Qualité de vie au travail et collectifs ‘heureux’ : le rôle du manager

Print Friendly, PDF & Email

Reprise d’une interview croisée d’Yves Grasset et Martin Richer ; publiée par Metis Europe le
27 Mars 2017 ; propos recueillis par Eva Quéméré

La qualité de vie au travail (QVT) qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui pousse les dirigeants à s’en emparer ? Et pourquoi ne pas aller vers l’entreprise libérée ? Les collectifs sont-ils morts ? Dans un entretien croisé, une conversation entre Yves Grasset, sociologue du travail et auteur de « Nourrir le collectif – sortir de l’individualisation pour sauver le travail » et Martin Richer spécialiste de la Responsabilité Sociale des Entreprises et co-auteur du rapport « Qualité de vie au travail : un levier de compétitivité », ces questions vont trouver réponse… et le manager sa juste place.

Partons sur de bonnes bases. La qualité de vie au travail (QVT), qu’est-ce que c’est ?

Martin Richer

Un accord interprofessionnel de juin 2013 s’est attaqué au problème et en a donné une définition extrêmement large en consacrant à la QVT dix champs d’action (« Qualité de vie au travail : le vilain petit accord ? »).. Plus simplement, je pense que l’on peut la décomposer en trois grandes branches.

  • La première est l’organisation du travail : le fonctionnement des équipes, la façon dont les tâches sont organisées, réparties, évaluées.
  • La deuxième composante représente tout ce qui gravite autour du management et sa capacité à organiser une délibération sur le travail : agit-il comme une simple plaque tournante faisant descendre les ordres et remonter l’information ou sait-il se positionner en transversal, faire discuter les employés, appliquer la reconnaissance.
  • Le dernier élément est le dialogue social, au sens large, bien sûr, avec les processus de négociation, de consultation, d’information, mais aussi d’animation d’équipes.

La QVT est donc un domaine plurifactoriel. Mais, l’approche que nous avons empruntée dans le rapport réalisé avec Terra-Nova, l’ANACT et la Fabrique de l’industrie (que vous pouvez télécharger en utilisant le lien dans la section « Pour aller plus loin » au bas de cet article) a été de considérer qu’il était un peu insensé de la définir sans placer au premier plan la qualité du travail. C’est pour nous un préalable, le juste prisme à privilégier. Ce n’est qu’une fois ceci fait que l’on peut prendre en compte les éléments périphériques qui peuvent aller au-delà de la simple activité.

En Ile-de-France, alors que 95 % des dirigeants jugent le niveau de qualité de vie au travail de leur entreprise bon, voire très bon, seuls 70 % des salariés partagent cette opinion (Malakoff Médéric Etude 2016 Santé et QVT). Comment expliquer cette différence de perception ?

Yves Grasset

L’écart entre ce que s’imagine le dirigeant et ce que perçoit le salarié est inévitable : chacun interprète la QVT en fonction de ses intérêts, liés à une position dans l’entreprise. Ces écarts, qui rappellent l’importance des statuts, sont une vraie source de difficultés, mais ils sont souvent sous-estimés par ceux qui abordent le problème dans une seule logique de gestion. Plus globalement d’ailleurs, on laisse se développer cette illusion (dangereuse) que l’on peut mettre facilement des thermomètres de partout ; c’est pourtant beaucoup plus compliqué que ça.

Un petit exemple là-dessus à propos des questions de violences et d’insécurité. Il y a déjà quelques années, Jean Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, analysait que dans certains environnements, voir remonter le niveau des plaintes est un indicateur positif, voire encourageant. Pourquoi ? Tout simplement parce que cela signifie d’une part qu’on dispose d’un compteur à proximité (l’implantation d’un commissariat peut avoir cet effet : on rapproche le thermomètre) et que les victimes reprennent confiance dans l’institution pour témoigner de ce qu’elles vivent. Lorsqu’on prend en compte un problème dans l’entreprise, que l’on sort du déni, on observe inéluctablement des déplacements d’intérêts, de préoccupations.

