[ Mise à jour : 26 juillet 2023 ] Si la réforme des retraites a cristallisé la colère populaire ces derniers mois, le véhicule du mécontentement immédiat, c’est l’inflation. Cette crise inflationniste que ceux qui n’étaient pas en âge de la subir dans les années 1980 n’avaient jamais connue vient perturber ou accélérer plusieurs enjeux de Responsabilité sociétale et environnementale : modification du partage entre salaires et profits, creusement des inégalités, précarité alimentaire, mutations de la consommation.
Un impact fort sur le pouvoir d’achat des plus modestes, facteur de creusement des inégalités
A première vue, on peut penser que les Français ont une vision très surestimée de l’inflation, comme le montre le sondage réalisé par Odoxa pour le magazine Challenges (6 avril 2023). Pour eux, elle s’élèverait à 18 %, soit plus du triple de son niveau réel mesuré par l’INSEE. Mais l’estimation des Français est proche de ce qu’ils ressentent le plus au quotidien : l’inflation alimentaire, qui atteignait 15 % en mars d’après l’INSEE (et 16,3% selon le cabinet d’études Circana, anciennement IRI, spécialisé dans la consommation). Certes, l’alimentaire ne représente plus que 15 % du budget des ménages contre 28 % dans les années 1960, mais cette proportion est d’autant plus élevée que les revenus du ménage sont faibles : 30% du budget des ménages les plus pauvres contre moins de 8% pour les ménages les plus aisés. En tout état de cause, le rayon alimentaire tient le rôle, pour les consommateurs, de baromètre de l’inflation.
Ainsi, l’inflation exerce un impact doublement inégalitaire. D’abord, elle génère une évolution du partage entre salaires et profits des entreprises au détriment des ménages ; ensuite l’effet de contraction du pouvoir d’achat touche davantage les ménages modestes.
Savoir d’où provient cette inflation est essentiel car cela permettrait de prendre les mesures adaptées pour soulager les ménages les plus modestes. Et on entend, « la guerre en Ukraine, les prix du blé et autres céréales, la géopolitique… ». Pour moi, la première alerte est venue début mars, d’un article de Francesco Canepa, dans Reuters[1] : ce sont les entreprises qui bénéficient de l’inflation, nous dit-il. « Les entreprises profitent d’une inflation élevée tandis que les travailleurs et les consommateurs paient la note ». Cet article de Reuters relate une analyse statistique partagée au sein de la Banque Centrale Européenne (BCE), qui montre que les entreprises de la zone euro profitent de l’inflation : alors que leurs marges auraient dû diminuer compte tenu de l’augmentation de leurs coûts (matières premières notamment), c’est le contraire qui se produit. Elles réussissent à « augmenter leurs prix au-delà de celle de leurs coûts », et cela « au détriment des salariés et des consommateurs ».
Le graphique ci-contre montre que « ce sont les profits des entreprises et non les salaires ou les impôts qui ont représenté la plus grande part de l’augmentation des prix dans la zone euro depuis 2021 ». Le journaliste de Reuters cite Paul Donovan, économiste en chef chez UBS Global Wealth Management, qui déclare pudiquement : « Il est clair que l’expansion des bénéfices a joué un rôle plus important dans le parcours de l’inflation en Europe au cours des six derniers mois environ« .
La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a mis les pieds dans le plat lors d’une conférence de presse en mars 2023. Elle a appelé à un « débat au sein de la société, des entreprises » sur un « partage adéquat » du fardeau de l’inflation, constatant que « la hausse des prix a fonctionné un peu comme une taxe » sur les ménages[2].
C’est étonnant que cette question n’ait guère pointé son nez dans le débat public en France… Pourtant, l’Insee l’a également établi pour la France, dans une note publiée le 31 mars, qui note que le taux de marge a fortement augmenté au cours de l’année 2022 pour le secteur agroalimentaire.
D’après l’économiste Patrick Artus, le taux de marge des entreprises européennes a fortement augmenté depuis 2021 pour atteindre 32,5 %, malgré l’explosion des coûts de l’énergie sur la période[3]. Cet accroissement des marges est particulièrement prononcé dans deux secteurs de l’économie, l’alimentaire et l’automobile. D’après un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) publié en mars 2023, l’excédent brut d’exploitation des industriels de l’agroalimentaire a bondi de 50 % au deuxième semestre 2022. Patrick Artus nous apprend même qu’un mot a été créé pour décrire ce phénomène, la « profitflation ». Les Anglo-saxons parlent aussi de « greedflation »…
Certes, le cours du blé a flambé de 70% au moment de l’invasion de l’Ukraine. Mais depuis, il a rechuté lourdement. Et il est aujourd’hui revenu au niveau pré-invasion en Ukraine, mais sans aucun effet sur les prix alimentaires. Au contraire, les prix continuent à augmenter. Et le coût du transport n’est pas en cause : lui aussi est revenu à son niveau d’avant Covid. Les cours du blé et du tournesol ont été divisés par deux depuis un an, les prix du plastique, du carton et du fret ont nettement diminué ces derniers mois. Seulement voilà, « les industriels de l’alimentaire, ont redécouvert la possibilité d’augmenter les prix et d’améliorer leurs marges et n’ont pas envie d’y renoncer. Tant que le consommateur paie, ils continuent »[4]. Et pour l’heure, « l’élasticité de la demande à nos augmentations de prix reste limitée, » se réjouit François-Xavier Roger, directeur financier de Nestlé[5]. Joli euphémisme !
