnel et à 36% la réputation de l’entreprise, loin devant le poste lui-même (24%), le salaire proposé (21%), le lieu de travail et le secteur d’activité (20% chacun). Cela ne signifie nullement que cette génération se prosterne en adoration béate devant la RSE : les deux dernières motivations citées sont d’ailleurs le respect de l’éthique (pour 7% seulement) et le comportement responsable de l’organisation (pour 5%). Mais la RSE passe par d’autres canaux, ceux du respect de la personne, des valeurs et de la capacité de l’entreprise à assumer la pleine responsabilité de ses impacts. Ainsi, 59% d’entre eux sont attirés par les entreprises qui partagent leurs propres valeurs sociétales et environnementales et 56% seraient prêts à quitter leur employeur si celui-ci les déçoit en matière de respect de ces valeurs.

Une autre étude menée par MSLGROUP dans 17 pays sur les « Millennials », a mis l’accent sur l’importance placée dans le rôle social et environnemental de l’entreprise [3]:

  • 83% de ces jeunes estiment que les entreprises doivent s’impliquer dans les enjeux sociétaux ;
  • 79% souhaitent qu’il soit plus facile de connaître les initiatives prises par les entreprises dans ce sens ;
  • 72% soutiennent et recommandent les entreprises qui contribuent à résoudre des problèmes sociétaux ;
  • 69% veulent que les entreprises et les employeurs facilitent leur propre implication personnelle (en tant que consommateur ou salarié) dans ces enjeux.

Même si la RSE (et son alter ego, le développement durable) se heurtent toujours au mur du scepticisme, le plus puissant des atouts joue en sa faveur : l’effet implacable du temps et du renouvellement des générations…

La RSE est une démarche d’engagement

L’étude de MSLGROUP citée ci-dessus montre l’importance de la notion d’engagement: l’entreprise doit dire ce qu’elle fait et faire ce qu’elle dit. Un « zoom » sur les déclarations des jeunes Français issues de cette étude met en évidence le risque d’ignorer ce nouvel état de fait : la très grande majorité d’entre eux se déclarent attentifs aux impacts sociaux et environnementaux des marques et des entreprises avec lesquelles ils sont en contact mais surtout 23% déclarent qu’ils changent de fournisseur si ces attentes ne sont pas remplies et 22% encouragent leur entourage à faire de même.

De ce point de vue, les avancées obtenues sur le reporting social et environnemental sont positives car elles permettent de matérialiser ces engagements et de les suivre. En France, les obligations de reporting RSE qui s’imposaient depuis la loi NRE du 15 mai 2001 mais seulement aux entreprises cotées, soit environ 700 entreprises, ont été étendues par la loi du 12 Juillet 2010, dite Grenelle 2, à toutes les entreprises (cotées ou non) de chiffre d’affaires (ou total du bilan) supérieur à 100M€ et d’effectif supérieur à 500 salariés. Le décret d’application de l’article 225 de cette loi, publié (après quelques errements) en avril 2012 prévoyait une entrée en application progressive par tranches de taille d’entreprises, si bien que 2015 marquera le premier exercice de publication de leurs informations extra-financières par toutes les entreprises soumises. Un autre apport de cette loi est la certification obligatoire par un tiers accrédité, qui elle aussi, entre en application de manière progressive jusqu’en 2016, mais qui contribue à une amélioration de la qualité des informations publiées.

Bien sûr, on peut déplorer le caractère insuffisant et lacunaire de certaines des publications. On peut surtout regretter qu’aucune branche professionnelle n’ait cherché à engager une négociation pour définir une liste d’indicateurs pertinents pour son secteur d’activité. En effet, dans le but d’assurer une comparabilité entre entreprises, la loi a fixé une liste d’indicateurs, qui gagnerait à être adaptée par métier. Mais je constate surtout que ces données sont gravement sous-exploitées. Bon nombre d’entreprises ont vu cette initiative comme une contrainte administrative et la gèrent a minima, en se contentant de publier leurs données dans l’indifférence générale.