Ajoutons que le chiffre n’est jamais prédictif. De nombreux exemples témoignent de passages à l’acte dramatiques dans des entreprises qui s’étaient pourtant préalablement dotées de batteries d’indicateurs. Par ailleurs, on présente la mesure comme un simple support de réflexion destiné au débat, alors que souvent elle permet au contraire de l’éviter, en réduisant encore la portée du collectif. Ce qu’il faudrait prioritairement interroger, c’est les usages sociaux de la mesure.

Martin Richer

Pour moi, l’écart de perception entre les dirigeants d’un côté et les salariés de l’autre s’explique par trois éléments :

Le premier, c’est le prisme de l’acteur. En tant qu’acteur social, le chef d’entreprise est prioritairement axé sur la mise en œuvre de sa stratégie et pour le reste – comme disait de Gaulle – l’intendance doit suivre. Ainsi, le dirigeant voit les conditions de travail comme un élément significatif, mais asservi à la stratégie et à la conduite des affaires alors que pour le salarié, c’est son quotidien qui est en jeu.

Le deuxième facteur tient, comme souvent, à la façon dont est posée la question. On n’obtient pas les mêmes réponses des employés si on leur demande l’état de la qualité de vie au travail dans leur équipe ou au niveau de leur entreprise. En effet, que ce soit en matière de stress, de QVT, de satisfaction au travail ou encore d’engagement, plus on se rapproche de la personne et meilleure la situation se trouve ; plus on s’en éloigne et pire elle est. C’est un peu comme en politique : on aime bien son maire, on déteste son député et encore plus le membre du gouvernement. On le voit très bien dans l’étude de Technologia, « Le secret des collectifs heureux » (voir la section « Pour aller plus loin » au bas de cet article), qui nous montre qu’il y a globalement une satisfaction forte vis-à-vis de l’équipe, mais très détériorée vis-à-vis de l’entreprise.

Et puis le troisième facteur c’est, me semble-t-il, la déconnexion des dirigeants au terrain, une problématique déjà évoquée par Michel Crozier et approfondie aujourd’hui par l’un de ses continuateurs, François Dupuy, auteur notamment de « La fatigue des élites », « Lost in management » et « La faillite de la pensée managériale ». On retrouve justement la problématique de la quantophrénie et du chiffre. En effet, plus les dirigeants s’éloignent des processus de travail et ont du mal à les cerner et plus ils demandent du reporting, des données. Il y a alors une grande partie de l’énergie des opérateurs qui est dérivée, déviée vers la production de chiffres.

Exit la mesure, comment jugez-vous le niveau de qualité de vie au travail des Français – notamment vis-à-vis de leurs voisins européens ?

Yves Grasset

On est traditionnellement très investi, en France, sur la question du travail. Les enquêtes de Dominique Meda et de Patricia Vendramin montrent que globalement les Français l’investissent particulièrement et en sont très dépendants pour définir et valoriser leur identité. Il tient une place particulière, on en attend beaucoup et sans doute plus que dans d’autres environnements culturels. Et à tel point, c’est ce que remarque Danièle Linhart, que quand on le perd c’est notre identité qui souffre. Paradoxalement, alors qu’on pourrait penser à une libération, on perçoit d’abord un aspect de mutilation lorsque l’on perd son emploi. C’est-à-dire que les tensions ou déceptions que les Français peuvent avoir vis-à-vis du travail sont aussi liées aux attentes qu’ils y ont placées.

Martin Richer

Par ailleurs, dans nos recherches nous avons trouvé que la France était plutôt en retard en matière de QVT, particulièrement pour ce qui concerne le management et notamment le développement de ce que l’on nomme les OTP (voir « Les organisations du travail participatives : les 5 piliers de la compétitivité »), toutes ces organisations qui essaient de donner le plus de pouvoir possible aux opérateurs et qui sortent alors du taylorisme. Cette transition-là, que l’on a appelée la « transition managériale », est particulièrement douloureuse en France (« Transition managériale : heurts et malheurs français »). En s’appuyant sur les enquêtes comparatives de la fondation de Dublin (Eurofound) on constate, en effet, que l’autonomie au travail est beaucoup plus réduite dans notre pays que chez nos voisins européens.