Le JDD a publié des données issues de Nielsen IQ, la division spécialisée dans la consommation et la distribution du cabinet Nielsen, qui montrent que « depuis deux ans, presque tous les industriels ont peu ou prou augmenté leurs tarifs » et précise que « les hausses les plus fortes touchent les premiers prix, sur lesquels se rabattent les populations les plus fragiles »[6].
L’inflation alimentaire atteignait 15 % en mars 2023, 16% en avril, 14% en mai puis 14% à nouveau en juin, d’après l’INSEE.
Si les marges des industriels de l’alimentaire sont en cause, quid de celles des distributeurs ? En France, selon l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, le taux de marge moyen des distributeurs sur l’ensemble des produits qu’ils vendent en magasin tourne autour de 25 %. Une fois déduits les charges de personnel, l’énergie et les autres frais, la marge nette se situerait autour de 2 % du chiffre d’affaires. Dans une interview au Journal du Dimanche, Michel-Édouard Leclerc indique que son réseau d’hypermarchés rogne sur ses marges pour amortir la hausse des prix et que son taux de marge nette moyen est de 2,5 %[7]. De son côté, Dominique Schelcher, patron de la coopérative système U, qui regroupe 1.500 magasins, confie : « Notre marge bénéficiaire en fin d’exercice est de 2% quand les industriels font 4% et les grands groupes arrivent à 10% ou 15% »[8].
Mais selon l’ILEC (Institut de liaison des entreprises de consommation), un groupement d’industriels fournisseur de la grande distribution, le taux de rentabilité des capitaux investis dans les trois grands réseaux de distribution mutualiste, Leclerc, Intermarché et Système U, serait de 15 %, soit près du double de la moyenne chez leurs fournisseurs… Quant au rapport de l’IGF mentionné ci-dessus, il indique que l’excédent brut d’exploitation du secteur du commerce (de détail et de gros, grande distribution alimentaire et non alimentaire) a progressé de 9% par rapport à 2019 et son taux de marge serait de 0,7 points au-dessus de son niveau d’avant crise sanitaire (moyenne de 2017 à 2019).
La réalité statistique est brutale : les marges des industriels et celles des distributeurs se portent bien, grâce à l’inflation ; c’est le consommateur qui en subit les effets, d’autant plus fortement que les hausses de salaires obtenues par les salariés sont très en retrait. Denis Ferrand, directeur de l’institut
Rexecode, réputé proche du patronat, a décomposé les facteurs de hausse des prix au dernier trimestre 2022 : les salaires ont compté pour 33 % de la hausse, contre 9 % pour les consommations intermédiaires (matières premières, énergie,…) mais surtout, « les marges ont bondi, jusqu’à peser pour 62 % de la hausse des coûts »[9].
« L’inflation, c’est comme le dentifrice. Une fois qu’il est sorti du tube, il est difficile de le faire rentrer à nouveau dedans. Donc la meilleure chose est de ne pas trop presser sur le tube, » disait Karl-Otto Poehl, alors président de la Bundesbank, en 1980, quand les dirigeants européens se débattaient contre la hausse des prix. Ce qui presse le tube aujourd’hui, c’est le gonflement incontrôlé des marges.
En conséquence, les ventes en volume se contractent à des niveaux rarement observés dans le passé : la consommation alimentaire a chuté de 4,5 % en volume en 2022 et même de 8 % en janvier 2023, puis 1,2 % en février et au total de 4% au premier trimestre 2023. Les volumes en supermarché se sont contractés de 5 % en volume au premier trimestre 2023 sur un an selon l’institut Circana et – 9,2 % à fin mars 2023 par rapport à la même période de l’année précédente, « du jamais vu dans les rayons des grandes surfaces »[10]. Cette contraction est une moyenne, qui monte jusqu’à – 15 % dans les rayons les plus prisés par la consommation populaire, épicerie salée, hygiène, entretien. Le Figaro du 20 juillet 2023 rapporte que dans les espaces hygiène et beauté des grandes surfaces, les volumes ont dévissé de 9 % sur le premier semestre 2023.
