RSE et création de valeur : quel rôle pour le dirigeant ?

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[ Mise à jour: 22 janvier 2019 ]  Il fallait bien que ma route, un jour, croise celle de l’AFRaME. Comme son nom l’indique, l’Association Française du Management Equitable s’intéresse au carrefour entre le management et le courant de la RSE. Avec Management & RSE, les atomes semblaient crochus et les longueurs d’onde compatibles. La rencontre est faîte, et de manière fort agréable puisque sa dynamique présidente m’a demandé d’animer une conférence – débat sur un thème qui m’est cher, la contribution de la RSE à la création de valeur.

Ce sujet nous a amenés, inévitablement, à confronter les différentes visions et conceptions de l’entreprise. Car le droit français ignore presque complètement – sauf dans quelques recoins peu fréquentés, notamment dans le droit de la concurrence – la notion d’entreprise. Il ne connaît que la notion de société (code du commerce) et celle d’employeur (code du travail). La RSE vient se glisser dans cet angle mort pour proposer un élargissement de l’intérêt social à d’autres parties prenantes que les seuls actionnaires. Ces derniers possèdent des fragments (matérialisés par des actions) de la société mais l’entreprise, en tant que projet porté par un groupe humain, n’appartient pas à ses seuls actionnaires[1]. C’est cet interstice entre société et entreprise, qui propulse l’évolution de la « shareholder value » (porteurs de parts) vers la « stakeholder value » (porteurs d’enjeux).

Je signale deux points d’actualité sur cette question.

  • D’abord la parution d’un ouvrage collectif, « L’entreprise, point aveugle du savoir », dirigé par Blanche Segrestin, Baudoin Roger et Stéphane Vernac, qui poursuit la réflexion sur les multiples visages de l’entreprise[2]. Dans la préface de cet ouvrage, Antoine Frérot, PDG de Véolia et fidèle des colloques de Cerisy écrit : « Si l’entreprise appartient à toutes ses parties prenantes, alors elle n’a pas pour but de maximiser l’intérêt d’une seule de ces parties. (…) Repenser la propriété de l’entreprise est donc une question fondamentale car le discours sur la propriété de l’entreprise induit le discours sur le pouvoir dans l’entreprise, ainsi que la finalité même de celle-ci ». On ne saurait mieux dire…
  • La loi Macron, qui entre en discussion au Parlement, va peut-être offrir un débouché juridique à ces avancées puisqu’elle incorpore une modification de l’article 1833 du code civil, relatif à l’intérêt social de l’entreprise, qui dispose que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ». Cette modification consiste à ajouter la mention suivante : « Elle doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental ». Finalement, cette modification ne sera pas maintenue dans la version finale de la loi, ce qui illustre les tergiversations du législateur sur cette question si essentielle des finalités de l’entreprise !

Cette réflexion sur l’entreprise est un passage obligé car notre conception de la performance en dépend. Lorsque cette notion de performance est mise en débat dans des groupes de discussion de dirigeants ou de managers, le consensus se cristallise rapidement autour de l’idée selon laquelle la performance est la capacité d’une organisation à atteindre ses objectifs. La question devient alors : quels objectifs, pour quelles parties prenantes ? On voit bien ici que la RSE ne s’oppose pas à la performance mais propose son élargissement.

C’est ce que voulait ignorer le célèbre économiste libéral Milton Friedman, l’adversaire le plus résolu de la RSE, qui dans un célèbre article du New York Times, prétendait que pour un chef d’entreprise, toute autre motivation que la maximisation du profit serait soit immorale soit anti-économique[3].

Au théoricien sûr de lui, j’oppose le praticien qui après une longue carrière, découvre le doute… Jack Welch, l’ex. dirigeant de General Electric, qui a popularisé à partir de 1981 la notion de création de valeur actionnariale (théorisée par ce même Milton Friedman en 1971) a fini par reconnaître dans un article qu’il a publié en 2009 dans le Financial Times, que cette dernière ne doit pas être une stratégie, mais un résultat. Il ajoutait que la création de valeur actionnariale est l’idée la plus stupide (“the dumbest idea in the world”) et que la rechercher comme une stratégie est insensé (“insane”). Lorsqu’il fit cette découverte, Jack Welch avait pris sa retraite de GE depuis 8 ans…

Je n’éprouve pas davantage de sollicitude envers ceux qui, sur le versant opposé, considèrent que les objectifs sociétaux et environnementaux de la RSE se suffisent en eux-mêmes et qu’il n’y a pas lieu de poser la question de la performance économique. Car si cette dernière ne doit pas être l’objectif, elle n’en est pas moins un moyen nécessaire. L’entreprise est un lieu de tension entre des objectifs qui ne sont pas toujours convergents.

Au final, la grande idée de la RSE est que les facettes de la performance — sociétale, environnementale et économique – se renforcent mutuellement. Dirigeants et managers responsables doivent contribuer à la recherche des équilibres.

Si vous souhaitez poursuivre ce musardage autour de la performance, la création de valeur, l’impact de la RSE, le rôle du management et du dirigeant, je vous propose de lire la synthèse réalisée par Marie-Laure Meunier, présidente de l’AFRaME, de cette conférence que j’ai pris grand plaisir à animer. C’est ici : «Pour une RSE transformative ! », 7 Décembre, 2014.

Vous pouvez aussi lire la suite de cet article, qui se trouve ici : « RSE : d’un modèle de conformité à la dynamique de compétitivité ».

Martin RICHER, consultant en Responsabilité sociale des entreprises

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[1] Voir Jean-Philippe Robé (« L’entreprise, formes de la propriété et responsabilités sociales », Actes du Colloque, Collège des Bernardins, Éditions Lethellieux, 2012), qui élabore la distinction entre les droits attachés à la propriété d’une part d’une société (action) en tant que construction juridique et à celle d’une entreprise, considérée comme un projet collectif. Voir également Blanche Segrestin et Armand Hatchuel (« Refonder l’entreprise », Seuil, La République des Idées, février 2012) qui contestent la doctrine de la ‘corporate gouvernance’ et proposent de « restaurer une conception de l’entreprise fidèle à ses fondements historiques et à son projet de création collective ». Voir enfin Isabelle Ferreras (« Gouverner le capitalisme ? », PUF, septembre 2012) qui poursuit cette ligne et propose le ‘bicamérisme économique’ comme mode de gouvernance associant les représentants des salariés.

[2] Blanche Segrestin, Baudoin Roger et Stéphane Vernac (dir.), « L’entreprise, point aveugle du savoir – Actes du colloque de Cerisy», Editions Sciences Humaines, Le Seuil, octobre 2014

[3] Milton Friedman, « The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits », « The New York Times Magazine », September 13, 1970

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