Heureusement, d’autres entreprises s’appuient sur cette obligation pour

  • en faire un levier d’amélioration de leur système d’information ;
  • définir les indicateurs les plus significatifs pour leur activité ;
  • en déduire des plans d’action et les suivre ;
  • utiliser certains de ces indicateurs dans les process de GRH (par exemple pour déterminer un compartiment RSE dans la rémunération variable) ;
  • enrichir leur politique RSE et mobiliser les salariés et les autres parties prenantes ;
  • utiliser les données de leurs concurrents dans un but de benchmarking.

« From compliance to performance, » comme disent les Américains…

De son côté, l’Europe, qui partait de plus loin sur cet aspect, a connu une avancée importante en 2014. La directive comptable européenne sur la publication des informations extra-financières a été votée le 15 avril 2014 par le Parlement Européen et publiée au JO de l’Union européenne du 15 novembre 2014. Les États membres disposent d’un délai de deux ans pour intégrer les nouvelles dispositions dans leur droit national, lesquelles seront applicables en 2017. Elles s’appliquent aux entreprises cotées, mais aussi aux banques et aux compagnies d’assurance (cotées ou non) de plus de 500 salariés.

Les entreprises françaises doivent s’appuyer sur l’avance acquise par notre pays dans ce domaine en transformant les nouvelles obligations issues de Grenelle 2 en opportunité pour mieux charpenter les politiques RSE avec des indicateurs plus pertinents et solides mais aussi en profiter pour enrichir les tableaux de bord utilisés pour le pilotage des activités, d’autant que la transposition de la directive européenne leur donne davantage de marges de manœuvre dans ce domaine (voir : « RSE : d’un modèle de conformité à la dynamique de compétitivité »). Une autre façon de traduire l’acronyme de RSE pourrait être : Retour Sur Engagements.

La RSE suscite un indispensable renouveau de l’entreprise

L’entreprise est fragilisée par une crise de défiance dont nous sous-estimons les effets négatifs. Chaque année, le CEVIPOF [4] prend la température de la confiance des Français. Le tableau de synthèse ci-dessous, issu de la cinquième vague annuelle du baromètre (pour l’année 2014) montre queLa-2Bconfiance-2Bselon-2Ble-2Bbarometre-2Bdu-2BCevipof l’entreprise privée (ainsi que les banques) se situent à un niveau très bas. La situation n’a guère évolué ces dernières années, comme le montrent les données du « 8ème baromètre de la confiance en politique », publié en janvier 2017. Certains collectifs de travail emportent la confiance des citoyens dans des proportions très majoritaires, et ce malgré les polémiques qui les affectent régulièrement : les hôpitaux (83% des Français leur font confiance), l’armée (82%), les associations (67%), l’école (66%). Le point commun entre ces collectifs de travail est qu’ils expriment l’intérêt général. En revanche la confiance placée dans les entreprises privées se situe à un niveau très minoritaire de 43% et celle dans les banques à un niveau encore plus bas de 30%.

Mais il y a plus problématique : tout laissait à penser que la crise allait provoquer une remontée de confiance compte tenu des attentes que les Français placent dans l’entreprise pour contribuer à la résolution des problèmes les plus aigus qu’ils connaissent (chômage, précarité, pouvoir d’achat, empreinte écologique,…). Mais la comparaison des résultats avec ceux de la première vague de l’observatoire (2009) montre que les indices restent à un niveau très bas, aussi bien pour les entreprises privées que pour les banques. Pour les premières, l’indice de confiance parti de 41% en début de période (2009) avait progressé jusqu’à 47% en 2014 mais est retombé à 43% pour les deux dernières années connues, 2015 et 2016 sans doute du fait des déceptions ressenties concernant le manque d’efficacité et de contreparties au Pacte de responsabilité (voir « Le Pacte de responsabilité : la RSE en mouvement ? »).