Vous parlez d’un manque d’autonomie des salariés en France – une étude de la DARES de 2013 montre, en effet, que les rythmes de travail s’intensifient et que les marges de manœuvre laissées aux employés se dégradent. À cela s’ajoute une tendance au management par le chiffre, à la notation. On comprend pourtant que cette dynamique va à l’encontre de la démarche QVT et à contre-courant du mouvement ou de la mode des entreprises libérées. Ne s’agit-il pas d’une véritable contradiction ? D’un paradoxe du monde du travail ?

Martin Richer

En fait je pense que c’est complètement cohérent. Comme je le disais, on est en France dans ce contexte particulier d’un taylorisme dont on a des difficultés à sortir. En même temps, ces vingt dernières années il y a eu un effort extrêmement important sur l’éducation : le niveau moyen s’est considérablement élevé et de plus en plus de jeunes sortent de l’université. Ainsi, des personnes de mieux en mieux formées se trouvent confrontées à des marges de manœuvre de plus en plus réduites (« Autonomie au travail : la France a tout faux ! »). D’où cet intérêt vis-à-vis de l’entreprise libérée qui existe aussi en Belgique, mais nulle part à ce point ailleurs en Europe. D’où aussi le nombre important de jeunes qui veulent créer leur startup, préférant la liberté et le dynamisme à la contrainte.

Cet esprit entrepreneurial est l’aspect positif, mais il y a un gros revers, c’est le désengagement d’autres personnes dans l’entreprise et ce que l’on appelle « la grève du zèle ». Quand tout le monde suit les consignes à la lettre, cela bloque le travail et les organisations. Cela prouve que l’hyper-prescription du travail n’est pas un gage de performance, ni sur le plan économique ni sur le plan humain.

Yves Grasset

Oui, en matière de management de proximité par exemple, on est passé il y a déjà quelques années de la figure du contremaître – issu du sérail et qui connaissait le métier – à un manager à qui on va essentiellement demander la tenue de tableaux de bord ; dit autrement, qui ne connaîtra parfois plus rien de cette réalité de la production, donc qui ne sera pas en capacité d’aider les collaborateurs face aux difficultés.

Marie-Anne Dujarier nous explique effectivement dans son livre Le Management désincarné (voir dans Metis « Les plan(n)eurs du management », par Jean-Marie Bergère) que les prescriptions sont faites de plus en plus loin de la réalisation du travail et nous parle de la façon – sous un mode quasiment ludique, de gamers, de traders – dont des gens se « défoncent » à pouvoir encore optimiser, enlever un petit peu de gras sur telle ou telle opération sur laquelle on va tenter de gagner quelques secondes.

L’entreprise qui fonctionne correctement est celle où il y a une hiérarchie disponible, compétente, sensible aux ressentis subjectifs. Et qui maintienne une capacité d’adaptation, ne serait-ce que pour ajuster le réel du travail à la situation dégradée qui peut se présenter ici et maintenant. Mais l’autonomie des salariés dans l’entreprise est très menacée par cette prescription à distance qui l’enserre, qui l’engonce. Je ne crois pas non plus à l’entreprise « libre » de tout management, mais bien plutôt à l’entreprise qui soutient et comprend son management pour qu’il puisse exercer en confiance avec son équipe, en régulant, localement.

L’entreprise libérée serait donc une illusion, un cri du cœur ? Il y en a pour qui ça marche pourtant… Si la solution ne se trouve pas là, alors on fait quoi ? Qu’est ce qui, aujourd’hui, justifie le rôle du manager ?

Martin Richer

Dans le livre blanc « Entreprise Libérée, la fin de l’illusion » du collectif des Mécréants (voir aussi : « Le défi de l’autonomie : ce n’est pas l’entreprise qu’il faut libérer mais le travail ») nous avons présenté un certain nombre de cas pour lesquels ça ne se passe pas aussi bien que pour Poult, Favi ou Sew-Usocom. Il faut vraiment relativiser, les choses ne sont pas si simples et si univoques qu’elles n’y paraissent ! (voir aussi « 8 nuances de gris sur l’entreprise libérée » – huit cas d’entreprises libérées pour qui les choses ont mal tournées).

Je suis très sensible à ce que dit Mathieu Detchessahar, un chercheur de l’Université de Nantes, qui a écrit un article dans la « Revue française de gestion » dont le titre parle de lui-même « Santé au travail : quand le management n’est pas le problème, mais… la solution ». Je pense, en effet, que l’élément central, c’est le management intermédiaire dont Yves a parlé.

