Le travail hybride n’est pas la coexistence du présentiel et du distanciel mais leur articulation

Le travail hybride est désormais la forme normale du travail

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[ Mise à jour : 7 mars 2023 ]  L’organisation du travail, les professionnels de la RH et le management doivent désormais tenir compte d’une nouvelle réalité, dans ce « monde d’après Covid » : le travail hybride est la forme normale de conception et d’exécution du travail.

Un virus a fait en quelques mois davantage pour la transition numérique et la transformation du travail dans les entreprises françaises que des années d’efforts conjugués des directeurs des ressources humaines, directeurs des systèmes d’information et directeurs des opérations. En mars 2020 sous la contrainte du confinement, les entreprises françaises basculaient en effet d’une situation où à peine 3 % de la population active télétravaillait régulièrement, à une proportion de 30 % de télétravailleurs. Cette transition à marche forcée a créé un choc organisationnel et managérial, dans l’ensemble bien absorbé. Après les déconfinements successifs, directions, professionnels de la RH, managers et collaborateurs se sont livrés à de multiples bricolages organisationnels pour accommoder la coexistence du présentiel et du distanciel, deux environnements de travail que beaucoup gèrent aujourd’hui en parallèle au lieu de les articuler.

 

Passé le temps de l’urgence et de l’improvisation, il est temps de prendre du recul. C’est l’ambition du rapport que je viens de publier pour Terra Nova avec Aurélia Andreu et Paul Montjotin. Il pose les sept caractéristiques de l’environnement de travail de demain, que nous appelons le Travail hybride socialement responsable, abrégé en THSR.

 

Celui-ci répond à un triple contexte :

  1. En cas de nouvelle vague de Covid ou de nouvelle pandémie, offrir la meilleure conciliation entre l’éloignement des travailleurs des lieux collectifs (transport, production, restauration…) pour éviter les contaminations et la préservation de l’activité économique.
  2. Par temps calme, accélérer les transitions qui étaient déjà à l’œuvre avant la pandémie pour créer un environnement de travail sain, stimulant et favorisant la sobriété.
  3. Dans tous les cas, mener cette mutation du travail dans l’équilibre des intérêts des parties prenantes, afin que cette évolution offre une solution pérenne et gagnante à la fois pour les collaborateurs, pour les entreprises, pour la société et pour la planète.

 

La coexistence des environnements de travail présentiels et distanciels présente de nouveaux défis dont la plupart des entreprises n’ont pas pris la mesure. Beaucoup d’entre elles disent faire du « travail hybride » alors qu’elles sont restées dans un modèle de cohabitation, c’est-à-dire une approche dans laquelle présentiel et distanciel sont simplement juxtaposés. Or, au cœur de la notion d’hybridation, on trouve la volonté d’articuler les deux univers.

 

La mise en œuvre du travail hybride suppose donc une réflexion sur les meilleures façons de combiner ces deux environnements pour recomposer les processus et offrir « le meilleur des deux mondes » et une expérience collaborateur aussi enrichissante et fluide que possible. Ainsi par exemple, pour l’intégration des nouveaux entrants (« on-boarding »), certaines tâches se prêtent parfaitement au distanciel alors que d’autres requièrent de la présence physique (voir : « Table ronde Entreprise & Carrières : l’hybridation du travail n’est pas la cohabitation du présentiel et du télétravail » ).

 

C’est au DRH et au management, garants du « contrat social de l’entreprise », de veiller au respect de ces équilibres et de créer les conditions concrètes de sa construction négociée.

 

Le THSR se définit par sept caractéristiques

Ces caractéristiques dessinent un contexte de travail hybride :

  1. déployé à grande échelle ;
  2. volontaire et créateur de droits (droit effectif au télétravail) ;
  3. équitable ;
  4. équipé et protégé ;
  5. respectueux de la santé physique et mentale ;
  6. accompagné ;
  7. favorable à la performance globale.

 

Pour chacune de ces caractéristiques, nous posons les constats, les principes directeurs et élaborons les propositions qui nous semblent indispensables à une mise en œuvre plus équilibrée et durable du travail à distance.

 

A la racine du THSR, nous préconisons la création d’un droit effectif au télétravail opposable à l’employeur, en poursuivant le mouvement initié par les ordonnances Travail de 2017 et en rapprochant la France des pays européens les plus avancés dans ce domaine : l’Allemagne et les Pays-Bas. En contrepartie, nous proposons d’adapter le droit du travail pour empêcher les abus du « chantage à l’éloignement », qui place les DRH et les managers dans des situations parfois inextricables.

 

Nous ne souhaitons pas pour autant « remettre les femmes et les hommes à la maison » : nous proposons la création d’un « titre télétravail » pour inciter les entreprises à faciliter l’accès de leurs collaborateurs à des espaces de travail partagés (coworking) et leur donner ainsi le choix du lieu de travail (sur site, dans un tiers-lieu ou à domicile). De même, nous ouvrons différentes pistes afin d’éviter que le travail à distance ne creuse une ligne de fracture entre ceux qui peuvent y accéder et ceux qui en seraient durablement exclus.

 

Aujourd’hui, d’après une étude de l’ANDRH publiée en mars 2022, 70 % des responsables RH redoutent avant tout un manque de cohésion entre les télétravailleurs et les salariés en permanence sur site. Peut-on s’en contenter ? Notre étude montre que l’attitude consistant à s’intéresser au travail réel, à raisonner en tâches éligibles au télétravail (plutôt que en postes) permet de doubler le potentiel du télétravail.