Ce qui colle la confiance envers l’entreprise aux niveaux les plus bas c’est la perception de leur comportement orienté exclusivement vers les intérêts des actionnaires. Plusieurs questions posées lors du cinquième baromètre de CEVIPOF (pour l’année 2014) permettent d’en prendre la mesure. Ainsi, 75% des personnes interrogées sont d’accord avec l’affirmation suivante : « les entreprises cherchent seulement à faire des profits plutôt qu’à améliorer la qualité de leurs produits ou de leurs services pour les consommateurs » ; 75% également estiment qu’elles maintiennent leurs prix à un niveau anormalement élevé. De même, 80% d’entre elles estiment que les intérêts des entreprises et des salariés ne vont pas dans le même sens. Ce jugement est encore plus sévère à l’égard des dirigeants puisque 84% des personnes interrogées estiment que les intérêts des uns et des autres ne vont pas dans le même sens. Ce jugement est, et de très loin, le plus sévère de tous les pays de l’OCDE. Face à cette image très dégradée des entreprises, le tableau de synthèse ci-dessus montre que les institutions qui attirent le plus de confiance sont celles qui contribuent aux grands enjeux de société (la santé, la sécurité, l’éducation) ou qui incarnent l’intérêt général (les associations et les services publics).

Antoine Frérot, PDG du groupe Veolia, a résumé cette impasse de perception dans « Les Echos » : « La défiance des Français vis-à-vis des entreprises, notamment des plus grandes, vient du fait qu’ils ont la sensation que le succès des entreprises ne contribue pas à l’intérêt général et qu’il ne profite qu’aux actionnaires. Cela n’est pas exact et un meilleur équilibre entre parties prenantes permettrait de corriger cette sensation ».[5]

Cette crise de confiance vis-à-vis de l’entreprise se traduit sur le plan politique par une aspiration forte et croissante à la réforme. Une proportion record de Français pensent que le système capitaliste, notre système économique d’aujourd’hui, doit être réformé en profondeur (41% en 2016, contre 40% en 2009). A ces 41%, s’ajoutent 51% qui estiment qu’il doit être « réformé sur quelques points ». Seuls 8% se contentent d’un statu quo.

Ne croyons pas que cette intense contestation de l’entreprise soit spécifique à la France. L’un des articles de la revue trimestrielle du cabinet McKinsey s’ouvre par ces mots : « Capitalism is under attack »[6]. La question pour l’entreprise n’est pas de perdre son âme en se transformant en je ne sais qu’elle association sans but lucratif ou en ressuscitant les grandes heures de la philanthropie ou du paternalisme. Elle est de rendre son « business model » compatible avec une contribution positive et visible envers les enjeux sociaux, sociétaux, environnementaux et éthiques. Pour cela, il faut chercher une redéfinition adéquate de l’entreprise.

Cette dernière est d’autant plus nécessaire que notre système productif éprouve quelques difficultés à passer la nouvelle mutation qui s’impose à nous : celle de l’entrée dans l’économie de la connaissance. La persistance d’une croissance anémiée et d’un manque de compétitivité en est l’évidente manifestation. La RSE peut constituer une réponse adéquate car elle propose une redéfinition de l’entreprise adaptée au nouveau contexte. Voici ce que nous dit le rapport de France Stratégie remis au président de la République, « Quelle France dans 10 ans ? »[7] : « Décloisonner la société, c’est aussi repenser les rôles au sein de l’entreprise. Le modèle qui traite le travail comme un input indifférencié et dont le seul objectif est de maximiser la valeur nette pour ses actionnaires porte une conception erronée. Parce qu’il oublie que l’entreprise est un groupement humain, il est mal adapté à une économie fondée sur l’innovation et la recherche d’une haute valeur ajoutée, où les compétences (ce que les économistes appellent capital humain) sont un facteur essentiel. Les actionnaires, en effet, apportent un type d’actifs qui les rend propriétaires de parts de capital, mais d’autres partenaires de l’entreprise apportent d’autres actifs, en particulier les compétences des salariés. » On ne peut donc plus piloter une entreprise sur la base des motivations d’une seule de ses parties prenantes, les actionnaires. Il faut au contraire élargir l’angle de vue pour embrasser l’ensemble de ces « porteurs d’enjeux »[8].