La chute de la consommation de l’alimentation en France est sans précédent : -17% en volume (corrigé de l’effet de l’inflation) entre la période Covid et juin 2023 ; -12% pour la seule période entre janvier 2022 et juin 2023. Dans un entretien à Novethic François Geerolf, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), souligne que c’est même une chute jamais vue depuis le début du recensement de ces données par l’Insee en 1980.
Des impacts plus qualitatifs : mutations de la consommation par temps de crise
Les distributeurs ont manqué une belle occasion de préserver la qualité de leur image, alors que les consommateurs étaient tombés en pâmoison devant eux lors de la crise sanitaire. Les résultats de la 4ème vague de Brands&You, un outil de suivi du rapport des Français avec les marques, publié par CSA après quatre semaines de confinement (avril 2020), montraient que les enseignes de la grande distribution restaient de loin considérées comme les plus utiles par les Français. On y retrouvait en tête les grands groupes comme Carrefour, Leclerc, Intermarché, Auchan ou encore Système U. A noter également l’apparition de Picard, spécialiste de l’alimentaire surgelé, parmi les marques jugées utiles dans cette période de crise. L’arrivée de l’inflation aurait pu les inciter à valoriser cet acquis tout en poursuivant le rôle que ces enseignes se sont historiquement assigné, c’est-à-dire la défense du consommateur, comme le pointe Jérôme Fourquet (voir son interview dans Metis, menée par Jean-Louis Dayan : « La société de supermarché »).

Mais les distributeurs se révèlent incapables d’assurer en retour une véritable sécurité alimentaire aux consommateurs. Selon une étude de l’Ifop sur la précarité alimentaire menée pour l’association La Tablée des chefs, la hausse des prix alimentaires impose aux ménages des renoncements et des choix difficiles : 79% des Français ont réduit leurs achats alimentaires et plus de la moitié d’entre eux (53%) affirment avoir réduit les portions, la quantité des repas, quand 42% sont contraints à supprimer certains repas comme le petit-déjeuner ou le dîner en raison de la hausse des prix de l’alimentation.
Une étude publiée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) le 17 mai 2023 montre que 16% des Français ne mangent pas à leur faim, soit un accroissement de 4 points en 6 mois. Il montre que les personnes concernées sont surtout des femmes, des jeunes, des chômeurs et plus généralement des personnes à faibles revenus. Cette précarité alimentaire a doublé depuis 2016. Elle explique le fait que « de plus en plus de ménages se tournent vers les structures d’aide alimentaire, qui distribuent colis ou repas chauds, » précise le Crédoc.
Les arbitrages qui se faisaient auparavant entre besoins essentiels et loisirs se traduisent pour les populations modestes par des concessions au sein de l’alimentaire. Dans son interview au Journal du Dimanche, Dominique Schelcher, patron de la coopérative système U, indique que face à la montée des prix, le volume de vente baisse depuis des mois. « Les gens arbitrent. Ils sont passés de 40 à 37 produits en moyenne dans leur panier »[11].
Les arbitrages se réalisent aussi entre les enseignes. La presse se fait l’écho d’une nouvelle tendance : la fragmentation des courses, qui permet de bénéficier des promotions ou des produits les moins chers proposés par chacune des enseignes, à la faveur des comparateurs de prix mais au détriment des temps de loisirs et au prix d’une augmentation des dépenses de carburant…
Ceux qui subissent le choc inflationniste le plus intense sont les ménages modestes, dont la part du budget destiné aux dépenses contraintes (alimentation, loyer, énergie, déplacements du quotidien) est la plus forte. « Le ressenti sur la hausse des prix est particulièrement marqué pour le quartile le plus bas [les 25% des salaires les plus modestes], puisque pour les ménages les plus modestes, toute hausse de prix sur les dépenses contraintes est problématique, » explique Nicolas Carnot, directeur des études et des synthèses économiques à l’INSEE[12]. Selon une enquête menée fin 2022 par l’institut CSA pour le site de comparaison d’assurance Lesfurets, les dépenses contraintes des Français les plus pauvres (moins de 900 euros mensuels nets) représentaient 80 % de leurs revenus[13]. Autrement dit, il restait à ces derniers quelques dizaines d’euros pour se nourrir, s’habiller, se divertir…
L’inflation creuse les inégalités, parfois de façon redoutable. Le Figaro signale que « sur un an, l’inflation des produits premiers prix, plébiscités par les ménages les plus modestes, culmine à 21,1% ; celle des marques de distributeur (MDD) atteint, elle, 19,3% »[14]. Or, d’après Kantar, plus d’un tiers des Français déclarent avoir reporté une partie de leurs achats alimentaires sur les marques de distributeur en 2022. Celles-ci sont bien sûr moins chères que les grandes marques (de l’ordre de 20%), mais les distributeurs en tirent des marges plus importantes car ils en contrôlent le cahier des charges et la fabrication.