En France, on a souvent une vue assez critique sur le management, on a même tendance à le diaboliser. Mais, pour moi, il ne faut pas aller dans le sens de ce que voudrait nous faire croire l’entreprise libérée qui développe son « modèle idéal » : dialogue direct entre le chef d’entreprise – le libérateur – et ses collaborateurs. J’estime au contraire que ce modèle est détestable dès que l’entreprise atteint une certaine taille et doit composer avec la complexité. L’étude de Technologia que j’ai mentionnée montre à quel point la fréquence et la qualité de la relation avec le manager de proximité sont déterminantes pour construire la QVT. Lorsqu’il y a un désaccord ou un conflit, on doit trouver les moyens de les résoudre. S’il n’y a plus personne pour le faire, les tensions montent et les risques psychosociaux (RPS) avec. Même si les machines et algorithmes peuvent apporter un certain nombre d’informations, la dimension humaine est irremplaçable.

Plutôt que de jeter le management avec le malaise des managés, il faut reconstruire un management en soutien de l’activité et du développement professionnel (« Le management 2.0 sera-t-il socialement responsable ? »).

Yves Grasset

Il y a une chose toute simple qui justifie aussi pleinement le rôle du manager, c’est la question de « l’adressage », les sources diverses d’attentes sur le travail.

 « A qui s’adresse mon travail ? », cette question que se pose le salarié génère parfois de sacrées contradictions, voire des paradoxes qui peuvent altérer la santé mentale. Prenons l’exemple du serveur de restaurant : son travail ne sera pas le même s’il pense aux clients, à ses collègues de brigade dans l’arrière-salle, à son patron, parfois au service qualité… Il arrive souvent que ces sources d’exigences soient en tension entre elles. Il y a des tas de contradictions objectives qui pèsent aujourd’hui sur les situations de travail. Cet ensemble de contraintes peut ainsi être au minimum superposé, voire à des moments, complètement dissonant.

C’est notamment dans ce schéma-là que le manager a toute sa raison d’être. C’est-à-dire qu‘il y a aussi besoin de réguler, de prioriser, de dire ce qui est important ici et maintenant. Car le salarié ne peut pas s’émanciper de lui-même de tout ce qu’il est supposé faire en même temps. Ce que je vous décris là de façon très schématique c’est ce que Vincent de Gaulejac appelle les « situations paradoxantes » et ça, ça rend fou. Ce n’est pas juste une contradiction dans laquelle il faudrait trancher. Le paradoxe c’est que vous savez que quand vous faites quelque chose il y a autre chose d’important que vous n’allez pas pouvoir faire. S’il n’y a pas de manager pour guider et prioriser ce qui peut être fait, c’est le salarié qui doit endosser ce paradoxe. D’où un vrai besoin de régulation, d’organisation du travail, et au quotidien.

Comment convaincre les entreprises de se lancer dans la QVT ? Quels sont leurs intérêts concrets et directs ?

Martin Richer

Dans notre travail nous avons voulu comprendre et caractériser les entreprises tournées vers la QVT. On en a interrogé une douzaine et nous avons constaté que les situations étaient extrêmement diverses, que la QVT était appréciée différemment en fonction du contexte de chacune. Pour schématiser, on peut prendre trois catégories : l’industrie, les services et les startups.

L’industrie a besoin de développer l’autonomie, car elle est aujourd’hui dans un modèle que les Anglo-saxons appellent la « mass-customisation ». On a d’un côté les clients qui souhaitent de plus en plus personnaliser ce qu’ils achètent et de l’autre les industriels qui veulent – pour baisser les coûts – faire de la production de longues séries. Comment ça se régule ? Justement par la capacité à introduire, au dernier moment dans les plans de production, les spécificités voulues par chaque client. Pour cela, il faut de l’autonomie. C’est ce que font les organisations responsabilisantes – comme Michelin – qui essaient de faire redescendre le centre de gravité de la prescription du travail.

Dans les services, la problématique est toute autre. Les salariés étant pour une forte proportion au contact direct des clients et représentant alors l’image de l’entreprise doivent être « bien dans leurs baskets ». Les initiatives de ces entreprises sont donc surtout centrées sur la QVT au travers de la santé, du climat social, de tous les éléments qui vont faire en sorte que l’employé en soit un bon ambassadeur.