Pour cela, il faut faire sauter le verrou juridique qui enferme le dirigeant de société dans la poursuite exclusive de l’intérêt des actionnaires, afin de sécuriser les démarches conformes aux principes de la RSE. C’est ce que proposait récemment la commission réunie par Jacques Attali autour du thème de l’économie positive. En septembre 2012, lors du LH Forum, le président de la République lui avait confié la mission de produire des recommandations à mettre en œuvre par le gouvernement français pour donner chair à ce concept d’économie positive. Le rapport publié un an plus tard formulait 45 propositions pour développer une économie plus positive, dont la première était la suivante : « Repenser profondément les objectifs des entreprises. L’article 1833 du Code civil, qui dispose que ‘toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés’, pourrait être reformulé ainsi : ‘Toute société doit avoir un objet licite, être constituée et gérée dans l’intérêt pluriel des parties prenantes et concourir à l’intérêt général, notamment économique, environnemental et social’ ».[9]

La démarche proposée consiste ainsi à sortir de l’impasse que constitue une vision étriquée de l’entreprise, vue au travers de l’objectif exclusif de la création de valeur pour l’actionnaire (voir « RSE et création de valeur : quel rôle pour le dirigeant ? »). Elle permettrait d’élargir la notion d’intérêt social pour la faire coïncider avec la définition moderne de la performance globale : compléter le P de Profit, avec celui de People et de Planet… pour parvenir à une vision complète de la Performance.

Cette proposition a été incorporée au projet de loi pour la croissance et l’activité (dite « loi Macron »)[10]. Mais certains n’ont pas compris qu’elle permettait à l’entreprise de refonder sa légitimité sur de nouvelles bases : l’étroitesse de la réflexion, la paresse intellectuelle et l’efficacité du lobbying ont eu raison de cette proposition qui a disparu du projet de loi entre sa présentation au Conseil d’Etat et sa discussion en Conseil des ministres. J’ai soutenu la démarche des députés qui ont tenté, malheureusement sans succès, de la réintégrer par amendements. La France persiste malheureusement, sur le plan juridique, à prendre du retard sur les droits allemand ou anglo-saxon, qui ont déjà entériné une conception plus moderne de l’entreprise comme collectif humain.

La RSE est un facteur de différenciation

L’approche de la RSE est une opportunité pour la France dans la recherche d’une compétitivité retrouvée et d’une voie de sortie de crise. Cela n’a pas échappé à France Stratégie qui met en avant cette proposition dans son rapport « Quelle France dans dix ans ? »[11] : « Ne nous leurrons pas : nous n’atteindrons ni les taux de croissance de la Chine, ni l’inventivité scientifique et technique des États-Unis, ni la puissance industrielle de l’Allemagne, ni l’équilibre social ou la qualité environnementale des pays scandinaves, ni la sécurité de la Suisse. Mais nous pouvons décider de combiner chacune de ces performances, et devenir l’un des pays qui sache le mieux mettre la croissance au service du bien-être de ses citoyens ou, pour le dire autrement, l’un des pays qui équilibre le mieux impératifs économiques, exigences environnementales et priorités sociales. »

Ce qui est vrai pour un pays l’est aussi pour les entreprises. D’après le baromètre des enjeux RSE, publié en avril 2014 par le cabinet BDO et Malakoff Médéric, les trois priorités stratégiques des entreprises sont :

  • se différencier sur le marché,
  • encourager l’innovation et
  • communiquer en externe.

Ces trois priorités sont parfaitement en phase avec les apports de la RSE. Celle-ci permet de construire des nouvelles réponses aux opportunités stratégiques et de changer la donne concurrentielle au sein d’un secteur d’activité. La compétitivité, la croissance et la différenciation passent par l’innovation qui se trouve de plus en plus portée par les salariés en interne et les parties prenantes en externe, c’est-à-dire l’écosystème.