Sur les six premiers mois de l’année 2023, la chute de volume de la consommation en grande surface a atteint 4,1%, selon Circana, après un recul de 2,2 % pour toute l’année 2022. Sur les six premiers mois, les volumes des marques de distributeur se maintiennent mais ceux des marques nationales s’effondrent de 7,2 %, dont moins 8,2% pour les grandes marques originaires des groupes internationaux et moins 6 % pour les grandes marques issues des PME et ETI françaises. Parmi les marques distributeurs, les marques premier prix se distinguent par leur dynamisme avec une croissance de 12,8 %, qui résume bien la concentration des achats des Français sur les produits les moins chers (Le Figaro, 20 juillet 2023).

Comme le disait l’économiste Jean-Paul Fitoussi en février 2022 au quotidien Libération, « l’inflation n’est plus celle que nous avons connue dans les années 70 et 80 et qui touchait l’ensemble des catégories sociales. Aujourd’hui, en raison de la hausse des inégalités, les moyennes n’ont plus de représentativité »[15]. A plusieurs reprises, l’INSEE a montré que l’indice des prix reflétant le panier de consommation des déciles ou quintiles les plus bas, c’est-à-dire les ménages les plus modestes, est significativement supérieur à l’indice général d’inflation. En effet, ces ménages épargnent peu et leur consommation est plus fortement concentrée sur l’alimentaire et l’énergie. Il y a d’ailleurs ici une « transformation silencieuse » qui affecte l’économie française : début 2023, l’INSEE notait dans une note de conjoncture que « les écarts d’inflation entre catégories de ménages ne dépassaient pas les 0,2 point en moyenne entre 2015 et 2020 » mais peuvent désormais atteindre trois points[16].
Nielsen IQ a classé les Français en plusieurs familles (sociostyles) et montre que les familles les plus affectées par l’inflation sont les « contraints », qui avaient déjà du mal à joindre les deux bouts avant la crise inflationniste et les « fragilisés », qui ont perdu beaucoup en pouvoir d’achat et se trouvent forcés à des arbitrages douloureux.
Ainsi, 34 % des Français disent se priver de produits d’hygiène, 68 % déclarent ne pas pouvoir manger ce qu’ils souhaiteraient, selon l’Ifop[17]. Jérôme Fourquet montre bien les conséquences de ce « décrochage » dans une société où un pouvoir d’achat en baisse se ressent comme une souveraineté individuelle entravée (voir son interview dans Metis citée ci-dessus).
Les conséquences des difficultés des ménages les plus modestes malmenés par le rythme infernal de l’inflation se multiplient et témoignent de la montée de la vulnérabilité du consommateur. La production des crédits revolving, ces crédits à la consommation que souscrivent les ménages pour boucler leurs fins de mois, a augmenté de 15 % sur un an ; le paiement fractionné se répand ; le nombre de dossiers de surendettement a augmenté de 7 % entre mars 2022 et mars 2023 ; les inscriptions au fichiers des incidents de remboursement grimpent. Les abonnements numériques sont touchés, avec une progression des résiliations : pour la première fois début 2022, Netflix a mentionné l’inflation comme l’un des facteurs ayant eu un impact sur ses abonnements du premier trimestre. Le sujet de la précarité alimentaire s’impose dans le débat public.
Des effets contrastés sur les enjeux sociaux et environnementaux
En positif, on note que sous le coup de l’inflation, le marché des produits d’occasion ne s’est jamais aussi bien porté. D’après l’Observatoire Cetelem, 18 % des Français ont vendu plusieurs fois dans le mois dernier des produits de seconde main. Au total, 20 % des vêtements achetés en ligne en France en 2022 sont d’occasion, contre 3 % seulement en 2017[18]. Dans son interview, Jérôme Fourquet fait remarquer que même la grande distribution teste le marché de la seconde main.
Les réponses à l’inflation témoignent aussi de l’esprit de débrouillardise des Français et de leur motivation à prendre part, par leur travail, à la réalisation de leurs achats : généralisation de l’autoconsommation – du potager à l’installation de panneaux solaires sur son toit – ateliers de Do-it-yourself, réparation, recyclage, récupération, montée du covoiturage, qui sont aussi des modes d’adaptation à la sobriété appelée de leurs vœux par les experts du climat.

Le travail et la consommation s’entremêlent. Dans l’interview qu’elle a donnée à Metis, Suzanne Gorge, responsable du mécénat de Terra Nova et auteure de plusieurs études sur les mutations de la consommation, montre l’importance de l’économie circulaire, consacrée par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC)[19].
Un exemple concret : le groupe Fnac Darty s’appuie sur un avantage compétitif dont aucun de ses concurrents ne dispose, un service après-vente fort de mille techniciens bénéficiant d’une réputation solide. Elle prend le contre-pied des promoteurs du Black Friday qui ne pensent qu’à vendre plus sans se soucier de la fidélisation des clients et de la réparabilité des articles vendus. La part des services dans le chiffre d’affaires de Fnac Darty, 8 milliards d’euros, n’atteint que 15 % mais elle est appelée à s’accroître et sa rentabilité est meilleure[20]. Le groupe a mis la réparation et le service client au cœur de son nouveau plan stratégique. Il vise 2,5 millions de produits réparés chaque année à horizon 2025 et 2 millions d’abonnés à son offre d’entretien et réparation[21].
Après l’économie circulaire, voici l’économie de la fonctionnalité. Les industriels et les distributeurs lancent des offres de location sur les produits dont la durée de vie dépasse largement la durée d’usage, comme Petit bateau pour les vêtements d’enfants ou Decathlon pour les vélos pour enfants… mais aussi les équipements de fitness. Clotilde Delbos, directrice générale de Renault Mobilize est confrontée à un défi : convaincre « ces vieux messieurs de Renault qu’il est possible de gagner de l’argent en renonçant à vendre des véhicules pour ne plus proposer que des services de mobilité et de la location »[22]. Le développement de la location au détriment de l’achat (économie de la fonctionnalité : voiture, habillement, outils…) témoigne aussi d’une accélération de tendance : la consommation n’est plus centrée sur la possession des choses mais sur leur jouissance. Bienvenue dans le royaume de l’usage.
La pression inflationniste exerce aussi des effets bénéfiques sur les enjeux environnementaux en concentrant la consommation sur les produits essentiels et en réduisant les achats d’impulsion, les produits chers souvent nuisibles à l’environnement (ex : consommation de viande) et les loisirs (ex : voyages en avion). Mais encore faudrait-il que ces sacrifices ou ces changements de comportement soient également répartis dans la société, car la sobriété contrainte n’est pas équivalente à la sobriété choisie. Or, ils concernent bien davantage les moins favorisés.
Parmi les exemples de réduction des achats d’impulsion, on peut citer le modèle de Quick commerce (livraisons immédiates appuyées sur des dark stores), qui s’était développé fortement durant les confinements, au mépris de ses impacts détestables sur l’environnement. L’inflation a inversé la tendance et a mis ce modèle en difficulté, ce que personne ne regrettera… Par jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 19 juillet 2023, les deux startups de livraison de courses Getir et Gorillas, toutes deux propriétés du groupe turc Getir, ont été placées en liquidation judiciaire, ce qui « met fin à une vaste mascarade », selon Ludovic Rioux, secrétaire général de la CGT livreurs (Libération, 23 juillet 2023).

Mon tweet de juin 2022 : Et si les publicitaires arrêtaient de nous prendre pour des décérébrés ? La publicité de @Getir, qui inonde les réseaux du métro et des bus, mérite le premier prix de débilité et de mépris des consommateurs. Elle met en évidence la stupidité du modèle de livraison express, qui mise sur les réflexes les plus primaires de surconsommation et de fébrilité, d’immédiateté et de satisfaction compulsive de désirs artificiels. J’ai été directeur marketing durant 10 ans. La com’ et la pub méritent mieux : qu’elles prennent leur part (et leur responsabilité) dans la #TransitionEcologique au lieu de traiter les consommateurs comme des demeurés. La start-up turque Getir, spécialiste du Quick commerce, mérite un quick #boycott aussi large que possible.
Mais aussi, l’inflation crée ou amplifie des modifications de la structure de consommation défavorables à l’environnement, du fait de la contraction du pouvoir d’achat. Ainsi par exemple, la part du bio est en chute très significative en France depuis 2021 et cette évolution défavorable gagne aussi les circuits courts. De même, certains gestes écologiques comme l’installation de panneaux solaires, le changement de sa chaudière ou le remplacement de son véhicule par un modèle électrique ne sont pas accessibles à tous et participent donc aux inégalités. A l’inverse, chez Too Good to Go, panier anti-gaspi à prix cassé, le nombre d’utilisateurs a bondi de 36 % entre mars et juin 2023 pour atteindre 15 millions de personnes et selon cette startup, cette croissance est due à la volonté des Français de faire de bonnes affaires, mais aussi à celle de ménager la planète (Le Figaro, 20 juillet 2023).