Et puis, il y a le cas des startups qui vont souvent plus loin dans la QVT, car elles ne cherchent pas seulement une force de travail ou des compétences chez leurs salariés, mais aussi de la créativité pour innover. Par exemple, certaines accordent à leurs employés la possibilité d’utiliser 10 % de leur temps de travail pour mener à bien des projets personnels.

Yves Grasset

Souvent, on évoque soit le risque pénal, soit le bénéfice attendu en termes de performance pour s’adresser aux dirigeants et tenter de les convaincre. J’ai agrémenté mon livre d’expériences issues du réel. Dès lors, on constate à travers ces situations qu’il y a aussi deux autres aspects de cet intérêt qu’ont les dirigeants à s’engager et à se mettre en mouvement sur la QVT et les RPS.

Premièrement, on a pris conscience qu’un drame dans une entreprise, même dans une grande, est extrêmement plombant, en interne comme en externe. Il y a, en effet, un avant et un après lorsqu’il y a eu un suicide ou un accident mortel : les salariés font des liens sur les conditions de travail. On ressent généralement une vraie déflagration, très dévastatrice en termes de confiance.

Deuxièmement, il est compliqué pour le chef d’entreprise de pouvoir embarquer tout le monde sur une nouvelle orientation si le collectif dysfonctionne. S’il doit prendre un virage sur l’aile – par exemple si le marché est en train de se transformer rapidement ou que les techniques évoluent sous l’effet du numérique – il sera vraiment en difficulté s’il travaille avec des collaborateurs centrés uniquement sur leur situation individuelle, qui n’ont pas de conviction partagée, pas de lien de confiance durable avec l’entreprise. Le dirigeant qui met en concurrence ses collaborateurs se tire une balle dans le pied. Le calcul à court terme l’empêchera de prendre ce virage nécessaire demain.

Les gains de compétitivité en font aussi partie, peut-être de façon moins directe ?

Martin Richer

Un point qui mérite effectivement d’être développé en France c’est la matérialité du lien entre QVT et compétitivité, car beaucoup de dirigeants ne pensent pas que les investissements qu’ils vont faire en ce sens seront rentables. La question y a d’ailleurs été très peu étudiée, contrairement aux USA, à la Grande-Bretagne, à la Suède ou encore au Danemark. Voilà pourquoi nous avons consacré un chapitre entier de notre rapport à faire le tour de la recherche universitaire sur la matérialité de ce lien.

En fait, il peut être à double sens. D’un côté, les entreprises qui améliorent leur QVT accroissent leur rentabilité parce qu’elles réduisent certains coûts (assurance maladie…) et augmentent la productivité des employés. Et de l’autre, celles qui fonctionnent mieux économiquement peuvent investir plus de moyens dans la QVT et s’occuper plus sérieusement de la problématique des conditions de travail. Il faut donc essayer d’enclencher ce cercle vertueux. Plus vous avez investi sur la QVT et plus la qualité du travail progresse, plus la compétitivité, la productivité augmentent et plus vous avez les moyens de continuer.

Entre les conditions de travail de la nouvelle économie et les changements de l’entreprise que l’on connaissait hier – majorité des embauches en CDD et intérim, rupture rapide des CDI, individualisation, etc. – on parle de rupture des collectifs de travail. Le collectif est-il vraiment une option aujourd’hui ? Comment le management peut-il s’emparer de cette question ?

Yves Grasset

La vie moderne ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise, il y a aussi plus d’individualisation dans les différentes sphères de notre existence. Mais, on y rencontre parfois des méthodes et des orientations qui posent problème, des pratiques objectives qui ne sont pas toujours bienveillantes.

L’objet de ma thèse était d’analyser le lien entre la montée des plaintes, des RPS et le délitement des collectifs. Il existe par exemple beaucoup d’espaces de travail – et pas que dans le privé – où l’on met sciemment les agents, les salariés en concurrence. Par ailleurs, de nombreuses entreprises introduisent une forme de logique de marchandisation généralisée, par exemple une relation client/fournisseur, entre services. C’est aussi comme ça que les dirigeants participent à ce délitement.