Deux économistes et professeurs à l’université de Savoie, Rachel Bocquet et Caroline Mothe, ont travaillé sur les liens entre la RSE et l’innovation. Leur conclusion : « S’engager dans des programmes sociétaux et environnementaux semble pouvoir fournir de précieuses ressources et favoriser l’innovation produit ainsi que l’implication des employés qui accroit l’innovation de procédés »[12]. Dans un autre article, elles montrent que la mise en œuvre proactive de la RSE maximise les effets sur l’innovation (à la fois sur les produits et les procédés) alors que dans les entreprises qui, au contraire, subissent la RSE, celle-ci peut constituer un frein à l’innovation [13]. Ceci confirme le fait que les avantages concurrentiels en matière de RSE recherchés par les entreprises sont très différents selon leur position concurrentielle et leur approche du marché : les suiveurs sont très centrés sur la réduction des risques et l’efficience opérationnelle alors que les leaders sont plus orientés vers la différenciation produits et la création de nouveaux marchés, c’est-à-dire sur l’innovation [14].

Après avoir fait son entrée dans les Comex, les Codir, les conseils d’administration et de surveillance, la RSE poursuit ses avancées et apparaît plus souvent dans les assemblées générales (AG) d’actionnaires. Une étude de l’ORSE et de Capitalcom montre que la RSE est de plus en plus présente parmi les thèmes présentés aux actionnaires en AG: « 1/3 des entreprises du CAC 40 intègrent désormais la RSE à la présentation de leur stratégie et de leur business model– le plus souvent dans une optique de différenciation face à un environnement en mutation ». Cette mise en visibilité « correspond à une attente forte des actionnaires, qui accordent une place croissante à la RSE et à la gouvernance dans leurs échanges avec les entreprises : ¼ des questions orales portent ainsi sur les thématiques ESG (environnement, social et gouvernance) et la moitié des résolutions déposées par les actionnaires concernent la gouvernance. »[15]

Une dernière illustration sur ce thème : on peut lire dans Metis, une tribune de Lydia Brovelli, qui s’attache à distinguer les avancées de la RSE et les freins persistants, depuis la remise du rapport dont elle a été co-auteure, remis au gouvernement en juin 2013. Cet éclairage me semble significatif d’un basculement de la RSE vers un levier stratégique, qui s’intègre au « business model » des entreprises et à ses métiers (voir « Pour une performance globale : les défis de la RSE », Metis).

La RSE est un levier de transformation

Dans son dernier rapport sur la RSE, le cabinet McKinsey met l’accent sur les modifications qui affectent les motivations d’adopter la RSE énoncées par les dirigeants des grandes entreprises mondiales. Traditionnellement, les principales motivations étaient la maîtrise du risque de réputation et la réduction des coûts. Elles sont maintenant dépassées par la volonté d’aligner le développement durable avec les objectifs stratégiques de l’entreprise, devenue la principale motivation (mise en avant par 43% des dirigeants en 2014 contre 30% en 2012 et 21% en 2010).[16]

La RSE s’intègre au modèle stratégique des entreprises et à ses métiers. Deux professeurs américains de management stratégique ont défini les cinq dimensions qui dénotent le caractère stratégique d’une approche RSE[17]:

  • Centralité : alignement des pratiques de RSE avec les objectifs de l’entreprise ;
  • Proactivité : degré d’anticipation des pratiques de RSE par rapport aux tendances sociales émergentes ;
  • Volontarisme : degré de prise de décision et absence de contraintes externes imposées ;
  • Visibilité : des pratiques de RSE observables et reconnaissables par les parties prenantes ;
  • Appropriation : capacité à capturer les bénéfices privés associés à la RSE par l’entreprise.

Sur cette base, j’observe l’éclosion d’un sixième attribut qui en découle naturellement : la RSE devient un carburant de la conduite du changement. Sur ce point, je me contenterai de renvoyer aux 7 recommandations que j’ai formulées pour construire une RSE agile : « Construisez votre politique RSE comme un accélérateur de changement ».

La RSE poursuit son mouvement de mondialisation

La RSE n’est plus celle que vous croyez… A ces débuts, tout était clair : il y avait d’un côté une version anglo-saxonne, fortement teintée de philanthropie et d’initiatives volontaires et de l’autre côté de l’Atlantique, une version d’Europe continentale mâtinée de l’empreinte des Etats Nations et des prescriptions de l’Etat providence. Il y avait d’un côté la RSE comme approche de la gouvernance des entreprises et de l’autre le développement durable comme régulation de la planète, deux cultures dont Pierre Mazeau, délégué général de l’association Global Compact France, synthétisait ainsi la focale : « le développement durable c’est 80% de préoccupation environnementale et 20% d’autres thématiques; la RSE c’est l’inverse ». Et puis, l’ISO 26.000, dont nous allons célébrer cette année le cinquième anniversaire, est arrivée : en 9 années de travail (associant 99 pays participants…) elle a produit une « norme de synthèse » presque universellement reconnue. C’est ce qui a permis à la RSE de transformer son internationalisation en mondialisation.

Et c’est maintenant en Asie que se bousculent les initiatives les plus marquantes. En août 2013 la société Nielsen publiait une grande enquête menée dans 58 pays auprès de 29.000 personnes afin d’analyser la perception qu’ont les consommateurs sur la RSE. Cette étude révèle que 50 % des personnes interrogées veulent récompenser les sociétés qui ont une démarche socialement responsable et par conséquent, souhaitent montrer leur engagement à travers leur comportement d’achat. Ce pourcentage est en progression régulière (il était de 45 % en 2011). Quels sont les pays dans lesquels cette proportion de « consom’acteurs » – des consommateurs qui veulent orienter leurs achats vers des entreprises responsables – est la plus élevée ? Spontanément, on a tendance à penser que l’engagement en faveur de la responsabilité sociale est d’abord une préoccupation de pays riche, là où les consommateurs ont déjà un large choix de produits et disposent d’un niveau de vie qui leur permet plus facilement d’arbitrer en fonction d’autres critères que la qualité ou le prix. Erreur ! Les pays où les consommateurs sont les plus sensibles à l’attitude des entreprises en matière de RSE sont l’Inde (75 %), les Philippines (71 %), la Thaïlande (68 %), l’Indonésie (66 %), l’Égypte (64 %) et le Vietnam (64 %). Uniquement des pays émergents, avec une très forte représentation de l’Asie.

En août 2013, la plus grande démocratie du monde, l’Inde (l’un des cinq seuls pays non signataires de l’ISO 26.000), stupéfiait la communauté internationale en publiant la loi Companies Bill, qui impose aux plus grandes sociétés du pays (environ 8.000 entreprises…) de consacrer 2% de leur bénéfice net à des investissements responsables. Alors qu’il a fallu attendre la fin 2014 pour que l’Union Européenne décide d’ajouter à l’obligation de reporting financier celle du reporting RSE, cette dernière existe depuis longtemps en Inde et en Indonésie, suivis par Taiwan et la Malaisie. En 2014, la bourse de Singapour a annoncé la mise en place de cette obligation pour toutes les entreprises cotées. L’année 2014 marque également la création (par NewsAsia) du premier indice boursier asiatique focalisé sur le développement durable, qui agrège les valeurs des entreprises les plus performantes en RSE issues de 10 pays d’Asie.

En Chine, les autorités ont commencé par demander au secteur public (qui représente 20% de l’économie) de publier un rapport RSE, puis ont rapidement étendu cette obligation aux entreprises cotées. Les dispositions adoptées par les bourses de Shenzhen en 2006 et de Shanghai en 2008 ont non seulement créé l’obligation pour les entreprises de publier un rapport RSE, mais aussi de se fixer des objectifs et de rendre compte en publiant des informations précises. Marie-Noëlle Auberger rappelle que près de 200 entreprises chinoises ont déjà rejoint le Global Compact (Pacte mondial des entreprises des Nations Unies).[18] Lors d’un colloque sur la RSE, Michel Doucin, conseiller diplomatique du CESE et secrétaire permanent de la plateforme RSE, montrait que la Chine a su utiliser la RSE comme un levier de compétitivité. En 2007, la fédération du textile en Chine, qui représente 200 000 entreprises et 20% des exportations du pays, présentait la norme CSC9000T, un système de management de responsabilité sociale adapté au secteur textile comprenant des principes, des lignes directrices et un guide d’auto-évaluation. Il s’agissait de résister à la concurrence du Bengladesh par la RSE et de parvenir à faire en 10 ans ce que les Japonais ont fait en 30 ans. En 5 ans, ils ont déjà obtenu des résultats probants.[19]La Chine a un long chemin à accomplir, ne serait-ce que pour respecter les principes de l’OIT (dont la liberté syndicale) et procurer des conditions de travail et de vie décentes, mais elle montre aussi une réelle capacité d’initiative.

La RSE nous concerne tous… ainsi que nos enfants

Lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre, François Hollande s’est fortement engagé en faveur d’une réussite de la conférence sur le climat COP 21, qui se tiendra à Paris en décembre 2015. De fait, nous ne pouvons plus attendre (voir : « Le développement durable contre l’emploi? »). L’année 2015 sera marquée par la préparation de cette conférence dont les objectifs sont de

  • limiter la hausse des températures durant ce siècle à 2°C,
  • parvenir à un accord de tous les pays (196 pays… pas seulement les pays les plus développés comme précédemment) et
  • définir des objectifs volontaires (et non plus des objectifs chiffrés contraignants).

La réussite est loin d’être assurée. Chacun a en mémoire l’échec cuisant de Copenhague en 2009, mais aussi les précédentes COP – la COP 19 à Varsovie en 2013 et la COP 20 à Lima en décembre 2014 – qui n’ont pas été de francs succès…

A cet égard, je pense que quatre ingrédients manquent, qui permettraient d’augmenter considérablement les chances de succès de la COP21.

  1. Mobiliser les entreprises. La démarche est conçue comme un marathon diplomatique. Malgré l’implication des Etats, l’expérience de Copenhague n’a pas été tirée sur ce plan : c’est sur le terrain, dans la société civile et les entreprises que se situe la plus grande part des marges de manœuvre.
  2. Etre plus volontariste sur l’idée de faire entrer le risque climatique dans la comptabilité des entreprises et publier leur empreinte carbone. Il faut ré-internaliser dans les coûts et les prix, les impacts environnementaux produits par les différentes sources d’énergie. Par exemple, le débat sur le gaz et le pétrole de schiste aurait une toute autre tonalité si le coût des pollutions de l’eau et de l’air était intégré aux prix de ces énergies.
  3. Développer la fiscalité écologique. Ce dernier aspect prend forme puisqu’en en 2014, on compte 40 pays qui ont instauré une taxe carbone ou des règles d’échange de quotas d’émission, qui représentent ensemble plus de 22% des émissions mondiales. Mais la France n’y prend guère sa part. Rappelons que les précédentes conférences ont échoué sur la question du financement…
  4. Développer de façon plus volontariste les usages du numérique, l’économie circulaire, l’économie collaborative et l’économie fonctionnelle, qui sont les 4 innovations de ce siècle et ont un point commun : elles permettent un découplage entre la croissance économique et la consommation de ressources et d’énergie.

Comment se situent les entreprises françaises en termes de performance climatique ? C’est un sujet sur lequel la France dispose d’une certaine avance. Frédéric Hug, Président du Comité Changement Climatique du MEDEF le rappelait récemment : « la France figure parmi les économies industrialisées les moins émettrices de gaz à effet de serre, grâce notamment à ses choix énergétiques. Avec 186 g CO2/$ PIB, la France affiche la deuxième performance de l’UE. La moyenne mondiale s’établit à 443 g CO2/$ PIB soit plus du double. »[20] Le dernier rapport du CDP (Carbon Disclosure Project) sur la performance énergétique confirme l’avance des entreprises françaises, soulignant la qualité de leur reporting climatique, leur souci de transparence et l’amélioration de leur performance carbone. Mais le constat ne s’arrête pas là : le CDP souligne que cet effort doit être multiplié par cinq pour atteindre l’objectif de limitation de la hausse moyenne de température du globe à 2°C.[21]

Pour atteindre cet objectif, c’est l’ensemble des 196 pays qu’il faudra entraîner. Une forte mobilisation est indispensable pour permettre la réalisation de ce qui est au fondement même du développement durable, en conformité avec cette belle définition: « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».[22]

Oui, la RSE est là pour durer. Et bien au-delà de 2015, chaque année la rapproche de ce que j’ai appelé la RSE transformative, la conception de la RSE qui m’a amené à créer ce blog : « Management & RSE: pourquoi ce blog ? ».