L’influence de l’inflation se fait aussi sentir sur des enjeux sociaux comme la santé. Ainsi, un quart des Français de 18 ans et plus interrogés en avril 2023 admettent avoir dû « se serrer la ceinture » en termes de dépenses de santé, notamment les ménages modestes et avec des enfants à charge[23]. Plus inquiétant, 26% des répondants déclarent avoir renoncé à se faire soigner dans les 12 derniers mois.
Autre exemple d’enjeu social (et sociétal) : malgré l’inflation, les Français n’ont jamais autant dépensé dans les jeux d’argent. Le marché français des jeux d’argent a atteint en 2022 le montant de 13 milliards d’euros, en augmentation de 16 % par rapport à 2019, dernière année comptabilisée avant la crise sanitaire. Deux monopoles, FDJ et PMU représentent à eux seuls 64 % de ce marché. Dans le contexte de forte inflation, l’autorité de contrôle, l’autorité nationale des jeux (ANJ), présidée par Isabelle Falque-Pierrotin, s’inquiète d’une poursuite de cette tendance d’augmentation pour 2023 en pointant le fait que « ces derniers mois, 18 % des joueurs ont rogné sur d’autres dépenses dans l’espoir d’améliorer leur pouvoir d’achat, notamment grâce aux jeux de loterie »[24].
Enfin, le rôle de l’inflation devra être questionné comme l’une des causes des émeutes de fin juin 2023, qui ont bouleversé et traumatisé la France. Ces événements n’étaient pas des « émeutes de la faim » et l’inflation alimentaire n’en constituait pas le facteur principal –il faut d’ailleurs rappeler que la plupart des édifices et des boutiques mis à sac n’étaient pas des magasins alimentaires – mais le ressentiment causé par l’impression d’être pris au piège des augmentations de biens essentiels a sans doute joué un rôle. En juillet 2023, l’économiste Philip Pilkington a publié un article dans lequel il attribue la fièvre des banlieues françaises à l’augmentation des prix de l’alimentation en soulignant que ce poste représente 30% du budget des ménages les plus pauvres.
Des politiques publiques velléitaires
Que peuvent faire les pouvoirs publics ? Pour faire baisser l’addition pour les ménages, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui s’est positionné comme le grand « défenseur du pouvoir d’achat des Français », a courageusement convoqué les industriels de l’alimentaire puis les grands distributeurs à Bercy (le 6 mars 2023) et leur a envoyé un courrier. Il demande à ce que les baisses des prix de gros soient répercutés sur le ticket de caisse des consommateurs. Il y a peu de chances que cela suffise…
Pour protéger les Français face à la crise énergétique et à l’inflation galopante, l’exécutif n’a pas lésiné sur les moyens : pas moins de 110 milliards d’euros engagés sur trois ans, entre 2021 et 2023. C’est presque deux fois le budget annuel de l’éducation, estimé à 60 milliards d’euros. C’est aussi presque autant que ce qui a été engagé pour la crise sanitaire notamment avec le financement du chômage partiel et des mesures sanitaires, soit 140 milliards entre 2020 et début 2022[25]. Mais les industriels et les distributeurs, dont la concentration (donc, la capacité des entreprises à imposer leurs prix) pose problème, restent libres de leurs mouvements.
En matière de lutte contre la précarité alimentaire, le gouvernement s’est beaucoup cherché, a procrastiné, a temporisé. Bruno Le Maire n’a cessé d’entrevoir le pic de l’inflation pour le mois suivant, puis de déclarer qu’il « n’y aura pas de mars rouge » avant un mois de mars à 18% d’inflation sur l’alimentaire. Il a ensuite hésité, délibéré, différé… et a choisi de ne rien faire. Pas de panier anti-inflation (les paniers à prix bloqués préconisés par Olivia Grégoire, ministre en charge des PME et du Commerce), pas de chèque alimentaire, mais un simple logo publicitaire pour mettre en avant les promotions librement décidées par les grandes enseignes de la distribution.
En effet, depuis le 15 mars 2023 et pour une durée de trois mois, la plupart des supermarchés se sont engagés à vendre un panier de produit « au prix le plus bas possible, » formule leur laissant une grande liberté de manœuvre. Dans une interview au quotidien Libération du 16 mai 2023, Dominique Schelcher, PDG de Système U, nous apprend d’ailleurs qu’un produit « à prix coûtant » n’est pas vendu avec une marge nulle mais avec une marge de 10 % maximum, qui représente « la marge légale ».

Les enseignes choisissent en effet sans même une concertation avec les associations de consommateurs, les références participant au « trimestre anti-inflation ». Cela semble bien fonctionner pour elles : chez Système U les 150 produits concernés connaissent une croissance de leurs ventes de 25% depuis le 1er février[26]. En mai 2023, Dominique Schelcher indiquait en s’appuyant sur les données de Circana, que les ventes de produits alimentaires en volume ont baissé de 5 % sur les trois derniers mois mais que celles des 150 produits du panier anti-inflation ont progressé de 30 %[27].
L’échéance approchant et les prix ne baissant toujours pas (quelle surprise…), Bruno Le Maire a dû annoncer le 20 mai la poursuite de cette opération pour un trimestre supplémentaire. Dans une interview au quotidien Libération du 16 mai 2023, Dominique Schelcher se prononçait : « Je ne suis pas contre le fait que le gouvernement mette un peu la pression. Si dans quelques mois la situation reste bloquée, il faudra peut-être dire aux industriels leurs quatre vérités ». Dans la foulée, Olivia Grégoire annonçait « avec une certaine certitude » une baisse des prix alimentaires à partir de septembre et un « retour à des prix qui étaient les prix pré-inflation »[28]. De son côté, l’Observatoire français de la conjoncture économique (OFCE) estime que la forte inflation alimentaire durera jusqu’à la fin de l’année 2023[29]. Le contexte inflationniste interpelle d’autant plus l’exécutif qu’il contraste avec l’euphorie qui gagne les marchés financiers, illustrée par le record battu par le CAC 40 en avril 2023.
Bruno Le Maire avait prévenu, d’ici « début juin (…) soit les industriels de l’agroalimentaire tiennent leurs engagements (de baisse des prix) soit j’utiliserai l’instrument fiscal pour rendre ce qu’ils doivent aux consommateurs ». Cette taxe pourrait être récupérée sur les chiffres d’affaires 2023 dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Une fois parvenus à l’échéance de début juin, les constats s’imposent. Interrogé le 5 juin, le patron de Système U déclare que « à date, il n’y a pas de réouverture de négociations », quand, pour celui de Lidl (France), également le 5 juin, seuls 2 industriels sur 75 se sont déclarés ouverts à la discussion, qui, concrètement, « aujourd’hui, n’a abouti à rien ». Mais le ministre a oublié d’activer la menace fiscale qu’il avait brandie…
Il s’est contenté de demander le 5 juin aux industriels de l’agroalimentaire d’accélérer les négociations pour faire baisser les prix, tout en félicitant les distributeurs d’avoir prolongé l’opération « trimestre anti-inflation » jusqu’à la fin de l’année. Les négociations avec les industriels « ne vont pas assez vite », a par ailleurs estimé le ministre, ajoutant que « certains industriels, certaines grandes multinationales industrielles jouent la montre », et rappelant que les 75 plus gros industriels de l’agroalimentaire se sont engagés à rouvrir des négociations commerciales avec les distributeurs. « À date, il y en a deux ou trois qui l’ont fait », d’après Bruno Le Maire, citant les distributeurs. « Je rassemblerai les industriels de l’agroalimentaire et les représentants des distributeurs dans les jours qui viennent », a annoncé le ministre en précisant que si des négociations ne s’ouvraient pas avant le 15 juin, elles n’auraient « aucun effet sur les prix en septembre et en octobre ». La hausse des prix à la consommation s’est élevée à 5,1 % en mai sur un an, mais celle des produits alimentaires s’élevait à 14,1 %.
« Avant la fin du mois de juin, je publierai la liste de tous les industriels de l’agroalimentaire qui ont joué le jeu et la liste des industriels de l’agroalimentaire qui ont refusé de revenir à la table des négociations et qui n’ont pas voulu faire baisser les prix de détail alors que les prix de gros baissent », a expliqué Bruno Le Maire. De plus, « nous utiliserons l’outil fiscal pour aller rechercher dans les marges des grands industriels, qui sont élevées et qui se redressent, les prix qu’ils n’ont pas voulu donner aux consommateurs lors des négociations commerciales du printemps », a-t-il averti.
Assez curieusement, le pacte passé entre Bruno Le Maire et les deux principaux lobbys de l’agroalimentaire, ANIA et ILEC exclut les produits frais ainsi que les fruits et légumes, dont l’augmentation de prix est particulièrement vigoureuse. Comme le dit pudiquement un article publié par l’hebdomadaire Challenges du 8 juin 2023, ce pacte est « finalement très arrangeant pour l’industrie agroalimentaire ».
Un article du Figaro du 23 juin 2023 a révélé que seuls 5 industriels de l’agroalimentaire ont entamé les négociations avec les centrales d’achat des distributeurs sur les prix de leurs produits. Pendant ce temps, la baisse des volumes dans les rayons atteignait 6,4 % sur un an d’après Circana. Et aucune des menaces proférées par le ministre ne s’est concrétisée.