 

Nous recommandons aux entreprises une attitude ouverte et dynamique vis-à-vis du travail à distance : lutter contre la culture du présentéisme, encore trop profondément ancrée dans notre pays ; faire du travail hybride un axe essentiel de sa marque employeur et un outil de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle ; revoir ses rituels sociaux et ses process RH (intégration des nouveaux entrants, entretiens d’évaluation, prévention des risques psychosociaux…) pour les adapter au travail hybride ; tester et intégrer les technologies (lutte contre le risque cyber, travail collaboratif, métaverse,…) ; développer pour les collaborateurs une hygiène du travail à distance.

 

Le rôle crucial du management de proximité

Les managers de proximité ont joué un rôle essentiel lors des confinements. C’est maintenant la responsabilité des DRH de les épauler pour définir un « new deal managérial » avec leur équipe, basé sur la confiance a priori de la part du manager et un contrôle a posteriori, à maille variable et à rétroaction souvent plus courte qu’en présentiel.

 

De manière générale, les retours d’expérience révèlent que le travail hybride fonctionne bien quand il s’inscrit dans une stratégie RH globale. Le travail hybride implique nécessairement une formation aux nouveaux outils comme une adaptation de la relation managériale. Alors que 71% des dirigeants d’entreprise n’ont pas prévu une formation des managers aux pratiques managériales adaptées au travail hybride, cette transition managériale risque de s’encalminer alors qu’elle constitue une opportunité unique de faire progresser les pratiques et qu’elle répond à un besoin d’agilité et de flexibilité pour un meilleur équilibre des lieux et temps de vie et de travail.

 

Cette insuffisance ne concerne pas seulement les managers. Selon le baromètre annuel du Télétravail Malakoff Humanis de mars 2022, 78% des salariés n’ont pas été accompagnés lors de la mise en place du travail hybride. Facteur aggravant, une étude du CEREQ sur l’impact du télétravail sur le développement des compétences (juillet 2022) a montré qu’ici comme ailleurs, « ce sont les salariés les plus habitués au télétravail et à l’utilisation d’outils numériques (et de surcroît les plus qualifiés) qui ont, toutes choses égales par ailleurs, plus de chances de suivre une formation dans le numérique que les autres ». Si les entreprises n’y prennent pas garde, leur plan de formation va continuer à creuser le « fossé numérique ».

 

Dialogue social et dialogue professionnel doivent s’emparer du THSR

La multiplication des accords sur le télétravail témoigne de la vitalité du dialogue social au sein des entreprises. Reste cependant à y faire entrer la régulation du THSR en mobilisant le Comité social et économique (CSE), sa commission Santé et les commissions de suivi des accords sur le travail hybride : analyse des postes non éligibles au télétravail, équipement en matériels et logiciels des télétravailleurs, lutte contre l’illectronisme, pilotage d’une enquête de satisfaction auprès des collaborateurs, meilleure insertion du handicap, concrétisation du droit à la déconnexion, suivi et résolution des difficultés de mise en œuvre du travail à distance. Il faut également donner une meilleure visibilité aux organisations syndicales dans l’environnement numérique de l’entreprise.

 

Ces évolutions doivent être conduites selon une démarche aussi participative que possible car le THSR suppose que le sens au travail soit partagé et incarné par l’ensemble des collaborateurs. Nous suggérons ainsi d’organiser au sein des entreprises des réunions débat en petites équipes sur le thème « le travail après la crise sanitaire », selon les modalités du dialogue professionnel. De même, nous encourageons les approches permettant de conduire le changement, de modeler la culture d’entreprise en environnement hybride et d’apporter de la cohésion aux collectifs de travail parfois malmenés par le distanciel : raison d’être, missions, valeurs, leadership…

 

Le THSR apparaît comme un futur désirable pour les salariés, les entreprises et la planète. Dans chacun de ces cas, il répond à des impératifs essentiels, qui se situent en tête de leurs préoccupations :

  • Pour les entreprises : accroître leurs facultés de résilience et d’agilité, offrir des réponses pertinentes aux attentes des talents de demain par temps de « Grande démission » et de « Quiet Quitting » ;
  • Pour les salariés : mieux concilier leur vie professionnelle et personnelle ; mieux trouver leur place dans une entreprise plus attentive aux aspirations de ses salariés ;
  • Pour la planète : contribuer à la sobriété énergétique et lutter contre le réchauffement climatique en limitant les émissions de gaz à effet de serre.

 

Les propositions concrètes que nous avançons aujourd’hui s’adressent aux dirigeants d’entreprise, DRH et managers, aux représentants du personnel, aux pouvoirs publics et aux collectivités territoriales. Plus de la moitié concernent directement les fonctions RH et RSE. Nous n’attendons pas que ces acteurs reprennent l’intégralité de ces 86 propositions, mais que chacun les mobilise pour enrichir collectivement sa feuille de route.

 

Martin RICHER,
Président de Management & RSE
&
Responsable du pôle Entreprises de Terra Nova

 

Pour aller plus loin :

Cet article a été publié par Martin Richer sous le titre « DRH, oubliez le télétravail ; pensez ‘travail hybride ‘ » dans le No 19 du MagRH (décembre 2022). Vous pouvez le télécharger ici et retrouver cet article page 114.

Retrouvez ici le site du MagRH, le magazine au service de la fonction Ressources Humaines

Cet article est aussi une synthèse du rapport que Martin Richer a publié pour Terra Nova (7 octobre 2022) que vous pouvez télécharger ici 

Consultez les autres articles de ce blog consacrés au travail à distance ou au travail hybride

 

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