Choisir de rester en dehors de l’évolution vers une croissance soutenable et un mode de création de valeur durable est encore une option pour 2015. Mais cela risque de finir par coûter très cher… Claude Fussler[23] le disait déjà il y a treize ans lors de la conférence de la Terre à Johannesburg : « Il n’est pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd »…

Je vous souhaite, cher(e)s lectrices et lecteurs, une excellente année,

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,

Management & RSE
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[1] Il s’agit de la génération née entre 1980 et 1995. Ou pour ceux qui préfèrent l’implacable séquentialité de l’alphabet : la génération Y, celle qui suit les X et précède les Z…

[2] « Millennials at work : Reshaping the workplace », PWC Report, 2011

[3] “People’s Insights: The Future of Business Citizenship”, MSLGROUP study, December 2014, étude réalisée avec Research Now, qui a interrogé 8000 personnes dont au moins 500 pour chacun des 17 pays étudiés: Brazil, Canada, China, Denmark, France, Germany, Hong Kong, India, Italy, Japan, Mexico, Netherlands, Poland, Singapore, Sweden, UK, United States.

[4] Centre d’étude de la vie politique française, le Cevipof est rattaché à Sciences-Po et au CNRS

[5] Antoine Frérot, « Les Echos », 15 décembre 2014

[6] “Redefining capitalism”, McKinsey Quarterly, September 2014, by Eric Beinhocker and Nick Hanauer

[7] « Quelle France dans 10 ans ? Les Chantiers de la décennie », Rapport de France Stratégie au président de la République, sous la direction de Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, juin 2014

[8] Traduction littérale de « stakeholder », partie prenante.

[9] « Pour une économie positive », rapport du groupe de réflexion présidé par Jacques Attali, Fayard, septembre 2013

[10] Emmanuel Macron a été rapporteur adjoint de la Commission Attali en 2007 (Commission pour la Libération de la Croissance)

[11] Rapport cité ci-dessus.

[12] Rachel Bocquet et Caroline Mothe, « Profil des entreprises en matière de RSE et innovation technologique », « Management & Avenir », décembre 2013

[13] Rachel Bocquet, Christian Le Bas, Caroline Mothe and Nicolas Poussing, “Are firms with different CSR profiles equally innovative? Empirical analysis with survey data », European Management Journal, 31 (6), pp.642-654, 2013

[14] Voir K. Hockerts, « Managerial perceptions of the business case for corporate social responsibility », CBS Working Paper Series, CBS Center for Corporate Social Responsibility, Frederiksberg. p24, 2007

[15] « Doit-on parler davantage de RSE en assemblée générale ? », Etude de l’ORSE et de Capitalcom, 17 janvier 2014

[16] “Sustainability’s strategic worth: McKinsey Global Survey results”, McKinsey report, July 2014

[17] Lee Burke and Jeanne M. Logsdon, « How Corporate Social Responsibility Pays Off », LRP (Long Range Planning), Vol.29, 1996

[18] Voir « La RSE en Chine : vers une recomposition de la relation salariale ? », Metis, 24 Septembre 2014. Marie-Noëlle Auberger publie « La Missive de Gestion Attentive », inépuisable source d’informations sur la RSE et la gouvernance des organisations : http://gestion-attentive.com

[19] « RSE : un pilier nouveau de l’entreprise d’après-crise ? », Quatrièmes Rencontres parlementaires sur la Responsabilité sociétale des entreprises, Paris, 15 octobre 2013

[20] Interview dans « Décisions Durables » No 21 de janvier 2015

[21] « The CDP Climate Performance Leadership Index 2014 », Carbon Disclosure Project, December 2014

[22] Rapport de Gro Harlem Brundtland, alors Ministre d’État de Norvège, Our common future (Notre avenir à tous, Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, avril 1987)

[23] Claude Fussler a dirigé le programme Caring for Climate pour le Pacte Mondial de l’ONU de 2004 à 2011.

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