Ce théâtre bien réglé a montré à quel point les industriels et les distributeurs mènent le jeu, face à un pouvoir politique impuissant, qui agite beaucoup d’air mais n’agit pas.
La politique des boucliers tarifaires (blocage du tarif régulé du gaz, faible hausse du tarif régulé de l’électricité, remise carburant) portait souvent l’inconvénient du manque de ciblage. A l’inverse, l’idée du chèque alimentaire ciblé, jugée trop complexe par les pouvoirs publics, aurait pu être tout simplement calquée sur le dispositif de l’allocation de rentrée scolaire, qui a fait ses preuves. Cette solution aurait eu l’avantage (contrairement aux subventions directement imputées sur le carburant) de permettre un ciblage des mesures sur les ménages les plus précaires. Mais l’Etat a préféré se contenter d’envoyer une lettre aux industriels et de placer un logo tricolore officiel sur des produits qu’il n’a ni choisi ni contrôlé (provenance et évolution de prix).
Seul point positif : les gesticulations impuissantes de l’Etat n’ont trompé personne puisque pour 81% des Français, le gouvernement n’agit pas assez pour combattre l’inflation[30].
Conclusion (provisoire)
Alors que jusqu’à la crise Covid, la France avait réussi à protéger son modèle social, qui évite le creusement des inégalités observé dans la plupart des pays développés, l’inflation attaque le pouvoir d’achat et le « reste à vivre » des plus modestes. Elle fragilise les classes populaires et moyennes, crée des tensions sur la cohésion sociale.
Va-t-on vers une fin rapide de cette situation, comme veut le faire espérer le gouvernement ? « Tous les chefs d’entreprise que je rencontre me disent qu’ils veulent augmenter leurs tarifs », répond Patrick Artus[31]. Un constat empirique confirmé par l’Insee dans une enquête auprès des industriels publiée le 15 mars 2023, selon laquelle 45 % envisagent d’augmenter leurs prix de vente. En attendant, comme l’affirmait un ancien Premier ministre, Pierre Bérégovoy, « l’inflation, c’est l’impôt des pauvres ».
Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises,
Management & RSE
Pour aller plus loin :
Cet article est une version augmentée d’un éditorial de Martin Richer dans Metis : « La Consommation, c’est du travail »
Crédit image : « L’aumône ou la famille malheureuse », 1777, par Pierre-Alexandre Wille (1748-1821), peintre parisien, Huile sur toile, Musée des Beaux-arts de la ville d’Angers
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[1] “ECB confronts a cold reality: companies are cashing in on inflation”, Reuters, March 2, 2023
[2] Rapporté par La Croix, 24 avril 2023
[3] Patrick Artus, tribune dans Challenges du 6 avril 2023
[4] Lettre de Marc Fiorentino aux investisseurs, mars 2023
[5] Cité par Le Figaro, 27 avril 2023
[6] « A qui profite vraiment l’inflation ? », Le Journal du Dimanche, 12 mars 2023
[7] Interview au Journal du Dimanche du 22 janvier 2023
[8] « Les industriels de l’alimentaire se gavent, les Français mangent discount », Libération, 15 mai 2023
[9] Marie Dancer, « Inflation : les profits des entreprises, nouveaux moteurs de la hausse des prix », La Croix, 24 avril 2023
[10] Le Figaro, 26 avril 2023
[11] Interview au Journal du Dimanche du 22 janvier 2023
[12] Cité dans « Inflation un billet pour l’angoisse », Libération, 22 novembre 2021, page 2
[13] Le Figaro, 20 mars 2023
[14] « L’inflation s’accélère dans les grandes surfaces », 29 mars 2023, page 25
[15] Jean-Paul Fitoussi est décédé en avril 2022
[16] Le Figaro, 23 mars 2021
[17] Challenges, 6 avril 2023
[18] Source : cabinet Foxintelligence
[19] Voir dans Metis : « La consommation responsable à l’épreuve des crises ; interview de Suzanne Gorge«
[20] Challenges, 13 octobre 2022
[21] Le Figaro, 10 décembre 2022
[22] Voir son interview dans Challenges, 8 décembre 2022
[23] Etude CSA pour Cofidis, avril 2023
[24] Le Figaro, 27 mai 2023, page 19
[25] Le Figaro, 12 novembre 2022
[26] D’après Le Figaro du 29 mars 2023
[27] Interview au quotidien Libération du 16 mai 2023
[28] Merci pour l’info, 2 mai 2023
[29] La Croix, 24 avril 2023
[30] Enquête Ifop pour Le Journal du Dimanche, 12 mars 2023
[31] La Croix, 24 avril 2023