Le bon fonctionnement d’un collectif permet une coopération qui nous semble évidente, naturelle. La coopération, ce n’est pas l’amitié, ni même d’ailleurs forcément la solidarité. Il ne s’agit évidemment pas d’être d’accord sur tous les points, mais il faut pouvoir collaborer avec fluidité dans le travail, s’informer mutuellement, assurer ensemble une cohérence, une continuité. Ce minimum est aujourd’hui menacé par des pratiques qui, quelquefois, sont injectées de façon maladroite, d’autres fois, intentionnellement par la hiérarchie. Tout ne peut être marchandisé. Il faut qu’il y ait du gratuit, il faut qu’il y ait du symbolique. C’est ce qui nous enrichit dans le monde du travail.

Martin Richer

Il me semble que plus nous allons vers la société de la connaissance, plus nous avons, au contraire, besoin que les salariés coopèrent entre eux. En effet, la résolution des problèmes nécessite bien plus de connaissances à mesure que la complexité s’accroît. Mais celle-ci est de plus en plus dispersée sur plusieurs personnes. La problématique des entreprises aujourd’hui est donc celle de la coopération, de la collaboration (« Travailler ensemble : pour une intelligence de la coopération»). Mais malheureusement, je constate au fil de mes interventions en entreprises que beaucoup d’entre elles agissent par l’incantation (« coopérez ; échangez ; privilégiez l’équipe »), mais conservent des modes de reconnaissance du travail qui poussent à l’individualisme, par exemple les dispositifs d’évaluation et de détermination des rémunérations variables. La tension entre injonctions et gestion est destructrice de la cohésion des collectifs.

Google mène un gros projet qui s’appelle Rework – le diminutif de « reinventing work » (réinventer le travail) dans le cadre duquel ils ont développé le programme Aristote dont ils viennent de publier les résultats dans la Harvard Business Review. L’objectif était de déterminer quels facteurs expliquent la performance de leurs équipes. Ils ont analysé 180 équipes opérationnelles de Google partout dans le monde, au crible de 250 attributs : le CV du manager, les indicateurs de notation, etc.

Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, le premier facteur de réussite est la Psycological safety, le climat de sécurité psychologique qui règne dans l’équipe. C’est assez intéressant de se rendre compte que ce premier élément, inattendu, soit extrêmement collectif et si lié à l’ambiance que le manager sait (ou non) créer dans son équipe. Cela va à l’encontre de l’idée trop répandue que pour obtenir la performance il faut pressuriser les gens ou les faire diriger par un(e) sur-diplômé(e).

Google est bien sûr une organisation plongée dans le numérique plus que toute autre, mais elle préfigure peut-être ce que sera le futur du travail, y compris dans les environnements plus traditionnels. Elle nous montre aujourd’hui que le travail se dérobe à une analyse simpliste : les ingrédients de la performance ne sont pas ceux que beaucoup de managers et de dirigeants, avec bonne foi, essaient de pousser…

Pour aller plus loin :

Yves Grasset, « Nourrir Le collectif, sortir de l’individualisme pour sauver le travail », Paris, L’Harmattan, mars 2017

Anact, Terra Nova, La Fabrique de l’industrie, par Emilie Bourdu, Marie-Madeleine Péretié, Martin Richer, « La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité – Refonder les organisations du travail », Paris, Presse des Mines, 2016

Technologia, « Le secret des collectifs heureux – pour une véritable qualité de vie au travail », Paris, septembre 2016

Jean-Marie Bergère, « Responsabilisation et autonomie au travail : un acte de foi », Metis, novembre 2016

Le site de Metis Europe

Approfondir la question de la QVT : parcours au sein de quelques articles de Management & RSE qui abordent la QVT par différentes facettes

Pour recevoir automatiquement les prochains articles de ce blog « Management & RSE » dès leur publication, inscrivez-vous gratuitement à la newsletter. Pour cela, il vous suffit d’indiquer votre adresse email dans le bloc « Abonnez-vous à la newsletter » sur la droite de cet écran et de valider. Vous recevrez un courriel de confirmation.

Partager :

Facebook
Twitter
LinkedIn
Email
WhatsApp

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *